Non, le sexe n’est pas un spectre (par Colin Wright)

Tra­duc­tion d’un article de Colin Wright, bio­lo­giste de l’é­vo­lu­tion, ini­tia­le­ment paru (en anglais) sur son site inter­net, le 1er février 2021.


De plus en plus de per­sonnes se disent « trans » ou « non-binaires » et remettent en ques­tion des réa­li­tés bio­lo­giques élé­men­taires, encou­ra­gées en cela par des acti­vistes qui pré­tendent que la per­cep­tion com­mune des hommes et des femmes en tant qu’en­ti­tés bio­lo­giques réelles est obso­lète. Cer­tains affirment qu’il n’existe ni mâles ni femelles (ni hommes ni femmes), mais uni­que­ment des degrés variables de « mas­cu­li­ni­té » et de « fémi­ni­té ». Ils en concluent que la ségré­ga­tion d’un espace ou d’un sport basée sur une caté­go­ri­sa­tion binaire du sexe est illé­gi­time, étant don­né que si aucune ligne claire ne peut être tra­cée, qui peut affir­mer qu’un pré­ten­du « homme » n’est pas plu­tôt une femme ? Beau­coup vont même jus­qu’à pré­tendre que nous devrions lais­ser les gens déci­der eux-mêmes de leur sexe, comme s’il s’a­gis­sait d’une ques­tion de choix personnel.

L’i­dée selon laquelle le sexe serait un spectre n’est plus confi­née aux élu­cu­bra­tions d’universitaires des sciences humaines et à des com­mu­nau­tés her­mé­tiques de l’Internet. Elle a fait une per­cée consi­dé­rable dans la culture domi­nante, notam­ment grâce à un envi­ron­ne­ment média­tique très favo­rable. Même des revues scien­ti­fiques pres­ti­gieuses comme Nature ont don­né la parole à des auteurs qui affirment que « l’i­dée qu’il n’existe que deux sexes est sim­pliste » et que « les bio­lo­gistes pensent main­te­nant qu’il existe un spectre plus vaste que cela ». Un autre édi­to­rial de Nature pro­clame que les ten­ta­tives de clas­si­fier le sexe d’un indi­vi­du au moyen de l’anatomie et de la géné­tique « n’ont aucun fon­de­ment scien­ti­fique ». Un livre récem­ment paru, inti­tu­lé The Spec­trum of Sex : The Science of Male, Female, and Inter­sex (« Le spectre du sexe : la science du mâle, de la femelle et de l’intersexualité »), défend cette posi­tion de bout en bout. Son édi­teur, une mai­son d’édition uni­ver­si­taire cana­dienne, déclare triom­pha­le­ment que « ce guide trans­for­ma­teur détruit com­plè­te­ment notre com­pré­hen­sion actuelle du sexe biologique ».

En février 2020, j’ai cosi­gné un édi­to­rial du Wall Street Jour­nal sur ce sujet, inti­tu­lé The Dan­ge­rous Denial of Sex (« Le dan­ge­reux déni du sexe »). Avec ma coau­teure, la bio­lo­giste du déve­lop­pe­ment Emma Hil­ton, nous y met­tions en lumière les dan­gers que la repré­sen­ta­tion pseu­dos­cien­ti­fique spec­trale du sexe posait pour les groupes vul­né­rables, notam­ment les enfants, les femmes, les gays et les les­biennes. Étant don­né que nous étions limi­tés par le for­mat d’un édi­to­rial de jour­nal, Hil­ton et moi-même ne pou­vions pas dis­cu­ter en détail de la science réelle du sexe bio­lo­gique et expo­ser le carac­tère pseu­dos­cien­ti­fique de l’i­déo­lo­gie du spectre sexuel. Tel est ce que cet essai se pro­pose de faire.

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Deux prin­ci­paux argu­ments sont géné­ra­le­ment avan­cés pour défendre l’i­dée selon laquelle le sexe serait un attri­but non binaire exis­tant sur un « spectre ». Le pre­mier se fonde sur l’exis­tence de l’in­ter­sexua­li­té, c’est-à-dire de per­sonnes pré­sen­tant des carac­tères sexuels inter­mé­diaires ou indé­ter­mi­nés. Selon cet argu­ment, le sexe ne sau­rait être binaire étant don­né que cer­tains indi­vi­dus pos­sèdent une ana­to­mie sexuelle qui semble se situer quelque part entre l’homme et la femme. Cet argu­ment est fré­quem­ment illus­tré par des figures repré­sen­tant les types d’in­ter­sexua­li­té le long d’un axe conti­nu allant de « femme typique » à « homme typique » — comme ce dia­gramme très par­ta­gé, tiré d’un article du Scien­ti­fic Ame­ri­can paru en 2017 et inti­tu­lé « Visua­li­ser le sexe comme un spectre ».

