« La Méditerranée est en passe de devenir une mer de plastique. Des véritables îles de déchets ont fait leur apparition dans le Mare Nostrum. Entre la Corse et la Toscane la concentration de microplastiques a atteint des niveaux d’alerte très élevés », pouvait-on lire dans un article récemment publié sur un site d’information corse, dans lequel on apprenait ensuite que « les valeurs relevées dans le mare nostrum, tout près de nos côtes, sont même supérieures à celles des très polluées ‘îles de plastique’ du Pacifique, une superficie d’environ un million de kilomètres carrés où les courants océaniques accumulent les déchets. Dans l’Océan la densité de fragments de plastique est de 335 mille par kilomètre carré. En Méditerranée, les fragments des déchets dépassent le chiffre de 1,25 million par km carré ».
Sur Franceinfo, en août 2015, a été publié un article intitulé « La Méditerranée est la mer la plus polluée au monde » où l’on apprend que « 250 milliards de minuscules bouts de plastique flottent au gré des courants », et qu’on y « retrouve des nano plastiques […], des particules inférieures à un micron que l’on ne voit pas », dont « les spécialistes ne savent pas encore mesurer l’impact sur l’environnement ».

Une des principales et des plus récentes études sur le sujet, publiée dans la revue Nature / ScientificReports en novembre 2016, dirigée par l’Institut des sciences marines du Conseil national de recherches du Lerici (Ismar-Cnr), en collaboration avec les Universités d’Ancône, du Salento et l’Algalita Fondation en Californie, souligne que :
« La production globale de matériaux plastiques a été multipliée par 20 au cours des dernières 50 années, dépassant 300 millions de tonnes en 2015. La demande croît exponentiellement et la production devrait quadrupler d’ici 2050. […]
En conséquence, 275 millions de tonnes de déchets plastiques ont été générées par les pays côtiers du monde, dont entre 4.7 et 12.7 millions de tonnes finissent dans les océans, un scénario censé augmenter de l’ordre d’une magnitude d’ici 2025.
[…] Les modèles globaux prédisent toujours que certaines des concentrations les plus élevées au monde de plastiques flottant se retrouvent dans la mer Méditerranée, dans la mesure où, avec les cinq principales gyres océaniques, elle est présentée comme la sixième grande zone d’accumulation de déchets marins. Principalement en raison d’un écoulement limité des eaux de surfaces, d’une côte densément peuplée et d’activités industrielles, de pêche, de transport, et de tourisme, des quantités considérables de déchets marins s’accumulent dans le bassin méditerranéen, qui, selon les simulations les plus récentes, contient entre 21% et 54% de toutes les particules plastiques (entre 3.2 et 28.2 x 1012 particules) et entre 5 et 10% de la masse mondiale de plastique (entre 4.8 et 30.3 milliers de tonnes).
[…] La biodiversité méditerranéenne n’est clairement pas exempte d’interactions avec ces déchets plastiques. Des polymères artificiels ont été retrouvés dans l’estomac de prédateurs pélagiques méditerranéens, dans des poissons des profondeurs et des espèces commerciales. On retrouve des quantités importantes de débris plastiques au fond de la mer Méditerranée, comme à sa surface, ainsi que sur les plages et l’environnement côtier.
[…] Des fragments de PCL ont été retrouvés dans 9.5% de nos filets, dans toute notre zone d’étude, et sa présence dans les eaux de pleine mer de la méditerranée fournit davantage de preuves que les « plastiques biodégradables » ne se dégradent pas d’eux-mêmes dans des conditions naturelles, et ne représentent donc à priori pas une solution pour la réduction des déchets marins. »
Et voici sa conclusion :
« Nos résultats démontrent l’omniprésence de la pollution plastique dans les eaux méditerranéennes et, en confirmant les modèles de prévision, ils fournissent une nouvelle preuve du fait que dans ce bassin, les quantités de microplastiques sont parmi les plus élevées au monde. La mer Méditerranée, la plus grande et la plus profonde des mers fermées de la planète, est un haut lieu de biodiversité marine [une estimation donne entre 10 et 12 000 espèces, NdT] et le berceau de la civilisation humaine, dont la seule sortie d’eau correspond à l’étroit détroit de Gibraltar. En tant qu’une des zones de navigation les plus usitées et que destination touristique de premier plan, entourée par une côte hautement industrialisée et peuplée, il n’est pas étonnant que dans ce bassin les impacts d’activités humaines soient proportionnellement plus massifs que dans n’importe quelle autre mer. […] Le problème de la pollution plastique est une question sociale, et de comportement, qui nécessite d’être traitée en amont, au sein de la chaîne de consommation. »
Une autre étude, réalisée par le Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne, nous apprend que 93% des stocks de poissons évalués sont surexploités, et que certains ont déjà été presque entièrement détruits. Ils ont analysé et mis en forme les données des 50 dernières années et se sont aperçus que près de la moitié des mammifères marins ainsi qu’un tiers des poisons avaient déjà disparus.
C’est dans la méditerranée Ouest et dans la mer Adriatique, où le nombre de poissons a été divisé par deux, que les impacts seraient les plus notables.
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Les pollutions plastiques et les surexploitations ne sont malheureusement pas les seuls fléaux auxquels la Méditerranée doit faire face. La liste est longue des rejets industriels, à l’instar de ceux de l’usine d’alumine de Gardanne (« trop de matières en suspension, des dépassements des plafonds autorisés de mercure, de zinc et d’antimoine ») et de ses fameuses boues rouges, qui contaminent ses eaux.
