Note du traducteur : si j’ai choisi de traduire cet article initialement paru, en anglais, le 6 octobre 2022 sur le site de Reuters, c’est parce qu’il est rare que des médias de masse publient des investigations de ce genre sur le sujet de la transidentité. Non pas que cette enquête soit particulièrement excellente. Elle ne l’est pas. Simplement, elle ne relève pas de la désinformation terriblement grotesque et mensongère à laquelle on a habituellement droit. Elle met en lumière de véritables problèmes, des vérités qui dérangent, comme on dit. Tout en véhiculant les inepties et les absurdités habituelles de l’idéologie trans.
Dans tous les États-Unis, des milliers de jeunes font la queue pour recevoir des soins d’« affirmation du genre ». Mais lorsque les familles décident de suivre la voie médicale, elles doivent prendre des décisions concernant des traitements aux effets irréversibles, qui bouleversent l’existence, et dont la sécurité et l’efficacité à long terme ne sont guère prouvées scientifiquement.
BELPRE, Ohio — Pendant les deux heures de route du retour de l’hôpital, Danielle Boyer n’a cessé de se remémorer les questions du médecin. Son enfant Ryace, alors âgée de 12 ans, entendait-elle des voix ? Prenait-elle des drogues illégales ? Avait-elle déjà été hospitalisée pour un traitement psychiatrique ? S’était-elle déjà mutilée ?
Danielle était encore sous le choc lorsqu’elle et Ryace sont arrivées chez elles, dans cette petite ville nichée dans un méandre de la rivière Ohio. Le dîner devrait attendre. Elle devait parler à son mari. « Ils nous posaient ces questions tristes et terribles », dit-elle à Steve Boyer, avec qui elle était assise par terre dans leur garage ce soir d’août 2020. « Savais-tu que des enfants ont essayé de se suicider ? »
« Je n’en savais rien », a‑t-il répondu.
Ryace [prononcez wraille-eusse] a été assignée de sexe masculin à la naissance, mais dès l’âge de 4 ans, il était clair pour ses parents qu’elle s’identifiait comme une fille [sauf certaines personnes intersexuées, personne ne se voit assigner un sexe à la naissance, notre sexe est simplement constaté ou observé, NdT]. Elle se considérait comme une fille. Elle voulait s’habiller comme une fille [sexisme ordinaire, un garçon ou une fille doivent pouvoir porter les vêtements qu’il ou elle désire, une affinité pour des vêtements de telle ou telle sorte n’indique certainement pas qu’une personne serait « née dans le mauvais corps », NdT]. Mais ses parents craignaient pour sa sécurité s’ils la laissaient vivre ouvertement comme une fille dans leur communauté rurale très unie. Ils ont donc trouvé un compromis difficile. À la maison, Ryace pouvait être une fille, se maquiller et porter des robes [même chose, de même qu’il est sexiste d’associer normativement le fait d’être une fille ou une femme au fait de se maquiller, il est sexiste — et absurde — de considérer que le fait, pour un garçon ou un homme, d’aimer se maquiller ou porter des robes fait de lui une fille ou une femme, NdT]. À l’école, en ville et sur les photos de famille, Ryace resterait un garçon.
[Les reporters de Reuters choisissent de se conformer à l’irréalité en utilisant le pronom « elle » pour désigner ce garçon. Je suivrai leur choix pour rester fidèle à leur texte. Mais c’est absurde, et cela n’aide personne à y voir clair face à la confusion idéologique omniprésente. (NdT)]Ryace n’appréciait pas ces restrictions. Lorsqu’elle est entrée au collège, elle a commencé à s’inquiéter de plus en plus de ce que la puberté allait lui apporter : des poils sur le visage, une pomme d’Adam, une voix plus grave. C’est alors que Danielle a demandé de l’aide à l’hôpital pour enfants d’Akron et à sa nouvelle clinique de genre, où on lui a expliqué qu’il était possible de prescrire des médicaments bloquant la puberté et des hormones sexuelles à Ryace afin de faciliter sa transition.
« C’est ce que j’ai toujours voulu », a déclaré Ryace à sa mère tandis qu’elles quittaient l’hôpital. Après quoi, ensemble, elles sont allées célébrer ça en allant acheter des vêtements de fille. Danielle était soulagée. Après avoir lutté pendant des années dans l’isolement pour faire ce qu’ils pensaient être le mieux pour Ryace, les Boyer bénéficiaient désormais de l’aide experte de personnes qui comprenaient leur situation.

Mais la première consultation avait soulevé de nouvelles questions troublantes. La médecin de la clinique d’Akron avait expliqué à Danielle et Ryace que les bloqueurs de puberté pouvaient affaiblir les os de Ryace. Leurs effets sur le développement de son cerveau et sa fertilité n’étaient pas bien compris. Le risque de l’inaction était encore plus alarmant : sans traitement, avait dit la médecin, Ryace risquait de se suicider.
Cette évocation du risque de suicide avait dramatiquement aggravé l’enjeu. « Depuis combien de temps demande-t-elle à être une fille ? » demanda Danielle à son mari cependant qu’ils étaient assis à discuter dans leur garage. « On n’arrête pas de lui dire non, et on lui fait du mal. S’ils peuvent nous aider, faisons-le. »
Ces dernières années, les États-Unis ont connu une explosion du nombre d’enfants qui s’identifient à un genre différent de celui qui leur a été assigné à la naissance [homme, femme, garçon et fille ne sont pas des « genres », mais des mots servant à désigner une réalité physique, sexuelle, corporelle ; garçon et homme désignent des individus respectivement enfants et adultes du sexe masculin, tandis que fille et femme désignent des individus respectivement enfants et adultes du sexe féminin ; une grande partie de l’absurdité nuisible du transgenrisme découle de telles confusions ; si la société tout entière n’assignait pas des rôles et des caractéristiques rigides aux deux sexes, ces enfants ne souffriraient sans doute pas, ils n’auraient pas l’impression de ne pas avoir le corps qui va avec les rôles et caractéristiques qui les attirent (NdT)]. Des milliers de familles comme celle des Boyer doivent faire des choix extrêmement lourds dans un domaine médical à peine naissant, en recherchant ce que l’on appelle des « soins d’affirmation de genre » pour leurs enfants.
Les soins d’affirmation de genre couvrent un large éventail d’interventions. Il peut s’agir d’adopter le nom et les pronoms préférés de l’enfant et de le laisser s’habiller en fonction de son identité de genre — ce qu’on appelle la transition sociale. Ils peuvent entamer une thérapie ou d’autres formes de traitement psychologique. Et, à partir du début de l’adolescence, cela peut inclure des interventions médicales telles que le recours à des bloqueurs de puberté, des hormones et, dans certains cas, une intervention chirurgicale. Dans tous les cas, l’objectif est de soutenir et d’affirmer l’« identité de genre » de l’enfant [c’est-à-dire d’affirmer son appartenance à un ensemble de stéréotypes sexistes, soit la masculinité, soit la féminité, et de conformer son corps à ce qu’il devrait être selon cette logique sexiste : si tu es attiré par la féminité, tu devrais avoir un corps de femme, si tu es attiré par la masculinité, tu devrais avoir un corps d’homme (NdT)].

Mais les familles qui choisissent la voie médicale s’aventurent sur un terrain incertain, où la science doit encore rattraper la pratique. Si le nombre de cliniques de genre spécialisées dans le traitement des enfants aux États-Unis est passé de zéro à plus de 100 au cours des 15 dernières années — et si les listes d’attente sont longues — les preuves solides de l’efficacité à long terme de ce traitement restent maigres.
Les bloqueurs de puberté et les hormones sexuelles n’ont pas reçu l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis pour le traitement de genre des enfants. Aucun essai clinique n’a établi leur innocuité pour une telle utilisation (non-conforme) [ces médicaments ne sont pas prévus, pas homologués pour cet usage (NdT)]. Les effets à long terme de ces médicaments sur la fertilité et la fonction sexuelle restent flous. En outre, en 2016, la FDA a ordonné aux fabricants de bloqueurs de puberté d’ajouter un avertissement sur l’étiquette de ces médicaments afin qu’il soit signalé qu’ils peuvent provoquer des problèmes psychiatriques, après que l’agence a reçu plusieurs signalements de pensées suicidaires chez des enfants qui en prenaient.
