Lettres de la Libération de la Terre Mère (depuis le sud de la Colombie)

Note du tra­duc­teur : « La liber­té vient avec la terre[1] ». Tel est le constat du peuple indi­gène « Nasa » qui vit au nord du dépar­te­ment du Cau­ca, situé au sud-est de ce qu’on appelle la Colom­bie, et qui se bat pour son droit à une exis­tence non civi­li­sée et non capi­ta­liste. Les mots « terre » et « liber­té » ont tra­ver­sé et conti­nuent de tra­ver­ser diverses luttes à tra­vers le monde : de la Rus­sie du XIXe siècle à la Colom­bie d’aujourd’hui, en pas­sant par l’Espagne et le Mexique du début du siècle der­nier (pour n’évoquer que quelques exemples). Ils ont en com­mun la recon­nais­sance de l’importance de la terre pour la liber­té, et vice-ver­sa : l’autonomie maté­rielle et poli­tique, comme nous le rap­pelle Auré­lien Ber­lan dans son livre Terre et liber­té, paru en 2021.

En Colom­bie, comme par­tout dans le monde, la moder­ni­té, le déve­lop­pe­ment, la crois­sance, la mar­chan­dise, le tra­vail, l’argent, etc., sont des idéaux col­lec­tifs reven­di­qués par toutes les forces poli­tiques. Dans ce pays, on regrette que le capi­ta­lisme fonc­tionne moins bien que dans le Nord Glo­bal : à gauche, parce que les richesses ne sont pas bien répar­ties ; à droite, parce que la libre entre­prise ne dis­pose pas des condi­tions opti­males pour se déployer cor­rec­te­ment ; et les bras armés res­pec­tifs de ces idéaux poli­tiques nour­rissent la guerre : l’armée et la police aux ordres de l’État, les mafias et les groupes para­mi­li­taires et, enfin, les rési­dus des gué­rillas de gauche radi­cale qui s’entretuent et ravagent au pas­sage les vies des plus vul­né­rables, qui s’entassent dans les péri­phé­ries des villes et dans les cam­pagnes. Les Nasa libé­ra­teurs de la Terre Mère ne se contentent pas de dire qu’ils ne sou­haitent pas par­ti­ci­per au capi­ta­lisme : ils le confrontent direc­te­ment, armés de leurs machettes et de pierres face à la police anti-émeute, et de leurs graines pour assu­rer leur sub­sis­tance. Ils consi­dèrent que leur vie et celle de la terre en dépendent. Ils occupent les fermes (les fin­cas, comme on dit en espa­gnol) et refusent la pro­prié­té pri­vée des entre­prises et des par­ti­cu­liers, en dénon­çant la dépos­ses­sion de leurs ancêtres Nasa remon­tant aux débuts de la colo­ni­sa­tion. Ils trans­forment ain­si ces terres en lieux de vie pour eux et, en même temps, ils résistent à la des­truc­tion de la nature et de la terre par la mono­cul­ture indus­trielle de canne à sucre.

Cette année, pour la pre­mière fois, un can­di­dat de gauche a accé­dé aux manettes de l’État. Mal­gré les dis­cours huma­nistes et envi­ron­ne­men­ta­listes et les inten­tions d’amorcer la déses­ca­lade de la vio­lence en Colom­bie, l’État conti­nue d´être l’État. Petro, le nou­veau pré­sident, ses ministres et son armée de tech­no­crates de gauche, prônent le déve­lop­pe­ment du capi­ta­lisme[2], au motif qu’il serait urgent de sor­tir la Colom­bie du « féo­da­lisme ». La gauche défend un capi­ta­lisme réfor­mé et réfor­mable, non cor­rom­pu, qui déve­loppe les forces pro­duc­tives pour le bien du peuple et en tenant compte de la crise cli­ma­tique. Il est dif­fi­cile de savoir s’il s’agit de cynisme ou d’ignorance crasse de ce qu’implique le déve­lop­pe­ment et le capi­ta­lisme : on entend les consignes de « tran­si­tion éner­gé­tique », de « poten­tia­li­sa­tion du tou­risme », d’« indus­tria­li­sa­tion de l’agriculture » en vue de deve­nir une puis­sance en reven­di­quant à l’international la valeur mar­chande de tous les « pro­duits » de la nature (fer­ti­li­té des sols, eau potable à pro­fu­sion, « ser­vices éco­sys­té­miques », etc.).

Dans ce contexte, toutes les forces poli­tiques, média­tiques et éco­no­miques, crient au scan­dale et dénoncent une vio­lence injus­ti­fiable face aux indi­gènes et aux pay­sans qui occupent des terres des pro­prié­taires ter­riens et des entre­prises[3] : « cela n’est pas la façon de faire ! » disent-ils, « il faut que l’État pro­tège la pro­prié­té pri­vée ». Alors, l’État pro­met une réforme agraire pour ache­ter des terres et les redis­tri­buer. Mais les Nasa s’en fichent : ils occu­pe­ront leurs terres avec ou sans l’accord de l’État et des entre­prises. C’est une ques­tion de vie ou de mort, de terre et de liberté.

Les lettres ci-des­sous, tra­duites depuis l’espagnol[4], sont un appel des Nasa à l’union de tous les peuples à tra­vers le monde, pour lut­ter contre la des­truc­tion de la Terre Mère par la civi­li­sa­tion indus­trielle, pour la joie de la liber­té, pour l’autonomie et la terre.

I.

Malgré toutes les attaques nous continuons à nous battre dans toutes les fincas

Communiqué adressé aux peuples en lutte et à l’opinion publique nationale et internationale.

Face aux évé­ne­ments qui ont eu lieu dans le Nord du Cau­ca, dans le cadre de la lutte pour la terre, nous déclarons :

- Depuis 2005, nous avons repris la lutte directe pour la terre, depuis lors nous l’ap­pe­lons « libé­ra­tion de la Terre Mère », car nous voyons que la terre four­nit déjà ses der­niers efforts pour main­te­nir l’é­qui­libre qui per­met la vie telle que nous la connais­sons. Ce qui cause des dom­mages à la « Terre Mère » est le sys­tème capi­ta­liste, et c’est contre ce sys­tème que nous lut­tons. Les bles­sures ne pour­ront être gué­ries tant que le sys­tème capi­ta­liste et son fon­de­ment, le patriar­cat, exis­te­ront. Alors que d’autres peuples et pro­ces­sus mènent leurs luttes à leur manière, nous lut­tons contre le capi­ta­lisme et le patriar­cat en occu­pant les fin­cas de canne à sucre, en met­tant fin aux plan­ta­tions de canne à sucre, en semant nos ali­ments, en fai­sant pâtu­rer nos ani­maux, en vivant en com­mu­nau­té, en redon­nant son man­teau à Uma Kiwe[5]. Il s’agit d’une lutte qui implique d’affronter le patriar­cat et le capi­ta­lisme qui habitent à l’intérieur de cha­cun de nous.

- La lutte pour la libé­ra­tion de la « Terre Mère » est menée par nous et nos familles, venus de dif­fé­rents ter­ri­toires indi­gènes du nord du Cau­ca, et qui mar­chons main dans la main avec la plate-forme de lutte du CRIC[6]. C’est pour­quoi nous disons : nous sommes Cabil­do[7], nous sommes Cxhab Wala Kiwe[8], nous sommes CRIC.

- Au cours de cette lutte, et plus par­ti­cu­liè­re­ment lors des huit der­nières années, nous avons fait face à tous les dan­gers aux­quels est confron­tée un mou­ve­ment de lutte qui décide de s’op­po­ser au capi­tal. Nous les avons lis­tés dans « le dos­sier de l’axe du mal » : près de 400 ten­ta­tives d’ex­pul­sion, 12 cama­rades assassiné(e)s et plus de 600 blessé(e)s, des vols, des menaces, des dom­mages aux cultures maraî­chères. Tout cela a été per­pé­tré par l’É­tat colom­bien sur ordre de l’a­gro-indus­trie de la canne à sucre.

- Lors des expul­sions, dégâts et vols au cours des sept pre­mières années, l’a­gro-indus­trie de la canne à sucre a recou­ru à ses engins de chan­tier, aux agents de l’ES­MAD[9], à la police, à l’ar­mée et aux ouvriers agri­coles — cou­peurs de canne à sucre, issus des com­mu­nau­tés afro-colom­biennes. Nous avons tou­jours dit aux cou­peurs de canne : « vous êtes nos frères et sœurs, la lutte n’est pas contre vous, le patron vous paie un salaire de misère, rejoi­gnez notre lutte ». Cepen­dant, nous n’a­vons jamais trou­vé d’o­reilles récep­tives de la part des cou­peurs afro, et bien au contraire les expul­sions, les dom­mages et les vols n’ont fait qu’augmenter. Avant 2022, aucune « com­mu­nau­té afro » ne s’était mon­trée hos­tile vis-à-vis de notre pro­ces­sus[10].

