En ces temps de crises écoÂloÂgiques désorÂmais offiÂcielÂleÂment reconÂnues, pour qui s’intéresse à l’environnement, difÂfiÂcile de pasÂser quelques jours sans tomÂber sur un nouÂveau proÂjet lié aux énerÂgies « renouÂveÂlables », « vertes » ou « propres », ou les trois. Les raiÂsons qui expliquent cette efferÂvesÂcence renouÂveÂlable sont diverses, et relèvent du social, de l’économique ou du poliÂtique. Du social, par exemple, en ce que cela sert à rasÂsuÂrer les popuÂlaÂtions (la démoÂraÂliÂsaÂtion totale, la panique inconÂtrôÂlée, ce n’est pas bon pour la paix sociale dont dépend l’économie monÂdiaÂliÂsée !). Des soluÂtions techÂnoÂloÂgiques sont en cours de déveÂlopÂpeÂment, soyons en sûrs, tout est sous contrôle : deux, trois éoliennes, panÂneaux solaires, ou, en ce qui nous concerne ici, deux trois hydroÂliennes, et tous nos proÂblèmes enviÂronÂneÂmenÂtaux seront réglés. Ces « illuÂsions vertes », nous les expoÂsons dans d’autres articles, et notamÂment dans une excelÂlente interÂview du cherÂcheur améÂriÂcain Ozzie ZehÂner, dans cette étude de cas de l’archipel des TokeÂlau, dans un excellent article rédiÂgé par Kim Hill (de Deep Green ResisÂtance AusÂtraÂlie), et dans un article paru sur ContreÂpoints.
Nous nous intéÂresÂseÂrons ici uniÂqueÂment au cas de l’hydrolienne. Dans un récent article publié sur GoodPlanet.info (un proÂjet de la fonÂdaÂtion GoodÂPlaÂnet, préÂsiÂdée par Yann Arthus-BerÂtrand, chamÂpion de l’écologie grand public, et donc du greenÂwaÂshing), nous appreÂnons que « La preÂmière usine maréÂmoÂtrice d’Amérique du Nord est entrée en serÂvice sur la côte est canaÂdienne » et qu’il s’agit d’une « hydroÂlienne de 2 mégaÂwatts […] déveÂlopÂpée par OpenÂHyÂdro, une filiale du construcÂteur naval franÂçais DCNS ».
Ce que l’article ne préÂcise pas (ce que les articles de ce type ont tenÂdance à ne jamais préÂciÂser) ce sont, par exemple, les matéÂriaux nécesÂsaires à la construcÂtion de l’hydrolienne et l’énergie nécesÂsaire à leur acheÂmiÂneÂment et à sa mainÂteÂnance (sachant qu’elle est assez lourde, dans le cas des hydroÂliennes). Quelques recherches sur le web, notamÂment une interÂview d’OpenHydro, la comÂpaÂgnie qui déveÂloppe l’hydrolienne, nous éclairent un peu : un pourÂcenÂtage imporÂtant des matéÂriaux qui comÂposent la turÂbine sont des plasÂtiques renÂforÂcés de fibres (Fibre-reinÂforÂced plasÂtic, FRP, en anglais). Sachant que l’industrie des plasÂtiques renÂforÂcés de fibre « est une source d’émissions de proÂduits chiÂmiques et de ComÂpoÂsés OrgaÂniques VolaÂtiles (COV) danÂgeÂreuses pour l’environnement ». PreÂmier proÂblème, et c’est loin d’être le derÂnier.

La strucÂture de l’hydrolienne est égaÂleÂment comÂpoÂsée d’acier, qui ne pousse pas non plus dans les arbres, ni au fond des mers, et dont la proÂducÂtion requiert elle ausÂsi de l’énergie, du transÂport, et ainÂsi de suite.
L’interview d’OpenHydro nous apprend égaÂleÂment que les comÂpoÂsants « actifs » du généÂraÂteur comÂprennent (au moins) du cuivre et du néoÂdyme. Le néoÂdyme, un métal qui fait parÂtie des « terres rares », nécesÂsite donc des extracÂtions (sachant que l’industrie minière est à l’écologie ce que le braÂconÂnage est aux aniÂmaux sauÂvages) puis un rafÂfiÂnage comÂplexe ; il est préÂsent en quanÂtiÂté limiÂtée sur Terre, et son recyÂclage est assez comÂpliÂqué. Le cuivre, en admetÂtant qu’il soit issu du recyÂclage, préÂsente touÂjours les proÂbléÂmaÂtiques liées à l’acheminement et à la consomÂmaÂtion énerÂgéÂtique de son traiÂteÂment. (D’autres comÂpoÂsants rentrent proÂbaÂbleÂment en jeu, qui ne sont pas menÂtionÂnés dans l’interview et dont nous ignoÂrons la nature.) Tout ceci constiÂtue un second proÂblème.
