Lettres d’un militant trans repenti (par Davina Anne Gabriel)

Davi­na Anne Gra­briel était un homme qui eut un rôle assez impor­tant dans le milieu du mili­tan­tisme trans pen­dant plu­sieurs décen­nies aux États-Unis (pour en savoir plus sur lui, il est pos­sible de lire ce texte en anglais de la cana­dienne Eva Kuri­lo­va). Au cours de cette période d’activisme tran­si­den­ti­taire, il se disait « femme trans­sexuelle » (ayant subi une opé­ra­tion chi­rur­gi­cale impro­pre­ment dite « de réas­si­gna­tion sexuelle »). Il a notam­ment été le fon­da­teur, le rédac­teur en chef et l’é­di­teur d’une revue inti­tu­lée Trans­Sis­ters : the Jour­nal of Trans­sexual Femi­nism (« Trans­Soeurs : le jour­nal du fémi­nisme trans­sexuel »), publiée entre 1993 et 1995. Il a aus­si aidé à orga­ni­ser des mani­fes­ta­tions, entre 1992 et 1995, contre la poli­tique du Michi­gan Womyn’s Music Fes­ti­val, un fes­ti­val de musique réser­vé aux (vraies) femmes orga­ni­sé chaque année dans le Michi­gan, de 1976 à 2015, date à laquelle les orga­ni­sa­trices ont semble-t-il choi­si d’arrêter le fes­ti­val, sans doute en rai­son de la pres­sion crois­sante qu’exerçaient les mili­tants trans. Autre­ment dit, les mili­tants trans ont fini par réus­sir à détruire un fes­ti­val de musique réser­vé aux femmes ! Quel for­mi­dable suc­cès ! À par­tir de 1994, cette oppo­si­tion (véri­table har­cè­le­ment) tran­si­den­ti­taire contre la poli­tique d’exclusivité femelle du fes­ti­val avait pris la forme d’une sorte de contre-fes­ti­val appe­lé « Camp Trans ». Gabriel est en outre l’inventeur du terme « trans­pho­bie » (c’est en tout cas ce qu’il reven­dique, et ça pour­rait bien être le cas).

En 1996, il a ces­sé de publier la revue Trans­Sis­ters et s’est com­plè­te­ment reti­ré de l’ac­ti­visme trans­genre. À la fin de sa vie, il répu­diait com­plè­te­ment son mili­tan­tisme pas­sé. Au début de l’année 2000, il a envoyé une lettre à un col­lec­tif de les­biennes dans laquelle il explique les rai­sons de son désen­ga­ge­ment du mou­ve­ment trans. Il est mort en 2016 (par sui­cide, d’après cer­taines femmes), en lais­sant une autre lettre der­rière-lui en guise d’adieu. Récem­ment tom­bé sur ces lettres (que l’on peut retrou­ver, en ver­sion ori­gi­nale, ici, pour la pre­mière, et ici, pour la seconde), je me suis per­mis de les tra­duire parce qu’elles me paraissent signi­fi­ca­tives. Si elles contiennent quelques idées mal­adroites ou inexactes, elles disent aus­si beau­coup de vrai. Voi­ci donc. (Dans la pre­mière, j’ai choi­si de gen­rer Gabriel au fémi­nin parce qu’il me semble qu’il l’avait rédi­gée dans cet esprit. Dans la seconde, je l’ai gen­ré au mas­cu­lin. Les rai­sons devraient vous appa­raître au fil de la lecture.)

Nico­las Casaux


I. Lettre au collectif Lesbian Connection

Voi­ci une lettre que je viens d’en­voyer au groupe Les­bian Connec­tion au sujet de la contro­verse « Son of Camp Trans » [« Fils du Camp Trans »]. Je ne sais pas si elle sera publiée ou non, c’est pour­quoi j’ai­me­rais la par­ta­ger avec vous à l’a­vance. N’hé­si­tez pas à la trans­mettre à toute per­sonne que vous juge­rez appropriée.

