Le mythe de la représentation et l’imposture des « démocraties » modernes (par Francis Dupuis-Déri)

Ceux que l’on qua­li­fie de « pères fon­da­teurs » des « démo­cra­ties » modernes aux États-Unis et en France, mais aus­si au Cana­da et ailleurs, n’ont jamais pré­ten­du fon­der une démo­cra­tie. Bien au contraire, ils étaient ouver­te­ment et farou­che­ment anti­dé­mo­crates, car ils ne vou­laient pas que le peuple puisse se gou­ver­ner direc­te­ment. Ils étaient en faveur d’une « répu­blique », terme par lequel ils dési­gnaient un régime dans lequel le pou­voir légis­la­tif se trouve entre les mains des par­le­men­taires aux­quels le pou­voir exé­cu­tif — le gou­ver­ne­ment — doit rendre des comptes et, très sou­vent, deman­der d’approuver le bud­get et le choix des ministres. Leur modèle n’était pas Athènes, mais bien Rome, avec son sénat, ses élec­tions et l’absence d’assemblées popu­laires. À Rome, déjà, Quin­tus Cicé­ron expli­quait aux can­di­dats, dans son Petit manuel de cam­pagne élec­to­rale, que l’électorat pré­fère « un men­songe de ta part plu­tôt qu’un refus » et que « ce qui est indis­pen­sable, c’est de connaître le nom des élec­teurs, de savoir les flat­ter, d’être assi­du auprès d’eux, de se mon­trer géné­reux, de soi­gner sa répu­ta­tion et de sus­ci­ter, pour la manière dont on condui­ra les affaires de l’État, de vifs espoirs ». Le par­le­men­ta­risme s’inscrit donc dans une vieille tra­di­tion de l’Antiquité, mais qui n’a rien à voir avec Athènes et sa démo­cra­tie (directe). La caste par­le­men­taire ne com­men­ce­ra à se pré­tendre « démo­crate » et à uti­li­ser le mot « démo­cra­tie » pour par­ler de l’État que deux géné­ra­tions après la fon­da­tion des États-Unis d’Amérique ou de la pre­mière Révo­lu­tion fran­çaise, et aus­si tar­di­ve­ment que vers 1917 au Cana­da. Cette nou­velle ter­mi­no­lo­gie ne s’est accom­pa­gnée d’aucun chan­ge­ment ins­ti­tu­tion­nel venant ren­for­cer la capa­ci­té du peuple de par­ti­ci­per direc­te­ment à la poli­tique. Il s’agissait avant tout d’une stra­té­gie de mar­ke­ting poli­tique en période élec­to­rale : se dire démo­crate per­met­tait de séduire les foules et de se pré­sen­ter comme un vrai défen­seur des inté­rêts du peuple.

[…]

L’expression « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » est donc un oxy­more, une contra­dic­tion logique et poli­tique, une impos­ture. La démo­cra­tie ne peut être que directe, car le peuple ne (se) gou­verne plus dès qu’on se trouve en pré­sence d’un ou plu­sieurs chefs, élus ou non. Trop sou­vent, cette véri­té poli­tique est dis­si­mu­lée par le mythe de la « repré­sen­ta­tion de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire », qui plonge ses racines dans la super­sti­tion mys­tique et reli­gieuse et la pro­pa­gande monar­chiste. Le phi­lo­sophe monar­chiste Tho­mas Hobbes, par exemple, recon­nais­sait au XVIIe siècle que la thèse de la repré­sen­ta­tion poli­tique relève d’une logique reli­gieuse : comme on croit que Dieu parle à tra­vers la voix de ses pro­phètes ou de ses prêtres, on peut pen­ser que le monarque (héré­di­taire ou élu) pense, veut, parle et agit au nom de son peuple. Comme un esprit s’incarne dans un totem ou comme un temple devient la mai­son de Dieu, la « nation sou­ve­raine » s’incarnerait dans un objet (dra­peau) ou dans un lieu (par­le­ment) et s’exprimerait à tra­vers un indi­vi­du (par­le­men­taire, pre­mier ministre ou pré­sident), même si cette com­mu­nau­té poli­tique compte des mil­lions d’individus aux inté­rêts et aux espoirs plu­riels, voire contradictoires.

