Article original : http://www.dw.com/en/in-a-post-embargo-era-cuba-serves-as-a-model-for-marine-protection/a‑18475940
Longtemps tenu à distance par un embargo économique des USA, Cuba a fait les choses à sa manière. Pour la population, cela a impliqué certaines épreuves. Mais l’environnement marin, semble-t-il, en est sorti victorieux.
Lorsque les visiteurs descendent du bus, dans un poussiéreux port de pêche à cinq heures de La Havane, ils ont parcouru la moitié de la distance qui les sépare de ce que l’on nomme l’Eden accidentel de Cuba. Il faut encore cinq heures de bateau pour finir le voyage — mais cela vaut le coup.
Le parc marin du sud-ouest de Cuba que l’on appelle les Jardines de la Reina, ou jardins de la reine, est rempli de poissons et d’espèces de coraux qui ont disparu de toutes les autres parties des Caraïbes et de la Floride.
Seules 1500 personnes par année sont autorisées à visiter les jardins de la reine, que Christophe Colomb a nommé ainsi d’après la reine Isabelle I de Castille. Ses caractéristiques paradisiaques sont en partie la conséquence d’une récente histoire politique.
Au début des années 90, l’embargo des États-Unis et l’effondrement de l’Union soviétique ont créé une réalité économique épouvantable, ce qui, entre autres choses, fit que les Cubains furent dans l’impossibilité de construire des infrastructures pour le tourisme, ou d’acheter des pesticides, qui leurs étaient auparavant fournis par les soviétiques, pour protéger leurs récoltes.
En conséquence, Cuba fut relativement préservée des types de pollutions qui ont affecté les îles voisines. Daniel Whittle, directeur du programme de Cuba pour le fonds de défense de l’environnement, a passé 15 ans à essayer de protéger ces eaux et se souvient de sa première plongée dans les jardins.
« Ce qui m’a vraiment frappé, ce n’était pas simplement la couleur et la diversité du corail, mais le nombre de poissons qu’il y avait », explique Whittle. « Des poissons vraiment gros, comme le mérou, la dorade, les tortues de mer, et beaucoup de requins. »

Suivi du nombre d’espèces
Les chercheurs sont particulièrement intéressés par les requins, dont les populations connaissent un déclin massif, en raison de la valeur commerciale de leurs nageoires, qui — parce qu’elles sont supposées avoir des propriétés bénéfiques pour la santé — sont vendues sur les marchés asiatiques.
Cuba, qui travaille avec le fonds de défense de l’environnement pour protéger les populations locales de requins, reconnaît le potentiel écotouristique de ces majestueuses créatures. Un rapport économique préliminaire suggère que la valeur de chaque requin vivant oscille entre 300 000 et 1 million de dollars.
Mais les requins ne sont en aucun cas la seule espèce marine d’intérêt pour le gouvernement cubain. Il mène un plan d’action nationale, avec le soutien d’EDF et de la Food and agriculture Organization (FAO — Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), pour créer un plan de management de la conservation — qui comprend des mesures pour combattre la surpêche.
Pour gérer les pêcheries, les scientifiques ont besoin d’établir une base de référence des populations des différentes espèces marines. Cela peut s’avérer difficile à Cuba, où ces données ne sont pas nécessairement disponibles. Les scientifiques doivent souvent se contenter de ce que rapportent les pêcheurs sur la taille de leurs prises.

« Les pêcheurs doivent vraiment faire partie du processus. Nous avons besoin de leur assentiment, de leur soutien pour collecter les données », explique Whittle.
Une forte houle à l’horizon
Mais d’autres problèmes se dessinant à l’horizon viennent troubler les eaux claires de Cuba — qui sont protégées à hauteur de 25 %, en tant que réserves marines officielles. L’annonce par le président des États-Unis, Barack Obama, d’une normalisation graduelle des relations avec Cuba, fait saliver de nombreuses compagnies des USA à l’idée des potentialités commerciales qui se profilent.
Y compris la coalition agricole des USA pour Cuba, un groupement de producteurs, composé de corporations vendant des graines de soja, du bétail, et du blé, et possiblement d’autres produits, comme des semences et des engrais.
« Cela va un peu être David contre Goliath », rapporte Greg Watson, directeur de la réglementation et des systèmes de design au centre Schumacher pour une nouvelle économie, à Global Ideas. Il explique que la réintroduction de pesticides de produits chimiques dans les pratiques agricoles pourrait contaminer les eaux souterraines.
Et ses inquiétudes ne s’arrêtent pas là. Bien que Cuba couvre actuellement la majorité de ses besoins quotidiens en pétrole grâce à des importations du Venezuela, le pays lutte pour l’indépendance énergétique.
« C’est une priorité politique », explique Whittle, ajoutant que Cuba possède des milliards de barils de pétrole dans les profondeurs marines de la côte ouest du pays.

Les forages pétroliers n’emballent pas les environnementalistes, mais un Cuba énergétiquement indépendant ouvrirait aussi la porte aux énergies renouvelables.
Le scientifique marin et économiste environnemental, David E. Guggenheim, fondateur d’Ocean Doctor (docteur des océans), une organisation à but non-lucratif, basée à Washington, explique que le dégel des relations USA–Cuba facilitera la recherche sur l’île et permettra aux scientifiques de solliciter des subventions fédérales en dollars, auparavant indisponibles pour des projets à Cuba.
Il aimerait voir Cuba et les États-Unis mettre en place un plan de conservation encore plus important dans la région, établissant un modèle similaire au parc marin de la paix, dans la mer Rouge, entre la Jordanie et Israël, où les scientifiques du monde entier peuvent entreprendre des recherches.
Il est peu probable que cela se produise immédiatement. En attendant, Guggenheim continuera à explorer la riche biodiversité des jardins de la reine, un endroit qu’il a découvert il y a plus de 15 ans.
« C’était comme remonter 500 ans en arrière », explique-t-il. « C’est toujours l’environnement corallien le plus préservé que j’ai jamais vu ».
Traduction : Nicolas Casaux
Édition & Révision : Héléna Delaunay & Emmanuelle Dupierris
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