-Davi­na

27 jan­vier 2000

Chère LC [Les­bian Connection] :

Il s’a­git d’une réponse à la nou­velle contro­verse concer­nant la pré­sence de trans­sexuels au Michi­gan Womyn’s Music Fes­ti­val (Fes­ti­val de musique des femmes du Michi­gan), déclen­chée par le groupe bien nom­mé « Son of Camp Trans ». Cette contro­verse a été ini­tia­le­ment créée par l’ex­pul­sion de Nan­cy Bur­khol­der du fes­ti­val en 1991.

J’ai contri­bué à l’or­ga­ni­sa­tion et par­ti­ci­pé à une série d’ac­tions de pro­tes­ta­tion contre la poli­tique du fes­ti­val qui consis­tait à n’ac­cueillir que des femmes nées femmes [à refu­ser les soi-disant « femmes trans », c’est-à-dire les hommes qui se disent femmes] au cours des quatre années (1992–1995) qui ont sui­vi l’ex­pul­sion de Nan­cy, et j’ai été la seule femme trans­sexuelle à orga­ni­ser et à par­ti­ci­per à ces quatre actions. J’ai éga­le­ment été la fon­da­trice, rédac­trice et édi­trice de Trans­Sis­ters : the Jour­nal of Trans­sexual Femi­nism (« Trans­Soeurs : le jour­nal du fémi­nisme transsexuel »).

Dès le début, notre inten­tion consis­tait à per­sua­der les orga­ni­sa­trices de modi­fier la poli­tique du fes­ti­val afin d’au­to­ri­ser les trans­sexuels hommes-vers-femmes [MTF, male-to-female] post­opé­ra­toires [ayant été opé­rés] — mais pas pré­opé­ra­toires [non-opé­rés] — à y par­ti­ci­per. Si nous deman­dions uni­que­ment l’admission des post­opé­ra­toires, c’est parce que nous pen­sions que la grande majo­ri­té des femmes par­ti­ci­pant au fes­ti­val sou­tien­draient l’in­clu­sion des trans­sexuels hommes-vers-femmes ayant été opé­rés, mais pas pré­opé­ra­toires, et que nous avions l’in­ten­tion de res­pec­ter les sou­haits des femmes pré­sentes. Cette convic­tion a ulté­rieu­re­ment été confir­mée par une enquête que nous avons menée en 1992 et par les nom­breuses dis­cus­sions qui ont eu lieu lors des ate­liers orga­ni­sés dans le cadre du festival.

Si les actions du « Camp Trans » pour faire pres­sion sur le fes­ti­val ont été inter­rom­pues après 1995, c’est prin­ci­pa­le­ment à cause de l’implication de Riki Anne Wil­chins, qui a tout fait pour nous for­cer à exi­ger éga­le­ment l’ad­mis­sion des trans­sexuels MTF pré­opé­ra­toires [non-opé­rés]. Peu après l’ac­tion de 1995, dégoû­tée, je me suis tota­le­ment dés­in­ves­tie du « mou­ve­ment trans­genre », parce que je voyais qu’il s’o­rien­tait de plus en plus dans une direc­tion très hos­tile et bel­li­queuse, en affir­mant par exemple que les femmes qui ne vou­laient pas voir de pénis dans un fes­ti­val réser­vé aux femmes allaient devoir s’y faire, un point c’est tout. En outre, j’a­vais l’im­pres­sion que le fes­ti­val avait adop­té une poli­tique auto­ri­sant de fac­to les femmes trans­sexuelles post­opé­ra­toires [les hommes ayant été opé­rés pour res­sem­bler à des femmes] à assis­ter au fes­ti­val ; même si j’au­rais pré­fé­ré que ce soit la poli­tique offi­cielle du fes­ti­val, j’é­tais prête à me conten­ter d’une poli­tique de fac­to si tel était le prix à payer pour empê­cher les per­sonnes à pénis d’as­sis­ter au fes­ti­val et empê­cher des gens comme Riki d’ex­ploi­ter nos actions.

