Par Kim Hill / Deep Green Resistance Australia
Le dernier livre de Naomi Klein, Tout Peut Changer, se base sur la prémisse selon laquelle le capitalisme [« dérégulé », tout au long de son livre, et presque à chaque fois, Naomi Klein accole un adjectif au mot capitalisme, NdT] serait la cause de la crise climatique, et qu’afin d’éviter la catastrophe, le capitalisme [« de libre marché », NdT] devait disparaître. La solution proposée est un mouvement de masse qui triomphera à l’aide d’arguments sapant le système capitaliste [« débridé », NdT] en le rendant moralement inacceptable.
NdT : Naomi Klein se garde bien, contrairement à ce qu’affirme Kim, de critiquer « le capitalisme », elle critique une certaine sorte de capitalisme, et l’affirme sans ambages. Voyez plutôt : « Mais je n’ai jamais dit que nous devrions « tuer », ou « abandonner » ou « démanteler » le capitalisme afin de combattre le changement climatique. Et je n’ai certainement jamais dit que nous devrions faire cela avant tout. D’ailleurs, je dis exactement l’inverse dès le début du livre (page 25), précisément parce qu’il serait dangereux d’affirmer une telle chose. » (Source)
Cette prémisse comporte nombre de défauts. Elle ne parvient pas à reconnaître les vraies racines du capitalisme et du changement climatique, les considérant comme des problèmes distincts pouvant être transformés sans agir sur les causes sous-jacentes. Le changement climatique ne peut être évité par la construction de plus d’infrastructures doublée d’une réforme de l’économie, ainsi qu’elle le suggère. La crise climatique n’est qu’un symptôme d’une crise plus profonde, et des solutions superficielles agissant sur les symptômes ne feront qu’empirer la situation. Le changement climatique provoqué par l’homme a commencé il y a des milliers d’années avec l’avènement de l’agriculture et de la déforestation, bien avant que le capitalisme ne voit le jour. La cause profonde — une culture qui valorise la domination des humains et de la terre, et les structures physiques et sociales qu’elle a créées — doit être affrontée afin que toute action sur le capitalisme ou le climat puisse être efficace.
Le « mouvement pour le climat » me consterne depuis déjà un certain temps. Tandis que 200 espèces s’éteignent chaque jour, que les océans et les rivières sont vidées des poissons et de toute vie, que l’eau potable non polluée devient un vestige du passé, que l’accès à une alimentation nutritive se raréfie, le climat est-il vraiment ce sur quoi nous devrions nous concentrer ? Cela semble être une distraction, une sorte de « regarde, c’est quoi ça dans le ciel ? » émanant de ceux qui cherchent à tirer profit du prélèvement de tout ce qui supporte la vie sur la seule planète que nous ayons. En orientant nos pensées, nos discussions et nos actions vers les gaz présents dans l’atmosphère et les théories chaudement débattues, plutôt que sur les besoins immédiats nécessaires à la survie élémentaire de tous les êtres vivants, ceux au pouvoir tentent de nous détourner de la formation d’un mouvement de résistance qui pourrait garantir la continuation de la vie sur Terre.
Ce livre est un enchevêtrement de contradictions. Je l’ai lu parce que je voulais essayer de démêler les contradictions et de comprendre la pensée derrière ce « mouvement pour le climat », mais au final, la confusion est restée. Son livre est un mélange d’idées discordantes, d’objectifs vagues et de propositions pour continuer avec les mêmes tactiques incohérentes qui n’ont jamais fonctionné par le passé.
Tout peut changer fait la promotion du socialisme, puis explore les raisons pour lesquelles le socialisme n’arrêtera pas les extractions de combustibles fossiles. Il est contre le capitalisme, cependant insiste sur le fait « qu’il y a largement assez de place pour faire du profit dans une économie zéro carbone ». Les énergies renouvelables sont présentées comme une solution, cependant les objections de ceux dont la terre et les moyens de subsistance sont détruits par ce type de développement sont reconnues et respectées. Le livre fait la promotion des droits des indigènes de vivre sur leurs terres selon leurs traditions, et en même temps prétend qu’ils ont besoin d’emplois et de développement. Il considère l’extraction et la combustion des carburants fossiles comme la cause principale de la crise climatique et cependant recommande des solutions qui en requièrent aussi. Il soutient le développement économique tout en s’opposant à la croissance économique. On y lit que « les solutions-compromis, attrayantes pour les conservateurs, ne fonctionnent pas », et pourtant c’est exactement ce qu’il vend.
Un chapitre est consacré à la promotion du désinvestissement des compagnies de combustibles fossiles, bien qu’il soit ouvertement admis que cela n’a aucun effet économique. Apparemment cela va « entraîner la faillite de leur réputation » plutôt qu’une réelle faillite. Cette stratégie a peu de chances de fonctionner, étant donné que les corporations dépensent des millions dans les campagnes de relations publiques, contrôlent les médias, et que quiconque ne fait pas partie de ce système aura ainsi beaucoup de mal à affecter leur réputation. De plus, les corporations sont dirigées par l’argent et non par la morale : des campagnes morales ne suffiront pas à entraîner la fermeture d’une compagnie. Et même si c’était le cas, ce ciblage de compagnies spécifiques plutôt que du système économique dans son ensemble ne ferait que créer un espace où d’autres prendraient leur place.