Le second argu­ment géné­ra­le­ment avan­cé afin de défendre la théo­rie du spectre sexuel repose sur les organes et carac­tères sexuels secon­daires. Les organes sexuels secon­daires com­prennent tous les élé­ments de notre ana­to­mie repro­duc­tive, à l’ex­cep­tion des gonades, qui sont les organes sexuels pri­maires. Les carac­tères sexuels secon­daires, quant à eux, sont des élé­ments ana­to­miques liés au sexe qui se dif­fé­ren­cient au cours de la puber­té, comme l’aug­men­ta­tion du volume des seins et l’é­lar­gis­se­ment des hanches chez les femmes, et la pilo­si­té faciale, la voix grave, la mus­cu­la­ture et les épaules plus larges chez les hommes. Et comme la dis­tri­bu­tion de ces carac­tères sexuels secon­daires n’est pas par­fai­te­ment hété­ro­gène entre hommes et femmes, puisque les carac­tères sexuels secon­daires des hommes et des femmes se recoupent par­tiel­le­ment, l’on nous dit que nous devrions consi­dé­rer le sexe bio­lo­gique comme un continuum.

Cette façon de conce­voir le sexe bio­lo­gique est aujourd’­hui fré­quem­ment pré­sen­tée aux enfants à l’é­cole à l’aide d’illustrations comme celle de la Per­sonne Gin­genre (ci-des­sous). Dans la case vio­lette inti­tu­lée « sexe bio­lo­gique », vous remar­que­rez que les termes « homme » et « femme » ne sont pas uti­li­sés. Au lieu de cela, des termes sug­gé­rant que le sexe consti­tue­rait un conti­nuum — « mas­cu­li­ni­té » et « fémi­ni­té » — sont choi­sis. Nombre des traits pré­sen­tés comme indi­ca­tifs du degré de mas­cu­li­ni­té et de fémi­ni­té d’une per­sonne sont des organes et des carac­tères sexuels secon­daires : mor­pho­lo­gie des organes géni­taux, forme du corps, ton de la voix et pilo­si­té. Les organes sexuels pri­maires (gonades, c’est-à-dire les ovaires et les tes­ti­cules, res­pec­ti­ve­ment pour les femmes et les hommes) ou les fonc­tions typiques asso­ciées au sexe, comme les mens­trua­tions chez les femmes et l’é­ja­cu­la­tion chez les hommes, sont mani­fes­te­ment absents de ce tableau. De même, aucune men­tion des ovules ou des sper­ma­to­zoïdes (pro­duits res­pec­ti­ve­ment par les ovaires et les tes­ti­cules). Ces deux argu­ments — le pre­mier fon­dé sur les types d’intersexuation et le second sur les organes/caractères sexuels secon­daires — découlent de mal­en­ten­dus fon­da­men­taux sur la nature du sexe bio­lo­gique, qui est liée au type de gamètes (cel­lules sexuelles) qu’un orga­nisme pro­duit. D’une manière géné­rale, les mâles (les hommes) cor­res­pondent au sexe qui pro­duit les petits gamètes (sper­ma­to­zoïdes) et les femelles à celui qui pro­duit les gros gamètes (ovules). Il n’existe pas de gamètes inter­mé­diaires — pas de troi­sième type de gamètes —, c’est pour­quoi le sexe n’est pas un « spectre ». Le sexe bio­lo­gique, chez l’être humain, est un sys­tème binaire.