J’ai été pro­fon­dé­ment attris­tée et trou­blée, mais pas sur­prise, d’ap­prendre que Riki avait fina­le­ment atteint son objec­tif phal­lo­cen­trique d’exposer des pénis à la vue des femmes, objec­tif qu’elle [il, Riki est un homme, comme l’auteur de cette lettre] pré­co­nise et pour lequel elle tra­vaille depuis long­temps. J’y vois la confir­ma­tion que j’a­vais rai­son dans mon éva­lua­tion du « mou­ve­ment trans­genre » lorsque je l’ai aban­don­né, et que j’avais éga­le­ment rai­son d’avoir affir­mé que Riki est pro­fon­dé­ment miso­gyne — une affir­ma­tion qui a été for­te­ment contes­tée au sein du « mou­ve­ment trans­genre ». Les actions de Riki lèvent tout doute sur la véra­ci­té de mon affirmation.

J’ai été rela­ti­ve­ment satis­faite d’ap­prendre que les per­sonnes pré­opé­ra­toires que Riki avait per­sua­dées de s’ex­po­ser au fes­ti­val ont fina­le­ment été per­sua­dées de ne pas reve­nir au fes­ti­val après avoir ren­con­tré Lisa Vogel ; et j’es­père qu’elles ont éga­le­ment réa­li­sé à quel point elles ont été exploi­tées par Riki, qui ne cher­chait qu’à satis­faire son insa­tiable ego.

Plu­sieurs lettres ont qua­li­fié de « trans­pho­bie » le fait de ne pas auto­ri­ser les per­sonnes qui s’i­den­ti­fient comme des femmes à assis­ter au fes­ti­val, ce qui est clai­re­ment dépla­cé. Si je peux me per­mettre de sou­te­nir que cette accu­sa­tion est erro­née avec une telle assu­rance, c’est parce que je suis la per­sonne qui a ini­tia­le­ment inven­té le terme « trans­pho­bia » [trans­pho­bie] en 1989. Je défie qui­conque de trou­ver un usage anté­rieur de ce terme. En inven­tant ce terme, je ne vou­lais cer­tai­ne­ment pas dési­gner le désir de ne pas être contrainte de voir un pénis lors d’un fes­ti­val réser­vé aux femmes.

D’autres femmes ont affir­mé que le pro­ces­sus de décons­truc­tion du genre condui­sait inévi­ta­ble­ment à devoir auto­ri­ser toute per­sonne s’i­den­ti­fiant comme une femme à par­ti­ci­per au fes­ti­val. Ce n’est pas vrai non plus. Une femme a affir­mé dans le numé­ro pré­cé­dent que « la décons­truc­tion du genre signi­fie pré­ci­sé­ment que les gens doivent être res­pon­sables de la reven­di­ca­tion de leur propre iden­ti­té de genre et ne doivent pas comp­ter sur les autres pour la défi­nir à leur place ». Cette affir­ma­tion n’est rien d’autre qu’une bali­verne inté­res­sée. L’ob­jec­tif de tout type de décons­truc­tion­nisme consiste à faire la dis­tinc­tion entre ce qui est socia­le­ment construit et ce qui ne l’est pas ; il ne s’a­git pas de par­ve­nir à n’im­porte quelle conclu­sion arbi­traire, subjective.

J’ai éga­le­ment été très déçue d’ap­prendre le sou­tien appor­té au « Son of Camp Trans » par les Les­bian Aven­gers (« Ven­geuses les­biennes ») ; et j’en suis venue à réa­li­ser qu’il s’a­git sim­ple­ment d’une autre orga­ni­sa­tion qui se pré­oc­cupe davan­tage de par­ti­ci­per à ce vieux jeu absurde du « je-suis-plus-radi­cal-que-toi » que des pré­oc­cu­pa­tions légi­times des femmes du MWMF.