Rappelons aussi l’histoire avérée de cette « épave bourrée de bidons radioactifs, découverte au large de la côte sud italienne », qui « confirme les révélations d’un ex-mafieux calabrais et les inquiétudes des associations environnementales sur la présence de déchets toxiques en Méditerranée », et qui ne serait « que l’une des 32 embarcations coulées par la mafia dans la Méditerranée avec à bord des produits toxiques tels que le thorium 234, le plutonium ou le sulfate d’ammonium, selon le parquet de Reggio-Calabria », ou, pire encore, qui ne représente peut-être que l’un des « 150 navires coulés en Méditerranée, selon le procureur anti-mafia Francesco Neri ».

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Ce n’est pas un hasard si, dans un seul et même paragraphe de conclusion, l’étude précitée associe « le berceau de la civilisation humaine » avec des « impacts d’activités humaines […] proportionnellement plus massifs » et surtout plus destructeurs et plus flagramment nuisibles (ce qui est sous-entendu sans être formulé) que n’importe où ailleurs. Que le berceau de la civilisation soit précisément le lieu le plus détruit, le plus dévasté, le plus pollué, relève de la tautologie, et en dit long sur la nature de ladite civilisation.
Les auteurs de l’étude ont raison de conclure que « le problème de la pollution plastique est une question sociale, et de comportement, qui nécessite d’être traitée en amont, au sein de la chaîne de consommation ». Le problème ne sera jamais réglé par une solution technique, du genre de celle qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, et qui a été reprise par les médias de masse, qui consiste en des engins flottants disposés au niveau des gyres et soi-disant à même de « nettoyer les océans » (solution qui a été déconstruite ici, et là, ou encore là). Le solutionnisme technologique, vieille chimère absurde qui ne s’attaque jamais à la racine des problèmes, pire, qui en créé des nouveaux, comme en témoigne l’étude précédemment mentionnée, où l’on apprend que les bioplastiques ne se dégradent pas en conditions naturelles, est une impasse létale. Nous n’avons pas tant besoin de dépolluer la mer Méditerranée que d’arrêter de la polluer et de la piller. Tenter d’écoper l’eau d’un bateau dont la coque trouée continue inexorablement à être transpercée de part en part n’a aucun sens.
C’est pour cette raison que le terrible sort de la Méditerranée reflète bien celui de la planète. En plus des nombreux problèmes sociaux qu’elles engendrent, toutes les productions industrielles impliquent d’innombrables nuisances écologiques, aux impacts incalculables sur l’interdépendance biologique planétaire, donc, à moins que les productions industrielles en tous genres, d’objets faits de plastiques et/ou de métaux (lourds), de déchets radioactifs, de substances chimiques toxiques, ainsi que les rejets de matériaux nuisibles pour l’environnement, ne soient définitivement arrêtées, tout va continuer à empirer. A moins que la pêche industrielle ne soit arrêtée, l’éviscération en cours va continuer.
Nous faisons face à un problème social et culturel qui nous ramène toujours à une question de choix. Nous pouvons avoir la civilisation industrielle, une économie mondialisée et hautement technologique, le progrès technique, l’industrialisme sur lequel il repose, les luxes et les conforts (relatifs) qu’il prodigue, ou nous pouvons avoir une planète vivante, et des communautés humaines intégrées aux autres communautés naturelles. Seulement, très logiquement, et c’est une des raisons pour lesquelles la Méditerranée est dans l’état où elle est, les classes dirigeantes des sociétés industrielles modernes, comme celles des sociétés impériales, monarchiques et féodales du passé, qui bénéficient et bénéficiaient des inégalités sociales comme des destructions écologiques, ne l’entendent et ne l’entendaient pas ainsi. Tout l’appareil culturel qu’elles ont agencé sur plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, glorifie la civilisation, son expansionnisme, son progrès technique, et son industrialisme.
La Méditerranée, à l’instar des autres biorégions du globe, ne recouvrera pas la santé pas grâce au solutionnisme technologique — le type de réponse sur lequel les institutions des sociétés industrielles se concentrent principalement —, mais plutôt grâce à l’arrêt définitif des processus anti-écologiques dont dépend le mode de vie de la civilisation industrielle. Ainsi que le formule Kim Hill, « L’infrastructure industrielle est incompatible avec une planète vivante ». Nous pouvons continuer à espérer, à souhaiter, à croire dur comme fer en ce que la culture dominante inculque implicitement à tous, à savoir qu’il doit être possible de parvenir (grâce au fameux « progrès », et à « la science ») à avoir une société industrielle mondialisée (et en expansion permanente) qui soit high-tech, confortable (avec l’électricité, des automobiles, des téléphones portables, des ordinateurs, des satellites, des fusées, des iPods, des iPhones, de la chirurgie esthétique, des engrais chimiques, des avions, des Baggers 288, internet, des terrasses Ikea, etc.), démocratique, soutenable et écologique, ou nous pouvons nous rendre compte que tout cela relève du fantasme. Qu’une société écologique et démocratique (et, étonnamment, ou pas, les deux sont liés) est une société de petite taille (à taille humaine), basée sur des techniques douces (low-tech).
Pour aller plus loin :