La nébuleuse Rabhi, les médias & l’écologie (par Nicolas Casaux)

Pierre Rabhi n’est plus. Je n’appréciais pas plus que ça le per­son­nage, pro­blé­ma­tique à bien des égards, et me fiche pas mal de sa mort. Aujourd’hui, je constate, comme beau­coup, des hom­mages d’un côté et des injures de l’autre. Le pro­blème prin­ci­pal, en revanche, me semble assez peu sou­li­gné, qui est que depuis déjà de nom­breuses années, tout un pan de l’espace média­tique alloué à l’écologie, en France, est attri­bué à — occu­pé par — la nébu­leuse Rabhi / Coli­bris / Actes Sud.

Actes Sud, c’est la mai­son d’édition de Hubert et Fran­çoise Nys­sen (ex-ministre de la Culture du gou­ver­ne­ment Phi­lippe), tous deux amis de Pierre Rabhi. C’est le neu­vième groupe d’édition fran­çais. Actes Sud c’était, en 2016, le deuxième édi­teur — après le Seuil — le plus aidé, le plus sub­ven­tion­né, par le Centre natio­nal du livre.

Actes Sud, c’est la mai­son d’édition de Cyril Dion : il y cogère une col­lec­tion inti­tu­lée « Domaine du pos­sible ». Domaine du pos­sible, c’est aus­si le nom de l’école Stei­ner-Wal­dorf créée à Arles par Fran­çoise Nys­sen et son mari, M. Capi­ta­ni, école dont la péda­go­gie est issue de l’an­thro­po­so­phie, une doc­trine éso­té­rique (un sacré délire) ima­gi­née par Rudolf Steiner.

La nébu­leuse Rabhi / Coli­bris / Actes Sud, c’est aus­si Maxime de Ros­to­lan, Marion Cotillard, Isa­belle Delan­noy, Laure Noual­hat, Julien Wos­nit­za et d’autres encore. À cette nébu­leuse se rat­tachent, dans une moindre mesure, d’autres per­son­na­li­tés : Yann Arthus-Ber­trand, Pablo Ser­vigne (dont un livre est pré­fa­cé par Dion), Gaël Giraud, Auré­lien Bar­rau, etc. (Tous ceux-là ont par exemple signé une tri­bune inti­tu­lée « Résis­tance cli­ma­tique : c’est le moment ! » publiée sur Repor­terre en 2020, pro­mou­vant comme « objec­tif : une neu­tra­li­té car­bone effec­tive en 2050 (accords de Paris, COP21) via une décrois­sance éner­gé­tique mon­diale per­cep­tible dès 2025 »).

Une des prin­ci­pales rai­sons pour les­quelles tous ces gens ont droit à de l’espace média­tique, c’est que leurs pro­pos n’ont rien de très gênants pour les classes domi­nantes. Leurs reven­di­ca­tions ne s’en prennent ni fon­ciè­re­ment à l’État, ni au capi­ta­lisme, ni au sys­tème tech­no­lo­gique (cer­tains d’entre eux se reven­diquent par­fois anti­ca­pi­ta­listes, effec­ti­ve­ment, mais une fois sur deux, en bons éco-déma­gogues, ou en fonc­tion du public, et de manière pure­ment gra­tuite : ça se dit anti­ca­pi­ta­liste mais ça pro­meut en réa­li­té un alter­ca­pi­ta­lisme, c’est-à-dire la conser­va­tion de l’essentiel des ins­ti­tu­tions qui fondent le capi­ta­lisme, mais évi­dem­ment réfor­mées, ren­dues meilleures).

En géné­ral, leur bara­tin se résume à des pla­ti­tudes et/ou absur­di­tés de l’ordre de : nous devrions chan­ger notre rap­port à la nature, domp­ter le capi­ta­lisme finan­cia­ri­sé, déve­lop­per des tech­no­lo­gies (plus) vertes, en finir avec les com­bus­tibles fos­siles, dimi­nuer notre consom­ma­tion, y com­pris éner­gé­tique, décar­bo­ner l’économie (acces­soi­re­ment : relo­ca­li­ser l’industrie autant que faire se peut, etc.).

Il s’agit d’individus qui, pour la plu­part, ne rechignent pas, au contraire, à éta­blir de bonnes rela­tions avec les riches et les puis­sants. Leur mon­da­ni­té, cou­plée au carac­tère rela­ti­ve­ment inof­fen­sif de leur dis­cours, leur per­met de tou­cher des sub­ven­tions, d’avoir les pis­tons qu’il faut pour ci ou ça, etc.