Le fes­ti­val de musique des femmes du Michi­gan a une rai­son par­fai­te­ment légi­time d’ex­clure les trans­sexuels MTF pré­opé­ra­toires (les hommes se disant femmes non-opé­rés). Leur admis­sion ouvri­rait éga­le­ment la porte aux drag-queens et fina­le­ment à toute per­sonne sou­hai­tant être admise. En revanche, per­mettre aux femmes trans­sexuelles post­opé­ra­toires de par­ti­ci­per n’au­rait pas de telles consé­quences. J’es­père que cela devien­dra un jour sa poli­tique offi­cielle. Les actions de groupes tels que « Son of Camp Trans » ne font qu’en­tra­ver cet objectif.

Davi­na Anne Gabriel

27 jan­vier 2000

*

II. Lettre posthume

Si vous lisez ou enten­dez ceci, cela signi­fie que je suis mort. Je tiens à vous remer­cier tous et toutes d’a­voir été mes ami·es et à vous dire que j’ap­pré­cie de vous avoir eu·es comme ami·es dans ma vie. Je regrette beau­coup la peine ou la détresse que cela peut vous cau­ser. Vous avez ren­du ma vie plus riche. J’ap­pré­cie d’avoir eu la chance de vous côtoyer. J’es­père que j’ai éga­le­ment enri­chi votre vie d’une manière ou d’une autre et que j’ai été un bon ami pour vous. Veuillez me par­don­ner pour tout tort que j’au­rais pu cau­ser à l’un·e d’entre vous, ou pour vous avoir offensé·e ou blessé·e. Par la pré­sente, je par­donne tous les torts qui m’ont été cau­sés au cours de ma vie, quelle qu’en soit la gra­vi­té, car je sou­haite n’emporter aucune mau­vaise volon­té envers qui que ce soit dans l’autre vie.

J’es­père que vous gar­de­rez un bon sou­ve­nir de mon ami­tié. Il est impor­tant pour moi que vous vous sou­ve­niez de moi, c’est pour­quoi je vous écris en ce moment. S’il vous plaît, ne vous sou­ve­nez pas de moi pour mon acti­visme en faveur de la cause trans­genre. Si c’est pour cela que l’on se sou­vient de moi, je consi­dé­re­rai que ma vie a été gâchée. Je réfute et répu­die tout cela aujourd’hui, car je n’y crois plus. Le fait est que je méprise le fait d’être un trans­sexuel. Je consi­dère qu’avoir été un trans­sexuel a été une malé­dic­tion pour moi, qui ne m’a appor­té que dou­leur et misère, et m’a empê­ché de réa­li­ser tout mon poten­tiel en tant qu’être humain. Si je pou­vais recom­men­cer, je ne le ferais pas. Je mau­dis le jour où j’ai déci­dé de subir une opé­ra­tion de chan­ge­ment de sexe. Je consi­dère qu’il s’agit de la pire erreur que j’aie jamais com­mise dans ma vie. Mais sur­tout, je mau­dis les fac­teurs sociaux qui m’ont for­cée à le faire en me fai­sant croire que c’é­tait néces­saire. Au lieu de sou­la­ger l’é­norme dou­leur et la souf­france que je res­sen­tais déjà, cela n’a eu pour effet que de mul­ti­plier cette dou­leur et cette souf­france par cent. Et pas seule­ment à cause de la dis­cri­mi­na­tion ou des mau­vais trai­te­ments que j’ai subis à cause de cela. Plu­tôt parce que le simple fait d’être un trans­sexuel m’a empê­ché de vivre une vie vrai­ment satis­fai­sante, en m’o­bli­geant à consa­crer inuti­le­ment d’é­normes quan­ti­tés de temps, d’éner­gie, d’é­mo­tions et de res­sources à une chose qui n’é­tait abso­lu­ment pas néces­saire et qui n’a rien fait pour amé­lio­rer ma vie, mais l’a au contraire ren­due pire à tous points de vue. En outre, je me suis ren­du compte que le trans­sexua­lisme est une illu­sion, un trouble psy­cho­lo­gique et une forme de haine de soi. Au lieu de m’ou­vrir de nou­velles pos­si­bi­li­tés, il a entra­vé ma vie à tous les niveaux et de toutes les manières.