Plus généralement, aucune étude à grande échelle n’a suivi des personnes ayant reçu des soins médicaux liés au genre depuis leur enfance afin de déterminer combien d’entre elles sont restées satisfaites de leur traitement en vieillissant et combien ont finalement regretté leur transition. Même manque de clarté en ce qui concerne la question controversée de la détransition, qui désigne le fait qu’un patient arrête ou inverse son processus de transition.
L’agence gouvernementale états-unienne responsable de la recherche médicale et de la santé publique — les National Institutes of Health ou NIH — a déclaré à Reuters que « peu de choses sont établies concernant les risques que ces traitements posent pour la santé à court ou à long terme des adolescents transgenres et des autres adolescents de genres divers ». Les NIH ont financé une vaste étude visant à examiner la santé mentale, entre autres paramètres, d’environ 400 jeunes transgenres traités dans quatre hôpitaux pour enfants aux États-Unis. Toutefois, les résultats à long terme ne seront pas disponibles avant plusieurs années et pourraient ne pas répondre à des préoccupations portant par exemple sur la fertilité ou le développement cognitif.
On ne dispose pas depuis longtemps de données nationales fiables sur le nombre d’enfants qui reçoivent des soins pour « dysphorie de genre » — laquelle correspond à un sentiment de détresse lié au fait de s’identifier à un genre différent de celui que l’on nous a assigné à la naissance. Afin d’estimer l’évolution de la prévalence de ces cas, Reuters a demandé à la société Komodo Health Inc, spécialisée dans les technologies de la santé, d’analyser sa base de données de demandes de remboursement d’assurance et d’autres dossiers médicaux concernant environ 330 millions d’États-uniens. L’analyse, la première du genre, a révélé qu’au moins 121 882 enfants âgés de 6 à 17 ans avaient reçu un diagnostic de dysphorie de genre au cours des cinq années précédant la fin de 2021. Plus de 42 000 de ces enfants avaient été diagnostiqués sur la seule année 2021, soit une augmentation de 70 % par rapport à 2020.
Bien que moins important, le nombre d’enfants recevant des traitements médicaux similaires à ceux que la clinique d’Akron a proposé aux Boyer augmente également rapidement. Sur la période de cinq ans (2017–2021) étudiée, le nombre d’enfants ayant commencé à prendre des bloqueurs de puberté ou des hormones s’élève à 17 683, passant de 2 394 en 2017 à 5 063 en 2021. Ces chiffres constituent probablement une large sous-estimation puisqu’ils n’incluent pas les enfants dont le dossier ne précisait pas l’existence d’un diagnostic de dysphorie de genre ou dont le traitement n’était pas couvert par l’assurance.

Acceptation sociale
Ces chiffres en hausse reflètent en partie le succès d’années de défense des droits des personnes transgenres, qui, selon les médecins, ont permis à davantage d’enfants et de familles d’oser solliciter de l’aide. Les enfants transgenres sont toujours victimes de discrimination, d’intimidation et de menaces de violence. Mais étant donné que l’identité transgenre est aujourd’hui plus visible dans la culture populaire, les enfants souffrant de dysphorie de genre ont facilement accès, à la télévision et dans les médias sociaux, à des représentations positives de jeunes gens ayant reçu des soins professionnels d’affirmation du genre.
La prise en charge de la dysphorie de genre chez les mineurs a gagné en légitimité lorsque des groupes médicaux ont approuvé cette pratique et commencé à publier des directives de traitement. La principale d’entre elles est l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (la WPATH), qui compte 4 000 membres à travers le globe, comprenant des professionnels de la médecine, du droit, de l’enseignement et d’autres domaines encore. Au cours de la dernière décennie, ses directives (appelées « standards de soins ») ont été reprises par des organismes tels que l’Académie américaine de pédiatrie et l’Endocrine Society (la Société d’endocrinologie), qui représente les spécialistes des hormones.
Dans la dernière version de ses standards de soins, publiée en septembre, la WPATH note la rareté des recherches soutenant l’efficacité à long terme du traitement médical des adolescents souffrant de dysphorie de genre. Par conséquent, ses standards précisent qu’« il n’est pas possible de procéder à un examen systématique des résultats du traitement chez les adolescents ». L’Endocrine Society, dans ses propres directives, reconnaît la « faible » ou « très faible » valeur des preuves soutenant ses recommandations.
Le gouvernement fédéral a facilité le recours à ce traitement en 2016, lorsque l’administration du président Barack Obama a interdit aux assureurs de santé et aux prestataires médicaux de limiter la fourniture de soins en raison de l’identité de genre d’une personne. Ce qui a permis une prise en charge par les assurances publiques et privées des soins d’affirmation du genre, y compris pour les enfants, qui peuvent coûter des dizaines de milliers de dollars par an rien que pour les bloqueurs de puberté.
Aujourd’hui, plus de la moitié des États financent les traitements de transition de genre par le biais de Medicaid, le programme d’assurance maladie gouvernemental destiné à des millions de familles à faibles revenus. Neuf États excluent les soins de transition de genre des jeunes de la couverture de Medicaid. La Floride, dans son interdiction de remboursement des transitions de genre par Medicaid, déclare que les traitements de la dysphorie de genre « ne répondent pas à la définition de la nécessité médicale ».
Cette disparité entre les États est symptomatique de la façon dont les soins d’affirmation du genre sont devenus un sujet de tensions dans la politique hautement polarisée de la nation.
De nombreux conservateurs les décrivent comme une forme de maltraitance des enfants. « Vous ne défigurez pas des enfants de 10, 12, 13 ans sur la base d’une dysphorie de genre », a déclaré le gouverneur de Floride Ron DeSantis, un républicain, lors d’une conférence de presse en août, quelques jours avant que son État n’interdise la couverture par Medicaid des soins de genre pour les enfants. L’Alabama, l’Arkansas et le Texas ont adopté des lois ou des politiques visant à limiter largement l’accès des enfants aux soins, toutes bloquées depuis par les tribunaux. Dans plus d’une douzaine d’autres États, dont l’Ohio, où vivent les Boyer, les législateurs ont présenté des projets de loi visant à interdire ces soins ou à pénaliser les prestataires qui traitent les enfants.
Dans le même temps, au moins une douzaine d’États, dont New York, la Californie et le Massachusetts, se sont alignés sur les défenseurs des transgenres et de nombreux prestataires médicaux en veillant à ce que les enfants bénéficient d’un accès garanti aux soins. Et en juillet, l’administration Biden a proposé d’étendre les protections de l’ère Obama.
« Les soins d’affirmation du genre pour les jeunes transgenres sont essentiels et peuvent sauver des vies », a déclaré Rachel Levine, la secrétaire adjointe au ministère américain de la Santé et des Services sociaux, dans une interview accordée à Reuters. [Rachel Leland Levine est un homme, qui a vécu l’immense majorité de sa vie en tant que Richard Levine et a donc bâti sa carrière sous cette identité, et qui a décidé de « transitionner » et de devenir Rachel Levine en 2011 (NdT)]
Levine, pédiatre et femme transgenre, a suscité un tollé de la part des opposants conservateurs à la prise en charge des soins de genre des enfants et de certains professionnels de la santé plus tôt cette année lorsqu’elle a déclaré à la National Public Radio : « Il n’y a aucun débat parmi les professionnels de la médecine — pédiatres, endocrinologues pédiatriques, médecins spécialistes de l’adolescence, psychiatres pour adolescents, psychologues, etc.— sur la valeur et l’importance des soins d’affirmation du genre. »

Levine avait raison, dans la mesure où les prestataires de soins de santé s’accordent généralement à dire que toute personne souffrant de dysphorie de genre a droit à une assistance thérapeutique, qu’il s’agisse de transition sociale, de conseil, de thérapie psychologique ou d’interventions médicales. Mais son affirmation fait l’impasse sur les profonds désaccords qui existent au sein de la communauté des professionnels des soins de genre concernant l’évolution de la manière de traiter la dysphorie aux États-Unis, tandis que toujours plus de patients affluent dans les cliniques.
Un nombre croissant de professionnels des soins de l’identité de genre affirment que, dans l’urgence de répondre à une demande en constante augmentation, un trop grand nombre de leurs pairs poussent trop de familles à poursuivre le traitement de leurs enfants avant même d’avoir entrepris les évaluations approfondies recommandées par les directives professionnelles.
