Pourquoi les ONG sont un problème (par Stephanie McMillan)

Ste­pha­nie McMil­lan (née en 1965) est une des­si­na­trice poli­tique US, édi­to­ria­liste, et acti­viste du Sud de la Flo­ride. Petite-fille du réa­li­sa­teur de films d’a­ni­ma­tion alle­mand Hans Fischerkö­sen, elle vou­lait deve­nir des­si­na­trice depuis l’âge de 10 ans. Durant ses années de lycée, elle a com­men­cé à orga­ni­ser des mani­fes­ta­tions contre le capi­ta­lisme et l’impérialisme. Elle continue.


Il y a une ving­taine d’an­nées, lors d’une conver­sa­tion avec un orga­ni­sa­teur ban­gla­dais, nous avons abor­dé le sujet des ONG*. Il a cra­ché avec dégoût : « Je déteste les ONG ». À l’époque, je n’ai pas vrai­ment com­pris pour­quoi il était si véhé­ment sur le sujet. Je savais que les ONG avaient des aspects néga­tifs, comme le fait qu’elles détournent une par­tie de l’énergie révo­lu­tion­naire des masses, mais je croyais encore à moi­tié leurs affir­ma­tions selon les­quelles leur tra­vail était plus utile que nui­sible. Ne fal­lait-il pas être une espèce de cré­tin dog­ma­tique pour dénon­cer les soins gra­tuit et les pro­grammes de lutte contre la pau­vre­té ? Je ne com­pre­nais pas encore à quel point elles sont en réa­li­té une catastrophe.

Depuis cette conver­sa­tion, les ONG ont pro­li­fé­ré comme des cham­pi­gnons dans le monde entier. D’abord déployées dans les for­ma­tions sociales domi­nées par l’impérialisme, elles occupent aujourd’hui aus­si la scène poli­tique des pays qui sont la base du capi­ta­lisme. Elles sont deve­nues la nou­velle forme à la mode d’accumulation du capi­tal, avec une por­tée mon­diale et des mil­liards de reve­nus. Der­rière leur pré­ten­tion sti­pu­lant un soi-disant « but non-lucra­tif », elles consti­tuent une source de reve­nus impor­tants pour ceux d’en haut, tout en gavant de larges couches de la petite bour­geoi­sie, leur per­met­tant de s’é­ta­ler sur la classe ouvrière comme une cou­ver­ture chauf­fante humide, met­tant ain­si en sour­dine ses revendications.

Après beau­coup d’observations et d’ex­pé­riences directes et indi­rectes, je com­prends aujourd’hui et par­tage la haine de cet orga­ni­sa­teur d’au­tre­fois envers les ONG. Quel est leur degré de nui­sance ? Per­met­tez-moi d’é­nu­mé­rer quelques réponses :

I. Les ONG sont une des nombreuses armes de domination impérialiste

Aux côtés des inva­sions mili­taires et des mis­sion­naires, les ONG aident à ouvrir les pays comme on craque des noix, en pré­pa­rant le ter­rain pour des vagues d’exploitation et d’extraction plus intenses, comme l’agrobusiness pour l’exportation, les ate­liers de misère, les res­sources minières et les sites touristiques.

Haï­ti en est l’exemple le plus extrême. Appe­lé par nombre d’Haï­tiens eux-mêmes « la répu­blique des ONG », le pays avait déjà été infes­té par 10 000 ONG avant le trem­ble­ment de terre de 2010, le nombre d’ONG par habi­tant le plus éle­vé du monde. 99% des aides d’après le trem­ble­ment de terre ont été ache­mi­nées par des ONG et autres agences, qui ont gagné des sommes colos­sales, en volant la majeure par­tie de l’argent que les gens avaient don­né de bonne foi en pen­sant qu’il aide­rait réel­le­ment les masses affec­tées par la catastrophe.

[Une vidéo très impor­tante sur le rôle des ONG dans le pillage du conti­nent Africain]:

Cette merde n’est pas récente. Il y a des décen­nies, l’USAID et la Banque mon­diale impo­saient déjà des éco­no­mies orien­tées vers l’exportation et les pro­grammes d’ajus­te­ment struc­tu­rel conco­mi­tants en Haï­ti et ailleurs. Il y a 20 ans, 80% de l’argent de l’USAID finis­saient par reve­nir dans les poches des entre­prises US et des « experts ». Au fil de la matu­ra­tion de ce pro­ces­sus, les ONG sont deve­nues l’entité pré­fé­rée de cette forme para­si­taire d’accumulation, en capi­ta­li­sant et ali­men­tant la misère créée par « l’aide » au départ.