Je me suis ren­du compte que toutes les causes de la dys­pho­rie de genre sont socio­lo­giques et non bio­lo­giques. Cela signi­fie que je ne crois plus que qui­conque se trouve dans le « mau­vais corps » ou soit du « mau­vais sexe ». Le corps dans lequel la nature place les per­sonnes et le sexe qu’elle leur attri­bue sont tou­jours les bons. Tous les sen­ti­ments d’être dans le « mau­vais corps » ou d’être du « mau­vais sexe » sont cau­sés par des fac­teurs socio­lo­giques, en par­ti­cu­lier la manière dont le sexe et la sexua­li­té sont socia­le­ment construits dans cette socié­té. C’est uni­que­ment parce que les gens inté­rio­risent ces construc­tions sociales qu’ils res­sentent un conflit entre leur esprit et leur corps. Le fait est qu’il n’y a pas de qua­li­tés internes, de traits, de carac­té­ris­tiques ou de types de sen­ti­ments ou de pen­sées qui soient intrin­sè­que­ment oppo­sés au fait d’être un homme ou une femme ; c’est seule­ment la socié­té elle-même qui donne aux gens l’im­pres­sion du contraire. Per­sonne n’a réel­le­ment besoin de chan­ger de sexe. Tout le monde est déjà dans le bon corps et dans le bon sexe. L’idée selon laquelle nous pour­rions être dans le « mau­vais corps » ou du « mau­vais sexe » est une illu­sion. Mal­heu­reu­se­ment pour moi, je m’en suis ren­du compte trop tard. S’il y a une chose dans ma vie que je pou­vais chan­ger en reve­nant dans le pas­sé, ce serait ma déci­sion de subir une opé­ra­tion de chan­ge­ment de sexe. Je consi­dère que cette déci­sion a été le far­deau de mon exis­tence. J’es­père qu’un jour l’espèce humaine sera plus éclai­rée et qu’elle se ren­dra compte que per­sonne n’est dans le mau­vais corps, que per­sonne n’est du mau­vais sexe, que per­sonne ne doit chan­ger de sexe pour être son « vrai soi », et que la malé­dic­tion de la dys­pho­rie de genre ces­se­ra d’exister.

Je regrette éga­le­ment tout mon acti­visme au nom des causes trans­genres, parce que je regrette d’a­voir fait quoi que ce soit pour encou­ra­ger quel­qu’un à suivre la même voie erro­née que moi. Les per­sonnes trans­genres s’illusionnent en s’imaginant gagner en auto­no­mie grâce à la pos­si­bi­li­té de chan­ger de sexe ou en déstig­ma­ti­sant la dys­pho­rie de genre. Le fait est que la dys­pho­rie de genre consti­tue la forme la plus extrême de malaise vis-à-vis de soi-même, une forme pro­fonde de mal-être, et qu’elle repose sur une hypo­thèse de dua­lisme corps/esprit qui n’est étayée ni par la science ni par la phi­lo­so­phie. En outre, il s’a­git d’une forme de haine de soi, parce qu’il s’a­git d’une haine de son sexe bio­lo­gique natu­rel, qui ne peut pas réel­le­ment être en conflit avec un trait de carac­tère interne ou un type de pen­sées ou de sen­ti­ments. Dans tous les autres cas, la haine d’une par­tie intrin­sèque et natu­relle de soi-même est recon­nue comme une forme de haine de soi, mais lors­qu’il s’a­git de la haine de son propre sexe bio­lo­gique natu­rel, nous sommes convain­cus qu’il ne s’a­git pas d’une forme de haine de soi. Pour­tant, c’en est une. C’est aus­si un trouble psy­cho­lo­gique et un défaut de carac­tère qui devrait être trai­té par des moyens psy­cho­lo­giques. Les per­sonnes trans­genres ne pour­ront gagner en épa­nouis­se­ment que si elles par­viennent à com­prendre les forces socio­lo­giques qui les ont ame­nées à haïr leur sexe bio­lo­gique natu­rel et à éprou­ver une dys­pho­rie de genre, et si elles com­mencent à tra­vailler pour chan­ger la socié­té qui les a ame­nées à res­sen­tir ce conflit interne.