Au cours de la période trou­blée par la Révo­lu­tion fran­çaise et les manœuvres des contre-révo­lu­tion­naires, cer­tains des pre­miers par­le­men­taires répu­bli­cains ont sou­li­gné publi­que­ment le carac­tère pure­ment illu­soire de la repré­sen­ta­tion poli­tique. C’est le cas d’un répu­bli­cain célèbre, Maxi­mi­lien Robes­pierre, pour qui « c’est seule­ment par fic­tion que la loi est l’expression de la volon­té géné­rale » (je sou­ligne) dans la nou­velle Répu­blique fran­çaise. Quelques années plus tard, le dépu­té Ben­ja­min Constant admet­tait lui aus­si que « l’exercice de la sou­ve­rai­ne­té » du peuple « par la repré­sen­ta­tion » n’est que « fic­tive » et le citoyen n’est « sou­ve­rain qu’en appa­rence » (je sou­ligne). Pierre-Paul Royer-Col­lard, un autre par­le­men­taire de la même époque, évo­quait la « doc­trine magique de la repré­sen­ta­tion », sou­li­gnant que « la repré­sen­ta­tion n’est qu’un pré­ju­gé poli­tique qui ne sou­tient pas l’examen, quoique très répan­du et très accré­di­té. […] [C]ette théo­rie [est] men­son­gère » (je souligne).

C’est donc fort à pro­pos que l’historien Edmund S. Mor­gan, spé­cia­liste du mythe du peuple sou­ve­rain, consta­tait que « [l]e suc­cès du gou­ver­ne­ment néces­site l’acceptation de fic­tions », c’est-à-dire de « [f]aire croire que le roi est divin, faire croire qu’il ne peut pas faire le mal, faire croire que la voix du peuple est la voix de Dieu. Faire croire que les gens ont une voix ou faire croire que les repré­sen­tants du peuple sont le peuple ». Cette repré­sen­ta­tion de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire, en réa­li­té fic­tive, illu­soire et trom­peuse, doit pou­voir s’appuyer sur un rituel sus­cep­tible de nour­rir la convic­tion mys­tique selon laquelle le peuple s’exprime réel­le­ment par la bouche du pre­mier ministre ou de celle des par­le­men­taires. Ce rituel magique, c’est le dépôt solen­nel du bul­le­tin de vote dans l’urne, lieu sacré où les aspi­ra­tions de mil­lions d’individus entrent en fusion pour for­mer la pré­ten­due expres­sion de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire, qu’incarneront ensuite pen­dant quatre ou cinq ans quelques poli­ti­ciens ou poli­ti­ciennes. D’un point de vue anthro­po­lo­gique, on peut par­ler de féti­chisme ou de toté­misme. Le rituel élec­to­ral per­met à quelques indi­vi­dus de pré­tendre repré­sen­ter le peuple ou de pen­ser, vou­loir, par­ler et agir en son nom, comme un fétiche ou un totem incar­ne­rait la volon­té de dieux et de déesses, d’esprits de la nature ou d’ancêtres.