L’hydrolienne doit être reliée par un câblage sous-marin. La mise en place d’un câblage sous-marin n’a rien d’une une mince affaire, cela requiert des équipes motoÂriÂsées, et donc une consomÂmaÂtion imporÂtante d’énergies fosÂsiles (pour les bateaux, au miniÂmum).
Nous sommes déjà bien loin d’une proÂducÂtion d’électricité « grâce à la seule force des couÂrants marins », ainÂsi que l’article de GoodÂPlaÂnet le préÂsente, comme si, presque par magie, les couÂrants marins se metÂtaient à proÂduire et à nous fourÂnir de l’électricité. Les articles de greenÂwaÂshing (écoÂblanÂchiÂment, en franÂçais) de ce genre mettent touÂjours l’accent sur le seul aspect natuÂrel de tout le proÂcesÂsus, et ne détaillent jamais ou très peu tous les autres.
Étant donÂné le degré d’irÂresÂpect pour l’enÂviÂronÂneÂment dont fait montre la culture domiÂnante — la civiÂliÂsaÂtion indusÂtrielle —, il peut être utile de rapÂpeÂler que toute praÂtique nécesÂsiÂtant l’inÂfraÂstrucÂture hauÂteÂment techÂnoÂloÂgique, et hauÂteÂment insouÂteÂnable (antiÂécoÂloÂgique), qu’elle a péniÂbleÂment construite au fil des ans, et dont elle dépend entièÂreÂment — à savoir les routes et autoÂroutes asphalÂtées, les cheÂmins de fer, les transÂports aériens, le transÂport mariÂtime et ses superÂtanÂkers ultra-énerÂgiÂvores, les nouÂvelles techÂniques de l’inÂforÂmaÂtion et de la comÂmuÂniÂcaÂtion (NTIC), le câblage élecÂtrique et autres réseaux — est alors elle-même hauÂteÂment antiÂécoÂloÂgique.

RapÂpeÂlons ausÂsi que les actiÂviÂtés extracÂtives — masÂsives, en ce qui concerne la civiÂliÂsaÂtion indusÂtrielle — des carÂrières et d’autres types de mines, sont autant de desÂtrucÂtions enviÂronÂneÂmenÂtales (contraiÂreÂment aux imbéÂciÂliÂtés claiÂronÂnées par les indusÂtriels de l’exÂtracÂtion eux-mêmes : « Les carÂrières contriÂbuent au patriÂmoine écoÂloÂgique » peut-on lire sur le site de l’UÂNIÂCEM, l’Union natioÂnale des indusÂtries de carÂrières et matéÂriaux de construcÂtion).
Mais il y a plus. TanÂdis que la mise en place, la construcÂtion et la mainÂteÂnance de l’hydrolienne en quesÂtion ne constiÂtuent maniÂfesÂteÂment pas un tout resÂpecÂtueux de l’environnement, bien au contraire, il faut ensuite évaÂluer l’usage de l’électricité proÂduite.
Cette « usine maréÂmoÂtrice » perÂmetÂtra d’alimenter « en élecÂtriÂciÂté l’équivalent de 500 foyers ». VoiÂla. Et donc, c’est écoÂloÂgique, vert, propre, durable et renouÂveÂlable. Peu importe que cette proÂducÂtion d’électricité (polÂluante) serve finaÂleÂment à aliÂmenÂter des foyers tout à fait norÂmaux de la sociéÂté indusÂtrielle ; des foyers dont l’habitat est proÂbaÂbleÂment ausÂsi resÂpecÂtueux de l’environnement, ausÂsi souÂteÂnable écoÂloÂgiÂqueÂment, que la proÂducÂtion des biens indusÂtriels qu’ils recèlent (par exemple les télés plasÂma, les trotÂtiÂnettes élecÂtriques, les ordiÂnaÂteurs derÂnier cri, les bagnoles cliÂmaÂtiÂsées avec appaÂreillage élecÂtroÂnique de bord, les iPads, les iPhones, etc.).