Sou­ve­nez-vous plu­tôt des choses dont je suis fier. Sou­ve­nez-vous de moi comme d’un intel­lec­tuel, d’un éru­dit et d’un bohé­mien. Sou­ve­nez-vous de moi pour mes réa­li­sa­tions intel­lec­tuelles, le fait que j’ai été un étu­diant en doc­to­rat, très près de l’ob­te­nir ! Sou­ve­nez-vous de ma pas­sion pour l’ap­pren­tis­sage et de mon inté­gri­té intel­lec­tuelle. Sou­ve­nez-vous de moi pour la com­plexi­té de ma pen­sée et pour ma capa­ci­té à per­ce­voir et à appré­cier la sub­ti­li­té et la nuance. Sou­ve­nez-vous de moi pour ma vaste connais­sance d’une grande varié­té de sujets, y com­pris la socio­lo­gie, la psy­cho­lo­gie, l’his­toire, la reli­gion, la lit­té­ra­ture, l’art, la phi­lo­so­phie, la théo­lo­gie, la musique popu­laire et la culture popu­laire. Sou­ve­nez-vous de mon amour pas­sion­nel de la musique, de l’art et de la lit­té­ra­ture, de mon amour pour Dos­toïevs­ki, que j’ai com­men­cé à lire à l’âge de qua­torze ans, mais aus­si pour Sha­kes­peare, Charles Dickens, les sœurs Bronte, Aldous Hux­ley, Allen Gins­berg, Robert Burns, Ralph Wal­do Emer­son, Simone de Beau­voir, William Blake et un grand nombre d’autres auteurs, autrices et poètes. Sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui aimait lire des ouvrages uni­ver­si­taires dif­fi­ciles et denses parce que j’ap­pré­ciais le défi.

Sou­ve­nez-vous de moi pour mon indi­vi­dua­li­té et mon anti­con­for­misme. Sou­ve­nez-vous de moi pour mon amour pas­sion­né des Beatles, et pour être tou­jours un Beat­le­ma­niaque 50 ans après. Sou­ve­nez-vous de moi pour avoir orga­ni­sé une marche aux chan­delles et une com­mé­mo­ra­tion pour John Len­non le jour du pre­mier anni­ver­saire de sa mort. Sou­ve­nez-vous de moi pour avoir été un hip­pie depuis l’âge de qua­torze ans et pour être res­té fidèle à mes idéaux hip­pies pen­dant tout ce temps, même si cer­taines de mes convic­tions se sont atté­nuées au cours de cette période. Sou­ve­nez-vous de moi pour mon amour de la contre-culture des années 1960, pour ma défense des drogues psy­ché­dé­liques et mon affec­tion pour la mari­jua­na. Sou­ve­nez-vous de moi pour mon amour de la nature et pour mon inté­rêt pas­sion­né pour le mys­ti­cisme. Sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui a vécu des choses inha­bi­tuelles, exo­tiques et bizarres. Sou­ve­nez-vous de moi pour mon mépris de ce qui est ordi­naire, nor­mal, ennuyeux ou confor­miste. Sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui aimait les ani­maux, sur­tout les chats, et plus par­ti­cu­liè­re­ment les chats noirs.