- Le 7 mars 2020, les forces de l’ordre, au ser­vice de l’industrie de canne à sucre, ont lan­cé l’une de leurs nom­breuses ten­ta­tives d’ex­pul­sion de la fin­ca Jagüi­to. La com­mu­nau­té afro de cette zone s’est bat­tue à nos côtés, jetant ou empi­lant des pierres pour les lan­cer sur l’ES­MAD. Les com­mu­nau­tés afro consti­tuant « la base popu­laire », qui se trou­vaient autour des fin­cas, nous ont tou­jours dit que, pour elles, le moment n’é­tait pas encore venu de s’unir, mais qu’elles ne seraient jamais un obs­tacle à notre lutte. Qu’est-ce qui les pousse aujourd’­hui à nous jeter des pierres ou à nous tirer des­sus avec des armes à feu ? Qui se trouve der­rière en train d’empoisonner les com­mu­nau­tés afro ?

- Et main­te­nant, alors qu’un gou­ver­ne­ment alter­na­tif est arri­vé, et avec lui une vice-pré­si­dente issue du peuple afro du nord du Cau­ca, les pro­blèmes s’intensifient : le gou­ver­ne­ment lance des pour­par­lers régio­naux pour la paix ; l’a­gro-indus­trie de la canne à sucre répond par l’af­fir­ma­tive tout en ras­sem­blant des bandes armées pour les joindre aux ten­ta­tives d’ex­pul­sion. Depuis le matin du 7 août[11], l’ar­mée et la com­mu­nau­té civile afro-colom­bienne sont ren­trées et ont demeu­ré dans la fin­ca Chimán. À Guaya­bal, il y a des attaques per­ma­nentes menées par des ser­vices de sécu­ri­té pri­vée. La com­mu­nau­té qui se trouve dans la fin­ca San­ta Ele­na est constam­ment har­ce­lée par des civils armés, ayant déjà fait trois bles­sés. Dans le sec­teur d’El Batallón, l’a­gro-indus­trie recrute des per­sonnes armées pour agres­ser les forces de l’ordre, de sorte que lorsque la com­mu­nau­té libé­ra­trice se trouve dans la fin­ca voi­sine, elle se fait atta­quer en pré­ten­dant qu’il s’agit de la gué­rilla. À Alto El Palo, la com­mu­nau­té afro a blo­qué la route pour exi­ger le droit au tra­vail et le res­pect de leurs ter­ri­toires, tout comme sur la route Corin­to-Miran­da. Aupa­ra­vant, inci­tés par les agro-indus­triels de la canne à sucre, les cou­peurs de canne s’é­taient mobi­li­sés pour récla­mer le droit au tra­vail, un droit bafoué par les mêmes agro-indus­triels du sucre[12]. Incau­ca, Aso­caña et Pro­caña[13] conçoivent et mettent en œuvre la tem­pête par­faite, en impli­quant l’É­tat colom­bien et des groupes para­mi­li­taires. En paral­lèle, le gou­ver­ne­ment, au lieu de remettre en ques­tion les actions des entre­prises, leur donne l’a­van­tage d’installer des espaces de pour­par­lers, au sein des­quels ils arrivent comme des colombes de la paix. Nous pré­ci­sons que nous n’a­vons rien à voir avec l’ac­tion du 22 août, au cours de laquelle des voi­sins du sec­teur El Palo ont déci­dé de leur propre chef d’ex­pul­ser le blo­cus du site d’Alto El Palo. La confron­ta­tion n’est pas entre les com­mu­nau­tés, mais bien contre un grand enne­mi appe­lé capi­ta­lisme, repré­sen­té ici par l’a­gro-indus­trie de la canne à sucre.

- La guerre média­tique contre la libé­ra­tion s’in­ten­si­fie. Incau­ca, Aso­caña et Pro­caña créent des comptes Face­book et paient des com­mu­ni­ty mana­gers pour les ali­men­ter et har­ce­ler nos publi­ca­tions avec des com­men­taires racistes. La droite publie des articles dans les médias dans les­quels elle nous accuse d’être « pares­seux », « assis­tés », « enva­his­seurs » ; elle nous dit que nous mena­çons le pro­grès de la région et que nous met­tons en dan­ger 100 000 emplois don­nés par les entre­prises de canne à sucre de la région. Mais garde le silence devant la mise en fonc­tion­ne­ment de machines qui rem­placent une cen­taine de coupeurs/jour, devant le manque d’eau potable pour les habi­tants des com­munes du nord du Cau­ca, devant la pol­lu­tion de la rivière Palo, devant le fait qu’au milieu de tant de « déve­lop­pe­ment » les com­mu­nau­tés afro boivent des eaux pol­luées… Quels men­songes Aso­caña et Pro­caña amè­ne­ront-ils aux pour­par­lers régionaux ?

- Face à ces faits, les orga­ni­sa­tions de défense des droits de l’homme ne se pro­noncent pas : il y a des civils armés, c’est-à-dire des groupes para­mi­li­taires, aux côtés de l’ar­mée ; l’ar­mée uti­lise des civils afro pour entrer et res­ter dans les fin­cas en cours de libé­ra­tion ; les groupes para­mi­li­taires tirent sur les libé­ra­teurs, fai­sant des bles­sés. On assiste à la mise en place d’un pro­gramme de guerre contre la « libé­ra­tion de la Terre Mère », orga­ni­sé par l’a­gro-indus­trie de la canne à sucre. Et pour­tant, jus­qu’à pré­sent, les orga­ni­sa­tions de défense des droits de l’homme res­tent silen­cieuses. Est-ce à la « libé­ra­tion de la Terre Mère » de payer le prix fort de la « paix totale »[14] dans le nord du Cauca ?

- Désor­mais, l’É­tat qui nous a tou­jours per­sé­cu­tés nous convoque. Le grand chef nous dit de nous asseoir avec les indus­triels, de nour­rir le pro­jet de réforme agraire, d’être force de pro­po­si­tion pour le plan de déve­lop­pe­ment natio­nal ; ce ne sont pas des invi­ta­tions insi­gni­fiantes, nous y réflé­chis­sons. Après avoir été le pro­ces­sus le plus per­sé­cu­té en Colom­bie au cours des huit der­nières années, la « libé­ra­tion de la Terre Mère » fini­ra-t-elle dans le grand livre des lois natio­nales ? L’É­tat colom­bien, pren­dra-t-il notre dis­cours, nos man­dats, et dira-t-il qu’il nous a déjà recon­nus, comme l’ont déjà fait d’autres États-nations avec d’autres luttes ? Cela sera-t-il notre suc­cès ou notre échec ? Nous exa­mi­nons les pro­po­si­tions, car l’enjeu n’est pas des moindres.

- Nous sommes jus­te­ment en pro­ces­sus de consul­ta­tion interne pour dis­cu­ter de ces pro­po­si­tions. Pour ces consul­ta­tions, nous ne deman­dons pas de finan­ce­ment de l’É­tat, la vice-pré­si­dente peut donc être ras­su­rée. Cela pren­dra du temps, car la tem­po­ra­li­té des com­mu­nau­tés n’est pas celle de l’É­tat. Au niveau de ce der­nier, un groupe de pro­fes­sion­nels se réunit pour éla­bo­rer des plans sou­mis au dik­tat de leurs connais­sances ou pro­fes­sions et, en l’espace d’une semaine, ils dis­posent d’un plan for­mi­dable. Dans les com­mu­nau­tés chaque point de libé­ra­tion doit d’abord se réunir, puis l’ensemble des points se réunit, suite à quoi, chaque point doit à nou­veau se ras­sem­bler pour cla­ri­fier des détails, attendre de se réunir avec celui qui n’a pas pu se réunir cette fois-ci, consul­ter le vent et les nuages, et le chant des oiseaux. Nous pour­sui­vons ces consul­ta­tions. En atten­dant, nous exi­geons l’es­sen­tiel : qu’au­cune mesure ne soit avan­cée et qu’au­cune action qui impli­que­rait notre lutte ou les terres pour les­quelles nous nous bat­tons ne soit mise en œuvre.

- Depuis 2015, nous menons des dia­logues de paix avec les com­mu­nau­tés afro et pay­sannes voi­sines des fin­cas en voie de libé­ra­tion. Nous main­te­nons cette volon­té et cette action de dia­logue direct entre les com­mu­nau­tés. Il y a beau­coup de choses à dire, à cla­ri­fier, à excu­ser. Et il y a aus­si la néces­si­té de nous auto-appe­ler à lut­ter contre le capi­ta­lisme. En tant que « libé­ra­tion de la Terre Mère », notre com­bat est pour la vie de tous les peuples et de tous les êtres de la pla­nète, et ce mal­gré tous nos échecs et toutes nos dif­fi­cul­tés. Bien enten­du, nous nous bat­tons pour un mor­ceau de terre, mais nous nous bat­tons aus­si pour arrê­ter le dérè­gle­ment cli­ma­tique, afin qu’il y ait de la nour­ri­ture pour tous les êtres. Au cours de ces années, nous avons culti­vé des ali­ments, nous en avons ache­mi­né des tonnes dans les villes, nous avons fait des ren­contres avec d’autres mou­ve­ments qui affrontent le capi­ta­lisme, nous avons mené notre lutte alors même que toutes les forces de l’axe du mal nous atta­quaient et conti­nuent de le faire. Com­ment peut-on nous exi­ger plus de fruits que ceux que nous avons déjà récoltés ?