Depuis que je cri­tique cette cote­rie d’idiots utiles du capi­ta­lisme tech­no­lo­gique, je suis régu­liè­re­ment accu­sé ou vili­pen­dé par cer­tains au motif que je ne ferais que cri­ti­quer « tout le monde », tous ceux qui « se bougent », qui « font quelque chose ». La confu­sion et l’absurdité inhé­rentes à ce genre de remarque devraient sau­ter aux yeux. Qui « se bougent » pour quoi ? Quel est l’objectif ? Est-il juste, réa­liste, per­ti­nent ? Mes détrac­teurs n’ont pas pous­sé la réflexion jusque-là.

En outre, à en croire leur accu­sa­tion, leur « monde » cor­res­pond au car­ré d’un écran de télé­vi­sion. Toutes celles et ceux qui ne passent pas à la télé, ne sont pas invi­tés sur France culture, pas inter­viewés dans Libé­ra­tion, etc., ne font pas par­tie du monde. Ils n’existent pas.

Par ailleurs, et bien qu’il s’agisse d’une tâche impor­tante, je ne passe — évi­dem­ment — pas mon temps à cri­ti­quer les impos­teurs de l’écologisme média­tique. Je m’efforce aus­si d’exposer les pro­blèmes de notre temps, à tra­duire des ouvrages à cet effet, et à en mettre d’autres en valeur, écrits par des indi­vi­dus dont j’estime beau­coup le tra­vail. Ceux qui ne s’intéressent à ce que je pro­duis que lorsqu’il s’agit de cri­tiques des éco-char­la­tans média­tiques qu’ils admirent et m’accusent alors de ne faire que ça font sim­ple­ment preuve d’une pitoyable mal­hon­nê­te­té, d’une mau­vaise foi à l’image de celle de leurs idoles.

Et donc, l’écologie qui est la mienne, que je mets inlas­sa­ble­ment en avant, c’est d’abord celle — com­men­çons par ceux qui ne sont plus — de feu Ber­nard Char­bon­neau, Jacques Ellul, Jaime Sem­prun, Pierre Four­nier, Alexandre Gro­then­dieck, des anar­chistes natu­riens avant eux et, aux ori­gines, pour­rait-on dire, des anar­chistes taoïstes. Entre les taoïstes et les natu­riens, notre éco­lo­gie anar­chiste (ou anar­chie éco­lo­giste) a été défen­due par une longue lignée de pen­seurs qu’on dit par­fois « pri­mi­ti­vistes », des cyniques, des épi­cu­riens, des stoï­ciens, etc. Aujourd’hui, elle est défen­due par une mino­ri­té appa­rem­ment invi­sible aux yeux des bour­ri­cots nour­ris à la pâtée mass-média­tique, dont le monde se résume au spec­tacle dominant.

Connaissent-ils Renaud Gar­cia et les Gre­no­blois de Pièces et Main d’œuvre ? Célia Izoard, Mat­thieu Amiech, Auré­lien Ber­lan, Ber­trand Louart et toutes celles et ceux qui gra­vitent autour des édi­tions La Len­teur ? Cédric Bia­gi­ni, René Rie­sel, José Ardillo, Miguel Amo­ros ? Michel Gomez, Marie Chris­tine Le Borgne, et Ber­nard Pêcheur qui com­posent le col­lec­tif édi­to­rial des édi­tions de la Roue ? Outre-Atlan­tique, connaissent-ils Lierre Keith, Der­rick Jen­sen, Max Wil­bert et Yves-Marie Abra­ham ? Theo­dore Kac­zyns­ki ? Etc. J’en oublie.

J’ai tou­jours du mal à com­prendre com­ment des gens conscients, au moins en par­tie, du désastre ambiant, ne par­viennent pas à com­prendre que les médias de masse font lar­ge­ment par­tie du pro­blème et qu’ils ne met­tront jamais (signi­fi­ca­ti­ve­ment) en valeur de cri­tiques fon­da­men­tales du sys­tème qui leur per­met d’exister — et qui détruit le monde et nous exploite tous. En même temps, les mêmes croient aus­si (espèrent) que les causes du désastre peuvent être conser­vées mais peintes en vert et ren­dues un peu plus démo­cra­tiques. Ou toutes sortes de sor­nettes du genre. Qu’ils ont enten­dues dans les médias de masse. Bien entendu.

***

Adden­dum :

Pierre Rabhi Kaczynski ?