Selon ces professionnels de la santé, ces évaluations sont cruciales, car si le nombre de patients atteints de dysphorie a augmenté en pédiatrie, il en va de même de ceux dont la principale source de détresse n’est pas nécessairement une dysphorie de genre persistante. Certains sont « genderfluid » (ou « genres-fluides »), avec une identité de genre qui change avec le temps. Certains ont des problèmes de santé mentale qui compliquent leur cas. Pour ces enfants, disent certains praticiens, le traitement médical peut poser des risques inutiles alors qu’une assistance psychologique ou d’autres interventions non médicales constitueraient de meilleurs choix.
« Je crains que nous n’obtenions des faux positifs et que nous ne les soumettions à des changements physiques irréversibles », déclare la Dr Erica Anderson, une psychologue clinicienne qui travaillait auparavant à la clinique du genre de l’Université de Californie à San Francisco. « Ces erreurs de jugement donnent du grain à moudre aux contestataires — aux personnes qui veulent éradiquer ces soins. » Anderson, une femme transgenre qui traite encore des enfants atteints de dysphorie de genre dans son cabinet privé, a démissionné de la présidence de la section américaine de WPATH l’année dernière après que ses commentaires publics sur les soins « bâclés » ont incité l’organisation à publier un moratoire temporaire interdisant aux membres du conseil d’administration de parler à la presse.
En Europe, la crainte que trop d’enfants ne soient inutilement mis en danger a incité des pays comme la Finlande et la Suède, qui ont pourtant été les premiers à adopter les soins de genre pour enfants, à désormais en limiter l’accès. Le Royaume-Uni est en train de fermer sa principale clinique de genre pour enfants et de remanier le système après qu’une étude indépendante a révélé que certains membres du personnel se sentaient « poussés à adopter une approche affirmative inconditionnelle/irréfléchie ».
À l’opposé de celles et ceux qui conseillent la prudence, aux États-Unis, figurent des membres de la communauté des soins de genre qui affirment que refuser un traitement à tout enfant souffrant de dysphorie de genre est contraire à l’éthique et dangereux. « Vous ne devriez pas avoir à sauter à travers des cerceaux pour prouver votre propre transidentité », déclare Dallas Ducar [une « femme transgenre », c’est-à-dire un homme (NdT)], infirmière praticienne en psychiatrie et prestataire de soins trans dans le Massachusetts.
De concert avec des cadres d’autres cliniques, Ducar affirme que les listes d’attente dans de nombreux établissements montrent que les enfants sont déjà confrontés à d’importants obstacles au traitement en raison d’une pénurie de prestataires et d’une stigmatisation persistante des traitements des patients transgenres. « Si vous mettez des barrières inutiles, nous savons que l’enfant continuera d’être trans et qu’il continuera à subir un stress psychologique profond qui augmente le risque de tentatives de suicide ou de suicide lui-même », déclare Ducar.
La Dr Marci Bowers, une chirurgienne spécialisée [en réalité, Marci Bowers est un homme (NdT)] dans les procédures transgenres, devenue présidente de la WPATH en septembre, affirme dans une interview que l’organisation tente de trouver un juste milieu entre « ceux qui voudraient que les hormones et les opérations chirurgicales soient disponibles façon distributeur automatique, disons, et ceux qui pensent qu’il faut passer par toutes sortes de procédures et d’obstacles ».
Dans ses nouveaux standards de soins, la WPATH réitère sa recommandation de longue date d’évaluations complètes afin de déterminer si les adolescents sont aptes à recevoir un traitement médical. « Il n’existe pas d’études sur les résultats à long terme des traitements médicaux liés au genre pour les jeunes n’ayant pas subi d’évaluation complète », notent les directives. Sans de telles bases, ajoute le document, « la décision de commencer des interventions médicales liées au genre peut ne pas être dans le meilleur intérêt à long terme de la jeune personne ».
Levine, la secrétaire adjointe à la Santé, affirme que les cliniques procèdent avec prudence et qu’aucun enfant états-unien ne se voit prescrire de médicaments ou d’hormones pour sa dysphorie de genre qui ne le devrait pas. « Ce n’est pas comme si toute personne qui arrive recevait automatiquement un traitement médical », déclare-t-elle.
Un bon candidat
Belpre, Ohio, se trouve dans le comté de Washington, une communauté rurale composée d’exploitations agricoles, de mobil-homes et d’églises, située au milieu de collines verdoyantes. La région a accueilli des générations de Boyer. Danielle, 37 ans, travaille dans l’enseignement. Steve Boyer, un plombier et tuyauteur de 36 ans, a siégé au conseil d’administration d’une foire locale, où Ryace et son frère aîné, Aiden, ont présenté des canards et des agneaux qu’ils avaient élevés. Les week-ends sont consacrés au camping ou aux concours hippiques où Ryace, cavalière accomplie, participe aux courses de barils et aux épreuves de corde. « Tout le monde connaît les Boyer », explique Steve.
Steve et Danielle n’avaient aucune expérience directe des personnes transgenres lorsque Ryace est née. Vers l’âge de 4 ans, elle se considérait comme une fille, jouait avec des filles chez ses amis et était fascinée par les vêtements féminins et les bijoux [aucun doute ! c’est forcément une fille piégée dans un corps de garçon ! Tout le monde sait qu’aimer les bijoux et les vêtements féminins, c’est être une fille ou une femme, et que toutes les filles et les femmes qui n’aiment pas les bijoux et les vêtements féminins sont en réalité des garçons ou des hommes (NdT)]. Le matin de Noël 2011, peu avant son quatrième anniversaire, Ryace a été ravie de recevoir du Père Noël une grande partie de ce qu’elle avait souhaité : des poupées Barbie, une maison de poupée et des jouets roses et violets.
Mais Danielle, craignant que Ryace ne soit pas acceptée en tant que fille transgenre dans leur communauté conservatrice, voulait protéger son enfant des regards, des commentaires haineux et des relations brisées qui s’ensuivraient inévitablement. « L’accord était le suivant : à la maison seulement », nous confie Danielle.
Ryace a constamment repoussé les limites. Dès le début, lorsque les amis et les voisins la complimentaient en disant qu’elle était un joli petit garçon, elle les corrigeait : elle était une fille. Danielle s’est alors sentie obligée de corriger Ryace.
Danielle a cherché des compromis. À l’école élémentaire, elles se sont souvent accordées pour que Ryace porte des leggings noirs neutres et des T‑shirts aux couleurs vives. Elle achetait des robes et des épingles à cheveux dans les vide-greniers et laissait Ryace les porter à la maison. Lors des déplacements en ville, Danielle demandait à Ryace d’enlever les robes qu’elle portait par-dessus ses vêtements de garçon et de les laisser dans la voiture.
À l’approche du collège — et de la puberté — Ryace a commencé à apporter en cachette des soutien-gorge et du mascara à l’école. Elle envoyait régulièrement des SMS à sa mère : « Quand vas-tu commencer à me considérer comme une fille ? ».
La télévision et Internet ont ouvert les yeux de Ryace à de nouvelles possibilités. Elle a regardé I Am Jazz, l’émission de télé-réalité consacrée à Jazz Jennings, une jeune fille transgenre ayant effectué une transition sociale à un âge précoce, pris des bloqueurs de puberté et des hormones et été opérée. Elle a vu des jeunes sur YouTube discuter de la dysphorie de genre et de leurs transitions, ainsi que les images avant-après qu’ils partageaient. Sur Instagram, elle s’est mise à suivre Nikita Dragun [sic], une maquilleuse et mannequin qui a fait son coming out transgenre à l’adolescence et qui compte désormais 9 millions d’abonnés. [Nikita Dragun, c’est un garçon devenue la personne que vous voyez dans la vidéo ci-dessous, tirée de son compte TikTok, qui compte plus de 14 millions d’abonnés (NdT)]
@nikitadragun
Ryace se souvient que c’est à ce moment-là qu’elle a commencé à penser : « Ça existe vraiment. Je peux vraiment le faire. »

Ryace correspond au type d’enfant sur lequel les médecins des Pays-Bas se sont concentrés dans le cadre de leur travail pionnier au début des années 2000 sur le traitement médical des adolescents atteints de dysphorie de genre. Les chercheurs du centre médical universitaire d’Amsterdam ont procédé à une évaluation méthodique de leurs sujets afin de s’assurer qu’ils répondaient à certains critères avant de leur prescrire un traitement. Comme Ryace, ces adolescents présentaient une dysphorie de genre persistante depuis leur plus jeune âge, vivaient dans un environnement favorable et n’avaient pas de problèmes psychiatriques graves susceptibles d’interférer avec un diagnostic ou un traitement.