Dans de nom­breux pays domi­nés, les direc­teurs d’ONG sont deve­nus un seg­ment de la bour­geoi­sie bureau­cra­tique, uti­li­sant l’État comme leur source pre­mière d’accumulation de capi­tal. Sur les der­nières 20 années, envi­ron, en Haï­ti, nombre de ceux qui avaient créé et diri­gé des ONG ont fini aus­si par occu­per des postes poli­tiques, de pré­sident à pre­mier ministre ou membre du par­le­ment, comme Aris­tide, Pré­val, et Michèle Pierre-Louis.

Main­te­nant que le capi­ta­lisme est dans une crise struc­tu­relle mon­diale crois­sante, l’ajustement struc­tu­rel est éga­le­ment impo­sé à ses for­ma­tions sociales cen­trales. Comme des cane­tons condi­tion­nés, les ONG suivent dans le sillage. 30 nou­velles ONG sont créées chaque jour au Royaume-Uni, et 1,5 mil­lion d’ONG infestent les USA. Elles sont deve­nues l’option de sur­vie du jour pour les diplô­més au chô­mage navi­gant à tra­vers une crise éco­no­mique mondiale.

II. Les ONG sabotent, détournent et remplacent l’organisation autonome de masse

« Ce à quoi vous résis­tez va per­sis­ter » : ce cli­ché est loin d’être inutile stra­té­gi­que­ment. Par consé­quent, au lieu de com­battre la gauche de front comme ils le fai­saient aupa­ra­vant, les capi­ta­listes l’ont étouf­fée dans leurs bras bienveillants.

En aban­don­nant la lutte des classes, la gauche s’est déjà ren­due impuis­sante : elle donne des coups d’é­pée dans l’eau et ne peut frap­per l’ennemi. Cet état d’atrophie la rend vul­né­rable, sus­cep­tible d’accepter que la Fon­da­tion Rocke­fel­ler ou autre enti­té capi­ta­liste lui pro­pose un chèque pour « com­battre pour l’émancipation et la jus­tice sociale contre la rapa­ci­té des entre­prises ». Boum : les capi­ta­listes ont neu­tra­li­sé leur pire menace. Ils l’ont ache­tée, ren­due inof­fen­sive, lui ont arra­ché ses griffes.

Ils l’ont rem­pla­cée par un phé­no­mène social qui semble être (et qui par­fois affirme direc­te­ment être) une force d’opposition, mais qui n’est plus qu’un ani­mal domes­tique loyal et utile. Au lieu d’attaquer le capi­tal à la gorge, elle (quoi qu’il en soit, il ne fau­drait plus l’appeler « la gauche ») lèche gaie­ment les bottes de ses nou­veaux maitres.

Voyons à quoi ça res­semble sur le terrain.

Vous êtes en mani­fes­ta­tion. Com­ment pou­vez-vous ne serait-ce que savoir si tout ça est authen­tique ? Il y a une poi­gnée d’activistes payés por­tant des pan­cartes pré-impri­mées. Ils scandent des slo­gans — mais com­ment pou­vons-nous être sûrs qu’ils pensent ce qu’ils disent, alors qu’ils suivent un script pré­dé­ter­mi­né ? Com­ment être cer­tain que si leur finan­ce­ment était cou­pé, ils seraient tout de même ici, qu’ils seraient tou­jours concer­nés et impliqués ?

Les gens sin­cères pensent sou­vent qu’ils pour­ront être « payés pour faire le bien », mais ça ne fonc­tionne pas ain­si. Les capi­ta­listes ne se sont pas empa­rés du monde en étant com­plè­te­ment cons. Ils ne vont pas nous payer pour leur nuire.