Pro­ces­sus de libé­ra­tion de la Terre Mère (Pro­ce­so de Libe­ra­ción de la Madre Tierra)
Peuple Nasa, nord du Cau­ca, Colombie
29 août 2022.

***

II.

Nous ne partirons pas : ici c’est chez nous, là où nous vivons et luttons II

Main­te­nant que les 48 heures d’ultimatum se sont écou­lées, nous adres­sons cette lettre au monde entier pour lui faire part de notre lutte, du dan­ger qui nous guette et com­ment nous allons y faire face. Le grand chef nous fait savoir que nous sommes des enva­his­seurs et nous accorde 48 heures pour aban­don­ner notre lutte et la terre sur laquelle nous nous bat­tons. Et sinon, tout le poids de la loi de l’État colom­bien s’abattra sur nous.

Tout d’abord, nous vous par­le­rons de notre lutte. Le 2 sep­tembre, nous avons com­mé­mo­ré les 17 ans de la reprise de la lutte directe pour la terre, dont les racines remontent à 1538, lorsque notre peuple a déci­dé de décla­rer la guerre aux enva­his­seurs. Ces enva­his­seurs se sont empa­rés de notre terre et nous ont repous­sé vers les mon­tagnes ; ils ont fait de la dépos­ses­sion un mode de vie, le fon­de­ment de leur civi­li­sa­tion. Ils détiennent aujourd’hui les terres les plus fer­tiles et dis­posent de docu­ments prou­vant qu’ils en sont les pro­prié­taires. Ils consti­tuent un pou­voir orga­ni­sé qui tire les ficelles de la poli­tique, de l’économie, de la jus­tice et des médias colom­biens. Ce qui leur per­met de main­te­nir les docu­ments à jour et d’exploiter tou­jours plus la « Terre Mère », au point de lui arra­cher la peau, lui sucer le sang et de creu­ser dans ses entrailles. Et c’est cela qu’ils appellent « le pro­grès », « le développement ».

Pour nous, les familles du peuple Nasa du nord du Cau­ca, la terre est Uma Kiwe, notre mère. Tout est vivant en elle, elle est vie dans sa tota­li­té, tous les êtres sont nos frères et sœurs et tous nous avons la même valeur. L’envahisseur nous a endoctriné(e)s pour nous apprendre que nous, les humains, sommes en-dehors de notre Mère et supé­rieurs à elle. Mais, au fond de notre cœur Nasa Üus, nous savons que nous, les gens, sommes Uma Kiwe — tout comme le condor, le papillon, le maïs et la roche sont Uma Kiwe. L’envahisseur nous a endoctriné(e)s pour nous apprendre que le pára­mo[15] est une res­source qui pro­duit de l’argent ; qu’en cou­pant la forêt nous pour­rons faire croitre nos comptes en banque ; qu’en creu­sant et en suçant les entrailles d’Uma Kiwe avec d’énormes tuyaux, nous pour­rons avoir accès à une vie de bien-être. Ce sont les mots de l’envahisseur et il l’appelle : « l’objectif », « le pro­jet de vie ».

Les terres de la val­lée de la rivière Cau­ca, où nous vivons main­te­nant, là où nous menons notre com­bat, sont le foyer de cen­taines d’animaux, de plantes, de rochers, d’eaux, d’esprits ; en espa­gnol, cette forme de vie est appe­lée : forêt tro­pi­cale sèche. L’envahisseur a tout détruit. Ce foyer n’existe plus, il a défi­gu­ré le visage de la « Terre Mère ». Dans leur empres­se­ment à vou­loir impo­ser leur civi­li­sa­tion, ceux qui détiennent les docu­ments rela­tifs à ces terres ont semé de la canne à sucre dans toute la val­lée de la rivière Cau­ca : 400 000 hec­tares où la canne à sucre est culti­vée jusqu’au bord de la rivière. Dans d’autres régions de Colom­bie, les enva­his­seurs, ont dépla­cé les com­mu­nau­tés avec la guerre et ont plan­té des pal­miers à huile sur des mil­liers et des mil­liers d’hectares ; dans d’autres régions encore, ils ont dépla­cé des com­mu­nau­tés pour construire des bar­rages, ou pour extraire de l’or ou du pétrole.

Dans la région d’Antioquia, la rivière Cau­ca s’est rebel­lée et a endom­ma­gé les machines et les équi­pe­ments du bar­rage, la rivière a débor­dé, et les per­sonnes qui avaient déjà été dépla­cées par le pro­jet hydro­élec­trique, ont été obli­gées, une fois de plus, à être dépla­cées car — à nou­veau — leurs terres avaient été inon­dées. Nul n’est cou­pable pour ces évé­ne­ments. Cepen­dant, tout « le poids de la loi de l’État colom­bien » ne s’est pas abat­tu ni sur les enva­his­seurs de la rivière Cau­ca, ni sur ceux qui ont dépla­cé les com­mu­nau­tés et ni sur ceux qui ont per­pé­tré les mas­sacres afin d’imposer le déve­lop­pe­ment. Et ain­si, chaque recoin de ce pays qu’ils appellent Colom­bie — la démo­cra­tie la plus ancienne et la plus stable d’Amérique Latine — est fait de pièces décou­sues de pro­jets de déve­lop­pe­ment, ins­tal­lés là où la guerre a dépla­cé des com­mu­nau­tés entières, là où les bois, les pára­mos, les savanes, les mon­tagnes, les forêts et les plaines ont été — ou sont tou­jours — rava­gées pour que quelques per­sonnes puissent jouir des « délices » du développement.

Nous, familles indi­gènes du peuple Nasa, qui avan­çons au sein de la pla­te­forme de lutte du CRIC — notre orga­ni­sa­tion, ne croyons pas à ce déve­lop­pe­ment et ne croyons pas en cette civi­li­sa­tion qui impose la mort à tra­vers des lois et des actions légales pour obte­nir des pièces de mon­naie. On nous a endoctriné(e)s pour nous faire croire en leur civi­li­sa­tion et on nous a dit que nous, les humains, sommes supé­rieurs aux autres êtres, mais nous consta­tons que même par­mi les humains il y a des niveaux : cer­tains sont supé­rieurs à d’autres. Ceux qui sont supé­rieurs prennent toutes les richesses tan­dis que nous, les infé­rieurs, sommes contraints de vivre accu­lés dans les recoins que le déve­lop­pe­ment nous laisse dis­po­nibles. Mais on nous dit que si nous fai­sons un effort ou si nous nous ven­dons (en tant que force de tra­vail), nous pour­rons alors pas­ser au niveau des supé­rieurs. Cette façon de vivre ne nous plaît pas, nous ne l’acceptons pas.

C’est pour­quoi, il y a 17 ans, le 2 sep­tembre 2005, nous sommes descendu(e)s des mon­tagnes pour mener une lutte que nous pour­sui­vons encore aujourd’hui et que nous appe­lons « libé­ra­tion de la Terre Mère ». Car nous disons que nous, les gens, ne serons pas libres tant qu’Uma Kiwe sera réduite en escla­vage. Nous disons aus­si que tous les ani­maux et les êtres qui ensemble forment le vivant serons des esclaves tant que nous ne ren­drons pas sa liber­té à notre mère. À cette époque-là, en sep­tembre 2005, nous avons fait une erreur tac­tique — comme l’a dit un libé­ra­teur, nous avons négo­cié un accord avec le gou­ver­ne­ment Uribe, une erreur qui nous a coû­té un retard de 9 ans. Mais ensuite, nous sommes revenu(e)s pour occu­per les fin­cas appar­te­nant à l’agrobusiness de la canne à sucre en décembre 2014. Ce qui signi­fie que nous sommes sur le point de fêter nos 8 ans, et au cours de ces 8 ans, la démo­cra­tie la plus ancienne et la plus stable d’Amérique Latine n’a pas réus­si à nous expul­ser des fin­cas, mal­gré plus de 400 ten­ta­tives. Et nous n’allons pas par­tir. Et nous avons tel­le­ment pro­gres­sé dans l’occupation de ces terres que nous comp­tons déjà 24 fin­cas en cours de libé­ra­tion, soit 8 000 hectares.