DerÂrière tout le blaÂbla écoÂloÂgique, vert, durable, propre ou renouÂveÂlable dont nous arrosent actuelÂleÂment les médias et les mulÂtiÂnaÂtioÂnales opporÂtuÂnistes, nous remarÂquons une volonÂté tout à fait clasÂsique (busiÂness-as-usual) de contiÂnuer avec l’idéologie expanÂsionÂniste de la sociéÂté de croisÂsance.
Des déclaÂraÂtions comme celle du PDG d’OpenHydro, ThierÂry KalanÂquin : « La livraiÂson réusÂsie de cette hydroÂlienne repréÂsente égaÂleÂment un jalon imporÂtant pour l’inÂdusÂtrie monÂdiale de l’hydrolien. […] LorsÂqu’elle sera comÂpléÂtée par une deuxième machine en 2017, la ferme de Cape Sharp Tidal constiÂtueÂra l’un des parcs hydroÂliens les plus proÂducÂtifs au monde. Le proÂjet nous apporte égaÂleÂment des inforÂmaÂtions inédites sur les éléÂments nécesÂsaires à la construcÂtion de fermes d’hyÂdroÂliennes comÂmerÂciales. Il va nous perÂmettre d’acÂcéÂléÂrer l’exéÂcuÂtion de notre porÂteÂfeuille de proÂjets au niveau monÂdial et de renÂforÂcer notre posiÂtion domiÂnante dans le secÂteur de l’hyÂdroÂlien », & celle de NanÂcy Tower, DirecÂtrice du pôle déveÂlopÂpeÂment d’EÂmeÂra (une entreÂprise parÂteÂnaire) : « Nous sommes déjà en train d’observer une dynaÂmique de croisÂsance dans l’industrie locale des hydroÂliennes », l’illustrent bien.
Encore une fois, de A à Z, les proÂcesÂsus décrits ici sont nuiÂsibles pour l’environnement. Ils peuvent l’être moins que ceux qu’implique, par exemple, une cenÂtrale nucléaire, ou une cenÂtrale à charÂbon, mais ils le sont néanÂmoins.
Citons, à ce proÂpos, l’organisation écoÂloÂgiste états-unienne Deep Green ResisÂtance (DGR) :
« Les humains, comme les autres aniÂmaux, obtiennent leur énerÂgie prinÂciÂpaÂleÂment en consomÂmant d’autres plantes et aniÂmaux. Les plantes tirent leur énerÂgie du soleil. Aucune espèce n’a besoin d’élecÂtriÂciÂté pour surÂvivre. Seule la sociéÂté indusÂtrielle a besoin d’élecÂtriÂciÂté pour surÂvivre.
De nos jours, la nourÂriÂture et l’haÂbiÂtat d’êtres vivants sont sacriÂfiés pour les besoins de la proÂducÂtion d’élecÂtriÂciÂté. L’inÂfraÂstrucÂture nécesÂsaire à la proÂducÂtion et la disÂtriÂbuÂtion d’élecÂtriÂciÂté perÂturbe danÂgeÂreuÂseÂment et dans cerÂtains cas détruit des écoÂsysÂtèmes entiers parÂtout sur la plaÂnète. AssuÂrer un approÂviÂsionÂneÂment sécuÂriÂsé en énerÂgie pour l’inÂdusÂtrie nuit au foncÂtionÂneÂment de ces écoÂsysÂtèmes dont les êtres vivants (nous y comÂpris) dépendent entièÂreÂment pour leur surÂvie. »
Le cadre du débat social au sein duquel ces proÂblèmes sont disÂcuÂtés est fausÂsé. Il est élaÂboÂré de manière à inclure comme posÂtuÂlat de base la nécesÂsiÂté de conserÂver tout le confort hauÂteÂment techÂnoÂloÂgique (et relaÂtiÂveÂment récent, la proÂducÂtion grand public d’électricité datant seuleÂment du début des années 1900) que peut offrir la civiÂliÂsaÂtion indusÂtrielle, et pire encore, de manière à perÂmettre la contiÂnuaÂtion de son expanÂsion (croisÂsance écoÂnoÂmique, démoÂgraÂphique et techÂnoÂloÂgique). Le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, ne s’en cache pas, rapÂpeÂlons donc :