Com­bien de fois avez-vous obser­vé un tel scé­na­rio ? Une atro­ci­té se pro­duit, des gens indi­gnés inondent les rues, et une fois réunis, quelqu’un annonce un mee­ting pour pour­suivre et conti­nuer la lutte. Lors de ce mee­ting, plu­sieurs orga­ni­sa­teurs expé­ri­men­tés semblent être res­pon­sables. Ils disent des choses radi­cales, un peu dures qui semblent rela­ti­ve­ment impres­sion­nantes. Ils pro­posent de four­nir une for­ma­tion et un lieu de ren­contres régu­lières. Ils semblent déjà avoir un plan, bien que per­sonne d’autre n’ait eu le temps d’y pen­ser. Ils semblent com­pé­tents, expliquent (à l’aide de dia­grammes) com­ment repé­rer nos alliés poten­tiels, et sortent une liste de poli­ti­ciens spé­ci­fiques à cibler lors des mani­fes­ta­tions. Ils for­mulent des « demandes » sim­plistes pour « construire la confiance avec un gain rapide ».

Qui­conque sug­gère une approche dif­fé­rente est pas­si­ve­ment-agres­si­ve­ment ignoré.

Sous leur com­man­de­ment, vous occu­pez telle ins­ti­tu­tion ou tel bureau de poli­ti­cien, ou orga­ni­sez une mani­fes­ta­tion ou un ras­sem­ble­ment. Votre pro­tes­ta­tion est bruyante et pas­sion­née, et a l’air assez militante.

Avant même de vous en rendre compte, vous vous retrou­vez à frap­per à la porte d’un incon­nu, une plan­chette à pince à la main, espé­rant le convaincre de voter lors de la pro­chaine élection.

Les ONG servent à saper, à détour­ner et à rem­pla­cer les luttes de masse. En cela, elles sont très effi­caces. J’ai récem­ment dis­cu­té avec une radi­cale du New Jer­sey, qui m’expliquait qu’une mani­fes­ta­tion où elle s’était ren­due était en fait le pro­jet d’un étu­diant diplô­mé, sans aucun doute un futur direc­teur d’ONG. L’air assez cho­quée et éner­vée, elle me dit que depuis, elle n’a même plus envie d’aller mani­fes­ter parce qu’elle ne croit plus en leur authen­ti­ci­té. Une vic­toire écla­tante pour le capital.

A Mia­mi, j’ai assis­té à des mani­fes­ta­tions de l’organisation “Fight for $15” [Com­bat­tez pour un salaire horaire mini­mal de 15 $, NdE] dans les­quelles la vaste majo­ri­té des par­ti­ci­pants étaient des acti­vistes payés, des employés d’ONG, de CBOs (Orga­ni­sa­tions basées sur les com­mu­nau­tés), et des per­son­nels de syn­di­cats à la recherche de membres poten­tiels. Les mani­fes­ta­tions de Black Lives Mat­ter [Les vies noires, ça compte] à Mia­mi ont éga­le­ment été menées de cette façon, avec des acti­vistes payés, qui devaient mon­trer qu’ils « orga­ni­saient la com­mu­nau­té », afin de rece­voir la pro­chaine subvention.

Lors de ce genre de mobi­li­sa­tions, lorsqu’une per­sonne aupa­ra­vant inor­ga­ni­sée est repé­rée, elle se retrouve encer­clée comme de la viande fraiche par une bande de hyènes, ins­tan­ta­né­ment dévo­rée par des acti­vistes cher­chant à atteindre leur quo­ta de recru­te­ment. La pro­chaine fois que vous ver­rez ces nou­veaux conscrits, ils por­te­ront le t‑shirt vio­let, rouge, orange ou vert citron de la marque d’or­ga­ni­sa­tion à laquelle ils ont été vendus.

Ces orga­ni­sa­tions à but non-lucra­tif choi­sissent et aban­donnent leurs thèmes de cam­pagne non pas en rai­son de convic­tions ou de stra­té­gie sur le long-terme, mais stric­te­ment en fonc­tion du finan­ce­ment qu’elles reçoivent, et se limitent aux para­mètres dic­tés par les fon­da­tions. En pro­fi­tant du tra­vail fas­ti­dieux de béné­voles confiants espé­rant « faire une dif­fé­rence posi­tive », nombre d’organisateurs réa­lisent des car­rières lucra­tives dans la bureau­cra­tie non-lucra­tive, ou uti­lisent cette expé­rience comme base de lan­ce­ment pour grim­per dans la poli­tique bour­geoise de haut niveau.