Note sur Pierre Rabhi, la tech­no­lo­gie, ses contra­dic­tions, sa confusion

Beau­coup se sont déjà char­gés de rap­pe­ler ses pen­chants homo­phobes et ses idées patriar­cales. Mais il y a un aspect de Pierre Rabhi, en revanche, qui est peu mis en avant : son anti-tech­no­lo­gisme. À mes yeux, celui-ci consti­tuait, de loin, le meilleur de sa pers­pec­tive, autre­ment assez lacu­naire, idéa­liste, naïve (par­se­mée de pointes d’homophobie et de sexisme).

Illus­tra­tion. Dans un livre de conver­sa­tions entre Nico­las Hulot (ex-ministre, per­vers sexuel, vio­leur, amis des entre­prises, cham­pion du capi­ta­lisme vert, fos­soyeur de l’é­co­lo­gie en France, etc.) et Pierre Rabhi, inti­tu­lé Graines de pos­sibles, publié en 2005, on lit par exemple :

Nico­las Hulot [N.H.] : En cela, je crois beau­coup au génie humain, aux prouesses de la tech­no­lo­gie et aux pro­grès de la science. Une per­for­mance ne vaut d’être réa­li­sée que si elle par­ti­cipe à ce par­tage et à cet épa­nouis­se­ment. C’est comme cela que je conçois l’hu­ma­ni­sa­tion dont nous par­lons. Je ne peux pas croire que le hasard soit seul res­pon­sable de notre des­ti­née et que nous ne puis­sions pas contri­buer à don­ner une orien­ta­tion, dans un sens comme dans l’autre. Comme le disait si bien Berg­son : « L’a­ve­nir de l’hu­ma­ni­té est incer­tain parce qu’il dépend de nous. »

Pierre Rabhi [P.R.] : Je ne par­tage pas tout à fait cette idée selon laquelle la tech­no­lo­gie pour­rait être construc­trice de joie.

N.H. : La tech­no­lo­gie et la tech­nique peuvent par­ti­ci­per à nous mettre à l’a­bri d’un cer­tain nombre de souffrances.

P.R. : Mais elles peuvent aus­si en géné­rer de ter­ri­fiantes, comme les fameuses armes de des­truc­tion mas­sive qui désho­norent notre espèce. Le pro­blème du pro­grès, c’est qu’il ne peut pas tout résoudre. Si nous souf­frons aujourd’­hui de ces excès, c’est en par­tie à cause des pro­grès technologiques.

La tech­no­lo­gie nous a dotés d’ins­tru­ments d’une effi­ca­ci­té sans pré­cé­dent. Je ne suis pas sûr que ces outils soient aujourd’­hui dociles, sou­mis à notre volon­té. Ils nous déter­minent bien plus que nous ne les déter­mi­nons. À l’é­vi­dence, il nous faut orga­ni­ser le monde à leur conve­nance, et de cela nous ne pour­rons sor­tir sans nous deman­der quelle conscience déter­mine la règle du jeu, et selon quels cri­tères. La tech­no­lo­gie ne cesse de géné­rer des besoins, la vitesse ins­tru­men­ta­lise la fré­né­sie, les moyens de trans­port créent des dis­tances qu’ils sont seuls à pou­voir résoudre, les ordi­na­teurs inves­tissent tous les espaces de notre quotidien… […] 

N.H. : […] L’élec­tro­nique, l’in­for­ma­tique, les satel­lites, toutes ces tech­no­lo­gies pour­raient nous aider, non pas à 100 %, mais d’une manière exces­si­ve­ment effi­cace : il suf­fi­rait de les orien­ter dans le bon sens. C’est une ques­tion de volon­té. On est capable de contrô­ler des tra­fics aériens à flux ten­du, il paraît incroyable qu’on ne fasse pas de même avec le tra­fic maritime !

[…]

P.R. : […] Quand je pense à l’i­ti­né­raire de l’hu­ma­ni­té, je me demande si la tech­no­lo­gie est un pro­grès ou un acci­dent. Et je finis par me dire que c’est un grave acci­dent que d’a­voir fait des décou­vertes qui ont fon­dé la civi­li­sa­tion sur la com­bus­tion. Notre civi­li­sa­tion si arro­gante est subor­don­née à la car­bu­ra­tion de nos moteurs, de nos cen­trales… Nous savons ce que seraient les consé­quences d’une grande pénu­rie de com­bus­tible. Dans ce cas, les pays « non déve­lop­pés » – selon notre modèle – s’en sor­ti­raient mieux que nous. Par ailleurs, les dom­mages pro­duits par le pro­grès ne sont-ils pas plus éle­vés que les béné­fices qu’on en a reti­rés ? D’au­tant plus que ces béné­fices ne concernent qu’une frange de l’hu­ma­ni­té. Il ne faut jamais oublier qu’une mino­ri­té aven­tu­rière et un peu folle entraîne l’en­semble de l’hu­ma­ni­té dans le désastre.