Il s’agit d’un pro­ces­sus mys­tique de consé­cra­tion qui per­met d’affirmer que « l’Australie » ou « le Cana­da » sou­haite ceci ou cela, déclare ceci ou cela, exige cela ou ceci, comme si le pre­mier ministre pou­vait par­ler au nom de l’ensemble du pays (alors qu’à peine 20 % ou 30 % de la popu­la­tion lui ont accor­dé leur suf­frage). Aujourd’hui, des ana­lystes et des jour­na­listes n’hésitent pas à affir­mer que « le peuple a choi­si la sta­bi­li­té » lorsque le par­ti au pou­voir est recon­duit, que « le peuple a choi­si l’équilibre » si les résul­tats sont très ser­rés, ou que « le peuple a choi­si l’alternance » quand un nou­veau par­ti rem­porte l’élection. Dans la fou­lée des élec­tions euro­péennes tenues en mai 2019, un chro­ni­queur a expli­qué au sujet de la France que « le peuple » a choi­si d’élire « quelqu’un qui sort com­plè­te­ment du cadre et qui a l’élite en hor­reur », ce qui expli­que­rait la vic­toire du Ras­sem­ble­ment natio­nal (ex-Front natio­nal), un par­ti natio­na­liste conser­va­teur et réac­tion­naire. Pas­sons sur le fait que ce par­ti existe depuis plus de trente ans sous un nom ou un autre, et que ses diri­geants sont issus des élites du pays, pour sou­li­gner plu­tôt un autre aspect absurde : com­ment peut-on affir­mer que « le peuple a choi­si » (je sou­ligne) un par­ti qui a rem­por­té les élec­tions avec seule­ment 23,3 % des suf­frages, devan­çant de moins d’un point de pour­cen­tage le par­ti du pré­sident Emma­nuel Macron (22,4 %). Les quatre par­tis sui­vants ont récol­té ensemble plus de 35 % des suf­frages. Avec un taux d’abstention de près de 50 %, c’est en réa­li­té 88 % du « peuple » adulte qui n’ont pas voté pour le Ras­sem­ble­ment natio­nal (RN), et donc seule­ment 12 % du « peuple » qui lui ont accor­dé leurs voix. Le par­ti a pour­tant été dési­gné grand gagnant du scru­tin. Ce dis­cours d’illusionniste donne l’impression que l’élection exprime le choix d’une enti­té col­lec­tive uni­fiée et homo­gène — la nation, le peuple, l’électorat — qui décide consciem­ment et ration­nel­le­ment de la répar­ti­tion des suf­frages et de la dis­tri­bu­tion des sièges au par­le­ment, alors qu’il s’agit en réa­li­té du pro­duit des aspi­ra­tions variées et par­fois conflic­tuelles d’une mul­ti­tude d’individus qui prêtent leur voix à un par­ti, pen­dant que leurs voi­sins pré­fèrent res­ter à la mai­son ou aller à la pêche. Le mythe de la « repré­sen­ta­tion » du peuple ou de la nation est pro­fon­dé­ment anti­dé­mo­cra­tique, car il sert à vali­der le pou­voir qu’exercent les par­le­men­taires sur leurs conci­toyens, pré­ten­du­ment en leur nom et pour leur bien.

C’est ain­si que John Adams, pre­mier vice-pré­sident de la répu­blique des États-Unis avant d’en être le deuxième pré­sident, affir­mait que « le peuple » ne sait « ni agir, ni juger, ni pen­ser, ni vou­loir » par et pour lui-même, mais aus­si que « l’assemblée repré­sen­ta­tive […] devrait être un por­trait minia­ture par­fait du peuple dans son ensemble, et devrait pen­ser, sen­tir, rai­son­ner et agir comme lui ». Heu­reu­se­ment, l’idéal de la démo­cra­tie (directe) a aus­si été défen­du au cours de l’histoire, notam­ment par l’Écossais John Oswald, qui a ser­vi dans l’armée bri­tan­nique en Inde avant de rejoindre le camp de la révo­lu­tion en France, où il a par­ti­ci­pé à la prise de la Bas­tille. Bien qu’il soit mort sur le champ de bataille pour défendre la révo­lu­tion, Oswald n’en trou­vait pas moins ridi­cule le prin­cipe de repré­sen­ta­tion poli­tique. Dans un court texte inti­tu­lé « Le gou­ver­ne­ment du peuple », il pré­cise sa pen­sée : « J’avoue que je n’ai jamais pu réflé­chir sur ce sys­tème de repré­sen­ta­tion sans m’étonner de la cré­du­li­té, je dirais presque la stu­pi­di­té avec laquelle l’esprit humain avale les absur­di­tés les plus pal­pables. Si un homme pro­po­sait sérieu­se­ment que la nation pis­sât par pro­cu­ra­tion, on le trai­te­rait de fou ; et cepen­dant pen­ser par pro­cu­ra­tion est une pro­po­si­tion que l’on entend, non seule­ment sans s’étonner, mais qu’on reçoit avec enthousiasme. »

Selon Oswald, la pré­ten­tion des élites répu­bli­caines à « repré­sen­ter » la sou­ve­rai­ne­té de la nation ou la volon­té du peuple n’a rien à envier, en matière de mani­pu­la­tion des esprits, à celle des chefs qui pré­ten­daient tirer leur pou­voir ou leur légi­ti­mi­té de la Lune ou du Soleil. Or, « de toutes les impos­tures de ce genre, la plus plau­sible, et en même temps celle qui réus­sit le mieux, c’est le pré­texte de repré­sen­ter le peuple ». Pour Oswald, il s’agit d’une véri­table super­che­rie, car le peuple n’a plus que le « droit de voter pour se don­ner des maîtres », sous le pré­texte qu’il fau­drait « épar­gner au peuple le soin de se gou­ver­ner lui-même ».