L’activisme a été minu­tieu­se­ment capi­ta­li­sé et pro­fes­sion­na­li­sé. Au lieu d’organiser les masses pour qu’elles com­battent pour leurs propres inté­rêts, ces ins­ti­tu­tions les uti­lisent à leur propre béné­fice. Au lieu de construire un mou­ve­ment de masse, elles font dans la ges­tion de l’in­di­gna­tion publique. Au lieu d’engendrer des mili­tants radi­caux ou révo­lu­tion­naires, elles déve­loppent des acti­vistes-tra­vailleurs-sociaux et des assis­tés passifs.

Je ne vou­drais pas avoir l’air d’une vieille grin­cheuse, mais dans le temps — croyez-le ou pas ! — il était nor­mal pour les orga­ni­sa­teurs de ne pas être payé. Les révo­lu­tion­naires lut­taient contre Le Sys­tème en adop­tant la pers­pec­tive des inté­rêts de la classe ouvrière inter­na­tio­nale, en toute conscience, et avec un désir ardent d’écraser l’ennemi et de chan­ger le monde. Nous com­pre­nions que cela serait extrê­me­ment dif­fi­cile et que cela impli­quait l’adversité et la répres­sion, mais nous n’étions pas décou­ra­gés. Un‑e militant‑e révo­lu­tion­naire consacre volon­tiers sa vie à cette grande cause.

Aujourd’hui, l’organisation sans com­pen­sa­tion finan­cière semble être un concept étran­ger à beau­coup, voire une idée sau­gre­nue. Quand je sors pour trac­ter (oui, nous dis­tri­buons encore des tracts), les gens demandent sou­vent : « Com­ment puis-je dégo­ter un job me fai­sant faire ça ? ». Lorsque j’explique que je ne suis pas payée pour ça, mais que je le fais par convic­tion, leurs visages tra­duisent l’incrédulité.

Sigh.

Pas éton­nant que nous soyons si faibles et épar­pillés. La classe capi­ta­liste, qui a en per­ma­nence 5 coups d’avance, a bien réus­si à dévo­rer vivante la gauche. Tant que nous ne bri­sons pas la malé­dic­tion de l’ONGisme, nous res­tons condam­nés à errer comme des sque­lettes dans le pur­ga­toire du militantisme.

L’information à empor­ter (pour uti­li­ser le jar­gon non-lucra­tif, en levant les yeux au ciel) est la sui­vante : si les capi­ta­listes par­viennent à nous gar­der trop occu­pés et fati­gués pour que nous nous orga­ni­sions nous-mêmes, si nous sommes condam­nés à n’être que des fan­tas­sins au ser­vice de leur pro­gramme et pas du nôtre, alors nous ne gagne­rons pas la révolution.

III. Les ONG supplantent l’État, en faisant ce qu’il devrait faire

Les soi-disant agences “d’aide” finan­cées par les gou­ver­ne­ments capi­ta­listes et impé­ria­listes ont récu­pé­ré les fonc­tions des États dans les pays domi­nés, qui ont été for­cés à cou­per les pres­ta­tions sociales comme condi­tion des cré­dits de la part de ces États impé­ria­listes. Conflit d’intérêt, un peu, non ?

Au cœur de l’empire comme en sa péri­phé­rie, les ONG prennent en charge les res­pon­sa­bi­li­tés de l’État pour répondre aux besoins sociaux. La « déli­ques­cence » des pro­grammes sociaux d’État ne signi­fie pas que les états capi­ta­listes s’affaiblissent (déso­lé, chers anar­chistes et liber­taires). Cela signi­fie sim­ple­ment qu’ils peuvent allouer une part plus impor­tante de leurs res­sources à la conquête, à la répres­sion et à l’accumulation, et moins à la pré­ven­tion et ges­tion de la popu­lace pour évi­ter les sou­lè­ve­ments de masse liés au mécontentement.

Nous sommes désor­mais condi­tion­nés afin que nos besoins soient com­blés par des cli­niques bon mar­ché, des banques ali­men­taires et une myriade d’autres agences de la « socié­té civile ». Les soins médi­caux, la nour­ri­ture, l’eau, le loge­ment, les soins aux enfants et une acti­vi­té ayant du sens sont les néces­si­tés fon­da­men­tales de la vie humaine. Toute socié­té décente devrait pro­di­guer tout cela, mais on nous fait nous sen­tir comme des men­diants humi­liés tan­dis que nous patau­geons à tra­vers la pape­rasse bureau­cra­tique et que nous nous dis­pu­tons avec des fonc­tion­naires. C’est fou­tre­ment n’importe quoi. Nous avons droit à des vies décentes. Nous devons nous orga­ni­ser et lut­ter pour ça, ensemble.