Un autre chapitre explique pourquoi les « milliardaires verts » ne nous sauveront pas, ce qui paraît superflu dans un livre censé argumenter pour le démantèlement du capitalisme — il est évident que plus de capitalisme ne sera d’aucune aide. Étrangement, lorsque le PDG de Virgin, Richard Branson ne parvient pas, malgré son investissement de plusieurs millions de dollars afin d’inventer ou découvrir un « combustible miracle » pour alimenter l’expansion de sa compagnie aérienne, à atteindre cet impossible objectif, Klein semble déçue. Quelle différence son improbable succès aurait-il entraînée ? Si un tel combustible existait, il aurait quand même fallu l’extraire de quelque part, et l’utiliser. À moins que l’argent ne puisse réellement acheter un miracle religieux, et même alors, l’industrie aéronautique requiert d’immenses quantités de terres, repose sur l’extraction minière et diverses autres industries, et sur une économie mondialisée. Si le coût des carburants n’était pas une limitation, ces processus industriels se développeraient encore plus rapidement, détruisant tout ce et tous ceux qui se trouveraient sur leur passage. Un combustible miracle nous laisserait toujours sur les bras une culture du voyage-à-travers-le-monde-à-grande-vitesse, au lieu d’une culture locale de dialogue et de relation avec la nature. Voilà la pensée déconnectée qui émerge lorsqu’on se concentre sur le climat comme un problème isolé.
Ce livre se termine par un appel à former un mouvement de masse non-violent, et à dépenser des « trillions [de dollars] pour payer pour des transformations sociétales zéro-carbone anti-désastres ». Les transformations exigées sont une transition vers les énergies dites « renouvelables », et la construction de plus d’infrastructures. Elles n’arrêteront pas le capitalisme et le changement climatique et ne feront qu’empirer la situation. Un mouvement de masse nécessiterait une foule de gens partageant à la fois ces objectifs et la conviction qu’un mouvement de masse est la manière de faire. Étant donné les buts conflictuels, les compromis, et l’influence corporatiste qui pèse actuellement sur le mouvement pour le climat, il y a peu de chances pour que cela arrive.
Les mouvements de masse n’utilisant que des arguments moraux n’ont jamais changé les systèmes de pouvoir par le passé. Le mouvement mondial Occupy l’a récemment illustré. Bien que beaucoup ait été accompli, le système capitaliste est toujours en place, et il faudra bien plus que des manifestations pacifiques pour provoquer son effondrement. L’infrastructure du capitalisme doit être démantelée physiquement, à l’aide d’une diversité de tactiques, la culture de domination qui légitime les extractions et l’exploitation doit être affrontée, et remplacée par des cultures ancrées dans leurs territoires écologiques spécifiques et valorisant les relations entre tous les êtres vivants.
Traduction : Nicolas CASAUX
Effectivement, la partie du livre qui propose des « Solutions » se focalise beaucoup sur la résistance populaire et l´élaboration de traités internationaux visant à rétablir la justice « sociale et climatique », ce qui ne semble pas en soi suffisant pour renverser un système obsolète et destructeur.
Mais ce livre a tout de même le très grand mérite de débroussailler toutes les polémiques autour du réchauffement climatique, ce qui permet au lecteur de comprendre l´origine du mouvement climatosceptique, le rôle de la corruption dans les hautes sphères pour favoriser l´industrie de l´extraction, les effets pervers du « green washing » et ses conséquences sur la consommation, les tentatives du système capitalistes de tirer profit des situations de choc, l´inefficience et les travers du marché du carbone, les profonds ancrages psychologiques de nos cultures qui empêchent des changements conséquents…
Personnellement je trouve que c´est un travail de recherche impressionnant et éclairant qui, même s´il n´apporte pas toutes les réponses (mais qui peut s´en vanter ?), permet d´y voir plus clair dans un sujet infiniment plus complexe qu´il n´y parait.
Je suis d´accord avec cette critique sur le fait que le changement climatique est un symptôme parmi d´autre résultant d´un système de causes complexes et connectées entre elles. Dès lors, pourquoi se focaliser sur le changement climatique et pas sur les inégalités de richesse, le rouleau-compresseur culturel occidental, l´appauvrissement des terres arables etc. ?
Bon, je mettrai bien ca sur le besoin d´attirer le regard du grand public, en choisissant la thématique la plus médiatisée. Mais il me semble qu´aucun des problèmes sous-jacents à la société extractiviste n´est oublié dans son état des lieux (Même si elle aurait pu donner encore plus de poids à son argumentation en évoquant le déclin des sources pétrolières bon marché.
L´auteure a parfaitement conscience que le problème va au delà de la concentration des GES dans l´atmosphère, d´où la place très importante donnée à l´industrie des combustibles fossiles et plus généralement à la mentalité extractiviste, beaucoup plus proches des « causes racines » des maux de la planète ».
Si on met fin à l´extractivisme (ou si on le réduit à une portion infime de ce qu´il est actuellement), on abat d´un même coup la principale source de pollution et de gaspillage de l´eau potable, la principale source d´emission de GES, la principale cause d´expropriation des terres aux indigènes et habitants ruraux, le principal moteur de la croissance économique, elle même responsable de la croissance exponentielle de tous les autres problèmes. Ca vaut le coup de tenter d´y mettre un coup de pied ! A condition bien sur d´en tirer les lecons au niveau mondial et de mettre sur pied des cultures respectueuses de l´homme et de la nature, diversifiées et humbles.… effectivement c´est là qu´on reste un peu sur sa fin en lisant Naomi Klein.
Mais en complément, je n´ai encore vu aucun mouvement aussi fertile, optimiste et porteur de solutions que celui de Rob Hopkins (Mouvement pour la transition), qui vaut vraiment le coup de s´y intéresser après avoir lu des bouqins qui vous donnent trop le cafard sur le monde.