La société industrielle ou l’irresponsabilité pour tous et toutes (par Nicolas Casaux)

Très régu­liè­re­ment, et le plus natu­rel­le­ment du monde, beau­coup de gens se pro­noncent en faveur de tel ou tel acti­vi­té ou pro­jet indus­triel, de tel ou tel déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, de telle ou telle mesure poli­tique, etc. — acti­vi­té, pro­jet, déve­lop­pe­ment ou mesure impli­quant pour­tant l’exploitation d’autres êtres humains, prin­ci­pa­le­ment au tra­vers du fonc­tion­ne­ment nor­mal du sys­tème tech­no­po­li­tique contemporain.

Exemple au hasard. Lorsque Cyril Dion, Méla­nie Laurent ou Gre­ta Thun­berg, par exemple, se pro­noncent en faveur du déve­lop­pe­ment des tech­no­lo­gies de pro­duc­tion d’énergie dite renou­ve­lable, ou lorsque Jean-Marc Jan­co­vi­ci (ou votre beau-frère) se pro­nonce en faveur du nucléaire, ils se pro­noncent en faveur de l’exploitation d’un nombre très éle­vé et sans doute même dif­fi­ci­le­ment déter­mi­nable d’individus : ceux aux­quels il revient d’extraire divers mine­rais dans diverses exploi­ta­tions minières épar­pillées à tra­vers la pla­nète (l’uranium, prin­ci­pa­le­ment, pour le nucléaire, mais pas que, chaque cen­trale nucléaire est com­po­sée d’un grand nombre d’appareils, de dis­po­si­tifs élec­tro­niques qu’il faut bien construire, etc.), ceux qui se chargent du trans­port de ces mine­rais, ceux qui les traitent, ceux qui fabriquent des pièces de machine, ceux qui assemblent les machines, ceux qui fabriquent le béton pour construire la cen­trale nucléaire, ceux qui fabriquent la cen­trale, ceux qui extraient les maté­riaux néces­saires à la fabri­ca­tion de câbles, ceux qui les ache­minent, ceux qui fabriquent ces câbles, ceux qui les posent, etc., etc. Liste non-exhaus­tive (très incomplète).

Le fait est que dès lors qu’on se pro­nonce en faveur d’un déve­lop­pe­ment quel­conque, offi­ciel­le­ment ordon­né ou auto­ri­sé par des diri­geants gou­ver­ne­men­taux, éta­tiques, on se pro­nonce en faveur des rap­ports sociaux qui fondent — et qu’impose — le sys­tème socio­po­li­tique (l’État et l’organisation inter­na­tio­nale des États) dans lequel ce déve­lop­pe­ment prend place. On se pro­nonce en faveur du sys­tème social, éco­no­mique, tech­no­lo­gique et poli­tique exis­tant. Rien que de très logique.

Pour le dire encore autre­ment, dès lors qu’on se pro­nonce en faveur d’un déve­lop­pe­ment quel­conque, offi­ciel­le­ment ordon­né ou auto­ri­sé par des diri­geants gou­ver­ne­men­taux, éta­tiques (ou entre­pre­neu­riaux), on endosse un rôle de bour­reau par pro­cu­ra­tion, parce qu’on ava­lise, de fait, le fonc­tion­ne­ment (les dis­po­si­tions) dudit sys­tème social. D’innombrables manières, dans un sys­tème socioé­co­no­mique basé sur l’exploitation de tous par tous, dont l’étendue et la com­plexi­té dépassent lar­ge­ment notre enten­de­ment (qui sait ce qui se cache der­rière cha­cune des mar­chan­dises, cha­cun des objets qu’il uti­lise au quo­ti­dien ? per­sonne !), nous sommes tous, nous ne pou­vons être que des irres­pon­sables en puis­sance qui, bon gré mal gré, cau­tionnent de nom­breuses choses dont ils ignorent jusqu’à l’existence. Une irres­pon­sa­bi­li­té totale et par­ta­gée tota­le­ment. Tout le monde encou­rage l’exploitation de tout, et de tout le monde. Le pro­grès, quelle mer­veille. (Cela dit, bien enten­du, nous ne sommes pas tous éga­le­ment irres­pon­sables : celles et ceux d’entre nous qui ne pos­sèdent aucun pou­voir déci­sion­naire, qui ne font que subir ce monde qu’ils ne dési­rent aucu­ne­ment, et tâchent même de lut­ter contre, ont moins d’irresponsabilité à leur actif que les élus, déci­deurs et res­pon­sables poli­tiques, etc., qui l’ordonnancent et l’imposent).