Lorsque nous ren­trons dans les fin­cas, nous fau­chons la canne à sucre, et à la place poussent les ali­ments que nous semons. La brous­saille pousse aus­si, car Uma Kiwe doit se repo­ser. Les poules, les canards, les vaches, les petits cochons gran­dissent à leur tour. Les ani­maux sau­vages reviennent… pro­gres­si­ve­ment nous res­ti­tuons la peau et le visage de la « Terre Mère ». C’est notre rêve, ou, si vous pré­fé­rez, notre « pro­jet de vie ». Et il y a encore un long che­min à par­cou­rir ; par­fois le dis­cours de l’envahisseur arrive et nous embrouille, mais en com­mu­nau­té nous par­lons et nous cla­ri­fions. D’autres fois les médias de l’agro-industrie ou du pou­voir colom­bien nous qua­li­fient de ter­ro­ristes, de fai­néants. Ils nous accusent de frei­ner le déve­lop­pe­ment, ils nous disent que nous sommes des « enva­his­seurs », comme le dit le gou­ver­ne­ment actuel de Gus­ta­vo Petro et de Fran­cia Már­quez. Ils mentent en pré­ten­dant que nous volons la terre de nos voi­sins des com­mu­nau­tés afro-des­cen­dantes qui vivent accu­lés sur les bords des champs de canne à sucre. Ce que nous pou­vons vous dire avec cer­ti­tude, c’est que les docu­ments de pro­prié­té des 24 fin­cas en voie de libé­ra­tion figurent soit au nom d’Incauca — qui est le plus grand pro­prié­taire, soit au nom d’autres ter­ra­te­nientes[16], ou bien il s’agit des terres louées par Incau­ca ou par d’autres Inge­nios[17] qui pro­duisent du sucre ou des agro-carburants.

L’appareil judi­ciaire de la démo­cra­tie colom­bienne dit lui aus­si que, parce que nous sommes des ter­ro­ristes, ils vont nous cap­tu­rer par le biais de bar­rages de police ou grâce à des man­dats d’arrêt, et nous mettre en pri­son. Et les para­mi­li­taires orga­ni­sés par l’agro-industrie de la canne à sucre disent que puisque l’État colom­bien ne par­vient pas à en finir avec nous, eux vont s’en char­ger. Et ils sont déjà venus dans les fin­cas en voie de libé­ra­tion pour nous tirer des­sus avec des armes de courte et longue por­tée, mais notre por­tée est plus longue encore parce que nous savons déjà com­ment ils sont orga­ni­sés et com­ment ils fonc­tionnent. Et cela fait 7 ans que les agro-indus­triels — Incau­ca, Aso­caña, Pro­caña — nous envoient des pro­po­si­tions de négo­cia­tion ou de par­te­na­riat, mais depuis 7 ans nous avons répon­du « NON », parce qu’une lutte ne se négo­cie pas ; « NON », car pour eux être par­te­naires signi­fie que nous, hommes et femmes, four­nis­sons la main‑d’œuvre la moins chère pos­sible et qu’ils four­nissent le capi­tal. Non mes­sieurs, nous ne sommes pas là pour chan­ger de patron, nous nous bat­tons pour qu’il n’y ait plus de patron.

Et main­te­nant qu’un nou­veau gou­ver­ne­ment et un nou­veau congrès viennent ren­for­cer la démo­cra­tie la plus ancienne et la plus stable d’Amérique Latine, le congrès nous dit que nous pou­vons envoyer des pro­po­si­tions pour le pro­jet de loi de réforme agraire « parce que la “libé­ra­tion de la Terre Mère” est une réforme agraire concrète » ; nous n’avons pas encore don­né de réponse, mais nous savons que réta­blir l’équilibre d’Uma Kiwe, notre Terre Mère, va beau­coup plus loin qu’une simple réforme agraire. Et la der­nière chose qui est arri­vée, c’est que le nou­veau gou­ver­ne­ment du pré­sident Petro et de la vice-pré­si­dente Fran­cia nous a dit que nous étions des « enva­his­seurs » et que nous avions 48 heures pour quit­ter ces terres où nous lut­tons, où nous semons, où nous fai­sons brou­ter nos ani­maux, où nous voyons la brous­saille repous­ser et les ani­maux sau­vages reve­nir. Bref, ils nous ont dit de quit­ter cette terre où nous vivons. Et c’est en ces termes que nous avons com­men­cé cette lettre.

Une fois les 48 heures écou­lées, soit le 2 sep­tembre, l’État a atta­qué avec l’armée et l’ESMAD. Il n’y a pas eu de demi-heure de dia­logue, comme le nou­veau gou­ver­ne­ment l’avait pro­mis ; les véhi­cules blin­dés sont arri­vés en tirant des gaz. Plus tard, l’armée a tiré ses armes de longue por­tée contre les com­mu­nau­tés qui libé­rent la Terre Mère, pas de dia­logue non plus. Il y a 17 ans, le 2 sep­tembre 2005, c’était Uribe qui avait don­né l’ordre à l’ESMAD et à l’armée de nous tirer des­sus avec leurs armes. Ce nou­veau gou­ver­ne­ment est de gauche, le gou­ver­ne­ment d’Uribe était de droite. Après huit heures de ten­ta­tives d’expulsion de l’une des fin­cas en cours de libé­ra­tion, l’ESMAD et l’armée de la plus ancienne démo­cra­tie… n’ont pas réus­si à nous expul­ser, nous sommes tou­jours là, et d’ici nous envoyons cette lettre au monde entier.

Nous, hommes et femmes, en tant que pro­ces­sus de libé­ra­tion de la Terre Mère du nord du Cau­ca, fai­sons savoir au grand chef que nous n’allons PAS déguer­pir, que nous res­te­rons ici sur ces terres parce qu’ici c’est chez nous, là où nous vivons et lut­tons II. Nous disons II parce que nous avions déjà publié un texte disant qu’ici c’est chez nous, là où nous vivons et lut­tons I[18]. À cette époque, en 2018, les para­mi­li­taires nous avaient déjà don­né un délai pour quit­ter cette terre, mais les para­mi­li­taires nous avaient don­né un délai un peu plus long, plus « ration­nel », car ils nous avaient don­né 2 mois ; et quand les deux mois se sont écou­lés, nous leurs avons dit NON, que nous ne pou­vions pas par­tir parce qu’ici c’était chez nous, là où nous vivons et lut­tons. Voi­là pour­quoi nous disons II, car mal­gré tout, nous ne per­dons pas notre sens de l’humour.

Et pour vous dire aus­si que ni Uribe, ni San­tos, ni Duque ne nous ont jamais dit « vous avez 48 heures ». Et nous leurs disons aus­si que nous ne par­ti­rons pas parce qu’ici, sur ces terres en voie de libé­ra­tion, 12 cama­rades sont tom­bés depuis 2005, assas­si­nés par les entre­prises pri­vées Incau­ca, Aso­caña et Pro­caña, et par l’État colom­bien. Ici nous nous sommes déjà enraciné(e)s. Nous res­te­rons ici jusqu’à ce que le gou­ver­ne­ment prenne les mesures néces­saires pour remettre les docu­ments à nos auto­ri­tés indi­gènes, soit par le biais de la réforme agraire soit par la voie la plus rapide. Et s’il ne le fait pas au cours des pro­chaines années, nous res­te­rons ici.

Nous fai­sons éga­le­ment savoir au grand chef que nous allons occu­per d’autres fin­cas car notre lutte ne s’arrête pas là. Hier, nous étions réunis lors d’une grande action pour accom­pa­gner une com­mu­nau­té qui est en train de libé­rer une fin­ca, parce que l’ESMAD les har­cèle avec des gaz en per­ma­nence depuis plu­sieurs jours, mal­gré le fait qu’ils nous avaient pro­mis que l’ESMAD allait dis­pa­raître, puis qu’il allait se trans­for­mer, et puis qu’il allait chan­ger d’uniformes. Et c’est vrai, parce que ses membres ont mis une tenue de sport pour jouer un match de foot­ball alors qu’ici, ils conti­nuent à nous tirer des gaz. Nous pour­sui­vrons nos actions pour nous enra­ci­ner davan­tage dans cette terre et pour que notre parole ait de la sub­stance, car sinon, ce serait comme un décret ou une pro­messe de cam­pagne, qui est écrite et signée mais qui ne se réa­lise pas.

Nous invi­tons les com­mu­nau­tés dans d’autres régions de Colom­bie qui mènent une lutte directe pour la terre à ne pas quit­ter les fin­cas. Nous invi­tons davan­tage de familles, davan­tage de com­mu­nau­tés dans le nord du Cau­ca, en Colom­bie et dans le monde entier à occu­per davan­tage de fin­cas, à en prendre pos­ses­sion et à faire vie et com­mu­nau­té comme nous le fai­sons déjà sur ces terres et comme le font de nom­breuses luttes qui ont été qua­li­fiées d’envahisseuses par les grands diri­geants de la patrie. Parce qu’aucune lutte n’a été gagnée à coups de bécots.

Nous envoyons éga­le­ment un mes­sage à nos cama­rades de lutte qui sont main­te­nant au pou­voir au sein de l’État colom­bien, pour qu’ils et elles ne s’embourbent pas sur le che­min. Parce qu’ils et elles ont mar­ché aux côtés de nos luttes, mais nous voyons main­te­nant qu’ils oublient d’où ils et elles viennent — ce qui peut arri­ver à toute per­sonne attei­gnant un som­met, et inca­pable de voir qu’après le som­met vient la des­cente. C’est aus­si pour­quoi nous leur fai­sons savoir que nous allons occu­per une autre fin­ca, où nous ferons des rituels et plan­te­rons des ali­ments pour les par­ta­ger avec eux, et nous prie­rons pour eux et pour elles pour qu’à la fin de leur pas­sage au pou­voir, ils et elles conti­nuent à être les mêmes per­sonnes qui, un jour, sont arri­vées là grâce aux votes de mil­lions de per­sonnes qui ont vu en eux et en elles un espoir.