Sou­ve­nez-vous de moi pour mon dévoue­ment pas­sion­né aux causes sociales et pour le fait que je n’ai jamais sui­vi la ligne d’un par­ti idéo­lo­gique, même celle éla­bo­rée par des causes que je sou­tiens en prin­cipe. Sou­ve­nez-vous de moi pour mon dévoue­ment au fémi­nisme de la deuxième vague et pour m’être éle­vée contre la ver­sion édul­co­rée et abru­tie du fémi­nisme qui se qua­li­fie lui-même de « troi­sième vague ». Sou­ve­nez-vous de moi pour ma haine de toutes les choses qui oppriment les femmes, comme la por­no­gra­phie, la pros­ti­tu­tion, l’hy­per­sexua­li­sa­tion, l’ob­jec­ti­fi­ca­tion sexuelle et les rôles de genre. Sou­ve­nez-vous de moi pour avoir été ouver­te­ment néo-païen dans un sémi­naire chré­tien pen­dant quatre ans, et pour avoir contes­té toutes les affir­ma­tions de pri­mau­té chré­tienne ou de déni­gre­ment des païens que j’ai affron­tées pen­dant cette période. Sou­ve­nez-vous de mon dévoue­ment envers l’u­ni­ver­sa­lisme uni­taire et le plu­ra­lisme religieux.

Sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui ne sup­por­tait pas les imbé­ciles, qui détes­tait toutes les formes de pré­ten­tion, d’ar­ro­gance, d’hy­po­cri­sie, de super­fi­cia­li­té, de faus­se­té, d’hy­po­cri­sie et de dilet­tan­tisme. Sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui s’est tou­jours effor­cé d’at­teindre l’ex­cel­lence dans tout ce que je fai­sais, qui croyait que tout ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être bien fait. Sou­ve­nez-vous de moi pour ma haine du foot­ball et de toutes les choses vul­gaires qui cor­rompent notre socié­té et atro­phient notre qua­li­té de vie à tous, et pour avoir ouver­te­ment expri­mé cette haine, quelles qu’en soient les consé­quences. Sou­ve­nez-vous de moi pour ma pro­pen­sion à juger les choses en fonc­tion de leurs mérites propres, et non pas en fonc­tion de leurs cohé­rences avec quelque idéo­lo­gie ou ligne de par­ti. Sou­ve­nez-vous de moi pour ma volon­té de chan­ger mes croyances lorsque je les décou­vrais erro­nées, pour ma volon­té d’ad­mettre que j’a­vais tort, même lorsque cela remet­tait en ques­tion quelque chose que je croyais pas­sion­né­ment. Sou­ve­nez-vous de moi pour mon ima­gi­na­tion, ma créa­ti­vi­té, mon indi­vi­dua­li­té et mon cou­rage, ma volon­té de dire ce que je pense, même lorsque cela m’a valu d’être vili­pen­dé. Sou­ve­nez-vous de moi comme d’une per­sonne qui a essayé de vivre aus­si pas­sion­né­ment que pos­sible et qui a défen­du ses convic­tions. Sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui a endu­ré énor­mé­ment d’ad­ver­si­té tout au long de sa vie, mais qui a lut­té vaillam­ment contre toutes les cir­cons­tances qui l’ont oppri­mé et l’ont empê­ché de réa­li­ser son plein poten­tiel. Sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui a consa­cré sa vie à essayer de vivre libre, quitte à mou­rir en cours de route. Mais sur­tout, sou­ve­nez-vous de moi comme de quel­qu’un qui n’a jamais aban­don­né sa quête de véri­té ou accep­té une illu­sion confor­table en lieu et place de la vérité.

Davi­na Anne Gabriel
4 jan­vier 2016

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1 comment
  1. C’est une excel­lente idée de tra­duire et de publier ces deux textes lim­pides, rigou­reux et émou­vants. Ils disent à peu près tout ce qu’on peut dire d’in­tel­li­gent et de sen­sible sur ce sujet. Merci.

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