Le texte qui suit est une traduction d’un article de Katarina Zimmer initialement publié, en anglais, sur le site du magazine National Geographic, le 22 novembre 2019. Il est à mettre en lien avec cet article : « De l’avènement de la civilisation au coronavirus de Wuhan : trajectoire d’un désastre logique ». L’un et l’autre illustrent bien cet aphorisme apocryphe selon lequel « la civilisation n’est qu’une course sans espoir visant à trouver des remèdes aux maux qu’elle génère ».
Détruire la nature déchaîne des maladies infectieuses
ou (titre original) :
La déforestation génère toujours plus de maladies infectieuses chez les humains
Des scientifiques craignent que la prochaine pandémie mortelle soit une conséquence de la déforestation que l’on observe tout autour du globe.
En 1997, des nuages de fumée planaient au-dessus des forêts tropicales d’Indonésie, où une zone de la taille de la Pennsylvanie, environ, avait été brûlée pour faire place à l’agriculture, et où les incendies avaient été exacerbés par la sécheresse. Étouffés par la brume, les arbres n’ont pas pu produire de fruits, laissant les chauves-souris frugivores sans autre choix que de voler ailleurs à la recherche de nourriture, emportant avec elles une maladie mortelle.
Peu de temps après que les chauves-souris se soient installées sur les arbres des vergers malaisiens, les porcs autour d’elles ont commencé à tomber malades — probablement après avoir mangé les fruits tombés que les chauves-souris avaient grignotés — tout comme les éleveurs de porcs locaux. En 1999, 265 personnes ont développé une grave inflammation du cerveau et 105 en sont mortes. C’était la première apparition connue du virus Nipah chez l’homme — virus qui, depuis lors, a provoqué une série d’épidémies récurrentes dans toute l’Asie du Sud-Est.
Il s’agit d’une des nombreuses maladies infectieuses auparavant circonscrites à la faune sauvage et qui se sont propagées à l’homme dans une région soumise à un déboisement rapide. Au cours des deux dernières décennies, de nombreuses preuves scientifiques ont été produites qui suggèrent que la déforestation, en déclenchant une cascade complexe d’événements, crée les conditions pour qu’une série d’agents pathogènes mortels — tels que les virus Nipah et Lassa, et les parasites qui causent le paludisme et la maladie de Lyme — infectent l’être humain.
Tandis qu’un incendie global se poursuit aujourd’hui dans les forêts tropicales de l’Amazonie et de certaines régions d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, des experts ont exprimé leur inquiétude quant à la santé des personnes vivant aux frontières de la déforestation. Ils craignent également que la prochaine pandémie grave ne se déclare dans les zones déboisées de notre planète.
« Il est assez bien établi que la déforestation peut être un facteur important de transmission de maladies infectieuses », affirme Andy MacDonald, écologiste spécialisé dans les maladies à l’Institut de recherche sur la terre de l’Université de Californie à Santa Barbara. « C’est mathématique : plus nous dégradons et détruisons les habitats forestiers, plus il est probable que nous nous retrouvions dans ces situations où des épidémies de maladies infectieuses se produisent. »
Un lien direct
Le paludisme — qui tue plus d’un million de personnes chaque année en raison de l’infection par des parasites Plasmodium transmis par les moustiques — est depuis longtemps soupçonné d’aller de pair avec la déforestation. Au Brésil, si des efforts de lutte ont considérablement réduit la transmission du paludisme dans le passé — ramenant le nombre de nouveaux cas déclarés, par année, de 6 millions dans les années 1940 à seulement 50 000 dans les années 1960 —, le nombre de cas n’a cessé d’augmenter depuis, parallèlement au défrichement rapide des forêts et à l’expansion de l’agriculture. Au début du siècle, il y avait plus de 600 000 cas par an dans le bassin amazonien.
Des travaux réalisés à la fin des années 1990 par Amy Vittor, épidémiologiste à l’Institut des pathogènes émergents de l’Université de Floride, et d’autres, ont suggéré une raison à cela. Le défrichement de parcelles de forêt semble créer un habitat idéal, en bordure de forêt, pour la reproduction du moustique Anopheles darlingi, le plus important vecteur du paludisme en Amazonie. Au cours d’enquêtes minutieuses en Amazonie péruvienne, elle a trouvé un nombre plus élevé de larves dans des mares chaudes et partiellement ombragées, du genre de celles qui se forment le long des routes coupées dans les forêts, et des flaques derrière où l’eau n’est plus absorbée par les arbres.
« C’était les endroits où Anopheles darlingi proliférait », se souvient Vittor.
Au travers d’une analyse complexe de données satellitaires et sanitaires publiée récemment dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (« Actes (ou comptes-rendus) de l’Académie américaine des sciences »), MacDonald et Erin Mordecai, de l’université de Stanford, ont fait état d’un impact significatif de la déforestation dans le bassin amazonien sur la transmission du paludisme, conformément à certaines recherches antérieures.