IV. Les ONG soutiennent le capitalisme en gommant la lutte des classes

Le pla­ce­ment struc­tu­rel des orga­ni­sa­tions non-lucra­tives dans l’économie (en tant que vec­teurs d’accumulation) les empêche de défier le capi­ta­lisme. Elles offrent une échap­pa­toire à la petite bour­geoi­sie en lutte (la soi-disant « classe moyenne »), une alter­na­tive à la pro­lé­ta­ri­sa­tion, en lui don­nant des bou­lots. Elles sont le plus grand employeur d’Haï­ti. Par­tout où elles opèrent, elles font enfler la petite bour­geoi­sie pour ser­vir de tam­pon mas­quant et se sub­sti­tuant elles-mêmes, avec leurs aspi­ra­tions, aux luttes de la classe ouvrière. Les ONG cherchent à atté­nuer les consé­quences les plus fla­grantes du capi­ta­lisme, jamais à les éliminer.

La petite bour­geoi­sie, sous-payée dans la cir­cu­la­tion du capi­tal plu­tôt qu’exploitée par la pro­duc­tion (comme le sont les ouvriers), est domi­née par le capi­tal, mais n’est pas en rela­tion anta­go­niste avec lui (comme le sont les ouvriers). D’où la ten­dance natu­relle pour la petite bour­geoi­sie, lorsqu’elle affirme ses inté­rêts de classe, à lut­ter pour l’égalité au sein de la struc­ture capi­ta­liste. La classe capi­ta­liste dépend d’elle pour la modé­ra­tion de la lutte de la classe ouvrière, son détour­ne­ment et sa dilu­tion dans le réfor­misme, pour l’enfouissement de sa lutte au sein des par­tis poli­tiques éta­blis et des syn­di­cats collaborateurs.

His­to­ri­que­ment, à chaque fois que la classe ouvrière pro­clame sa volon­té de révo­lu­tion, l’oreiller moel­leux de la petite bour­geoi­sie se porte volon­taire pour suf­fo­quer sa voix. Les capi­ta­listes façonnent tou­jours la petite bour­geoi­sie de façon à faire d’elle un agent d’exé­cu­tion de la domi­na­tion capi­ta­liste sur la classe ouvrière. Le chal­lenge, pour le pro­gres­siste sérieux, le mili­tant radi­cal ou révo­lu­tion­naire qui se trouve être membre de la petite bour­geoi­sie est de sor­tir de cette impo­sée, de reje­ter consciem­ment ce rôle, et d’éviter d’être uti­li­sé (par inad­ver­tance ou autre) pour des objec­tifs réactionnaires.

Les consé­quences hor­ribles du capi­ta­lisme — l’oppression, l’écocide, les guerres de conquête, l’exploitation, la pau­vre­té — ne peuvent pas éli­mi­nées sans éli­mi­na­tion de leur cause. Si nous vou­lons vrai­ment faire adve­nir les chan­ge­ments aux­quels nous pré­ten­dons, nous devons inté­gra­le­ment nous débar­ras­ser du moindre rési­du de loyau­té petite-bour­geoise envers le capi­ta­lisme, et com­battre sous l’égide de l’ennemi fon­da­men­tal du capi­ta­lisme : la classe ouvrière.

Note aux employés d’ONG

Je ne remets pas en ques­tion votre sin­cé­ri­té. Beau­coup de jeunes sin­cères veulent faire une dif­fé­rence. Les emplois sont rares, et il vous faut vivre. Il est extrê­me­ment ten­tant de pen­ser que ces deux impé­ra­tifs peuvent se com­bi­ner en un joli paquet, ce qui vous per­met­trait de ser­vir l’humanité tout en assu­rant votre propre survie.

C’est une belle idée. Mais fausse. Une struc­ture bien éta­blie vous chan­ge­ra avant que vous l’ayez chan­gée. « L’union du pou­let et du cafard à lieu dans le ventre de la poule ».