Cette lettre s’arrête là, mais notre parole conti­nue. Nous écri­vons notre parole dans les fin­cas que nous libé­rons, voi­là notre pre­mière parole. Les docu­ments, les lettres, les vidéos, la radio…, la deuxième parole, nous sert à racon­ter au monde ce que nous fai­sons, les dan­gers aux­quels nous sommes confron­tés et com­ment nous conti­nuons à mar­cher face à ces der­niers. Mer­ci aux luttes et aux peuples du monde qui nous écoutent et sont soli­daires avec nous. Comme nous l’avons déjà dit dans « ici c’est chez nous, là où nous vivons et lut­tons I », la meilleure manière de nous sou­te­nir est de ren­for­cer vos luttes : le capi­ta­lisme aura beau­coup de mal à expul­ser ou à contraindre par la loi, des mil­liers de luttes à tra­vers le monde.

Pro­ces­sus de Libé­ra­tion de la Terre Mère (Pro­ce­so de libe­ra­ción de la Madre Tier­ra)
Peuple Nasa, nord du Cau­ca, Colombie
3 sep­tembre 2022.


Tra­duc­tion : El Bichofue

  1. Liber­tad y ale­gría con Uma Kiwe. Pala­bra del Pro­ce­so de Libe­ra­ción de la Madre Tier­ra. Pue­blo nasa — norte del Cau­ca – Colom­bie. Décembre 2016. https://rebelion.org/docs/220925.pdf. (Toutes les notes de bas de page sont du tra­duc­teur.)
  2. « Nous allons déve­lop­per le capi­ta­lisme colom­bien. Nous devons vaincre le féo­da­lisme colom­bien ». https://www.marxist.com/colombie-petro-remporte-une-victoire-historique-luttons-maintenant-pour-le-socialisme.htm
  3. https://www.infobae.com/america/colombia/2022/09/15/ocupacion-ilegal-de-terrenos-procuradores-regionales-deben-atender-los-casos-en-menos-de-48-horas/
  4. Le pre­mier texte a ini­tia­le­ment été publié, en espa­gnol, à cette adresse : https://liberaciondelamadretierra.org/a‑pesar-de-todos-los-ataques-seguimos-en-pie-de-lucha-en-todas-las-fincas/ et le second à cette adresse : https://liberaciondelamadretierra.org/no-nos-vamos-esta-es-nuestra-casa-para-vivir-y-luchar-ii/
  5. Mot qui veut dire Terre Mère en langue Nasa des com­mu­nau­tés Nasa Yuwe, qui pour la plu­part habitent au nord du dépar­te­ment du Cau­ca.
  6. Conseil Régio­nal Indi­gène du Cau­ca (Conse­jo Regio­nal Indí­ge­na del Cau­ca)
  7. Mot qui désigne l’une des formes d’organisation des peuples indi­gènes en Colom­bie. Notam­ment asso­cié à une aire géo­gra­phique déter­mi­née.
  8. Ter­ri­toire qui intègre les 22 « cabil­dos » (mot qui dési­gnait, pen­dant la période colo­niale, un corps admi­nis­tra­tif colo­nial. Aujourd’hui en Colom­bie, le mot fait réfé­rence à une com­mu­nau­té indi­gène asso­cié à un ter­ri­toire don­né) asso­ciés aux Nasas dans le nord du dépar­te­ment du Cau­ca. Veut dire « ter­ri­toire du grand peuple ».
  9. C’est la bri­gade anti-émeute, « Escua­drón Móvil Anti Dis­tur­bios », ce qui cor­res­pon­drait aux CRS en France. En cam­pagne, le nou­veau gou­ver­ne­ment de gauche avait pro­mis sa dis­so­lu­tion, mais une fois arri­vé au pou­voir, ce qui a été pro­po­sé c’est une réforme à ce corps de répres­sion, notam­ment un chan­ge­ment de nom. Des chan­ge­ments à la marge sur la doc­trine, les tac­tiques et les armes pour gérer les mani­fes­ta­tions, ont été pro­po­sés. Ce qui relève – plu­tôt – de chan­ge­ments d’ordre sym­bo­lique.
  10. Des com­mu­nau­tés afro-des­cen­dantes, orga­ni­sés en « conseils com­mu­nau­taires », ont récem­ment pris par­ti aux mani­fes­ta­tions et aux actions contre les occu­pa­tions des fin­cas. Leur reven­di­ca­tion prin­ci­pale (en accord avec les inté­rêts des entre­prises) est que les occu­pa­tions mettent en dan­ger leur droit au tra­vail.
  11. Pour rap­pel, c’était le jour de l’investiture du nou­veau pré­sident Gus­ta­vo Petro.
  12. Ces mêmes entre­prises qui incitent les ouvriers à s’en prendre aux com­mu­nau­tés « libé­ra­trices », ont his­to­ri­que­ment rem­pla­cé et viré les ouvriers jour­na­liers pour les rem­pla­cer par des machines. Dans l’économie de mar­ché, les tra­vailleurs sont rem­pla­çables (et rem­pla­cés) et mani­pu­lables (et mani­pu­lés) dans le seul but capi­ta­liste d’accroitre les béné­fices. Ce n’est pas la « libé­ra­tion de la Terre Mère » qui met en cause leurs emplois, mais l’entreprise elle-même qui les uti­lise comme la pre­mière pièce inter­chan­geable quand les opé­ra­tions se voient per­tur­bés.
  13. Trois des grands groupes indus­triels de la canne à sucre mais aus­si de l’agro-industrie de Colom­bie.
  14. C’est ain­si que le nou­veau gou­ver­ne­ment appelle sa poli­tique de sécu­ri­té inté­rieure.
  15. Éco­sys­tème endé­mique des Andes qui se trouve au-des­sus de 3.000 mètres d’altitude. Le pára­mo per­met de régu­ler le cycle de l’eau et est à l’origine de l’abondance hydrique carac­té­ris­tique de la Colom­bie.
  16. Grand pro­prié­taire ter­rien.
  17. Mot qui désigne un com­plexe agro-indus­triel lié à la culture de la canne à sucre et sa trans­for­ma­tion.
  18. https://liberaciondelamadretierra.org/este-es-nuestro-hogar-para-vivir-y-liberar/
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  1. Un copié-col­lé, à par­tir du site marxist.com, d’une par­tie de l’ar­ticle réfé­ren­cé ici (28 juin 2022) ; com­prenne qui pour­ra ! On a sys­té­ma­tique l’ar­gu­ment impé­ria­liste (« déve­lop­pe­ment inégal et com­bi­né », « le retard de l’économie colom­bienne pro­fite à l’impérialisme amé­ri­cain », au bou­lot ! Et que ça saute !), du jar­gon, et ça vient en par­tie de… Enrique Dus­sel, qui est tou­jours vivant à Mexi­co, mais pas pour long­temps vu son âge, un for­mi­dable lec­teur de Marx (pro­ba­ble­ment le meilleur : hors caté­go­ries) et — en même temps — com­plè­te­ment idiot ; on a ici un para­doxe extra­or­di­naire : une intel­li­gence unique, une capa­ci­té d’a­na­lyse stu­pé­fiante, dou­blée par un esprit catho com­plè­te­ment bor­né… qui, péni­ble­ment, arrive fina­le­ment à voir qu’il s’est trom­pé sur tout (sauf Marx) toute sa vie. J’ai un grand res­pect pour Dus­sel, mais bon, un grand mar­xiste reste un mar­xiste. De Mexi­co à Cuer­na­va­ca, il faut juste aller vers le sud et contour­ner le vol­can, le vol­can de Lowry dans Under the Vol­ca­no (1947) ; Dus­sel a donc pro­ba­ble­ment ren­con­tré Illich… Je n’en sais pas plus. 

    « Soyons clairs, le pro­gramme de Petro est réfor­miste. Son slo­gan est celui d’un capi­ta­lisme plus humain. Ce qui a valu à Petro la haine de la classe diri­geante est le fait qu’il a pro­po­sé des réformes qui, dans le contexte du capi­ta­lisme colom­bien arrié­ré, domi­né par l’impérialisme, impliquent de grandes pertes pour les véri­tables pro­prié­taires de l’économie colom­bienne : l’impérialisme amé­ri­cain et ses marion­nettes dans l’oligarchie capitaliste.