Il est tou­te­fois essen­tiel de noter que le sexe des indi­vi­dus au sein d’une espèce ne se fonde pas sur leur apti­tude effec­tive à pro­duire cer­tains gamètes à un moment don­né. Les mâles (hommes) pré­pu­bères ne pro­duisent pas de sper­ma­to­zoïdes et cer­tains adultes des deux sexes ne pro­duisent jamais de gamètes en rai­son de divers pro­blèmes d’in­fer­ti­li­té. Pour­tant, il serait incor­rect de dire que ces per­sonnes ne pos­sèdent pas de sexe dis­cer­nable, puisque le sexe bio­lo­gique d’un indi­vi­du cor­res­pond à l’un des deux types d’a­na­to­mie repro­duc­tive évo­luée (ovaires ou tes­ti­cules) qui se déve­loppent en vue de pro­duire du sperme ou des ovules, indé­pen­dam­ment de leur effec­ti­vi­té pas­sée, pré­sente ou future. Chez les humains — et les per­sonnes dites « trans­genres » ou « non binaires » ne font pas excep­tion — l’anatomie repro­duc­tive est incon­tes­ta­ble­ment mâle ou femelle dans 99,98 % des cas.

La dis­tinc­tion binaire entre ovaires et tes­ti­cules comme cri­tère déter­mi­nant le sexe d’un indi­vi­du n’est ni arbi­traire ni propre aux humains. La fonc­tion évo­lu­tive des ovaires et des tes­ti­cules consiste à pro­duire res­pec­ti­ve­ment des ovules ou des sper­ma­to­zoïdes, qui se com­binent dans le cadre de la repro­duc­tion sexuée. Si cela ne se pro­dui­sait pas, il n’y aurait pas d’êtres humains. Si ces connais­sances étaient pro­ba­ble­ment consi­dé­rées comme avant-gar­distes dans les années 1660, il est étrange que nous les consi­dé­rions sou­dai­ne­ment comme contro­ver­sées en 2020.

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Dans 99,98 % des cas et non pas dans 100 % en rai­son des quelque 0,02 % de per­sonnes inter­sexuées. (Le chiffre réel est esti­mé à envi­ron 0,018 %.) Quoi qu’il en soit, ceux qui sou­tiennent que l’existence des inter­sexua­tions ava­lise la théo­rie du sexe spec­trale confondent deux idées : celle selon laquelle « il n’existe que deux sexes » (qui est exacte) et celle selon laquelle « n’importe quel être humain peut être caté­go­ri­sé sans ambi­guï­té comme étant un homme ou une femme » (qui est fausse). L’exis­tence de seule­ment deux sexes ne signi­fie pas que le sexe n’est jamais ambi­gu. Mais les per­sonnes inter­sexuées ne prouvent pas que le sexe est un spectre. Ce n’est pas parce que le sexe peut être ambi­gu pour cer­tains qu’il est ambi­gu (et, comme cer­tains com­men­ta­teurs l’ex­tra­polent, arbi­traire) pour tous.

Ima­gi­nons que nous jouions à pile ou face pour choi­sir entre deux alter­na­tives. Une pièce de mon­naie pos­sède deux faces. Mais une pièce de mon­naie pos­sède éga­le­ment une tranche, et lors d’un lan­cer sur 6 000 (0,0166 %) (avec une pièce de 5 cents), envi­ron, c’est sur elle que la pièce retombe. Il s’agit à peu près de la chance qu’un être humain a de naître avec un trouble du déve­lop­pe­ment sexuel (autre appel­la­tion de l’intersexuation). Presque tous les lan­cers de pièces de mon­naie retombent soit sur pile soit sur face — et ces deux pos­si­bi­li­tés, pile et face, n’existent pas en degrés ou en mélanges, ou sur un spectre. Pile et face sont des résul­tats qua­li­ta­ti­ve­ment dif­fé­rents et mutuel­le­ment exclu­sifs. L’exis­tence d’occurrences lors des­quelles la pièce retombe sur sa tranche ne change rien à cet état de fait. Pile et face, mal­gré l’exis­tence de la tranche, demeurent des issues irréductibles.

De la même manière, le résul­tat du déve­lop­pe­ment sexuel chez les êtres humains est presque tou­jours sans ambi­guï­té mâle ou femelle. Le déve­lop­pe­ment des ovaires et celui des tes­ti­cules, et donc des femelles (ou femmes) et des mâles (ou hommes), sont éga­le­ment des résul­tats qua­li­ta­ti­ve­ment dif­fé­rents qui, pour l’immense majo­ri­té des humains, s’ex­cluent mutuel­le­ment et ne se pré­sentent pas sous forme de mélanges ou de degrés. Mâles (ou hommes) et femelles (ou femmes), mal­gré l’exis­tence de dif­fé­rentes formes d’intersexuation, demeurent des issues irréductibles.