Aban­don­ner n’est pas une réponse. Nous sommes tous pris au piège dans l’économie de l’en­ne­mi. Ils ont créé ces condi­tions, nous obli­geant à tra­vailler pour leur sec­teur indus­triel, leur sec­teur des ser­vices, ou leur sec­teur non-lucra­tif. Tout cela pour extraire de nous de la plus-value, et pour main­te­nir leur domi­na­tion. Nous ne pou­vons pas sim­ple­ment déci­der de fuir indi­vi­duel­le­ment. La seule issue est l’organisation, ensemble, dans le but d’un sou­lè­ve­ment révo­lu­tion­naire, et d’une rup­ture de la struc­ture tout entière. Nous serons tous libres, ou per­sonne ne le sera.

Ce que nous devons évi­ter, en atten­dant, c’est de confondre le tra­vail pour une ONG (ou un syn­di­cat col­la­bo­ra­tion­niste) avec la véri­table orga­ni­sa­tion auto­nome. Com­prendre sa nature : votre tra­vail dans une ONG n’est pas d’organiser les masses, mais de les désor­ga­ni­ser, de les paci­fier, de les mener vers une impasse poli­tique. Faites donc votre véri­table tra­vail d’or­ga­ni­sa­tion ailleurs.

Le capi­ta­lisme ne nous assiste pas dans sa propre des­truc­tion. Si nous par­ve­nions à deve­nir effi­caces dans notre construc­tion d’un mou­ve­ment anti­ca­pi­ta­liste de masse, ils ne nous enver­raient pas de chèque. Au lieu de cela, ils feraient tout leur pos­sible pour nous dis­cré­di­ter, nous neu­tra­li­ser, nous empri­son­ner et nous tuer.

Les vrais orga­ni­sa­teurs révo­lu­tion­naires ne sont pas payés.

*ONG : orga­ni­sa­tions non-gou­ver­ne­men­tales, ou “sans but lucra­tif”, de fait habi­tuel­le­ment finan­cées par les gou­ver­ne­ments ou les fon­da­tions capitalistes.

Ste­pha­nie McMillan

Et tou­jours, à voir abso­lu­ment, l’ex­cellent dis­cours d’A­rund­ha­ti Roy à ce sujet :


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Édi­tion & Révi­sion : Faus­to Giu­dice & Hélé­na Delaunay

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  1. je dois avouer que mes yeux se sont des­sillés à la lec­ture de l’ar­ticle . je ne ver­rai plus jamais les ONG du même oeil, avec la même bienveillance;je suis tom­bé de haut, ( du haut de ma naï­ve­té, sans doute ).

  2. il y a tel­le­ment long­temps que j’af­firme que les pays pauvres le res­tent grâce « à l’aide » des pays riches qui se servent selon leurs besoins et les main­tiennent sous le joug de leurs des­seins criminels.
    La pau­vre­té n’existe aujourd’­hui que pour mieux enri­chir les riches.

