L’ONU découvre que les humains dégradent l’environnement plus vite qu’il ne se régénère (par Fiona Harvey)

Article ini­tia­le­ment publié (en anglais) sur le site du Guar­dian le 19 mai 2016, que nous avons vou­lu com­men­ter afin de mettre en lumière les inco­hé­rences et les sophismes qui consti­tuent les ornières des­truc­trices mais ras­su­rantes de l’im­passe civilisationnelle.


Selon une étude, une action radi­cale est néces­saire pour com­battre le taux crois­sant des dégra­da­tions envi­ron­ne­men­tales infli­gées aux sources d’eau, à la terre, à la bio­di­ver­si­té et à la vie marine.

Jusqu’ici, nous sommes d’accord.

La dégra­da­tion des res­sources du monde natu­rel par les humains dépasse de beau­coup la capa­ci­té de la pla­nète à encais­ser ces dom­mages, ce qui signi­fie que le taux de dété­rio­ra­tion aug­mente mon­dia­le­ment, selon la plus exhaus­tive des études jamais entre­prises par l’ONU.

L’ONU s’aperçoit de l’état catas­tro­phique de la pla­nète, alors que 90% des grands pois­sons ont déjà dis­pa­ru des océans, que « la Terre a per­du la moi­tié de ses popu­la­tions d’es­pèces sau­vages en 40 ans », que l’air est désor­mais consi­dé­ré par l’OMS comme étant can­cé­ri­gène, que l’on sait qu’en « 2050, les océans comp­te­ront plus de plas­tique que de pois­son », etc…

Il était temps.

L’étude, ayant impli­qué 1 203 scien­ti­fiques, des cen­taines d’institutions scien­ti­fiques, et plus de 160 gou­ver­ne­ments réunis par le PNUE (Pro­gramme des Nations Unies pour l’en­vi­ron­ne­ment), conclut que sans une action radi­cale, le niveau de pros­pé­ri­té dont béné­fi­cient des mil­lions de gens dans le monde déve­lop­pé ne pour­ra ni être assu­ré ni être pro­pa­gé aux pays pauvres.

Il aura fal­lu mobi­li­ser autant de scien­ti­fiques pour qu’ils en arrivent au constat que l’état de la pla­nète se dégrade à une vitesse folle ; mais pire encore, ce qui semble les inquié­ter n’est ni la des­truc­tion des éco­sys­tèmes, ni l’irréversibilité de la perte de bio­di­ver­si­té, ni l’empoisonnement uni­ver­sel, mais l’impossibilité du main­tien et de l’expansion du « niveau de pros­pé­ri­té dont béné­fi­cient des mil­lions de gens dans le monde déve­lop­pé », c’est-à-dire de la socié­té de consom­ma­tion et de son pro­jet impé­ria­liste de stan­dar­di­sa­tion cultu­relle et d’administration planétaire.

Le manque d’eau est la plaie de régions par­mi les plus pauvres de la Terre, selon l’étude, ce qui fait que les pays en déve­lop­pe­ment sont de moins en moins en capa­ci­té de se nour­rir eux-mêmes, et fait souf­frir des mil­lions de gens. Il semble y avoir peu d’espoir de résoudre cette situa­tion, selon l’ONU, sans qu’une action radi­cale soit entreprise.

La néces­si­té d’une action radi­cale n’est pas à dis­cu­ter. Mais encore fau­drait-il être capable de la défi­nir clairement.

Les sources d’eau sont de plus en plus mena­cées par la crois­sance de la popu­la­tion, par le chan­ge­ment cli­ma­tique, l’urbanisation rapide, les niveaux de consom­ma­tion crois­sants, et la dégra­da­tion des terres qui four­nis­saient autre­fois un rem­plis­sage natu­rel des res­sources en eau.

L’ONU com­prend donc bien que le niveau de consom­ma­tion éle­vé des habi­tants des pays occi­den­taux est insou­te­nable et entraine les mul­tiples pro­blèmes cités ci-dessus…

Cette étude se veut une aide aux efforts mon­diaux du com­bat contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et les autres menaces envi­ron­ne­men­tales, en ce qu’il sou­ligne les dif­fi­cul­tés de l’amélioration des vies des gens des pays en déve­lop­pe­ment et de l’affrontement du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, alors que les res­sources ali­men­taires sont de plus en plus sous pression.