L’exis­tence de l’intersexualité est sou­vent évo­quée pour ten­ter de brouiller la fron­tière entre homme et femme par celles et ceux qui plaident en faveur de l’in­clu­sion des « femmes trans » dans les sports fémi­nins et dans d’autres contextes. Mais le trans­gen­risme n’a abso­lu­ment rien à voir avec l’in­ter­sexua­li­té. L’immense majo­ri­té des per­sonnes qui reven­diquent une iden­ti­té trans ou non binaire ne sont pas atteintes par une forme d’intersexuation, leur sexua­tion n’est pas ambigüe. Ce sont les organes sexuels pri­maires, et non l’i­den­ti­té, qui déter­minent le sexe d’une personne.

Par ailleurs, le prin­ci­pal défaut de l’ar­gu­ment fon­dé sur les organes/caractères sexuels secon­daires est qu’il confond cause et effet. Sou­ve­nez-vous, les carac­tères sexuels secon­daires sont des élé­ments ana­to­miques qui se dif­fé­ren­cient pen­dant la puber­té. Chez les femmes, elles com­prennent (entre autres) le déve­lop­pe­ment des seins, des hanches plus larges et une ten­dance à sto­cker la graisse autour des hanches et des fesses. Chez les hommes, les carac­tères sexuels secon­daires com­prennent une voix plus grave, une taille moyenne plus éle­vée, une pilo­si­té faciale, des épaules plus larges, une mus­cu­la­ture accrue et une graisse davan­tage répar­tie autour de l’ab­do­men. Cepen­dant, ces carac­tères sexuels secon­daires — bien qu’é­vi­dents et indis­so­ciables de la façon dont la plu­part des gens per­çoivent les hommes et les femmes —, ne défi­nissent pas réel­le­ment le sexe bio­lo­gique d’une per­sonne. Au contraire, ces carac­tères se déve­loppent géné­ra­le­ment à cause du sexe de l’individu, en consé­quence de dif­fé­rences hor­mo­nales pro­duites par les tes­ti­cules ou les ovaires pen­dant la puberté.

Les dif­fé­rentes tra­jec­toires déve­lop­pe­men­tales des mâles (ou hommes) et des femelles (ou femmes) sont elles-mêmes le pro­duit de mil­lions d’an­nées de sélec­tion natu­relle, puisque les carac­tères sexuels secon­daires contri­buent dif­fé­rem­ment à l’adaptabilité évo­lu­tive des mâles (ou hommes) et des femelles (ou femmes). Les femelles aux hanches plus étroites avaient plus de mal à mettre au monde des enfants à grosse tête, et celles aux hanches plus larges avaient donc un avan­tage évo­lu­tif. Ce n’é­tait pas le cas pour les mâles, ce qui explique en par­tie pour­quoi leurs corps ont ten­dance à être dif­fé­rents. Mais cela ne signi­fie pas que les hanches d’une per­sonne — ou n’im­porte quel autre carac­tère sexuel secon­daire, y com­pris la barbe et les seins — défi­nissent son sexe bio­lo­gi­que­ment. Ces carac­tères, bien qu’ayant évo­lué sous l’ef­fet de pres­sions de sélec­tion propres à chaque sexe, ne per­mettent aucu­ne­ment de défi­nir le sexe bio­lo­gique d’une personne.

Les ana­lo­gies peuvent aider, alors per­met­tez-moi de vous en pro­po­ser une autre. Les motards conduisent des motos et les cyclistes des vélos. Si ces deux véhi­cules pré­sentent de nom­breuses simi­li­tudes (deux roues, un gui­don, une selle, des rayons, etc.), ils dif­fèrent au moins sur un point fon­da­men­tal. Les motos sont pro­pul­sées par des moteurs et du car­bu­rant, tan­dis que les vélos sont pro­pul­sés par des jambes qui pédalent. Le seul cri­tère per­met­tant de déter­mi­ner si un indi­vi­du est un motard ou un cycliste consiste à savoir s’il conduit une moto ou un vélo. Il s’a­git de la prin­ci­pale carac­té­ris­tique défi­ni­tion­nelle des motards et des cyclistes. Cepen­dant, il existe éga­le­ment de nom­breux carac­tères secon­daires asso­ciés aux motards et aux cyclistes. Les motards, par exemple, sont plus sus­cep­tibles de por­ter des vestes en cuir, des jeans et des ban­da­nas. Les cyclistes sont plus sus­cep­tibles de por­ter de l’élasthanne mou­lant. Les motards portent des casques lourds qui pro­tègent toute la tête et com­prennent un écran. Les cyclistes portent géné­ra­le­ment des casques légers ne recou­vrant que le des­sus de leur tête.