    Par exemple, sa pro­po­si­tion d’arrêter l’exploration pétro­lière et minière (« dès le pre­mier jour ») afin d’entamer une tran­si­tion vers des sources d’énergie vertes est une attaque directe contre les pro­fits d’une classe diri­geante dont le pétrole est la prin­ci­pale expor­ta­tion. De même, sa pro­po­si­tion de créer un sys­tème public de retraite, dans un pays où 90% des tra­vailleurs ne reçoivent pas une pen­sion suf­fi­sante pour prendre leur retraite, a sus­ci­té l’intérêt des tra­vailleurs et des pay­sans. En même temps, elle a été atta­quée par l’oligarchie colom­bienne qui uti­lise l’argent des retraites pour inves­tir et obte­nir des gains per­son­nels, sans que les retrai­tés en pro­fitent vraiment. 

    Il faut dire que ces pro­po­si­tions ne sont pas celles d’un « com­mu­niste fou » prêt à expro­prier et à natio­na­li­ser tous les sec­teurs de l’industrie. Ces pro­po­si­tions ne com­mencent pas à tou­cher aux sources du pou­voir de l’oligarchie colom­bienne. Sa pro­po­si­tion de réforme agraire com­mence par la pers­pec­tive d’acheter les terres impro­duc­tives des lati­fun­distes lorsque ces der­niers ne sou­haitent pas exploi­ter leurs terres et refusent de payer leurs impôts (Pro­gramme du Pac­to Histó­ri­co, p. 19).

    Ces pro­po­si­tions, et leurs ten­ta­tives de conci­lia­tion avec la classe diri­geante, sont les points faibles d’un gou­ver­ne­ment Petro. Pour voir ce côté faible, nous n’avons pas besoin de regar­der au-delà de son dis­cours d’acceptation, dans lequel il invite l’opposition à gou­ver­ner avec lui et déclare « à ceux qui ont dit que nous allions détruire la pro­prié­té pri­vée, je dirais la chose sui­vante : Nous allons déve­lop­per le capi­ta­lisme colom­bien. Nous devons vaincre le féo­da­lisme colombien ».

    Nous devons pré­ci­ser que le retard de la Colom­bie n’est pas le pro­duit du « féo­da­lisme ». En Colom­bie, il existe un « mar­ché libre », un escla­vage sala­rial et la pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion. Ce sont les carac­té­ris­tiques du capi­ta­lisme. Mais le capi­ta­lisme colom­bien est défi­ni par un déve­lop­pe­ment inégal et com­bi­né, où l’oligarchie des pro­prié­taires ter­riens dépend de la concen­tra­tion des terres et du sou­tien finan­cier de l’impérialisme amé­ri­cain, ce qui la place dans une posi­tion de subor­di­na­tion par rap­port à l’économie capi­ta­liste mondiale.

    L’économie colom­bienne en paie tou­te­fois le prix, car elle est relé­guée au rang d’exportatrice de matières pre­mières, blo­quée sur le plan manu­fac­tu­rier et dans sa capa­ci­té à impor­ter des tech­niques. Autre­ment dit, le retard de l’économie colom­bienne pro­fite à l’impérialisme amé­ri­cain. Il faut reje­ter la pers­pec­tive éta­piste selon laquelle le déve­lop­pe­ment éco­no­mique de la Colom­bie devrait suivre cer­taines étapes néces­saires, le socia­lisme ne pou­vant dans chaque pays indi­vi­duel­le­ment qu’après avoir pas­sé à tra­vers l’étape du socia­lisme. L’important est de com­prendre que l’économie mon­diale est capi­ta­liste, et que cela rend néces­saire la lutte pour le socia­lisme dans chaque pays. Le « capi­ta­lisme démo­cra­tique et pro­duc­tif » dont parle Petro n’existe pas et ne peut exis­ter en Colom­bie à l’époque de la domi­na­tion impérialiste. »

    1. Un extrait tra­duit (via un auto­mate, cor­ri­gé à la louche, pro­ba­ble­ment avec des erreurs) du der­nier texte dis­po (31 oct. 2022) sur le site de l’ELN (groupe tou­jours actif), qui se pose plus ou moins (il me semble) dans la mou­vance de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, et (donc ?) dans l’op­tique du tra­vail théo­rique de Dus­sel (sur tout ça, il fau­drait des spé­cia­listes de la ques­tion) ; cf. Cami­lo Torres Restre­po qui sert de figure emblé­ma­tique, for­mé par les jésuites (comme F. Cas­tro !) ; l’in­té­rêt de ce com­men­taire, c’est de pou­voir com­pa­rer et lire entre les lignes d’un texte un peu énig­ma­tique, pour éva­luer une évo­lu­tion dans les prin­cipes, pro­ba­ble­ment moins pro­duc­ti­vistes ; il me semble qu’il y a une fusion entre l’ELN et les ex FARC qui sont retour­nés sur le terrain : 

      « L’a­ve­nir du pays est non seule­ment en termes éco­no­miques mais aus­si envi­ron­ne­men­tal, il ne suf­fit donc pas de réduire le défi­cit bud­gé­taire et l’é­cart d’i­né­ga­li­té, une poli­tique de déve­lop­pe­ment com­plète est requise qui va de pair avec les soins de la pla­nète. Cela s’op­pose au pillage des biens natu­rels néces­saires aux besoins des mul­ti­na­tio­nales extrac­tives et donne la prio­ri­té aux besoins des com­mu­nau­tés et à l’at­té­nua­tion du réchauf­fe­ment climatique.

      Le déve­lop­pe­ment et la pro­duc­ti­vi­té du pays doivent être liés à l’in­ves­tis­se­ment inté­gral de l’É­tat et au ren­for­ce­ment de la pro­duc­tion natio­nale, pour laquelle il est indis­pen­sable que les poli­tiques mises en œuvre cherchent à ren­for­cer l’emploi, à for­mer et à amé­lio­rer le pou­voir d’a­chat des Colom­biens, à une inclu­sion éga­li­taire, la sécu­ri­té, l’équité, la sta­bi­li­té sociale et le déve­lop­pe­ment de poli­tiques inclu­sives qui couvrent les besoins fon­da­men­taux insa­tis­faits de la popu­la­tion et dimi­nuent la pau­vre­té mul­ti­di­men­sion­nelle et monétaire.

      La trans­for­ma­tion du pays en un sys­tème inclu­sif et équi­table entraîne le rejet de l’o­li­gar­chie amé­ri­caine et de l’im­pé­ria­lisme, qui essaie de dif­fé­rentes manières de sou­te­nir leurs pri­vi­lèges et c’est pour­quoi l’a­ve­nir du pays ne repose pas entre les mains du nou­veau gou­ver­ne­ment ou du pou­voir légis­la­tif, mais entre les mains de la socié­té, par le biais d’une action sociale et popu­laire, qui impo­se­ra les trans­for­ma­tions essen­tielles que les gens exigent. »

    1. @Joffrin. En effet, c’est impor­tant de lire l’ac­tua­li­té colom­bienne et de la gauche lati­no-amé­ri­caine en se ser­vant des ana­lyses justes de Dus­sel sur le capi­ta­lisme. Concer­nant la Colom­bie, c’est claire pour moi que la pro­mo­tion de ce capi­ta­lisme de gauche qui va soi-disant sor­tir la Colom­bie du féo­da­lisme, est plus qu’une nui­sance, c’est l’une des menaces les plus impor­tantes pour tous les peuples et pour le vivant.
      Par contre, je ne com­prends pas pour quoi tu parles des « sym­pa­thiques indi­gènes » en fai­sant un lien avec cette article du Figa­ro, et plus loin avec le wiki­pe­dia de l’ALBA.

      Connais tu les per­sonnes et les actions qui sont évo­qués dans cette article ? Peut tu nous prou­ver (outre qu’a­vec ce lien du figa­ro qui ne les lie pas du tout) que leur « pro­jet éco­no­mique » est en lien avec le tra­fique de cocaïne ou la des mono­cul­tures de coca ? 

      Et enfin, on dirait que tu n’as pas lu les lettres, et que tu as com­men­té sur ce qui te sem­blait impor­tant de dire mais sans aucun lien avec ce qui est évoque dans cet article.