Entre 2003 et 2015, en moyenne, ils ont montré qu’une augmentation annuelle de 10 % du déboisement entraînait une hausse de 3 % des cas de paludisme. En un an d’étude, par exemple, 1 600 kilomètres carrés de forêt défrichée — l’équivalent de près de 300 000 terrains de football — ont été liés à 10 000 cas supplémentaires de paludisme. Cet effet a été plus prononcé à l’intérieur de la forêt, où certaines parcelles de forêt sont encore intactes, fournissant l’habitat humide de lisière que les moustiques aiment tant.
Étant donné que les incendies en Amazonie se poursuivent, ces résultats ne sont pas de bon augure. Les dernières données, publiées cette semaine, révèlent qu’une zone 12 fois plus grande que la ville de New York a d’ores et déjà été détruite cette année.
« Je suis préoccupé par ce qui va se passer avec la transmission après la fin des incendies », déclare MacDonald.
Il est difficile de généraliser, en ce qui concerne l’écologie des moustiques, qui varie selon les espèces et les régions, souligne Vittor. En Afrique, des études ont montré qu’il y avait peu de liens entre le paludisme et la déforestation, peut-être parce que les espèces de moustiques de ce continent aiment se reproduire dans des plans d’eau ensoleillés et préfèrent les terres agricoles ouvertes aux zones forestières ombragées. Mais dans l’État du Sabah, dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo, les épidémies de paludisme se produisent également en tandem avec les défrichements de forêts pour l’huile de palme et d’autres plantations.
La fièvre de la jungle
Les moustiques ne sont pas les seuls animaux qui peuvent transmettre des fléaux mortels aux humains. En réalité, 60 % des nouvelles maladies infectieuses qui émergent chez l’homme — dont le VIH, le virus Ebola et le virus Nipah, qui proviennent tous d’animaux vivant dans les forêts — sont transmises par tout un éventail d’autres animaux, dont la grande majorité sont des animaux sauvages.
Dans une étude réalisée en 2015, des chercheurs de l’Ecohealth Alliance, une organisation à but non lucratif basée à New York qui étudie les maladies infectieuses à l’échelle mondiale, et d’autres chercheurs, ont découvert que « près d’une épidémie sur trois de maladies nouvelles et émergentes est liée à un changement d’utilisation des terres comme la déforestation », ainsi que l’a tweeté le président de l’organisation, Peter Daszak, au début de l’année.
De nombreux virus existent de manière inoffensive, avec leurs animaux hôtes, dans les forêts, ayant co-évolué avec eux. Mais les humains peuvent devenir des hôtes involontaires d’agents pathogènes lorsqu’ils s’aventurent dans les forêts ou lorsqu’ils altèrent les milieux forestiers.
« Nous sommes en train de complètement changer la structure de la forêt », note Carlos Zambrana-Torrelio, un écologiste spécialiste des maladies à l’Ecohealth Alliance.
[NdT : Parmi de nombreux autres exemples, l’auteur aurait pu mentionner la maladie de Chagas, une infection parasitaire, potentiellement mortelle, transmise par un insecte hématophage (une variété de punaise, appelée triatome ou réduve), qui sévit principalement sur le continent américain. D’après l’OMS, « 6 à 7 millions de personnes dans le monde, principalement en Amérique latine, sont infectées dans le monde par Trypanosoma cruzi (T. cruzi), le parasite à l’origine de la maladie ». La maladie de Chagas « était jadis entièrement confinée à la Région des Amériques – principalement l’Amérique latine – mais elle s’est propagée à d’autres continents ». La maladie de Chagas est « guérissable si le traitement est institué peu de temps après l’infection ». Autrement : « jusqu’à 30% des patients souffrent de troubles cardiaques et jusqu’à 10% de troubles digestifs (généralement méga œsophage ou mégacôlon), neurologiques ou les 2 à la fois. Plus tard, l’infection peut conduire au décès soudain dû à une arythmie cardiaque ou à une insuffisance cardiaque progressive provoquée par la destruction du muscle cardiaque et de son système nerveux. » Selon l’OMS près de 13 000 personnes meurent du mal de Chagas et 300 000 nouveaux cas se déclarent chaque année. Ainsi que l’explique un article du Financial Times, publié le 18 avril 2017, et intitulé « Chagas disease : The Brazilian forest bites back » (« Maladie de Chagas : la forêt brésilienne riposte ») : « Aujourd’hui, selon des chercheurs, la propagation de la maladie de Chagas dans la région amazonienne est liée à des facteurs humains tels que la déforestation et la consommation croissante de produits de palme, comme l’açaí, un fruit local. Privé de son habitat et de la proximité des animaux sauvages, autrefois sa principale source de nourriture, le barbeiro [l’insecte qui transmet la maladie, NdT] envahit de plus en plus les implantations humaines. »]
Attraction mortelle
Des maladies peuvent également apparaître lorsque de nouveaux habitats attirent hors de la forêt des espèces porteuses de maladies.