Bon nombre des carac­tères secon­daires des motards et des cyclistes ne sont pas arbi­traires ou for­tuits. À l’ins­tar des carac­tères sexuels secon­daires des hommes et des femmes, nous pou­vons rat­ta­cher l’u­ti­li­té des carac­tères secon­daires des motards et des cyclistes à leurs carac­tères pri­maires. Les motards portent des habits résis­tants parce qu’ils se déplacent à des vitesses plus éle­vées. Ils ont donc besoin de vête­ments de pro­tec­tion en cas d’ac­ci­dent et afin d’atténuer le refroi­dis­se­ment éolien. En ce qui les concerne, les cyclistes déploient un effort phy­sique consi­dé­rable en péda­lant. Ils doivent mettre en mou­ve­ment leur propre poids ain­si que celui de leur véhi­cule, ce qui requiert des vête­ments et des équi­pe­ments de pro­tec­tion plus légers, res­pi­rants et coupe-vent. Et vu qu’ils se déplacent plus len­te­ment, les acci­dents poten­tiels aux­quels ils sont confron­tés sont moins vio­lents. Là encore, le choix d’un équi­pe­ment de pro­tec­tion plus léger se jus­ti­fie donc.

Cela étant, un indi­vi­du condui­sant une moto, mais habillé d’une com­bi­nai­son en élas­thanne et por­tant un casque léger ne devient pas un cycliste (ni moins un motard) pour la rai­son qu’il par­tage ces carac­tères secon­daires com­mu­né­ment asso­ciés aux cyclistes. Inver­se­ment, un indi­vi­du à vélo, mais affu­blé d’un jean et d’une veste en cuir ne devient pas un motard (ni moins un cycliste) parce qu’il par­tage ces traits secon­daires typiques des motards. De la même manière que ces traits secon­daires ne consti­tuent pas ce qui défi­nit un motard ou un cycliste, les carac­tères sexuels secon­daires ne consti­tuent pas ce qui per­met de déter­mi­ner si un indi­vi­du est homme ou femme.

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Mais la bio­lo­gie étant com­plexe, les gens se laissent faci­le­ment influen­cer par des gra­phiques et des des­sins, sur­tout lors­qu’ils visent à prou­ver ce qu’ils avaient envie de croire de toute façon — comme l’idée pré­ten­du­ment éman­ci­pa­trice selon laquelle le sexe serait un spectre plu­tôt qu’un sys­tème binaire.

Le concept de spectre implique un axe quan­ti­ta­tif et conduit, lors­qu’il est pris au sérieux, à des conclu­sions pré­ju­di­ciables. Une repré­sen­ta­tion gra­phique par­ti­cu­liè­re­ment popu­laire repré­sente le sexe comme une dis­tri­bu­tion bimo­dale simple, avec deux maxi­ma repré­sen­tant la mas­cu­li­ni­té et la fémi­ni­té, autour des­quels la plu­part des gens se situent. Un tweet viral de l’u­ti­li­sa­teur de Twit­ter @ScienceVet2, qui compte main­te­nant plus de 17 000 ret­weets, pro­meut ce modèle du spectre sexuel bimo­dal à l’aide d’une figure simi­laire à celle ci-dessous.

On com­prend faci­le­ment l’engouement pour ce type de repré­sen­ta­tion : elle étaye à notre intui­tion selon laquelle la plu­part d’entre nous se ras­semblent autour de deux pôles, mâles (hommes) et femelles (femmes), tout en sug­gé­rant qu’il existe un vaste conti­nuum entre ces deux caté­go­ries. On sup­pose que l’on pour­rait même pro­cé­der à diverses mesures afin de déter­mi­ner exac­te­ment où nous nous situons sur ce spectre.