      1. Bon­jour, mer­ci, pour la remarque ; non, j’ai bien lu les lettres et dans le com­men­taire ci-des­sous je signale la qua­li­té des textes ; c’est poé­tique et c’est donc sans inté­rêt pour moi (même si j’aime la poé­sie, ça n’est pas le pro­blème) ; mais l’in­té­rêt de cette poé­sie est qu’elle parle à Petro, et donc elle est inté­res­sante (cf. Le Monde, 27/10, ci-des­sous) ; c’est un opé­ra­teur dans les coûts de tran­sac­tion (c. à d. dans les chan­ge­ments ‘ins­ti­tu­tion­nels’ ; cf. Coase et Cheung : par ex. « The tran­sac­tion costs para­digm », 1998) ; les ana­lyses justes de Dus­sel sur l’A­mé­rique latine… ? Je les cherche. C’est du mar­xisme para­noïde à la sauce Samir Amin révi­sée sous une forme de la théo­rie de la libé­ra­tion (qui n’est pas la seule forme) : Dus­sel est juste quand il décrit le contexte géné­ral d’ex­ploi­ta­tion, il devient débile en sim­pli­fiant le pro­blème en iden­ti­fiant le ‘mal’ avec une rétho­rique qui devient vite fas­ci­sante (on entre dans la logique du bouc émis­saire) ; connaitre les per­sonnes et les actions des auteurs ? Prou­ver ? Vous vou­lez des preuves ? (!) Je ne rédige pas ici des textes scien­ti­fiques : je n’ai pas cette pré­ten­tion et on trouve ici un prin­cipe posi­ti­viste ou empi­riste qui — de mon point de vue — est du domaine de la phy­sique, de la bio­lo­gie, de l’ar­chéo­lo­gie même… Ici on est dans un autre domaine et c’est dif­fé­rent. J’ai des pro­blèmes avec la notion d’an­thro­po­lo­gie, je suis contre la psy­cho­lo­gie de bazar à la sauce Som­bart (qui ins­pire peut-être Dus­sel qui sait ?) et je m’en tiens aux prin­cipes métho­do­lo­giques wébé­riens qui sont bien syn­thé­ti­sés dans le petit grand pre­mier livre de C. Col­liot-Thé­lène. Une remarque pour Auré­lien Ber­lan : élève de feu C. Col­liot-Thé­lène (in hell with Louis now…), elle-même spé­cia­liste incon­tour­nable (?) de Max Weber, Auré­lien des­cen­dra-t-il, tel un dieu de son Olympe vers nous simples mor­tels qui mar­chons libres dans la boue, pour com­men­ter la cita­tion de Dus­sel ci-des­sous ? Peut-il assu­mer le fait que la car­rière intel­lec­tuelle de Col­liot-Thé­lène est, en fait, un long nau­frage ? Que son pre­mier livre — génial — (« Max Weber et l’his­toire », 1990) est sa roche Tar­péienne ? Comme Auré­lien a pro­ba­ble­ment un peu d’humour et qu’il appré­cie­ra les jeux de mots (même les plus nuls), signa­lons, via ce site :

        https://pbicolombia.org/2019/06/12/my-name-is-woman-mujer-perla-amazonica/#more-8984

        le « Cen­tral Women’s Com­mit­tee known as My Name is Mujer Per­la Amazó­ni­ca (Mi Nombre es Mujer Per­la Amazó­ni­ca – MEMPA), part of the Asso­cia­tion for Com­pre­hen­sive Sus­tai­nable Deve­lop­ment (Aso­cia­ción de Desar­rol­lo Inte­gral Sos­te­nible –ADISPA) » ; en équa­teur, se trouve donc la terre des MEMPA. La terre (ne) MEMPA ! Oui, bon, c’est nul mais on rigole avec un rien en fait. « Terre et liber­té », c’est le cri de guerre des Narod­niks et tout est dans les 3 brouillons de la lettre à Zas­sou­litch ; il faut donc se taper le livre de Sha­nin (1983), qui est là dans l’or­di­na­teur sur lequel je rédige, mais c’est pro­ba­ble­ment insuf­fi­sant : il faut ten­ter de recons­ti­tuer le contexte géné­ral et c’est long et fas­ti­dieux ; le per­son­nage clé, c’est pro­ba­ble­ment Gueor­gui Ple­kha­nov, qui est Narod­nik et qui cri­tique la révo­lu­tion ; le bas­cu­le­ment, c’est Alexandre Bog­da­nov (sou­te­nu par Bou­kha­rine), qui s’ins­pi­rait de Nietzsche (sans le com­prendre) et qui s’est trans­fu­sé dans Bru­no Latour, par un pro­cé­dé futu­riste mys­té­rieux, direc­te­ment dans le débat contem­po­rain en France et ailleurs, Latour mar­chant dans les pas de Fou­cault. Lénine citait Bog­da­nov : « Il n’existe pas de cri­tère de la « véri­té objec­tive » […] ; la véri­té est une forme idéo­lo­gique : une forme, orga­ni­sa­trice, de l’expérience. » ; mais il avait un pro­blème avec Ple­kha­nov qui cri­ti­quait Bog­da­nov. Rien de nou­veau donc.

  2. @ Casaux : c’est juste de l’i­ro­nie et un pro­pos un peu mal­heu­reux (un com­men­taire à sup­pri­mer éven­tuel­le­ment) ; j’a­buse un peu peut-être, (stric­te­ment) par dés­œu­vre­ment (rien d’autre à foutre!) : ne pas hési­ter à ne pas publier, ça n’est pas mon site et ça ne me pose­ra pas de pro­blème ; c’est bien d’ou­vrir ceci dit, mais on ne sait jamais quand on abuse : pro­blème clas­sique du (mythe du) ‘com­mun’ ; c’est un beau sujet et donc matière à pen­ser, un beau texte (je vais relire ça) et mon inten­tion ini­tiale est pure comme l’eau des gla­ciers des Andes qui fondent et qui vont pro­ba­ble­ment — pour beau­coup — dis­pa­raître… Et ça va être la cata : pas d’eau, pas d’a­gri­cul­ture au Chi­li par ex. et pas d’a­vo­cats qui pompent les rivières, pas de maïs qui pompe les nappes vides, etc. Pérou ? Boli­vie ? Même pro­blème ? Si oui : ça va bar­der. Donc : migra­tions vers le nord. Et donc : conflits sur l’u­sage des res­sources rares comme la terre. Et voi­là notre sujet du jour donc et ce texte donc. Ce que je cherche à mon­trer, c’est que les pay­sans colom­biens comme les autres (‘indi­gènes’ : qui ont pour ori­gine des gens qui ont migré de l’A­sie vers ce conti­nent, le pas­sage du Béring à pied sur la glace, vers… moins 20 000 ? Plus ? Je ne sais plus trop, à véri­fier) sont aus­si modernes que les cou­peurs de canne afro des­cen­dants, qui ont ‘migré’ dans des bateaux négriers (pro­ba­ble­ment à par­tir du 16 ième siècle, ou disons : quand la main d’oeuvre ‘indi­gène’ est deve­nue insuf­fi­sante, récal­ci­trante, etc.) ; il y a un conflit autour de la pro­prié­té de la terre, un grand clas­sique, et il y a aus­si un pro­jet éco­no­mique : ce pro­jet est peut-être « éco­lo » et plus proche de la culture ini­tiale des pay­sans colom­biens, plus ration­nel compte tenu de beau­coup de choses, en par­ti­cu­lier cf. ci-des­sus, il est pré­sen­té comme ça mais ça mérite un peu de recul, dans la mesure ou il y a aus­si pro­ba­ble­ment pas mal d’argent en jeu (et pour faire de l’argent : c’est la coca qui paye) ; l’i­ro­nie ici n’est pas des­ti­née à bles­ser ou de la simple méchan­ce­té : c’est un réflexe vis-à-vis de pro­pos qu’il faut sans arrêt consi­dé­rer comme sus­pects et remettre en contexte his­to­rique (et je sais que ça désen­chante, que ça semble para­noïde, alors même que, ci-des­sus, je pointe le mar­xisme para­noïde de Dus­sel qui part en vrille) ; la pro­prié­té de la terre peut être négo­ciée (Coase, 1960), mais en géné­ral, elle entre dans un rap­port de force brute, la guerre, et dans ce rap­port il y a néces­sai­re­ment de l’i­déo­lo­gie (c’est ce que Dus­sel conteste dans l’en­tre­tien à LVSL, cf. ci-des­sus, quand il cri­tique Max Weber en poin­tant le fait que ‘domi­na­tion légi­time’ est un oxy­more ; il conteste ça car il veut puri­fier le catho­li­cisme sud-amé­ri­cain pour en faire une force de cohé­sion tota­li­sante, contre le pro­tes­tan­tisme, ce qui est tout à fait com­pré­hen­sible : pour lui c’est un équi­libre entre ce qui est vu comme pri­mi­tif (« féo­dal ») et le capi­ta­lisme, por­té par la drogue (coca en par­ti­cu­lier), les armes qui viennent des USA et donc du pro­tes­tan­tisme para­noïde du cow-boy sur ses gardes qui ne va jamais rien négo­cier que ses pro­duits ; notons au pas­sage que Dus­sel a aidé AMLO à deve­nir pré­sident, AMLO qui fait tout son pos­sible pour évi­ter que le Mexique ne sombre dans le chaos ; regar­dons enfin le Bré­sil qui vote demain : l’en­jeu du vote est démen­tiel et il y a des pro­tes­tants à la manoeuvre ; je n’ai rien contre eux, mais quand on a lu Weber, trois tra­duc­tions dif­fé­rentes dis­po­nibles, c’est indé­lé­bile : ça marque et ensuite c’est l’his­toire contem­po­raine qui parle ; Weber est aus­si allé voir vers d’autres reli­gions ; vexés, les yan­kees cow-boys ont cra­ché leur fameux pam­phlet : The His­to­ri­cal Roots of Our Eco­lo­gi­cal Crisis
    Lynn White, 1967, c’est écrit stric­te­ment contre Weber et ça fait les délices de l’E­HESS, qui sombre dans l’obs­cu­ran­tisme, tel un vieux navire dont la coque est ron­gée par les cham­pi­gnons hal­lu­ci­no­gènes-cha­ma­niques). Le pro­blème sys­té­ma­tique c’est qu’un texte, un mythe, entre dans un rap­port de force comme mode de légi­ti­ma­tion de la force et il faut sys­té­ma­ti­que­ment en cher­cher l’im­pli­cite. Quand Latour dit ‘nous n’a­vons jamais été modernes’, il dit en fait (c’est l’im­pli­cite) : ‘nous sommes tous modernes’ (c’est sa tech­no­phi­lie, son ‘pro­tes­tan­tisme’ para­doxal de jésuite (!) à la mode ‘5 théières de jar­din made in chi­na’), il pro­duit son mythe, c’est dis­cu­table mais il y a un élé­ment : on ne peut plus être des roman­tiques du pri­mi­tif (c’est ce que Weber appelle le désen­chan­te­ment). Dit d’une autre manière : il y avait là une gué­rilla (FARC), il n’y en a plus et il n’y a plus rien donc. Qui va ‘don­ner’ de la terre ? Per­sonne. Com­ment vont-il la reprendre ? Pour faire quoi avec ? Le scep­ti­cisme (ou l’i­ro­nie), c’est la mise en contexte et je pense qu’il y a du posi­tif dans le rap­pro­che­ment avec le Vene­zue­la (qui n’est pas un para­dis socia­liste, mais qui cherche son équi­libre) ; je suis moi aus­si dans mon auto-illu­sion pro­ba­ble­ment, comme Dus­sel, et je me pose tou­jours la ques­tion : com­ment tout ça tient et va conti­nuer à tenir ? Par la négo­cia­tion (Coase) ; et c’est ici que ce texte entre en jeu : c’est un (bon) élé­ment de négo­cia­tion qui va néces­sai­re­ment impli­quer la force publique. L’autre sor­tie du pro­blème c’est la décrois­sance de la popu­la­tion à terme, avec l’ur­ba­ni­sa­tion. Glo­ba­le­ment, je mise sur une cuba­ni­sa­tion de l’A­mé­rique du sud, alors même que pas mal de cubains migrent vers les USA (où ils votent Répu­bli­cains, dealent de l’herbe et se vautrent dans la consom­ma­tion de tout et de rien) et vieillissent (une baisse de la pop à pré­voir sur l’île pro­ba­ble­ment aus­si à terme). Si il y a des volon­taires pour conti­nuer ça, pour cri­ti­quer, reca­drer ou en rajou­ter sur l’his­toire géné­rale de l’A­mé­rique, et ben ça peut don­ner des trucs sym­pa­thiques et faire vivre ce site un peu louche (!).
    Has­ta Lue­go Com­pañe­ros : la liber­té ou la mort ! AMDG !