…mais reste per­sua­dée que le pro­grès serait d’étendre ce même niveau de consom­ma­tion insou­te­nable et des­truc­teur à l’ensemble de la planète.

Voi­là l’aporie Sha­do­kienne que ces brillants scien­ti­fiques essaient de résoudre.

On voit que ce n’est pas un com­bat pour la sur­vie de l’humanité, encore moins pour la pré­ser­va­tion de la pla­nète, de ses éco­sys­tèmes et de ses habi­tants non-humains, mais un com­bat pour que tous les êtres humains puissent consom­mer comme le font les occi­den­taux dont le niveau de consom­ma­tion est si éle­vé qu’il rend impos­sible la pro­pa­ga­tion de ce même niveau de consom­ma­tion aux autres êtres humains.

Ce qui n’a pré­ci­sé­ment aucun sens.

Le mode de vie occi­den­tale, en une image.

Le PNUE a déter­mi­né que le taux de dom­mages contre l’environnement natu­rel aug­men­tait mon­dia­le­ment, mal­gré les efforts concer­tés visant à per­sua­der les gou­ver­ne­ments de prendre des mesures d’amélioration du trai­te­ment des res­sources natu­relles vitales, comme l’eau, la terre, et les mers.

La méthode Coué a donc ses limites.

“Si les ten­dances actuelles se pro­longent, et que le monde échoue à mettre en place des solu­tions amé­lio­rant les sché­mas de pro­duc­tion et de consom­ma­tion, si nous échouons à uti­li­ser les res­sources natu­relles de manière sou­te­nable, alors l’état de l’environnement mon­dial conti­nue­ra à décli­ner”, a aver­ti Achim Stei­ner, direc­teur exé­cu­tif du PNUE.

Si nous conti­nuons de dégra­der la pla­nète, la pla­nète sera dégra­dée, CQFD.

Il explique que les outils d’amélioration de l’environnement pour des mil­lions de gens existent dans les pays déve­lop­pés mais courent le risque de ne pas être utilisés.

Flûte, alors.

Cette étude, uti­li­sant des décen­nies de don­nées scien­ti­fiques, sou­ligne que les mesures de base de ges­tion des prin­ci­pales causes des dom­mages envi­ron­ne­men­taux n’étaient tou­jours pas mises en place. Ces mesures com­prennent la réduc­tion de la pol­lu­tion de l’air, notam­ment par des modi­fi­ca­tions sur les véhi­cules ; des dom­mages sur les éco­sys­tèmes marins, ce qui peut avoir un impact immense sur les stocks de pois­sons des­quels dépendent des mil­lions de gens ; et de la dégra­da­tion de la terre, étant don­né que les méthodes modernes d’agriculture sont encore uti­li­sées, au mépris de leurs consé­quences à long terme.

Où l’on apprend que les plus maigres mesures « de base » ne sont même pas mises en place.

Il est tout de même per­mis de dou­ter de l’impact que pour­raient avoir les soi-disant mesures énon­cées, puisqu’il ne s’agirait pas d’arrêter de pol­luer mais de pol­luer moins tout en conti­nuant de pro­duire des véhi­cules , ni de pré­ser­ver la bio­di­ver­si­té, les espèces et les popu­la­tions ani­males pour elles-mêmes mais parce qu’elles consti­tuent des stocks pour la consom­ma­tion humaine.

Le pos­tu­lat de base, jamais dis­cu­té, étant que la pla­nète est la pro­prié­té exclu­sive et inalié­nable de l’espèce humaine.

Pêche inten­sive de thon rouge au Japon

Mal­gré l’accord mon­dial sur la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre signé à Paris en décembre 2015, les émis­sions mon­diales de car­bone conti­nuent à aug­men­ter. Le rap­port indique que cela va alté­rer sur le long terme la capa­ci­té des éco­no­mies en déve­lop­pe­ment à nour­rir les gens, en rai­son des per­tur­ba­tions induites telles que l’augmentation des séche­resses et des inondations.

Éton­nant. Si nos émis­sions de gaz à effet de serre conti­nuent à croitre, la situa­tion conti­nue­ra donc à empirer ?

Le chan­ge­ment cli­ma­tique est exa­cer­bé par les émis­sions de gaz à effet de serre issues de l’agriculture, dont celles du pro­toxyde d’azote un puis­sant gaz à effet de serre due aux émis­sions d’effluents et au mau­vais sto­ckage du fumier animal.