  3. Il en va de toute orga­ni­sa­tion humaine de pro­duire un sys­tème à deux facettes. L’E­glise par exemple ne fait pas que du bien sur Terre. Elle aide les plus pauvres tout en vivant dans l’o­pu­lence, au contact direct des hommes de pou­voir de ce monde. Pour­quoi le Pape a t il besoin de faire le ménage ? Est ce que là où l’E­glise s’est implan­tée, les pays se sont déve­lop­pés plus par­ti­cu­liè­re­ment ? Elle a envoyé des mis­sion­naires qui devaient édu­quer les gens, avec quel résul­tat ? L’E­glise était et est une grande ONG mais le vec­teur reli­gieux doit lui don­ner plus de cau­tion ? Aucune attaque contre elle.
    Les ONG font du busi­ness mais elles font aus­si des choses, que les Etats se refusent à prendre en charge ou n’ont pas les moyens de faire. Est ce d’ailleurs leur rôle de ces der­niers ? Regar­dez les res­tos du coeur chez nous. On a inven­té (Kouch­ner) le droit d’in­gé­rence huma­ni­taire, ce n’e­tait pas pour aller trai­ter les consé­quences de l’in­ter­ven­tion de puis­sances exté­rieures. C’é­tait pour aller notam­ment com­battre les consé­quences du com­por­te­ment et de l’in­cu­rie de ces gou­ver­ne­ments contre leur population.
    Les ONG sont un mal néces­saire, et leur prê­ter le pou­voir de nuire, à elles seuls, au déve­lop­pe­ment de tel ou tel pays est bien exa­gé­ré. Elles sont vécues comme de l’in­gé­rence, c’est ce qui les rend indé­si­rables. Des révo­lu­tion­naires ont de bonnes rai­sons de leur en vouloir.
    Par­tant, on peut conclure sur ce qu’on veut sur tel ou tel aspect de leur acti­vi­té et de leur rai­son d’être.
    Ces inter­ven­tions (les deux vidéos), très inté­res­santes, ain­si que l’ar­ticle abordent le pro­blème sous l’angle de la révo­lu­tion et de la lutte des classes (le pre­mier est plu­tôt orien­té sur l’ex­ploi­ta­tion de ses pays, du cynisme qui l’ac­com­pagne et des moyens employés pour y par­ve­nir). C’est un prisme qui en vaut un autre. Mon beau père qui a tra­vaillé pen­dant plus de vingt ans en Afrique comme cher­cheur vété­ri­naire m’a­vait fait le com­men­taire sui­vant : regarde un film tour­né dans les années vingt dans de nom­breux coins d’A­frique et aujourd’­hui, tu ver­ras que les gens vivent de la même manière et que rien n’a changé.
    L’op­pres­sion exis­tait déjà à tra­vers une orga­ni­sa­tion tri­bale de pays dotés de fron­tières arti­fi­cielles. Il n’y avait pas d’ONG à l’é­poque pour bâillon­ner des lea­ders poten­tiels, issus de la popu­la­tion en souf­france, en leur pro­po­sant des emplois rému­né­rés et en étouf­fant par la même occa­sion des vel­léi­tés de révo­lu­tion ou de lutte pour le pou­voir. La révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne est un concept de pays en voie de déve­lop­pe­ment et de pays déve­lop­pé. Je ne crois pas que dans la plu­part des pays d’A­frique, ce concept soit à l’ordre du jour. L’ob­jec­tif quo­ti­dien est la lutte pour la sur­vie pas contre le patron qui n’existe pas et qui ne leur donne pas du tra­vail. Il s’a­gi­rait pour eux de juste se révol­ter contre leur condition.
    Bref, je pense que l’angle d’at­taque ci des­sus est par­ti­san même s’il n’est pas exempt d’un cer­tain bon sens. J’é­cris ça, j’é­cris rien.

  4. Com­ment expli­quez vous alors que les chiffres soient plu­tôt bons concer­nant le capi­ta­lisme pour réduire la pau­vre­té ? (article : http://is.gd/I2hzeV)

    Nous ne vivons pas dans un monde par­fait, d’ac­cord, mais pour moi la majo­ri­té des ONGs font du bon tra­vail.. (même si leurs sub­ven­tions publiques devraient effec­ti­ve­ment être moindre)

    1. Les rap­ports d’Ox­Fam ne décrivent pas for­cé­ment la même chose, le capi­ta­lisme a créé la pau­vre­té. Ce concept est sa créa­tion. La pau­vre­té et les inéga­li­tés sont indis­so­ciables du capi­ta­lisme, il en a besoin pour fonc­tion­ner ; pen­ser qu’il peut les sup­pri­mer ou que c’est dans son inté­rêt, c’est absurde.

  5. Je pense qu’il y a du vrai, et d’ailleurs ça fait long­temps que c’est le cas — il suf­fit de regar­der The Constant Gar­de­ner ou de s’in­té­res­serde près au déve­lop­pe­ment du géno­cide rwan­dais pour voir les limites ter­ribles de l’aide occidentale. 

    Cepen­dant, le ton pas très neutre « je détiens La véri­té » — qui fait d’ailleurs pen­ser aux vidéos you­tube sur la théo­rie du com­plot — et le manque de détails sur les chiffres et les preuves quan­ti­ta­tives / qua­li­ta­tives de la non-cré­di­bi­li­té des ONGs des­servent l’ob­jec­tif initial. 

    Il fau­drait un repor­tage vidéo de l’a­ca­bit d’In­side job sur ce sujet. Je pense que ce serait un grand suc­cès car il y a bcp à creuser.