Les évaluations duraient généralement six mois, environ. Après quoi, si elles étaient favorables, le traitement pouvait commencer. Les enfants remplissaient une série de questionnaires et les cliniciens leur parlaient fréquemment pour s’assurer que leur dysphorie de genre était persistante et qu’ils comprenaient les implications à long terme du traitement. Pour les patients qui présentaient des problèmes psychiatriques, les chercheurs ont prolongé la phase d’évaluation jusqu’à plus de 18 mois avant d’envisager un traitement médical.
En 2011, les Néerlandais ont publié les résultats détaillés de leurs travaux. Une de leurs études portait sur 70 adolescents qui, après près de deux ans de prise de bloqueurs de puberté, présentaient moins de problèmes comportementaux et émotionnels et moins de symptômes de dépression qu’au départ. Néanmoins, leurs sentiments d’anxiété et de colère étaient restés relativement inchangés. Tous les patients ont continué à prendre des hormones. [Rien de tout ça ne signifie que ce traitement médical constituait le meilleur choix thérapeutique pour ces jeunes (NdT)]
Les pays européens et les États-Unis ont adopté le modèle néerlandais dans le domaine émergent des soins d’affirmation de genre pour les mineurs. La WPATH et d’autres groupes professionnels ont publié des directives recommandant des évaluations psychologiques complètes avant d’orienter un enfant vers un traitement médical.
Plus récemment, cependant, bon nombre des patients qui affluent dans les cliniques ne répondraient pas aux critères des chercheurs néerlandais. Certains souffrent de problèmes psychiatriques importants, notamment de dépression, d’anxiété et de troubles alimentaires. Certains rapportent des sentiments de dysphorie de genre assez tardivement, autour du début de la puberté ou après, selon les études publiées, les spécialistes du genre et les directeurs de cliniques. Ces patients nécessitent une évaluation plus approfondie afin que les autres causes permettant potentiellement d’expliquer leurs détresses soient écartées.
Et pour des raisons qui restent inconnues [pas si inconnues que ça en vérité, un certain nombre de féministes ont fourni une explication assez solide de ce phénomène, que l’on pourrait résumer par : il est plus insupportable d’être une femme qu’un homme dans la société patriarcale (NdT)], un nombre disproportionné de ces patients sont assignées femmes à la naissance [autrement dit : sont des femmes (NdT)]. Dans l’étude en cours des NIH sur les effets du traitement de genre, les mineurs désignés de sexe féminin à la naissance représentaient 61 % des inscrits. La clinique de genre de l’hôpital pour enfants de Milwaukee, dans le Wisconsin, a déclaré que 65 % de ses patients avaient été assignés femmes à la naissance. Certains chercheurs et cliniques affirment que les femmes transgenres [les hommes qui se pensent/disent femmes (NdT)] sont moins susceptibles de chercher un traitement parce qu’elles sont davantage stigmatisées par la société. Les détracteurs des traitements de genre chez les enfants accusent la pression des pairs, renforcée par les médias sociaux, d’augmenter le nombre d’hommes transgenres [de femmes qui se pensent/disent hommes (NdT)] qui cherchent à se faire traiter.
La Dr Annelou De Vries, spécialiste en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, est une des chercheuses néerlandaises dont les tout premiers travaux ont établi l’importance d’une évaluation rigoureuse des patients avant de commencer un traitement médical. Si elle s’inquiète du nombre croissant d’enfants en attente de traitement, elle estime que le plus grave est de précipiter le traitement alors que les bloqueurs de puberté et les hormones ne sont peut-être pas appropriés.
« Le dilemme éthique existentiel dans la prise en charge des transgenres se situe entre, d’une part, le droit (de l’enfant) à l’autodétermination », affirme De Vries, « et d’autre part, le principe médical du “d’abord ne pas nuire”. Ne sommes-nous pas en train d’intervenir médicalement dans un corps en développement sans connaître les effets de ces interventions ? » Aux États-Unis, en particulier, dit-elle, « le droit de la personne transgenre ou de l’enfant semble l’emporter ». De Vries a participé à la rédaction de la section sur les adolescents de la dernière version des standards de soins de la WPATH. Elle s’est dit satisfaite que la partie insistant sur l’importance d’une évaluation rigoureuse des patients ait été conservée.
Dans des interviews accordées à Reuters, des médecins et d’autres employés de 18 cliniques de genre à travers le pays ont décrit leurs processus d’évaluation des patients. Aucun d’entre eux n’a décrit un processus similaire aux évaluations de plusieurs mois que De Vries et ses collègues ont adoptées dans le cadre de leurs recherches.
Dans la plupart des cliniques, une équipe de professionnels — généralement un travailleur social, un psychologue et un médecin spécialisé dans l’adolescence ou l’endocrinologie — rencontre les parents et l’enfant pendant deux heures ou plus pour apprendre à connaître la famille, ses antécédents médicaux et ses objectifs de traitement. Les avantages et les risques des options de traitement sont également discutés. Sept des cliniques déclarent que lorsqu’elles ne constatent pas de signaux d’alarme et que l’enfant et les parents sont d’accord, elles peuvent prescrire des bloqueurs de puberté ou des hormones dès la première visite, si l’âge de l’enfant le permet.
« Pour ces enfants, il n’est pas utile d’attendre six mois pour faire des évaluations », affirme le Dr Eric Meininger, médecin principal du programme de santé de genre à l’hôpital pour enfants Riley d’Indianapolis. « Ils ont fait leurs recherches, et ils comprennent vraiment le risque. »
De nombreux cliniciens s’insurgent contre l’idée selon laquelle ils iraient trop vite et traiteraient les enfants avant de les avoir correctement examinés. Selon eux, des évaluations et des assistances qui s’étendent sur des mois au lieu d’un traitement médical immédiat mettent les enfants en danger, les pathologisent et les privent de leur identité fondamentale. Pour les mineurs souffrant de problèmes psychiatriques, le traitement médical atténue souvent la détresse liée à la dysphorie de genre et permet aux professionnels de s’occuper des autres problèmes.
« Être trans est une identité, pas un diagnostic, et les personnes transgenres veulent simplement des soins qui affirment qui elles sont », affirme Ducar, qui propose des soins trans dans le Massachusetts.
Ducar et d’autres ont été déçus que dans ses derniers standards de soins, la WPATH note que « l’influence sociale » pouvait avoir un impact sur l’identité de genre de certains adolescents. Ils soutiennent que l’idée d’une « contagion sociale » affectant les enfants véhicule une idée fausse et offensante selon laquelle être transgenre serait une mode touchant les adolescents impressionnables par leurs amis et les médias sociaux, et occulte la stigmatisation, l’intimidation et la discrimination dont sont victimes les personnes transgenres.
Le Dr Eli Coleman, directeur de l’Institut pour la santé sexuelle et de genre de la faculté de médecine de l’Université du Minnesota, qui a supervisé la mise à jour des standards de soins de la WPATH, affirme : « Un clinicien informé et compétent est en mesure de différencier une identité de genre profonde et durable d’une identité potentiellement influencée par la société. »
La question des évaluations est compliquée par une pénurie chronique de professionnels de la santé mentale des enfants qui ne fait qu’empirer à mesure que les taux de dépression, d’anxiété, de troubles de l’humeur et d’automutilation augmentent dans tout le pays.
« Nous n’avons pas assez de thérapeutes et de psychologues ayant reçu une formation adéquate dans ce domaine pour suivre le rythme de l’augmentation du nombre de patients de genres divers font leur coming-out », explique le Dr Michael Irwig, professeur associé à l’école médicale de Harvard et directeur de la médecine transgenre au centre hospitalier universitaire de Beth Israel Deaconess. « Nous allons passer à côté de certaines personnes n’ayant pas été examinées de manière appropriée ou n’ayant pas reçu les soins de santé mentale dont elles ont besoin. » Cela, remarque-t-il, pourrait faire augmenter le nombre de personnes qui détransitionneront ultérieurement.