[…]

Le phi­lo­sophe Jean-Jacques Rous­seau savait que « [l]’idée des repré­sen­tants est moderne ; elle nous vient du gou­ver­ne­ment féo­dal ». D’autres phi­lo­sophes aus­si célèbres que Pla­ton et Aris­tote, dans l’Antiquité grecque, ou encore Spi­no­za et Mon­tes­quieu, aux XVIIe et XVIIIe siècles, consi­dé­raient l’élection comme un moyen aris­to­cra­tique de choi­sir des chefs. Selon Rous­seau, il existe au moins trois formes d’aristocratie : l’aristocratie natu­relle issue des talents indi­vi­duels, l’aristocratie héré­di­taire des familles nobles et l’aristocratie élec­tive. En réfé­rence à l’élection des par­le­men­taires anglais, le phi­lo­sophe décla­rait : « Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Par­le­ment ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. » Cette réflexion du phi­lo­sophe était connue dans les débuts de la Répu­blique fran­çaise par des dépu­tés comme Pierre-Louis Roe­de­rer, qui, sous le règne de Napo­léon Bona­parte, a lan­cé cette ques­tion à l’Assemblée nationale :

« Qu’est-ce qu’une aris­to­cra­tie élec­tive ? Il faut le dire, au risque de cau­ser un pro­fond cha­grin aux modernes poli­tiques qui croient avoir inven­té le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, l’aristocratie élec­tive, dont Rous­seau a par­lé il y a cin­quante ans, est ce que nous appe­lons aujourd’hui démo­cra­tie repré­sen­ta­tive […] Et que signi­fie main­te­nant le mot élec­tive, joint au mot aris­to­cra­tie ? Il signi­fie que ce petit nombre de sages, qui sont appe­lés à gou­ver­ner, ne tiennent leur droit que du choix, de la confiance de leurs conci­toyens ; en un mot, d’une élec­tion […]. Aris­to­cra­tie élec­tive, démo­cra­tie repré­sen­ta­tive sont donc une seule et même chose. »

Fran­cis Dupuis-Déri, Nous n’irons plus aux urnes (Lux, 2019).

***

Rous­seau remar­quait par ailleurs qu’un « gou­ver­ne­ment pure­ment démo­cra­tique convient à une petite ville plu­tôt qu’à une nation. On ne sau­rait assem­bler tout le peuple d’un pays comme celui d’une cité et quand l’autorité suprême est confiée à des dépu­tés le gou­ver­ne­ment change et devient aris­to­cra­tique. » Dans Le Contrat social, il notait pareille­ment que la pre­mière condi­tion per­met­tant l’établissement d’un gou­ver­ne­ment démo­cra­tique était « un État très petit, où le peuple soit facile à ras­sem­bler, et où chaque citoyen puisse aisé­ment connaître tous les autres ».

Dans son livre Le Mythe de la machine (1964), Lewis Mum­ford consta­tait la même chose :

« La démo­cra­tie, au sens où j’emploie ici le terme, est néces­sai­re­ment plus active au sein de com­mu­nau­tés et de groupes réduits, dont les membres se ren­contrent face-à-face, inter­agissent libre­ment en tant qu’égaux, et sont connus les uns des autres en tant que per­sonnes : à tous égards, il s’agit du contraire exact des formes ano­nymes, déper­son­na­li­sées, en majeure par­tie invi­sibles de l’association de masse, de la com­mu­ni­ca­tion de masse, de l’organisation de masse. Mais aus­si­tôt que de grands nombres sont impli­qués, la démo­cra­tie doit ou suc­com­ber au contrôle exté­rieur et à la direc­tion cen­tra­li­sée, ou s’embarquer dans la tâche dif­fi­cile de délé­guer l’autorité à une orga­ni­sa­tion coopérative. »

