Très régulièrement, et le plus naturellement du monde, beaucoup de gens se prononcent en faveur de tel ou tel activité ou projet industriel, de tel ou tel développement technologique, de telle ou telle mesure politique, etc. — activité, projet, développement ou mesure impliquant pourtant l’exploitation d’autres êtres humains, principalement au travers du fonctionnement normal du système technopolitique contemporain.
Exemple au hasard. Lorsque Cyril Dion, Mélanie Laurent ou Greta Thunberg, par exemple, se prononcent en faveur du développement des technologies de production d’énergie dite renouvelable, ou lorsque Jean-Marc Jancovici (ou votre beau-frère) se prononce en faveur du nucléaire, ils se prononcent en faveur de l’exploitation d’un nombre très élevé et sans doute même difficilement déterminable d’individus : ceux auxquels il revient d’extraire divers minerais dans diverses exploitations minières éparpillées à travers la planète (l’uranium, principalement, pour le nucléaire, mais pas que, chaque centrale nucléaire est composée d’un grand nombre d’appareils, de dispositifs électroniques qu’il faut bien construire, etc.), ceux qui se chargent du transport de ces minerais, ceux qui les traitent, ceux qui fabriquent des pièces de machine, ceux qui assemblent les machines, ceux qui fabriquent le béton pour construire la centrale nucléaire, ceux qui fabriquent la centrale, ceux qui extraient les matériaux nécessaires à la fabrication de câbles, ceux qui les acheminent, ceux qui fabriquent ces câbles, ceux qui les posent, etc., etc. Liste non-exhaustive (très incomplète).
Le fait est que dès lors qu’on se prononce en faveur d’un développement quelconque, officiellement ordonné ou autorisé par des dirigeants gouvernementaux, étatiques, on se prononce en faveur des rapports sociaux qui fondent — et qu’impose — le système sociopolitique (l’État et l’organisation internationale des États) dans lequel ce développement prend place. On se prononce en faveur du système social, économique, technologique et politique existant. Rien que de très logique.
Pour le dire encore autrement, dès lors qu’on se prononce en faveur d’un développement quelconque, officiellement ordonné ou autorisé par des dirigeants gouvernementaux, étatiques (ou entrepreneuriaux), on endosse un rôle de bourreau par procuration, parce qu’on avalise, de fait, le fonctionnement (les dispositions) dudit système social. D’innombrables manières, dans un système socioéconomique basé sur l’exploitation de tous par tous, dont l’étendue et la complexité dépassent largement notre entendement (qui sait ce qui se cache derrière chacune des marchandises, chacun des objets qu’il utilise au quotidien ? personne !), nous sommes tous, nous ne pouvons être que des irresponsables en puissance qui, bon gré mal gré, cautionnent de nombreuses choses dont ils ignorent jusqu’à l’existence. Une irresponsabilité totale et partagée totalement. Tout le monde encourage l’exploitation de tout, et de tout le monde. Le progrès, quelle merveille. (Cela dit, bien entendu, nous ne sommes pas tous également irresponsables : celles et ceux d’entre nous qui ne possèdent aucun pouvoir décisionnaire, qui ne font que subir ce monde qu’ils ne désirent aucunement, et tâchent même de lutter contre, ont moins d’irresponsabilité à leur actif que les élus, décideurs et responsables politiques, etc., qui l’ordonnancent et l’imposent).
Facile de se prononcer pour le développement du solaire photovoltaïque quand ce n’est pas nous qui nous retrouvons à trimer dans telle ou telle exploitation minière, à extraire le quartz, à le traiter pour en faire du silicium, etc. Facile de se prononcer en faveur du nucléaire quand on n’a pas à extraire l’uranium, construire les centrales, les centres de stockage des déchets, subir l’irradiation, etc. Facile de se prononcer en faveur du numérique en général quand ce n’est pas nous qui nous retrouvons le nez dans les vapeurs toxiques d’Agbogbloshie au Ghana ou de n’importe quelle décharge d’E‑déchets (ou déchets électroniques), massivement déversés dans les pays pauvres par les pays riches. Facile de se prononcer en faveur de l’élevage industriel quand on n’a pas soi-même à dépecer le moindre animal, ou à vivre entassés dans d’immenses bâtiments, à ne jamais voir la lueur du soleil et patauger dans nos propres excréments. Etc. Facile de se prononcer pour n’importe quoi quand on n’a pas soi-même à en assumer les (plus néfastes ou difficiles) conséquences. Facile, et d’une lâcheté incroyable, d’une immoralité terrible.
(Eh, Cyril Dion) Tu es pour le solaire photovoltaïque ou l’éolien ? Ramasse ta pioche, fais ton baluchon, et rends-toi à Baotou en Chine où l’on extrait les minerais nécessaires à la fabrication des panneaux et des éoliennes. Tu es pour le nucléaire ? Ramasse ta pioche, fais ton baluchon, et rends-toi, au choix, dans les mines d’Arlit au Niger ou de Muyunkum ou Tortkuduk au Kazakshtan. Tu es pour qu’on empêche les migrants de parvenir en France ? Va donc vivre ce qu’ils vivent chez eux, amuse-toi bien, et raconte-nous ensuite. Tu es pour la voiture électrique ? Ramasse ta pelle, ta pioche, ton baluchon et file au Congo extraire le cobalt. Tu es pour la prostitution ? Prostitue-toi quelques années, on en reparle. Tu es pour la GPA ? Tu peux tomber enceinte ? Si non, imbécile ! Si oui, commence par gestationner pour autrui toi-même, et on en rediscute. Etc.
Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. Principe élémentaire. Pourtant, ils sont extrêmement nombreux à encourager l’exploitation des autres avec la plus grande facilité du monde — tout en souhaitant ne pas être eux-mêmes exploités, ou en déplorant leur propre exploitation.
Alors si vous n’appréciez pas d’être exploité, si vous n’êtes pas pour l’exploitation des autres, évitez, à l’avenir, d’encourager l’exploitation des autres. Réfléchissez, bande d’andouilles, aux implications des choses que vous soutenez.
Dans un système social, économique, politique, etc., largement anti-démocratique, quoi que vous souteniez, cela implique sûrement d’exploiter des gens qui n’ont rien demandé, ne sont pas particulièrement heureux de se retrouver à faire ce qu’ils se retrouvent à faire.
Dans une telle situation, la seule chose décente que l’on puisse soutenir, c’est le démantèlement du système dans sa totalité, le démantèlement du pouvoir, des systèmes de domination, la redistribution du pouvoir aux gens, leur émancipation, leur droit de s’organiser eux-mêmes comme bon leur semble, etc.
Nicolas Casaux