« Nous ne vouÂlons pas vivre dans un monde rétroÂgrade. Nous ne vouÂlons pas vivre sur une Terre où nous devrions geler la croisÂsance de la popuÂlaÂtion et réduire l’utilisation d’énergie. Nous proÂfiÂtons d’une civiÂliÂsaÂtion extraÂorÂdiÂnaire, aliÂmenÂtée par de l’énergie, et par la popuÂlaÂtion. […] Nous vouÂlons que la popuÂlaÂtion contiÂnue à croître sur cette plaÂnète. Nous vouÂlons contiÂnuer à utiÂliÂser plus d’énergie par perÂsonne. »
Cette déclaÂraÂtion, de la part d’un ultra-riche, d’un ultra-bénéÂfiÂciaire et diriÂgeant — ça va souÂvent de pair — de la sociéÂté indusÂtrielle, n’est pas si étonÂnante. Ces mesÂsieurs de la classe diriÂgeante — de l’éÂlite — s’aÂmusent beauÂcoup et sont larÂgeÂment satisÂfaits du staÂtu quo actuel, et ils en sont fiers, et ils veulent que cela contiÂnue. Ils se fichent pas mal de l’éÂcoÂloÂgie d’une plaÂnète dont ils sont à ce point déconÂnecÂtés, ainÂsi que de ses habiÂtants, depuis bien longÂtemps. Dans leur bulle techÂnoÂloÂgique virÂtuelle règne une extase hypÂnoÂtique, tanÂdis que sur Terre, dans le monde réel, 200 espèces disÂpaÂraissent chaque jour, que la plaÂnète se réchauffe, que l’eau monte, que les polÂluÂtions se mulÂtiÂplient et s’acÂcuÂmulent, et que les resÂsources déclinent. & parce qu’ils ne veulent pas que cela change, et parce qu’ils contrôlent (qu’ils sont) les médias et les gouÂverÂneÂments, ils forÂmatent le débat social, en lui assiÂgnant un posÂtuÂlat que nous sommes tous cenÂsés prendre pour acquis.

Ce posÂtuÂlat corÂresÂpond à une idéoÂloÂgie du « moindre mal », selon laquelle une sorte de fataÂliÂté nous accable, qui nous contraint à aller de l’avant (à contiÂnuer à déveÂlopÂper sans cesse de nouÂvelles techÂnoÂloÂgies, qui sont certes desÂtrucÂtrices, mais qui le sont moins, alors ça va, non?), qui interÂdit tout « pasÂséisme », tout renonÂceÂment ou « retour en arrière » (aucun poliÂtiÂcien, aucun grand média, n’incitera jamais à se pasÂser des iPhones, des iPads, des ordiÂnaÂteurs porÂtables, et des gadÂgets techÂnoÂloÂgiques derÂniers cris en généÂral ; la civiÂliÂsaÂtion indusÂtrielle va contiÂnuer à déveÂlopÂper des proÂgrammes spaÂtiaux extrêÂmeÂment coûÂteux en resÂsources et en énerÂgies, au grand dam de la préÂsente crise écoÂloÂgique monÂdiale ; et ce parce qu’il s’agit d’un impéÂraÂtif plus imporÂtant encore, d’une pulÂsion inconÂtrôÂlable, d’une quête qui ne doit surÂtout pas être entraÂvée, peu importe les conséÂquences).
L’écologie exige que nous chanÂgions de cadre et de posÂtuÂlats.
De nomÂbreuses comÂmuÂnauÂtés, sur cette plaÂnète, n’ont à ce jour pas encore l’élecÂtriÂciÂté à disÂpoÂsiÂtion à leur domiÂcile. De nomÂbreuses soluÂtions, excluant l’uÂtiÂliÂsaÂtion d’élecÂtriÂciÂté, existent pour subÂveÂnir à nos besoins essenÂtiels. En effet, avant même la proÂducÂtion indusÂtrielle d’électricité, l’espèce humaine prosÂpéÂrait. Elle n’est pas un besoin vital. Comme l’écrit DGR : « une chose est sûre, c’est que la proÂducÂtion indusÂtrielle monÂdiale de proÂduits « verts » [et d’énergies « renouÂveÂlables »] tueÂra la plaÂnète, à petit feu peut-être, mais ausÂsi sûreÂment que le staÂtu quo. »
ColÂlecÂtif Le ParÂtage
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