Dans un autre livre, inti­tu­lé Il ne suf­fit pas de man­ger bio pour chan­ger le monde : conver­sa­tions avec Pierre Rabhi, paru en 2012, on trouve ce passage :

Com­ment jugez-vous la révo­lu­tion numé­rique qui tra­verse nos socié­tés ? Est-ce un outil posi­tif ou une alié­na­tion de plus ?

Pierre Rabhi : Je suis peut-être décon­nec­té. Mais je vois une huma­ni­té en train de se mettre en pri­son elle-même, de se rendre dépen­dante. Quand un outil devient tel­le­ment indis­pen­sable qu’on ne peut plus s’en pas­ser, cela signi­fie que l’outil a pris le pou­voir. Je vois l’humanité se faire ligo­ter par un sys­tème qui est cen­sé la libé­rer. Qu’il faille inven­ter des choses, c’est évident, mais en pré­ser­vant l’espace dans lequel on peut retrou­ver toute auto­no­mie sans avoir besoin des outils.

Aujourd’hui, c’est clair : pas d’électricité, pas de com­mu­ni­ca­tions, pas de pétrole, c’est fou­tu ! Va-t-on conti­nuer à avan­cer comme ça indé­fi­ni­ment ? Non. Je ne vois pas que ces choses-là nous libèrent. Certes, nous sommes gri­sés dans nos pra­tiques au quo­ti­dien mais, à tort ou à rai­son, je n’ai per­son­nel­le­ment pas confiance dans ces sys­tèmes. De grâce, com­pre­nons que nous sommes en train d’être alié­nés par les outils qui sont cen­sés nous libérer !

Cyril Dion : […] Là où je rejoins Pierre, c’est qu’il ne faut pas se lais­ser por­ter par l’outil. Mais j’appartiens à une géné­ra­tion qui est qua­si­ment née avec ces outils. Je vois, avec Inter­net, une façon de sor­tir du modèle pyra­mi­dal sur lequel s’est fon­dée la révo­lu­tion industrielle.

Inter­net, uti­li­sé en conscience et sans alié­na­tion à outrance, nous per­met de retrou­ver une forme d’horizontalité, et donc d’organiser à la fois la com­mu­ni­ca­tion (on l’a vu avec les révo­lu­tions arabes ou les « Indi­gnés »), l’accès à l’information, demain l’accès à l’énergie, la gou­ver­nance, la capa­ci­té à prendre des déci­sions ensemble (comme en Islande où les citoyens ont par­ti­ci­pé à l’élaboration de la Consti­tu­tion). Mais il peut aus­si deve­nir alié­nant. Je le vois moi-même, il m’arrive de deve­nir dingue parce qu’il faut répondre aux e‑mails, résis­ter à la fré­né­sie d’informations qui est tourbillonnante.

J’observe le mou­ve­ment des « Villes en tran­si­tion », qui a une vision très inté­res­sante [col­lec­ti­vi­tés qui se pré­parent à se trans­for­mer en pré­vi­sion de la fin du pétrole, NDLR]. Il estime qu’il faut pas­ser le moins de temps pos­sible sur Inter­net, pour retour­ner à la com­mu­nau­té phy­sique, c’est-à-dire aux ren­contres, à nos acti­vi­tés, à se culti­ver, etc. Mais il ne vou­drait s’en pas­ser pour rien au monde, car c’est impor­tant dans sa vision collaborative. […] 

Il y a deux façons de voir l’outil. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. […] On sait bien que la liber­té de l’information sur Inter­net peut être remise en cause, sous l’effet des grands trusts. On peut retrou­ver un sys­tème de pyra­mide. Mais l’outil a aus­si la poten­tia­li­té de nous emme­ner ailleurs.