Au Liberia, par exemple, les coupes des forêts pour l’installation de plantations de palmiers à huile attirent des hordes de souris typiquement forestières, alléchées par l’abondance des fruits de palmiers autour des plantations et des habitations. Les humains peuvent contracter le virus Lassa lorsqu’ils entrent en contact avec de la nourriture ou des objets contaminés par des excréments ou de l’urine de rongeurs porteurs du virus ou des fluides corporels de personnes infectées. Chez l’homme, le virus provoque une fièvre hémorragique — le même type de maladie déclenchée par le virus Ebola — et au Liberia, il a tué 36 % des personnes infectées.
Des rongeurs porteurs de virus ont également été repérés dans des zones déboisées au Panama, en Bolivie et au Brésil. Alfonso Rodriguez-Morales, chercheur médical et expert en maladies tropicales à l’Université Technologique de Pereira en Colombie, craint que leur aire de répartition n’augmente suite à la résurgence des incendies en Amazonie cette année.
De tels processus ne se limitent pas aux maladies tropicales. Certaines des recherches de MacDonald ont révélé une curieuse association entre la déforestation et la maladie de Lyme dans le nord-est des États-Unis.
Borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme, est transmise par des tiques qui dépendent des cerfs vivant dans les forêts pour se reproduire et obtenir suffisamment de sang pour survivre. Cependant, la bactérie est également présente chez la souris à pieds blancs, qui prolifère dans les forêts fragmentées par des infrastructures humaines, explique MacDonald.
La propagation des maladies infectieuses à l’homme est plus susceptible de se produire dans les tropiques car la diversité globale de la faune et des agents pathogènes est plus élevée, ajoute-t-il. Là-bas, un certain nombre de maladies transmises par un large éventail d’animaux — des insectes suceurs de sang aux escargots — sont liées à la déforestation. En plus des maladies connues, les scientifiques craignent qu’un certain nombre de maladies mortelles encore inconnues se cachent dans les forêts, qui pourraient être dispersées massivement, au fur et à mesure de leur destruction.
Zambrana-Torrelio remarque que la probabilité de retombées sur les populations pourrait augmenter avec le réchauffement climatique, qui pousse les animaux, ainsi que les virus qu’ils transportent, à migrer vers des régions où ils ne vivaient pas auparavant.
La question de savoir si ces maladies restent confinées aux lisières des forêts ou s’installent chez l’homme, déclenchant une pandémie potentielle, dépend de leur transmission, explique Vittor. Certains virus, comme Ebola ou Nipah, peuvent être transmis directement d’humain à humain, ce qui leur permet, théoriquement, de se propager à travers le monde tant qu’il y a des humains.
Le virus Zika, découvert dans les forêts ougandaises au 20e siècle, n’a pu parcourir le monde et infecter des millions de gens que parce qu’il a trouvé un hôte chez Aedes aegpti, un moustique qui se développe dans les zones urbaines.
« Cela me déplait de penser qu’un ou plusieurs autres agents pathogènes pourrait faire une telle chose, mais il serait insensé de ne pas considérer cela comme une possibilité à laquelle il faut se préparer », déclare Vittor.
Un nouveau service
Les chercheurs de l’Ecohealth Alliance ont proposé que le confinement des maladies puisse être considéré comme un nouveau service écosystémique, c’est-à-dire un avantage que les humains tirent gratuitement des écosystèmes naturels, tout comme le stockage du carbone et la pollinisation. [sic, la financiarisation de la nature, NdT]
Pour étayer cette thèse, leur équipe a travaillé à Bornéo, en Malaisie, pour déterminer le coût exact du paludisme, jusqu’à chaque lit d’hôpital et à la seringue utilisée par les médecins. En moyenne, ils ont découvert que le gouvernement malaisien dépense environ 5 000 dollars pour traiter chaque nouveau patient atteint de paludisme dans la région — ce qui est beaucoup plus que ce qu’il dépense, dans certains endroits, pour le contrôle du paludisme, explique Zambrana-Torrelio.
Avec le temps, cela s’accumule, et dépasse les profits qui pourraient être réalisés en abattant les forêts, et cela constitue donc un argument financier convaincant en faveur du fait de laisser certaines forêts en place, explique Daszak.
Ses collègues et lui commencent à travailler avec le gouvernement malaisien pour incorporer ces coûts dans l’aménagement du territoire, et entreprennent un projet similaire avec des responsables libériens pour calculer le coût des épidémies de fièvre de Lassa dans ce pays.
MacDonald perçoit la valeur de cette idée : « Si nous pouvons préserver l’environnement, alors peut-être que nous pouvons aussi protéger la santé », dit-il. « Voilà le côté positif que nous devons garder à l’esprit. »
Katarina Zimmer
Traduction : Nicolas Casaux
Relecture : Lola Bearzatto