Ces sources ont connu une aug­men­ta­tion de plus d’un quart entre 2000 et 2010, selon l’étude.

Une des grandes réus­sites des poli­tiques de « déve­lop­pe­ment durable » de ces der­nières années.

Par­mi les autres domaines pro­blé­ma­tiques iden­ti­fiés par le rap­port, on retrouve les gla­ciers des Andes, qui four­nissent l’eau vitale dont dépendent des dizaines de mil­lions de gens, mais qui fondent à mesure que le cli­mat se réchauffe.

Dans les pays riches, ces pro­blèmes se sont accu­mu­lés au fil des décen­nies et des siècles, tan­dis que la crois­sance éco­no­mique se pour­sui­vait au détri­ment de l’environnement. Des efforts ulté­rieurs pour res­tau­rer l’environnement ont connu un suc­cès miti­gé. Mais dans les pays en déve­lop­pe­ment, il est encore pos­sible de modi­fier la voie du déve­lop­pe­ment à venir,  ce qui encou­rage les ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales à envi­sa­ger des che­mins de crois­sance plus sou­te­nables, cen­sés à la fois remé­dier à la pau­vre­té et pré­ser­ver l’environnement. Les auteurs de l’étude concluent que si ces pays suivent le sché­ma de crois­sance des pays déjà déve­lop­pés, alors le risque de dom­mages envi­ron­ne­men­taux irré­ver­sibles augmentera.

Pré­ci­sons que le déve­lop­pe­ment durable est une expres­sion qui date des années 70 ; nous pou­vons ain­si obser­ver les ravages de 45 années de soi-disant « déve­lop­pe­ment durable », la pla­nète n’a jamais été dans un état aus­si catas­tro­phique, avec en prime la 6ème extinc­tion de masse en cours.

Cepen­dant, l’ONU per­siste à pen­ser que le « confort moderne » et la socié­té de consom­ma­tion, tout en admet­tant qu’ils sont au cœur de l’ensemble des pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux et sociaux, peuvent, par quelque tour de force ima­gi­naire et insen­sé, demeu­rer sou­hai­tables et deve­nir soutenables.

Une des défi­ni­tions que l’on donne sou­vent de la folie est le fait de refaire la même chose encore et encore tout en espé­rant un résul­tat dif­fé­rent. Nous vous lais­sons juger de l’état de san­té men­tale des membres de cette culture.

En effet, com­ment qua­li­fier autre­ment la stu­pi­di­té de ceux qui com­prennent que le déve­lop­pe­ment est en lui-même nui­sible mais qui per­sistent à vou­loir l’imposer sur la pla­nète entière ?

Ils recom­mandent une aug­men­ta­tion de la sen­si­bi­li­sa­tion à l’impact envi­ron­ne­men­tal du déve­lop­pe­ment. Par exemple, l’exploitation des res­sources en eau doit être ren­due plus sou­te­nable en recy­clant l’eau là où c’est pos­sible, et en chan­geant le type d’agriculture afin que les méthodes d’irrigation gas­pilleuses soient rem­pla­cées par des méthodes plus efficientes.

Bis repe­ti­ta.

Les pays en déve­lop­pe­ment devraient éga­le­ment chan­ger leurs méthodes de ges­tion des déchets, selon l’étude, afin de pro­té­ger leurs res­sources d’eau propre et d’éviter que les déchets solides ne prennent feu dans les décharges.

Le rap­port oublie visi­ble­ment de pré­ci­ser qu’il s’agit dans une cer­taine mesure de déchets issus des pays déve­lop­pés, et gen­ti­ment ren­voyés aux pays dont on a extrait les matières pre­mières de ces pro­duits désor­mais obsolètes.

Enfin, la pré­co­ni­sa­tion : « Les pays en déve­lop­pe­ment devraient éga­le­ment chan­ger leurs méthodes de ges­tion des déchets » est aus­si floue que ce qui est prô­né par le reste de l’étude, à savoir une « action radi­cale », jamais défi­nie, mais appa­rem­ment capable de faire coexis­ter deux réa­li­tés contraires : la des­truc­tion de la pla­nète et sa préservation.


Tra­duc­tion & Com­men­taires : Col­lec­tif Le Partage

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