Reuters a interrogé les parents de 39 mineurs ayant demandé des soins d’« affirmation de genre ». Les parents de 28 de ces enfants ont déclaré qu’ils s’étaient sentis pressurés ou fortement incités à procéder au traitement.
Kate, une mère de 53 ans du New Jersey, se souvient qu’elle et son mari avaient été choqués en novembre 2020 lorsque leur enfant de 13 ans leur avait annoncé qu’il était transgenre. L’enfant, assigné de sexe féminin à la naissance [une fille, donc (Ndt)], avait toujours joué avec d’autres filles et ne s’était jamais identifié expressément comme un garçon. Ils pensaient simplement que leur enfant était un « garçon manqué ». Mais désormais, il avait choisi un nom masculin, voulait prendre des bloqueurs de puberté et subir une opération d’ablation des seins.
Après une première consultation individuelle d’un peu plus d’une heure avec l’adolescent, un psychiatre a estimé qu’il était un bon candidat pour les bloqueurs de puberté, explique Kate. Un endocrinologue a formulé la même recommandation après avoir parlé avec la famille pendant 15 minutes. Kate et son mari ont également participé à un groupe de soutien aux parents organisé par un thérapeute de genre local. Partout, remarque Kate, « le message était de laisser votre enfant conduire le bus. Là où il vous mène, c’est là où vous devez aller. »
Kate, qui a demandé que seul son prénom soit utilisé pour protéger l’identité de son enfant, s’était renseignée sur les bloqueurs de puberté. Inquiète de cette utilisation non homologuée et des effets secondaires possibles, elle n’a pas accepté le traitement. Elle soutient la transition sociale de son fils, en utilisant ses pronoms préférés et en lui achetant le ruban adhésif qu’il utilise pour attacher ses seins. Mais elle pense qu’il est trop jeune pour prendre des décisions relatives à des traitements médicaux impliquant un bouleversement vital irréversible.
« Les enfants, à 13 ou 14 ans, sont parfois des personnes totalement différentes de celles qu’ils sont à 18 ou 19 ans », affirme-t-elle. À la suite de sa décision, sa relation avec son fils a été « fracturée », confie Kate. S’il choisit de poursuivre une transition médicale après ses 18 ans, son mari et elle le regretteront, mais ils ne s’y opposeront pas non.
Le risque de suicide
L’entente fragile entre Ryace et ses parents — fille à la maison, garçon partout ailleurs — s’est effondrée lorsque Ryace a commencé l’école intermédiaire.
En décembre 2019, Danielle a laissé Ryace, 11 ans à l’époque, se maquiller et porter un pantalon noir à clochettes pour aller à un match de basket dans une école voisine. La mère de Danielle, Ruth Alden, était présente au match. Après coup, elle a sermonné Danielle. C’était embarrassant pour la famille, explique Ruth Alden, et les autres enfants vont « lui casser la gueule ». Sa petite-fille pourrait être poussée au suicide, prévient-elle.

Danielle était furieuse — et découragée. Elle se sentait piégée. Elle craignait depuis longtemps de pousser Ryace au suicide en insistant pour que son identité reste secrète. Cette nuit-là, Danielle a hurlé sur sa propre mère : « Qu’est-ce que je dois faire, maman ? Quelle que soit ma décision, je pourrais avoir un enfant mort. »
Au début de la nouvelle année, Danielle, qui cherchait désespérément des conseils, a rejoint un groupe Facebook pour les parents d’enfants transgenres de l’Ohio. C’est ainsi qu’elle a été orientée vers l’hôpital pour enfants d’Akron, à deux heures de route, où elle s’est rendue le 6 août 2020 pour un rendez-vous avec la Dr Crystal Cole et son équipe. Cole, originaire d’Akron et spécialiste de la médecine des adolescents, a fondé le Centre d’affirmation du genre de l’hôpital en 2019. La clinique a accueilli 25 patients cette année-là. Elle traite désormais plus de 350 jeunes.
Au cours de leur rencontre de deux heures, Cole a commencé par des poser des questions d’ordre générale sur Ryace, sa famille et leurs antécédents médicaux. Puis elle s’est concentrée sur la santé mentale de Ryace et son aptitude au traitement. Danielle a poussé un soupir de soulagement lorsque Ryace a répondu qu’elle n’entendait pas de voix, ne prenait pas de drogues illégales et n’avait jamais essayé de se faire du mal.
Cole leur a ensuite exposé les options de traitement. Ryace pouvait faire une transition sociale. Elle pouvait également choisir de recevoir des conseils et une thérapie pour l’aider dans sa transition. Et elle pouvait entreprendre une transition médicale. À 12 ans, Ryace a fait le choix de prendre des bloqueurs de puberté afin d’éviter la masculinisation qu’elle redoutait, avec les risques connus et inconnus que cela implique.
Cole a ensuite évoqué le danger de l’inaction. « Le risque de tentative de suicide chez les personnes transgenres est supérieur à 40 % », a‑t-elle déclaré à Ryace et Danielle. « L’une des choses qui permet de réduire ce risque est le soin d’affirmation [de « genre » (NdT)] et un environnement affirmatif. »
La statistique à laquelle Cole fait référence provient d’une enquête états-unienne de 2015 sur les personnes transgenres, un sondage anonyme en ligne mené auprès de près de 28 000 adultes transgenres par le National Center for Transgender Equality (Centre national pour l’égalité transgenre), un organisme à but non lucratif de défense des droits des trans. En contraste des 40 % de répondants qui ont déclaré avoir tenté de se suicider à un moment de leur vie, il faut savoir que le taux pour la population générale des États-Unis était alors de 4,6 %, remarquent les auteurs de cette enquête de 2015.
Il s’agit de l’une des quelques enquêtes que les professionnels de la santé citent lorsqu’ils conseillent les familles dont un enfant cherche à obtenir des soins d’affirmation de genre. Le Trevor Project, un groupe à but non lucratif qui se concentre sur la prévention du suicide chez les jeunes LGBTQ, en a réalisé une autre. Dans son enquête anonyme de 2021, 52 % des répondants transgenres et non binaires âgés de 13 à 24 ans ont déclaré avoir sérieusement envisagé de se suicider. Plus de 13 000 répondants, soit 38 % de l’échantillon global, s’étaient identifiés comme transgenres ou non binaires.
Le Dr Jonah DeChants, chercheur membre du Trevor Project, affirme que les données de l’enquête du groupe « racontent une histoire vraiment importante sur l’impact sur la santé mentale du fait d’être une personne LGBTQ et de vivre dans un monde qui vous dit que vous êtes mauvais, que vous êtes une abomination et qu’il n’est pas bon qu’on vous autorise à être en présence d’autres enfants ».
De telles enquêtes en ligne sont devenues courantes dans le domaine scientifique, mais les chercheurs affirment qu’elles peuvent ne pas être pleinement représentatives de la population plus large étudiée. Les auteurs de l’enquête états-unienne de 2015 sur les personnes transgenres notent qu’il « n’est pas approprié de généraliser les résultats de cette étude à toutes les personnes transgenres ».
Les experts en soins de genre affirment que des recherches plus spécifiques sont nécessaires pour déterminer si la transition médicale en tant que mineur diminue les pensées suicidaires et les suicides en comparaison du choix consistant à faire une transition sociale ou à attendre avant de commencer un traitement.
Certains professionnels des soins de genre déplorent que le risque de suicide soit trop souvent utilisé pour faire pression et même effrayer les parents afin qu’ils consentent au traitement. « Je pense qu’il est irresponsable pour les cliniciens de faire cela », affirme Anderson, l’ancienne présidente de la section états-unienne de la WPATH. « En tant que psychologue clinicienne, je n’évalue pas le risque de suicide en fonction de l’appartenance à un groupe social. Le niveau de risque varie énormément d’un individu à l’autre. »
De Vries, la chercheuse néerlandaise, a déclaré à Reuters que rien ne permet d’affirmer que « le fait de fournir des soins immédiatement conduit à une baisse de l’automutilation ou prévient le suicide ».