  3. Juste un mot : je viens de voir que l’E­HESS, que j’é­voque ci-des­sus, a embau­ché l’es­croc de ser­vice, Pierre Char­bon­nier, CHARGE DE RECHERCHE (!), il faut voir sa gueule d’âne sur site, et ça confirme le pro­blème géné­ral d’une ins­ti­tu­tion à la dérive ; j’en ai infor­mé le MEN par un bref mes­sage argu­men­té (sans réponse) ; j’in­vite qui­conque qui a un peu de bon sens à faire la même chose : ce truc n’est qu’un sys­tème de cap­ta­tion de rente, une escro­que­rie comme il en existe des tas ; mais trop c’est trop, il faut le fermer.

  4. Un der­nier pour la route : lec­ture d’un texte de Ales­san­dro STANZIANI, spé­cia­liste de l’his­toire du tra­vail sous contrainte (sala­riat, escla­vage…) à l’E­HESS, et… c’est NUL !
    Un gros tas de conne­ries à la mode Piketty.
    D’une bêtise rare : bra­vo Monsignor !
    Bon, il y a Bon­neuil, Fres­soz, etc. mais c’est pas le Pérou quoi.
    Tout ça pour ça ? J’ar­rête là.

  5. Juste un mot sur LVSL : je viens de rece­voir un mail de chez eux qui me dirige vers un article de… AARON BASTANI ! 

    Bas­ta­ni : BASTA ! 

    Non au mar­xisme tech­no­phile — nécrophile. 

    Qu’il lise les 3 brouillons de la lettre à Zassoulitch.

  6. Juste pour citer Dus­sel (quand même quoi ! Res­pect) : « Concer­nant l’idée d’un pou­voir comme domi­na­tion, je suis abso­lu­ment contre la défi­ni­tion sou­vent déri­vée à par­tir de Max Weber. Selon une telle concep­tion, si quelqu’un est « au pou­voir », il exerce ce der­nier uni­que­ment dans la mesure où une per­sonne est située en posi­tion d’infériorité, obéis­sant à l’ordre de celui qui le pro­duit en pen­sant que cela est légi­time. Autre­ment dit, le pou­voir est fon­dé sur une rela­tion de domi­na­tion légi­time. La rela­tion entre celui qui a le pou­voir et le citoyen qui en découle est alors une rela­tion conçue uni­que­ment sur le plan du pou­voir et de la vio­lence. Une telle réflexion me semble pro­pre­ment para­doxale. Si un obéis­sant recon­naît une domi­na­tion comme légi­time, cela sup­pose l’existence d’un consen­sus. Or, si l’on suit Jür­gen Haber­mas, le consen­sus ne pro­duit pas de domi­na­tion mais, en réa­li­té, un véri­table accord entre dif­fé­rents acteurs d’une pro­duc­tion juri­dique com­mune. En consé­quence, l’idée de domi­na­tion légi­time est absurde. Il faut com­prendre que le consen­sus s’obtient par une déli­bé­ra­tion ration­nelle symé­trique entre les dif­fé­rents acteurs per­met­tant in fine de confé­rer à une ins­tance déter­mi­née le pou­voir. Dans ce cadre, il ne s’agit plus, à pro­pre­ment par­ler, de domi­na­tion, mais bien plus d’une recon­fi­gu­ra­tion de ce qu’est le pou­voir. Ce der­nier pro­vient du peuple, en tant que sujet poli­tique col­lec­tif. » Réfé­rence ci-dessus.

  7. De manière vrai­ment (très) anec­do­tique, j’ai envoyé un mail à Joey Starr (Didier Mor­ville, via annabelkarouby@agenceplan‑a.com, Sun 10/23/2022 18:38), pour un pro­jet « NTTM » : « Bon­jour, j’ai un pro­jet de rap freu­dien, post car­té­sien / latou­rien-des­co­lien : « nique ta terre mère » ; ça vous branche ? »
    Pas de réponse mais ça va venir je pense, un car­ton assuré.

  8. Pour les curieux, reçu ce jour ça : 

    https://climateandcapitalism.com/2022/11/14/capitals-attack-on-nature-endangers-humanity/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=capitals-attack-on-nature-endangers-humanity

    C’est un repré­sen­tant bré­si­lien de « tra­vailleurs sans terres » qui cherche à pro­té­ger l’A­ma­zo­nie et le reste du monde ; un texte qui a été lu au… Vati­can ! l’A­ma­zo­nie est un ter­ri­toire dévas­té en par­tie par ces mêmes tra­vailleurs sans terres qui — pour beau­coup — ont pro­ba­ble­ment voté contre Lula, pour Bol­so­na­ro et donc pour leur droit à colo­ni­ser. J’ai envoyé un mail à JP Dupuy (qui a de la famille au Bré­sil) pour lui faire remar­quer que cette élec­tion res­semble à une sorte de ‘type idéal’, de modèle du genre, un moment presque cari­ca­tu­ral (cf. mon mes­sage du 22 : ‘l’enjeu du vote est démen­tiel et il y a des pro­tes­tants à la manoeuvre ; je n’ai rien contre eux, mais quand on a lu Weber (…) c’est l’histoire contem­po­raine qui parle’ ; remar­quons que le résul­tat s’est joué à un petit point de % ! Il faut évi­ter les fixa­tions empi­riques sur tel ou tel élé­ment pro­po­sé comme cau­sal, évi­ter notre auto mani­pu­la­tion ; mais quand même quoi : il y a des faits là non ?). Je ne cherche pas à cas­ser les pieds et à en rajou­ter ad libi­tum, ce mes­sage en pas­sant, mais le pro­blème est iden­tique à ce que j’ai poin­té le 21 octobre : pos­tu­ler a prio­ri qu’un mou­ve­ment est ver­tueux est naïf ; relayer les mes­sages de ces mou­ve­ments, je trouve ça bien mais lais­sons ouvert la pos­si­bi­li­té d’en dis­cu­ter. Le fait qu’un texte qui a été lu au Vati­can soit aus­si publié sur un site mar­xiste, ça montre que l’on est com­plè­te­ment débor­dés par l’his­toire et qu’on a pas de réponses aux pro­blèmes que ça pose : voir les solu­tions pro­po­sées dans le texte, qui sont prin­ci­pa­le­ment défen­sives (stop) avec quelques élé­ments un peu déri­soires et discutables.
    Du coup, la Colom­bie est plus intéressante !

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