Encore une fois, tout cela semble très pro­gres­siste en théo­rie. Mais en pra­tique, les consé­quences de cette repré­sen­ta­tion sont régres­sives, étant don­né que les cri­tères de la mas­cu­li­ni­té et de la fémi­ni­té invo­qués par les sec­ta­teurs de la figu­ra­tion spec­trale du sexe seront néces­sai­re­ment des sté­réo­types sexistes, que nos grands-parents auraient recon­nus comme tels.

Dans la figure adap­tée ci-des­sous, le mâle A est-il « plus » mâle que le mâle B ? La femelle D est-elle « plus » femelle que la femelle C ? Pen­dant des décen­nies, nous avons à juste titre ensei­gné à nos enfants que ce type de logique était insul­tant et nui­sible — qu’une fille aux traits mas­cu­lins était tout autant une fille que son amie dont le phy­sique cor­res­pon­dait davan­tage au sté­réo­type fémi­nin. Que l’axe des abs­cisses de la figure serve à éva­luer la mor­pho­lo­gie des organes géni­taux ou un amal­game de traits ou de com­por­te­ments sexuels secon­daires, le dia­gramme sug­gère tou­jours que les hommes grands, agres­sifs, avec une barbe épaisse, une voix grave, un gros pénis et un taux de tes­to­sté­rone éle­vé sont « plus » mas­cu­lins, plus hommes, que les hommes petits, avec une per­son­na­li­té plus douce, répon­dant à la des­crip­tion inverse. De la même manière, les femmes ayant des seins plus gros, un rap­port taille-hanche plus « fémi­nin » et une pilo­si­té plus faible seraient consi­dé­rées comme « plus » fémi­nines, plus femmes, que les femmes aux petits seins, moins gal­bées et plus poilues.

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Si cette pers­pec­tive du spectre sexuel vous semble ter­ri­ble­ment simi­laire à celle d’une brute de cour de récréa­tion, c’est parce que tel est effec­ti­ve­ment le cas. Ima­gi­nez le scé­na­rio sui­vant : James, 16 ans, est un gar­çon très effé­mi­né. Au lycée, il est vic­time d’un har­cè­le­ment inces­sant en rai­son de son appa­rence et de ses manières fémi­nines. Ses cama­rades de classe le taquinent : « Quoi, tu es une fille ? ». Enten­dant cela, l’enseignant consulte son dia­gramme du spectre sexuel et répond à haute voix : « peut-être ».

En outre, une inter­ven­tion chi­rur­gi­cale sur un nour­ris­son inter­sexué (on parle par­fois de muti­la­tion géni­tale inter­sexuée) pour­rait modi­fier la posi­tion d’un indi­vi­du sur ce spectre sexuel pseu­dos­cien­ti­fique. Un parent pour­rait alors être ten­té d’op­ter pour d’autres inter­ven­tions chi­rur­gi­cales « cor­rec­tives », par­fois en contra­dic­tion avec le véri­table sexe bio­lo­gique (gona­dique) du nour­ris­son, afin de rendre son enfant davan­tage homme ou femme — en tout cas « idéel­le­ment » (dans son esprit). Cela étant, force est de recon­naître que la plu­part des défen­seurs de la théo­rie du spectre sexuel désap­prouvent le fait d’opérer les enfants inter­sexués (et à juste titre, selon moi). Le pro­blème, c’est qu’ils ne tiennent pas compte de la façon dont leurs doc­trines peuvent encou­ra­ger de telles pratiques.

La croyance que véhi­cule la pseu­dos­cience du spectre sexuel — à savoir que le sexe d’une per­sonne est impos­sible à déter­mi­ner de manière défi­ni­tive — pos­sède évi­dem­ment un attrait intrin­sèque pour celles ou ceux qui sont déjà aux prises avec des pro­blèmes liés à leur iden­ti­té. Il est valo­ri­sant d’i­ma­gi­ner que l’on puisse avoir un contrôle sur quelque chose d’aus­si fon­da­men­tal que le sexe. L’article Sex Rede­fi­ned (« Le sexe redé­fi­ni »), paru en 2015 dans la revue Nature et rédi­gé par la Dr Claire Ains­worth, pro­mo­trice de la thèse du spectre sexuel, se ter­mine sur le para­graphe suivant :

« “Mon sen­ti­ment est que, puisqu’aucun para­mètre bio­lo­gique ne prend le des­sus sur tous les autres, en fin de compte, l’i­den­ti­té de genre semble être le para­mètre le plus rai­son­nable”, explique Vilain. En d’autres termes, si vous vou­lez savoir si une per­sonne est un homme ou une femme, il est peut-être pré­fé­rable de lui poser la question. »