Facile de se pro­non­cer pour le déve­lop­pe­ment du solaire pho­to­vol­taïque quand ce n’est pas nous qui nous retrou­vons à tri­mer dans telle ou telle exploi­ta­tion minière, à extraire le quartz, à le trai­ter pour en faire du sili­cium, etc. Facile de se pro­non­cer en faveur du nucléaire quand on n’a pas à extraire l’uranium, construire les cen­trales, les centres de sto­ckage des déchets, subir l’irradiation, etc. Facile de se pro­non­cer en faveur du numé­rique en géné­ral quand ce n’est pas nous qui nous retrou­vons le nez dans les vapeurs toxiques d’Ag­bog­blo­shie au Gha­na ou de n’im­porte quelle décharge d’E‑déchets (ou déchets élec­tro­niques), mas­si­ve­ment déver­sés dans les pays pauvres par les pays riches. Facile de se pro­non­cer en faveur de l’élevage indus­triel quand on n’a pas soi-même à dépe­cer le moindre ani­mal, ou à vivre entas­sés dans d’immenses bâti­ments, à ne jamais voir la lueur du soleil et patau­ger dans nos propres excré­ments. Etc. Facile de se pro­non­cer pour n’importe quoi quand on n’a pas soi-même à en assu­mer les (plus néfastes ou dif­fi­ciles) consé­quences. Facile, et d’une lâche­té incroyable, d’une immo­ra­li­té terrible.

(Eh, Cyril Dion) Tu es pour le solaire pho­to­vol­taïque ou l’éo­lien ? Ramasse ta pioche, fais ton balu­chon, et rends-toi à Bao­tou en Chine où l’on extrait les mine­rais néces­saires à la fabri­ca­tion des pan­neaux et des éoliennes. Tu es pour le nucléaire ? Ramasse ta pioche, fais ton balu­chon, et rends-toi, au choix, dans les mines d’Ar­lit au Niger ou de Muyun­kum ou Tort­ku­duk au Kazak­sh­tan. Tu es pour qu’on empêche les migrants de par­ve­nir en France ? Va donc vivre ce qu’ils vivent chez eux, amuse-toi bien, et raconte-nous ensuite. Tu es pour la voi­ture élec­trique ? Ramasse ta pelle, ta pioche, ton balu­chon et file au Congo extraire le cobalt. Tu es pour la pros­ti­tu­tion ? Pros­ti­tue-toi quelques années, on en reparle. Tu es pour la GPA ? Tu peux tom­ber enceinte ? Si non, imbé­cile ! Si oui, com­mence par ges­ta­tion­ner pour autrui toi-même, et on en redis­cute. Etc.

Ne fais pas à autrui ce que tu ne vou­drais pas qu’on te fasse. Prin­cipe élé­men­taire. Pour­tant, ils sont extrê­me­ment nom­breux à encou­ra­ger l’exploitation des autres avec la plus grande faci­li­té du monde — tout en sou­hai­tant ne pas être eux-mêmes exploi­tés, ou en déplo­rant leur propre exploitation.

Alors si vous n’appréciez pas d’être exploi­té, si vous n’êtes pas pour l’exploitation des autres, évi­tez, à l’avenir, d’encourager l’exploitation des autres. Réflé­chis­sez, bande d’andouilles, aux impli­ca­tions des choses que vous soutenez.

Dans un sys­tème social, éco­no­mique, poli­tique, etc., lar­ge­ment anti-démo­cra­tique, quoi que vous sou­te­niez, cela implique sûre­ment d’exploiter des gens qui n’ont rien deman­dé, ne sont pas par­ti­cu­liè­re­ment heu­reux de se retrou­ver à faire ce qu’ils se retrouvent à faire.

Dans une telle situa­tion, la seule chose décente que l’on puisse sou­te­nir, c’est le déman­tè­le­ment du sys­tème dans sa tota­li­té, le déman­tè­le­ment du pou­voir, des sys­tèmes de domi­na­tion, la redis­tri­bu­tion du pou­voir aux gens, leur éman­ci­pa­tion, leur droit de s’organiser eux-mêmes comme bon leur semble, etc.

Nico­las Casaux

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