DeChants, du Trevor Project, affirme qu’il ne voudrait pas que les données de l’organisation soient utilisées pour faire pression sur les gens : « Nous ne dirons jamais que les soins de santé fondés sur l’affirmation du genre sont la seule façon d’aborder le risque de suicide, mais c’est une option importante que les jeunes, leurs médecins et leurs familles doivent pouvoir envisager. »
Après avoir évalué Ryace pendant deux heures, la Dr Cole et son équipe étaient convaincus que Ryace souffrait de dysphorie de genre et était une candidate solide pour un traitement médical. « Ryace est une jeune femme très dynamique et bien équilibrée qui s’est vue attribuer le sexe masculin à la naissance », a déclaré le Dr Cole. Évoquer la question du suicide lors de la première visite est effrayant pour beaucoup de parents, a‑t-elle ajouté, mais « c’est une réalité que nous devons aborder ».
Quelques semaines après sa visite à Akron, Danielle a annoncé la transition sociale de Ryace dans un message Facebook à sa famille et à ses amis. « Je voulais juste vous faire savoir que Ryace a commencé le lycée en tant que femme », a‑t-elle écrit dans une publication en date du 19 septembre 2020. « Elle peut enfin être qui elle a l’impression d’être. Une fille. Je préfèrerais parfois que ce ne soit pas notre vie, mais ça l’est, c’est réel, et je dois laisser faire et être là pour ramasser les morceaux quand le monde devient moche. Et ça arrivera, alors nous avons besoin de tout l’amour et de tout le soutien que nous pouvons obtenir. »
De nombreux parents et amis les ont soutenus, y compris Alden, la mère de Danielle. D’autres ont cessé de parler aux Boyer. Certains parents se sont plaints à l’école de Ryace parce qu’elle utilise les toilettes des filles. Auparavant, elle utilisait les toilettes individuelles. Le principal a soutenu Ryace.
Ryace était impatiente de commencer le traitement. « Qu’est-ce qu’on attend ? », a‑t-elle demandé à sa mère. En novembre 2020, Danielle a emmené Ryace à un rendez-vous avec l’endocrinologue pédiatrique de la clinique d’Akron pour en savoir plus sur les bloqueurs de puberté. L’endocrinologue a prévu que Ryace reçoive sa première injection en mars 2021.
[Aparté du traducteur : lors d’une récente conférence en ligne donnée par des professionnels membres de la WPATH, un médecin, l’endocrinologue pédiatrique Daniel Metzger, de l’hôpital pour enfants de Colombie-Britannique, a explicitement reconnu que les enfants ne possèdent pas les dispositions cognitives nécessaires pour comprendre les tenants et les aboutissants des traitements médico-chirurgicaux dits d’affirmation de genre. C’est dans la vidéo ci-dessous. Et c’est l’évidence même. Mais le fait que des membres de la WPATH l’admettent en dit long sur l’insanité de cette organisation]Des inconnues connues
Endo International plc et AbbVie Inc dominent le marché américain des bloqueurs de puberté. La seule utilisation de ces médicaments chez l’enfant approuvée par la FDA consiste à traiter la puberté précoce centrale, un trouble du développement caractérisé par l’apparition de changements pubertaires, avec le développement de caractères sexuels secondaires, une croissance et une maturation osseuses accélérées, avant 8 ans pour les filles et 9 ans pour les garçons, en raison d’un dysfonctionnement de l’hypophyse.
Parmi les effets secondaires observés chez les enfants qui prennent ces médicaments, on trouve une diminution de la densité osseuse, souvent traitée par des supplémentations en vitamine D ou en calcium. Des études ont montré que la densité osseuse pouvait revenir à la normale à la fin du traitement, mais aussi que pour certaines filles transgenres, ce n’était pas toujours le cas.
En septembre, la FDA a publié une étude ne faisant état d’« aucune preuve d’un risque accru de fracture » chez les patients atteints de puberté précoce qui prennent du leuprolide, l’équivalent générique du Lupron d’AbbVie et de médicaments similaires. Cependant, l’étude de la FDA n’a pas examiné les cas d’enfants ayant suivi ce médicament dans le cadre d’un soin d’« affirmation de genre ».
Dans une étude de 2018 publiée dans la revue médicale Clinical Pediatrics, des chercheurs de l’université de Yale ont noté une forte augmentation de l’utilisation hors indication des bloqueurs de puberté et ont fait remarquer que ces médicaments n’avaient « pas été étudiés en profondeur chez les populations dont la puberté se produit au moment prévu ».
Au Texas, au début de l’année, des scanners osseux ont révélé qu’un enfant, âgé de 15 ans à l’époque, souffrait d’ostéoporose après 15 mois sous bloqueurs de puberté. La mère de l’adolescente, qui a demandé à ne pas être identifiée parce qu’elle travaille à l’hôpital où son enfant a été traité, a déclaré qu’elle pensait avoir tout fait correctement lorsque son adolescente avait fait son coming-out en tant que fille transgenre. Mais après avoir constaté les résultats de la scintigraphie osseuse, examinés par Reuters, elle a confié regretter d’avoir placé son enfant sous inhibiteurs de puberté. Elle a arrêté ses injections de Lupron et a refusé toute thérapie hormonale.
L’enfant, qui avait effectué une transition sociale, a d’abord été furieux contre elle et a menacé d’abandonner le lycée. Mais leur relation est désormais meilleure, explique-t-elle, bien que « nous ne parlions pas de genre ».
Une autre préoccupation concernant les bloqueurs de puberté a émergé en 2016, lorsque la FDA a ordonné aux fabricants de médicaments d’ajouter un avertissement sur l’étiquette des médicaments évoquant les problèmes psychiatriques qu’ils pouvaient causer chez les enfants atteints de puberté précoce. Sur l’étiquette du Lupron, AbbVie indique : « Des événements psychiatriques ont été rapportés chez des patients » prenant des bloqueurs de puberté. Ces événements comprennent des symptômes émotionnels « tels que des pleurs, de l’irritabilité, de l’impatience, de la colère et de l’agressivité ».
La FDA a demandé cette modification du libellé du Lupron après avoir reçu 10 signalements, par le biais de son système de notification des effets indésirables, d’enfants ayant eu des pensées suicidaires, et d’une tentative de suicide, selon un rapport de l’agence du 5 décembre 2016 examiné par Reuters. Parmi ces signalements figurait un patient de 14 ans qui prenait du Lupron pour une dysphorie de genre. Dans son rapport, la FDA note que les idées suicidaires et la dépression sont des « événements graves » et qu’il y a « suffisamment de preuves pour justifier l’information des prescripteurs, même en cas d’incertitude sur la causalité ».
L’agence a également demandé aux fabricants de médicaments de surveiller de près ces effets indésirables et de lui transmettre des rapports plus détaillés. « La FDA poursuit la surveillance des événements psychiatriques associés aux médicaments indiqués pour le traitement des patients pédiatriques atteints de puberté précoce centrale », souligne l’agence.
Les signalements d’effets indésirables émanant des professionnels de la santé, des consommateurs et des fabricants de médicaments aident la FDA à détecter les problèmes de sécurité potentiels d’un médicament pouvant justifier une enquête. Cependant, l’agence ne reçoit pas de signalement pour chaque événement indésirable, et rien ne garantit qu’un événement signalé ait été causé par un médicament. Les rapports peuvent contenir des erreurs, des données incomplètes ou des informations en double.
Reuters a trouvé 72 signalements d’événements indésirables soumis à la FDA entre 2013 et 2021, concernant des enfants sous bloqueurs de puberté présentant un comportement suicidaire, automutilant ou dépressif. Ces enfants prenaient ces médicaments pour traiter une puberté précoce centrale ou une dysphorie de genre, ou étaient simplement identifiés comme ayant moins de 18 ans.
Un signalement d’événement indésirable adressé à la FDA le 17 décembre 2020 décrit un patient de 15 ans prenant du Lupron pour une thérapie de genre. Ce patient avait des antécédents de « trouble dépressif majeur » et des antécédents familiaux de dépression. Il a connu une « détérioration de sa santé mentale » alors qu’il était sous Lupron et a tenté de se suicider à deux reprises. AbbVie affirme dans son rapport à la FDA qu’il n’y a « aucune possibilité raisonnable » que ces événements indésirables soient liés au Lupron. La société n’a pas souhaité élaborer.