  6. Bon­jour,

    je che­mine dans la même direc­tion depuis quelques années en ayant consta­té en France notre inca­pa­ci­té à nous orga­ni­ser pour faire que les RESTAURANTS DU CoEUR, BANQUES ALIMENTAIRES… ne soient plus nécessaires.

    J’ai pro­po­sé à ces asso­cia­tions (oNG) de co-construire un plan d’ac­tion via twit­ter notamment.

    Je n’ai eu aucune réponse…

    Cette page est d’une grande luci­di­té. Cha­cun peut réflé­chir aux consé­quences à en tirer pour sa vie per­son­nelle et ses engagements.

    Avoir dans chaque quar­tier, chaque vil­lage, un lieu pour en par­ler, y réflé­chir, débattre, par­ta­ger, agir, me semble une prio­ri­té car tout ne peut pas se faire en ligne.

    Il y a tout de même une bonne nou­velle en France, c’est que les ser­vices d’aide au déve­lop­pe­ment en sont conscient et dési­reux de ne pas « faire le bon­heur des gens mal­gré eux ».
    Un exemple : dans les années 2000, j’ai été for­mé en tant que diri­geant d’une asso­cia­tion à mon­ter des pro­jets de déve­lop­pe­ment. Le for­ma­teur a bien su nous don­ner des méthodes pour évi­ter les tra­vers évo­qués plus haut.

    Par contre, ce qui manque, c’est un régu­la­teur indé­pen­dant, impar­tial, qui détecte et sanc­tionne les dérives, défaillances, scandales…

  7. Le Nord consi­dère le Sud comme sa pou­belle. Les ONG sont deve­nues leurs agents d’in­ter­po­si­tion, elles ne jouent pas franc-jeu. Les gou­ver­nants du Sud sont entraî­nés dans cette spi­rale. Il faut une résis­tance à ce comportement.

  8. En 2012 je publiais un texte sur les dan­gers des ONG struc­tu­rees , petites ou grandes, le post­olo­nial­simne est cer­tai­ne­ment plus dan­ge­reux que le colo­nia­lisme, ajoute a la pense unique de l’ul­tra-libe­ra­lisme et des nou­velles tech­no­lo­gies le monde vit sur une poudriere…
    62 per­sonnes detiennent autant que la moi­tie de la planete.…c’est un crime contre l’humanite !
    Engage en Inde sur le ter­rain dans la lutte contre le Sida depuis plus de 10 ans. ANDRE MAGE

  9. Il faut etre sur le ter­rain pour voir les degats des ONG petites ou grandes qui servent le post-colo­nia­lisme et l’ul­tra-libe­ra­lisme, ce qui est pire que le capi­ta­lisme, ain­si que les nou­velles tech­no­lo­gies que seule une nebu­leuse controle. Le Monde est a inven­ter,  » L’hu­ma­nite sera non vio­lente ou ne sera pas « . ANDRE MAGE engage depuis 10 ans en Inde.

  10. Très inté­res­sée par ce sujet qui me touche de près, auriez-vous d’autres sources (articles, docu­men­taires) à faire suivre pour appro­fon­dir le débat ?

    cet article est très inté­res­sant mais il m’ouvre juste un point de vue et n’ap­porte pas assez, à mon avis, d’in­for­ma­tions concrètes et com­pré­hen­sibles, d’in­for­ma­tions suf­fi­sam­ment solides pour convaincre sans par­tis pris et avec logique.

    mer­ci beau­coup en tout cas pour votre site !

  11. Exellent éclai­rage sur l,organisation mondialisés
    Pour com­prendre com­ment il nous format
    Afin de nous mettre dans l,inyorence

  12. Je déteste les ONG. j’ai beau­coup souf­fert depuis mon arri­vée en France. il s’a­git d’ins­tru­man­ta­li­ser la crise syrienne afin d’ob­te­nir des pro­fits. La der­nière asso était la pire. Je me suis trou­vée sur inter­net avec une his­toire créée sur moi et je suis cho­quée car elle a même inven­té une binôme disant qu’elle m’ap­prend le fran­çais ( et je connais même pas cette fille !) afin d’ob­te­nir 200 000 € de finan­ce­ment de GHR & Ope­ni­deo et j’ai écris à la pré­fec­ture de police & pro­cu­reur mais pas de retour !

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