Bien d’autres pen­seurs, à tra­vers l’histoire, ont sou­li­gné com­bien la ques­tion de la taille, de la gran­deur d’une socié­té, était déter­mi­nante sur le plan poli­tique (cette idée se retrouve dans des écrits majeurs au moins depuis Aris­tote et ses Poli­tiques). Il devrait s’agir d’une évi­dence (qu’il n’en soit pas ain­si témoigne sim­ple­ment de la confu­sion mas­sive dans laquelle nous plonge notre endoc­tri­ne­ment civi­li­sé). L’exemple de la démo­cra­tie athé­nienne l’illustre bien. Bien que son carac­tère démo­cra­tique puisse être lar­ge­ment dis­cu­té en rai­son de l’exclusion des femmes et de la pré­sence d’esclaves, si l’on parle de démo­cra­tie, c’est parce que les citoyens se ras­sem­blaient dans l’agora pour éla­bo­rer direc­te­ment les règles qu’ils se don­naient. Ain­si que — par­mi tant d’autres — l’abbé Sieyès le fit remar­quer (en 1798, à l’Assemblée consti­tuante), gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif et démo­cra­tie sont deux choses dif­fé­rentes (voire oppo­sées), et « la France n’est point, ne peut pas être une démo­cra­tie », puisqu’il « est évident que 5 à 6 mil­lions de citoyens actifs, répar­tis sur vingt-cinq mille lieues car­rées, ne peuvent point s’assembler, il est cer­tain qu’ils ne peuvent aspi­rer qu’à une légis­la­ture par repré­sen­ta­tion. Donc les citoyens qui se nomment des repré­sen­tants renoncent et doivent renon­cer à faire eux-mêmes immé­dia­te­ment la loi : donc ils n’ont pas de volon­té par­ti­cu­lière à impo­ser. […] S’ils dic­taient des volon­tés, ce ne serait plus cet État repré­sen­ta­tif ; ce serait un État démocratique. »

Les « pères fon­da­teurs » des États-Unis notaient eux aus­si que la démo­cra­tie, c’était un type d’organisation sociale qui conve­nait uni­que­ment pour des très petites socié­tés humaines. Comme le rap­porte Fran­cis Dupuis-Déri dans un autre excellent livre inti­tu­lé Démo­cra­tie : His­toire poli­tique d’un mot aux États-Unis et en France (Lux, 2012), pour James Madi­son, « dans une démo­cra­tie les gens s’assemblent et exercent le pou­voir en per­sonne ; dans une répu­blique, ils s’assemblent et gou­vernent par le biais de leurs repré­sen­tants. Une démo­cra­tie, consé­quem­ment, ne peut être éta­blie que dans un petit endroit. Une répu­blique peut englo­ber une vaste région. » Un autre « père fon­da­teur », Tho­mas Jef­fer­son, affir­mait lui aus­si que la « démo­cra­tie » est « la seule pure répu­blique, mais qu’elle est impra­ti­cable hors des limites d’un vil­lage ». Un cer­tain Bru­tus remarque, dans un article en date du 18 octobre 1787 dans le New York Jour­nal :

« Dans une démo­cra­tie pure, le peuple est le sou­ve­rain, et il exprime lui-même sa volon­té ; pour cela, le peuple doit se réunir pour déli­bé­rer et déci­der. Cette forme de gou­ver­ne­ment ne peut donc pas exis­ter dans un pays d’une vaste dimen­sion ; il doit être limi­té à une seule cité, ou à tout le moins main­te­nu dans des limites telles qu’il est pos­sible pour le peuple de se ras­sem­bler faci­le­ment, de débattre, de com­prendre le sujet qui lui est sou­mis, et d’exprimer son opinion. »

Fran­cis Dupuis-Déri ajoute qu’en 1801, « paraît à Phi­la­del­phie un texte qui explique que la Consti­tu­tion des États-Unis est fon­dée sur deux prin­cipes, la “fédé­ra­tion des États” et la “démo­cra­tie repré­sen­ta­tive” : “On a conclu avec jus­tesse que la démo­cra­tie pure, ou l’autocratie directe du peuple, n’est pas adap­tée à un grand État […]. Mais la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive peut être adop­tée par un État quelle que soit sa taille, et dans toutes les cir­cons­tances où les hommes sont gui­dés par la raison.” »

La trom­pe­rie, l’a­bus, consis­tait à par­ler de « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » au lieu d’aris­to­cra­tie élec­tive, ain­si que sou­li­gné plus haut.

*

Si nous nous sou­cions de l’égalité et de la liber­té, si nous vou­lons faire socié­té de manière démo­cra­tique, nous devons sor­tir de la socié­té de masse, sor­tir de la civi­li­sa­tion indus­trielle et consti­tuer des petites socié­tés, à taille humaine. & comme la nature est bien faite, il s’agit aus­si d’une condi­tion pour mettre un terme à la des­truc­tion de la nature. L’industrialisme, le mode de vie indus­triel, qui est la prin­ci­pale cause du ravage de la pla­nète, du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, etc., n’est pos­sible que parce que nous vivons dans des socié­tés de masse lar­ge­ment anti-démo­cra­tiques. Autre­ment dit, l’industrialisme a pour condi­tion l’absence de démocratie.

Nico­las Casaux

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