Le Dr Brad Miller, directeur de la division d’endocrinologie pédiatrique de la faculté de médecine de l’université du Minnesota et de l’hôpital pour enfants M Health Masonic, s’est dit surpris par le nombre de signalements d’effets indésirables que Reuters a découverts. Il s’est dit particulièrement inquiet parce que les médecins prescrivent des bloqueurs de puberté aux enfants transgenres, lesquels présentent déjà un risque plus important de problèmes de santé mentale.
Miller et plusieurs autres médecins ont déclaré à Reuters avoir demandé à plusieurs reprises à AbbVie, Endo et à d’autres fabricants de bloqueurs de puberté de demander à la FDA l’autorisation d’utiliser ces médicaments pour traiter la dysphorie de genre chez les enfants et de mener des essais cliniques afin d’établir l’innocuité de ces médicaments dans ce contexte. Mais ces entreprises ont toujours refusé. « Elles disent que l’obtention de l’autorisation coûterait très cher », explique Miller. « Et elles ne souhaitent pas entamer ces démarches parce que (le traitement des transgenres) est très explosif sur le plan politique. »
AbbVie a refusé de faire des commentaires dans le cadre de cet article. Une porte-parole d’Endo a déclaré que la société ne prévoyait pas de demander l’approbation réglementaire pour l’utilisation de son médicament pour toute nouvelle indication. La société n’a pas répondu aux demandes de commentaires supplémentaires pour cet article.
Et cependant que les prescriptions d’inhibiteurs de puberté augmentent pour des soins de genre non homologués, les fabricants de médicaments rendent les alternatives moins chères plus difficiles à obtenir.
Le bloqueur de puberté d’Endo est un implant qui se place dans la partie supérieure du bras et qui libère un médicament pendant une période pouvant aller jusqu’à deux ans. Il y a environ un an, la société a informé la FDA qu’elle avait abandonné un implant appelé Vantas qui coûtait environ 4 600 dollars. Les médecins et les patients ont donc dû utiliser un implant Endo similaire appelé Supprelin LA. Il coûte environ 45 000 dollars, selon les données sur les prix des médicaments analysées par Reuters. Certaines familles bénéficiant d’une assurance à franchise élevée pourraient avoir à payer plusieurs milliers de dollars de leur poche.
AbbVie vend des versions pour adultes et pour enfants du Lupron, administré par injection tous les quelques mois. Selon des médecins, il n’y a pas de différence significative entre les deux, mais ils préfèrent utiliser la version pour adultes, moins chère, qui coûte environ 4 700 dollars pour une dose de trois mois. Néanmoins, ces médecins expliquent que les assureurs insistent parfois sur le recours à la version pour enfants, dont le prix dépasse les 10 000 dollars, lorsque la demande précise que le patient est un enfant.
Certains scientifiques et médecins disent également s’interroger sur les éventuels effets neurologiques des bloqueurs de puberté. Les hormones libérées pendant la puberté jouent un rôle majeur dans le développement du cerveau. Cela étant, le fait de supprimer la puberté entraîne-t-il une diminution des capacités cognitives permettant par exemple la résolution de problèmes ou la prise de décisions ?
Aux côtés de plusieurs autres chercheurs, le Dr John Strang, directeur de recherche du programme de développement du genre à l’hôpital national pour enfants de Washington, a écrit dans un article de 2020 que « la suppression pubertaire peut empêcher des aspects clés du développement pendant une période sensible de l’organisation du cerveau ». Strang notait également que « nous avons besoin de recherches de haute qualité pour comprendre les impacts de ce traitement — des impacts qui peuvent être positifs à certains égards et potentiellement négatifs à d’autres ». Il a toutefois refusé de préciser s’il menait de telles recherches ou s’il en assurait le financement.
Lors de leur première rencontre à la clinique d’Akron, la Dr Cole a été franche avec les Boyer au sujet des incertitudes liées aux inhibiteurs de puberté et au développement du cerveau. « Nous ne connaissons pas les effets à long terme sur la fonction cognitive. Cela pourrait l’améliorer ou l’aggraver. Nous n’en avons aucune idée », leur a dit Cole. Mais elle a également précisé qu’elle ne recommanderait pas ce traitement si elle ne constatait pas « un effet positif sur les patients ».
De retour à la clinique sept mois plus tard, Ryace, 13 ans alors, souriait devant un tableau blanc où la date, 3–4‑21, était écrite au marqueur vert. C’était le jour de sa première injection de Lupron. Une photo de Ryace datant de ce jour-là montre un petit pansement scintillant sur sa cuisse, visible à travers son jean déchiré.
L’assurance de la famille couvre presque tous les frais.
Au bout de quelques mois, Ryace s’est plainte de douleurs aux genoux. Elle a commencé à prendre de la vitamine D par précaution, et sa douleur s’est dissipée.
Des questions sur la fertilité
Au début de cette année, la clinique d’Akron a annoncé aux Boyer qu’il était temps pour Ryace de passer à l’étape suivante de son traitement, l’hormonothérapie, pour l’aider à développer les caractéristiques féminines correspondant à son identité de genre. Ryace avait alors 14 ans.

Dans ses nouvelles directives, la WPATH ne recommande aucun âge minimal pour la prise d’hormones.
Depuis des décennies, l’hormonothérapie constitue l’élément central du traitement permettant aux adultes d’effectuer leur transition — œstrogène pour les femmes transgenres et testostérone pour les hommes transgenres.
Mais pour les enfants, le choix de prendre des hormones s’avère plus compliqué. À l’image d’une grande partie de la médecine transgenre, la recherche sur l’impact des hormones sur la fertilité consiste en de petites études d’observation ou des enquêtes sur les adultes qui, selon les experts, présentent des limites importantes.
De nombreux médecins reconnaissent que l’hormonothérapie à long terme peut diminuer la fertilité, et soulignent que les enfants qui reçoivent des bloqueurs de puberté suivis d’hormones courent le plus grand risque. Mais en l’absence de données scientifiques définitives sur lesquelles s’appuyer, les médecins laissent souvent la question en suspens lorsqu’ils parlent aux enfants et à leurs parents.
Un mardi du début de cette année, Ethan S., 16 ans, et sa mère se sont retrouvés dans une salle d’examen de la banlieue de Portland pour parler de la thérapie basée sur la testostérone avec la Dr Kara Connelly, directrice de la clinique de genre Doernbecher de l’Oregon Health & Science University. Après avoir passé en revue les antécédents médicaux de la famille, Connelly, professeure associée d’endocrinologie pédiatrique, a demandé à Ethan ce qu’il attendait de la testostérone. « Une voix plus grave, clairement, et des changements au niveau de la répartition de ma graisse, par exemple. Et avec un peu de chance, une pilosité faciale », a‑t-il répondu. Selon Connelly, Ethan pouvait s’attendre à ces changements et à d’autres encore liés à un processus de masculinisation. La voix plus grave et l’altération de la pousse des cheveux seraient irréversibles.
Connelly a ensuite abordé la question de la fertilité : presque tous les patients qui arrêtent de prendre de la testostérone recommencent à avoir des cycles menstruels, leur a‑t-elle dit, et ils peuvent ensuite mener une grossesse ou faire utiliser leurs ovules par quelqu’un d’autre. « Nous ne pouvons pas prédire avec 100% de certitude que la testostérone n’aura aucun effet sur votre potentiel de fertilité », a déclaré Connelly. « Tout ce que nous savons, c’est ce qu’il se passe en général au sein d’une population, et il semble, d’après ces données, que ce traitement ne soit pas aussi nocif pour le potentiel de fertilité que ce que nous pensions. »
Connelly basait ses commentaires sur une étude de 2014 publiée dans la revue Obstetrics & Gynecology. Une étude elle-même basée sur un sondage auprès de 41 hommes transgenres ayant eu un bébé. Vingt-cinq d’entre eux avaient déclaré avoir pris de la testostérone avant de tomber enceints. Cependant, les chercheurs notaient que l’enquête excluait les hommes transgenres « qui tentent de tomber enceints et n’y parviennent pas et ceux qui ne portent pas à terme ».
Ethan ne se préoccupait pas des effets secondaires possibles de la prise de testostérone. « Quand est-ce que je peux en avoir au plus tôt ? » a‑t-il demandé.