Bon, outre que Cyril Dion et Nico­las Hulot sont deux grosses andouilles tech­no­lâtres qui croient au mythe de la neu­tra­li­té de la tech­nique, on voit que Pierre Rabhi cri­ti­quait la tech­no­lo­gie, à juste titre, sou­li­gnait des choses impor­tantes la concer­nant. C’était tou­jours ça. Seule­ment, sa cri­tique de la tech­no­lo­gie était peu étayée, peu sûre d’elle-même, incon­sis­tante. Il n’hésitait pas à la plier aux besoins des cir­cons­tances, à rejoindre à mi-che­min les tech­no­philes qui l’entouraient en sug­gé­rant que la tech­no­lo­gie pour­rait (pou­vait) être maî­tri­sée, et même lui aus­si à ver­ser dans la mytho­lo­gie de la tech­nique neutre (« on peut faire d’un cou­teau un ins­tru­ment pour tuer ou un outil pra­tique pour de mul­tiples fonc­tions »). Il en avait une ana­lyse assez super­fi­cielle, semble-t-il, peu maté­ria­liste, plu­tôt idéa­liste (d’où des affir­ma­tions comme : « si une atti­tude morale avait pré­cé­dé la tech­nique, ses effets en auraient été modé­rés »). Autre­ment dit, son ana­lyse des impli­ca­tions maté­rielles et sociales de la tech­no­lo­gie était assez incom­plète ; très peu sinon aucune ana­lyse de classe, aucune ana­lyse sérieuse, en somme, du fonc­tion­ne­ment de la civi­li­sa­tion indus­trielle, du capi­ta­lisme, de l’État, du sys­tème média­tique, etc.

Et c’est une bonne par­tie du pro­blème que posait son dis­cours. Une cri­tique valable (mais légère et incon­sis­tante) de la tech­no­lo­gie, noyée dans un océan de pla­ti­tudes. Du copi­nage avec tout un tas d’imbéciles pro­mou­vant tous d’une manière ou d’une autre un impos­sible et indé­si­rable ver­dis­se­ment du capi­ta­lisme indus­triel (y com­pris avec le milieu atro­ce­ment capi­ta­liste, nui­sible à bien des égards, de la jet-set), avec les gou­rous du bon­heur en milieu capi­ta­liste comme Chris­tophe André et Mat­thieu Ricard, etc. Des décla­ra­tions directes en faveur de cet impos­sible et indé­si­rable ver­dis­se­ment du capi­ta­lisme indus­triel : dans un livre co-écrit avec Juliette Duquesne, inti­tu­lé Les Excès de la finance, Pierre Rabhi s’imaginait qu’il était pos­sible de réfor­mer le « sys­tème finan­cier pour qu’il devienne béné­fique et réta­blisse un ordre où la finance ne soit plus le magis­tère au ser­vice d’un arbi­traire injus­ti­fiable, mais le moyen par lequel l’équité, la juste mesure et la mesure juste peuvent s’exercer », de « mora­li­ser la finance ». Des mys­ti­fi­ca­tions idéa­listes, léni­fiantes, gand­hiennes, façon incar­nez le chan­ge­ment que vous vou­lez voir dans le monde, jar­di­nez, répan­dez de l’amour, aimez tout le monde, chan­gez votre conscience et vous chan­ge­rez le monde, il n’y a pas d’ennemis que des bre­bis éga­rées à remettre dans le droit che­min en leur envoyant de bonnes vibra­tions, etc. (« avant toute chose, je serais très triste si mes pro­pos venaient à culpa­bi­li­ser qui que ce soit. Le réqui­si­toire que ma conscience me somme de faire, en quelque sorte, a pour but d’interpeller mes frères humains, pour que nous puis­sions ensemble œuvrer à l’avènement d’une socié­té belle de sa bien­veillance et de l’amour comme la plus puis­sante éner­gie pour ser­vir l’intelligence ») — tout ça peut bien en « conscien­ti­ser » ou en « éveiller » cer­tains à la cos­mo­go­nie Rabhi, mais ça ne par­ti­cipe pas vrai­ment à la for­ma­tion d’un mou­ve­ment de résis­tance vigou­reux contre le capi­ta­lisme indus­triel. Au contraire, entre ceux qui com­prennent l’existence de rap­ports de force indis­so­lubles, de classes d’intérêts anta­go­nistes, la néces­si­té d’affrontements concrets, ou d’actions concrètes contre des infra­struc­tures, que l’État n’est pas et n’a jamais été notre ami, l’impossibilité de réfor­mer le capi­ta­lisme, etc., et les adeptes du culte de la bien­veillance cos­mique, per­sua­dés qu’en chan­geant leur conscience, jar­di­nant et rayon­nant de l’amour tout fini­ra par aller bien dans le Meilleur des mondes, il peut y avoir un fos­sé infran­chis­sable, un désac­cord insurmontable.

Nico­las Casaux

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