Le Dr Éric Vilain, cli­ni­cien et direc­teur du Centre de bio­lo­gie basée sur le genre de l’u­ni­ver­si­té de Cali­for­nie à Los Angeles, affirme que, puisque le sexe bio­lo­gique ne sau­rait être réduit à « un para­mètre bio­lo­gique » (ce qui est faux), alors nous devrions aban­don­ner la prise en compte du sexe au pro­fit de celle de l’identité de genre, entiè­re­ment sub­jec­tive. Cette conclu­sion est ahu­ris­sante, notam­ment parce que, même si la théo­rie du spectre sexuel était exacte, il ne s’ensuivrait nul­le­ment que l’on peut arbi­trai­re­ment choi­sir où l’on se situe sur le spectre. En outre, dans l’in­ter­pré­ta­tion que fait Ains­worth des affir­ma­tions de Vilain, nous consta­tons un glis­se­ment assez gros­sier entre l’af­fir­ma­tion selon laquelle le sexe serait un spectre et l’af­fir­ma­tion beau­coup plus extrême selon laquelle le sexe serait arbi­traire et insi­gni­fiant. Comme si n’importe qui pou­vait, grâce au pou­voir de l’imagination et au moyen d’une simple affir­ma­tion, inven­ter — ou déci­der de — sa bio­lo­gie. Quel incroyable pou­voir les humains s’arrogent-ils. Si seule­ment il exis­tait. Cer­tains mili­tants pour les « droits des per­sonnes trans » se demandent pour­quoi des gens comme moi se foca­lisent sur une ques­tion dont les enjeux semblent si faibles. En réa­li­té, les enjeux sont consi­dé­rables : si l’i­dée du sexe bio­lo­gique peut être inva­li­dée dans le domaine de la com­pé­ti­tion spor­tive, là où les dif­fé­rences entre les hommes et les femmes sont les plus évi­dentes, alors le com­bat contre la pseu­dos­cience du sexe spec­tral est sans doute per­du d’avance dans tous les autres domaines — de l’ad­mis­sion des hommes dans les pri­sons pour femmes et les centres d’aide aux vic­times de viols, à la faci­li­ta­tion de la chi­rur­gie [dite, men­son­gè­re­ment, NdT] de chan­ge­ment de sexe pour les éco­liers. Ain­si que Tho­mas Sowell le for­mule suc­cinc­te­ment dans son livre The Quest for Cos­mic Jus­tice, « une socié­té ne peut sur­vivre que lorsque la diver­gence entre les théo­ries qui y pré­valent et l’immuable réa­li­té est minime. Pour­tant, il est peu pro­bable que les théo­ries de l’é­ga­li­té soient réexa­mi­nées — ou exa­mi­nées pour la pre­mière fois — lors­qu’elles servent de base au sen­ti­ment gri­sant d’être mora­le­ment supé­rieur à une “socié­té” ignorante. »

Les défen­seurs de la repré­sen­ta­tion spec­trale du sexe avaient sans doute de bonnes inten­tions en l’élaborant. Après tout, qui s’opposerait à une expli­ca­tion de la bio­lo­gie humaine qui puisse vali­der toutes nos per­cep­tions chan­geantes de nous-mêmes ? Mais il devrait être évident qu’ils ont créé une théo­rie erro­née de la bio­lo­gie qui fal­si­fie la nature humaine et nuit aux indi­vi­dus vul­né­rables. Lorsque l’on tente d’at­teindre l’é­ga­li­té et la jus­tice en fal­si­fiant la réa­li­té, l’i­né­ga­li­té et l’in­jus­tice ne sont jamais éli­mi­nées, elles sont sim­ple­ment déplacées.

Colin Wright


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

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  1. Mer­ci, les ana­lo­gies (par ex. pile ou face et tranche de la pièce) sont très utiles pour « argu­men­ter » ou répondre dans cer­taines situa­tions. Exemple récent vécu dans une librai­rie LGBT­Qetc+ où je ten­tais de débattre sur le sujet :
    — (moi) J’ai trois enfants : deux filles et un gar­çon, et …
    — (la libraire, m’in­ter­rom­pant) Qu’est-ce que vous en savez ?

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