En Oregon, les adolescents peuvent prendre des hormones sans le consentement de leurs parents dès l’âge de 15 ans. Une assistante sociale lui a tendu un formulaire qu’Ethan s’est empressé de signer.
La mère d’Ethan, Melissa, lui a apporté son soutien. Elle a souligné qu’Ethan avait déjà effectué une transition sociale lorsqu’il avait commencé à parler de transition médicale il y a deux ans. Entre-temps, le père de Melissa, souffrant d’alcoolisme et de dépression, s’était suicidé, en février 2021. Ethan avait été proche de son grand-père, et avec cette histoire familiale, Melissa s’inquiétait encore plus pour son fils. « Il y a la peur de ce qui se passe si je le laisse faire la transition et puis la peur de ce qui se passe si je ne le fais pas », a déclaré Melissa après le rendez-vous.
Avant le traitement de genre, peu d’enfants choisissent de faire préserver leurs ovules ou leur sperme — une pratique qui constitue une sorte d’assurance au cas où ils décideraient d’essayer d’avoir des enfants plus tard dans leur vie. Le prélèvement d’ovules, en particulier, peut être coûteux et invasif. Et pour les deux genres [on ne parle pas de « reproduction genrée » mais de « reproduction sexuée », il s’agit, là encore, de « sexes » et non de « genres », évidemment (NdT)], cela peut accroître la gêne qu’ils éprouvent vis-à-vis de leur corps.
La Dr Angela Kade Goepferd, pédiatre et directrice médicale du programme de santé de genre à l’hôpital pour enfants du Minnesota, demande parfois aux parents d’écrire une lettre à leur futur enfant adulte concernant la décision de commencer à prendre des médicaments susceptibles d’affecter leur fertilité. Le point de vue d’un adolescent sur le fait de fonder une famille peut changer avec le temps. L’objectif est donc que l’enfant se souvienne des conversations qu’il aura eues et des choix qu’il aura effectués lorsqu’il était plus jeune, explique Goepferd, qui ajoute : « Je ne pense pas que ce soient des décisions faciles pour les familles. »
À Akron, la Dr Cole a essayé une approche similaire avec Ryace. Elle suggère à ses patients d’essayer de s’imaginer dans la peau d’une personne de 35 ans et de réfléchir à ce que cette personne pourrait vouloir. « Les enfants, de par leur conception, ont tendance à ne pas penser aux conséquences à long terme. Ce n’est pas ainsi que fonctionne leur cerveau », explique Cole.
À la maison, Danielle a demandé à Ryace si la possibilité de ne pas pouvoir avoir d’enfants biologiques la dérangeait. Ryace a répondu qu’elle adopterait. De plus, une amie lui avait déjà proposé d’avoir un bébé pour elle une fois qu’elles seraient adultes. « Ça pourrait être triste, mais ça me convient », a dit Ryace à sa mère.
En avril de cette année, Ryace prenait des pilules d’œstrogène et recevait régulièrement des injections de Lupron. L’endocrinologue a commencé à lui administrer une faible dose d’œstrogènes, en augmentant progressivement la quantité tout en sevrant Ryace du bloqueur de puberté. Ryace voit aussi régulièrement un conseiller. La clinique d’Akron, comme beaucoup d’autres auxquelles Reuters s’est adressé, exige que la plupart des adolescents sous hormones reçoivent des conseils pour les aider à traverser cette période, qui peut s’avérer physiquement et émotionnellement difficile.
« Ils font de leur mieux »
Ryace vit essentiellement sa vie comme n’importe quelle adolescente. Mais, au fil de sa transition, elle continue de faire face à la désapprobation d’autres parents et de la communauté.
L’année dernière, à la foire du comté, des spectateurs ont râlé lorsque Ryace a été couronnée princesse des chevaux. En ville, elle voit les gens lever les yeux au ciel et entend leurs commentaires désobligeants. Lors d’une sortie scolaire en mai, elle a éclaté en sanglots en voyant des élèves se moquer d’un garçon de 16 ans d’une autre école qui avait flirté avec elle et avait demandé à lui envoyer des messages en ligne.
Certains patients qui reçoivent des traitements comme celui de Ryace décident finalement de subir une « chirurgie du bas ». Pour les filles transgenres, l’intervention, appelée vaginoplastie avec inversion du pénis, consiste à créer un vagin et une vulve à partir du pénis et du scrotum du patient. Parfois, les testicules sont également retirés. L’opération est irréversible, coûteuse et peut entraîner de graves complications qui nécessitent des procédures de suivi.
Initialement, les auteurs des nouveaux standards de soins de la WPATH envisageaient de ne pas recommander la chirurgie génitale avant l’âge de 17 ans, mais finalement, ils n’ont pas formulé de recommandation à ce sujet. L’Endocrine Society (la Société d’endocrinologie) fixe cet âge à 18 ans. Dans sa récente déclaration de politique générale, l’administration Biden a déclaré que les chirurgies d’affirmation du genre étaient « généralement utilisées à l’âge adulte ou, au cas par cas, à l’adolescence ».
Les chirurgies génitales pratiquées sur des mineurs sont rares, mais les chirurgiens affirment que la demande est croissante. L’analyse de Komodo des demandes d’assurance a révélé 56 chirurgies génitales, comprenant des vaginoplasties et d’autres procédures, chez des patients âgés de 13 à 17 ans ayant déjà reçu un diagnostic de dysphorie de genre entre 2019 et 2021. Cela ne tient pas compte des chirurgies non couvertes par l’assurance. Dans un article de recherche publié en 2017 dans lequel 20 chirurgiens américains affiliés à WPATH étaient interrogés, des médecins ont déclaré qu’il y avait eu « une nette augmentation du nombre de mineurs » demandant des informations sur la vaginoplastie ou étant orientés vers la chirurgie par leurs prestataires de santé mentale.
Les complications des chirurgies génitales sont fréquentes. Une étude californienne a révélé qu’un quart des 869 patientes ayant subi une vaginoplastie, dont l’âge moyen était de 39 ans, avaient connu une complication chirurgicale tellement grave qu’elles avaient dû être ré-hospitalisées. Parmi ces patientes, 44 % ont dû subir une nouvelle intervention chirurgicale afin de traiter la complication, qui consistait entre autres en des hémorragies et des lésions intestinales.
Pour les adolescentes en transition vers le sexe féminin, les bloqueurs de puberté et les hormones peuvent compliquer une éventuelle chirurgie génitale. En effet, ces médicaments peuvent retarder le développement des organes génitaux masculins à partir desquels sont construits le vagin et la vulve. En 2020, De Vries et d’autres chercheurs néerlandais ont exhorté les cliniciens à informer les jeunes transgenres et leurs parents de ce risque lorsqu’ils commencent à prendre des bloqueurs de puberté.
Bowers, la nouvelle présidente de la WPATH, qui est une femme transgenre, a déclaré qu’elle s’était inquiétée du fait que certains patients qui commencent à prendre des bloqueurs de puberté à un jeune âge pourraient ne jamais avoir d’orgasme parce qu’ils n’en auront jamais eu avant de suspendre leur puberté, qu’ils aient ou non recours à la chirurgie. Elle affirme que les recherches en cours ont permis de dissiper bon nombre de ses inquiétudes, et « il semble non seulement probable mais vraisemblable qu’il y ait rétention de la fonction orgasmique ». Elle déclare avoir encouragé les médecins à parler de ce risque avec les adolescents avant qu’ils ne commencent à prendre des médicaments.
La clinique d’Akron n’a pas encore discuté de chirurgie génitale avec les Boyer. L’hôpital pour enfants d’Akron ne propose pas de chirurgie d’affirmation du genre.
Dans l’ensemble, Ryace ne semble pas perturbée par les implications à long terme du traitement. « Je me contente de faire avec, à peu près, » dit-elle.
Avec le recul, elle pardonne à sa mère de l’avoir obligée à dissimuler son identité pendant si longtemps. « Parfois, elle ne me protégeait pas vraiment. Elle me faisait simplement du mal. Mais je sais qu’elle ne le voulait pas », explique Ryace. « Je sais que beaucoup de parents font probablement ça, et ils pensent qu’ils font de leur mieux. »
Un reportage spécial de Reuters signé Chad Terhune, Robin Respaut et Michelle Conlin
Traduction : Nicolas Casaux