Un air de révolution (par Chris Hedges)

chris_hedgesArticle ori­gi­nal publié en anglais sur le site de truthdig.com, le 20 avril 2016.
Chris­to­pher Lynn Hedges (né le 18 sep­tembre 1956 à Saint-Johns­bu­ry, au Ver­mont) est un jour­na­liste et auteur amé­ri­cain. Réci­pien­daire d’un prix Pulit­zer, Chris Hedges fut cor­res­pon­dant de guerre pour le New York Times pen­dant 15 ans. Recon­nu pour ses articles d’analyse sociale et poli­tique de la situa­tion amé­ri­caine, ses écrits paraissent main­te­nant dans la presse indé­pen­dante, dont Harper’s, The New York Review of Books, Mother Jones et The Nation. Il a éga­le­ment ensei­gné aux uni­ver­si­tés Colum­bia et Prin­ce­ton. Il est édi­to­ria­liste du lun­di pour le site Truthdig.com.


La déso­béis­sance civile quo­ti­dienne et sou­te­nue des mani­fes­tants, face au Capi­tole, dénon­çant la main­mise de l’argent cor­po­ra­tiste sur notre sys­tème poli­tique, fait par­tie de l’un des plus impor­tants mou­ve­ments pour la jus­tice sociale depuis le sou­lè­ve­ment d’Occupy. Rejoignez-le.

600 mani­fes­tants ont été arrê­tés, et j’ai fait par­tie des 100 qui se sont fait arrê­tés vendredi.

Les mani­fes­tants, orga­ni­sés par Demo­cra­cy Spring, ont conver­gé sur Washing­ton depuis l’ensemble du pays. Jeunes, vieux, noirs, blancs, mar­rons, amé­rin­diens, asia­tiques, chré­tiens, juifs, musul­mans, boud­dhistes, athées, de gauche, de droite. Cer­tains ont mar­ché pen­dant 10 jours le long d’une route de 200 km depuis Phi­la­del­phie jusqu’à Washington.

Ven­dre­di, une dou­zaine de mani­fes­tants s’étaient infil­trés dans un groupe tou­ris­tique afin de péné­trer dans le Capi­tole en se liant entre eux avec des fer­me­tures éclaires, et aux écha­fau­dages à l’intérieur de la rotonde. Ils y sont res­tés jusqu’à leur arres­ta­tion. En plus de cela, de nom­breux mani­fes­tants se sont fait arrê­tés et emme­nés par la police durant la journée.

“Nous le peuple exi­geons une démo­cra­tie libé­rée de l’influence cor­rup­trice du grand capi­tal et de la sup­pres­sion des votants”, hur­laient-ils. « Nous exi­geons une démo­cra­tie où chaque vote compte et chaque voix est enten­due. Le prin­temps démocratique ! »

Les cen­taines d’arrestations de la semaine pas­sée ont été lar­ge­ment igno­rés par les medias cor­po­ra­tistes dont les lob­byistes, ain­si que ceux d’autres cor­po­ra­tions, sont une pré­sence fami­lière sur la col­line du Capi­tole. Le bla­ckout média­tique mas­sif du plus grand nombre d’arrestations au Capi­tole depuis des décen­nies est l’une des innom­brables illus­tra­tions du coup d’état cor­po­ra­tiste. Et tant que le pou­voir cor­po­ra­tiste n’est pas ren­ver­sé — et il ne peut l’être que par la rue et par des actes sou­te­nus de déso­béis­sance civile — la nation conti­nue­ra son invo­lu­tion en état poli­cier auto­ri­taire. Les cor­po­ra­tions conti­nue­ront à nous pri­ver du peu de droits qu’il nous reste, conti­nue­ront à rava­ger les éco­sys­tèmes, à appau­vrir les tra­vailleurs, à paro­dier la démo­cra­tie et à can­ni­ba­li­ser ce qu’il reste du pays. Le sys­tème de pou­voir cor­po­ra­tiste n’est pas réfor­mable. Il doit être détruit.

Nous devrons faire cela ensemble. Per­sonne ne le fera à notre place. Et plus nos rues seront pleines — et je retour­ne­rai avec les mani­fes­tants à Washing­ton Lun­di pro­chain — plus la cor­rup­tion de notre sys­tème poli­tique sera exposée.

Il est cru­cial de mani­fes­ter à Cle­ve­land et à Phi­la­del­phie lors des conven­tions répu­bli­caine et démo­crate plus tard cette année. La construc­tion de mou­ve­ments et la déso­béis­sance civile sou­te­nue sont bien plus impor­tants que le vote. Le vote sans mou­ve­ment orga­ni­sé et puis­sant est futile. Le vote sans réforme élec­to­rale radi­cale, com­pre­nant le ban­nis­se­ment de l’argent cor­po­ra­tiste de la poli­tique, est inutile.

[…] La démo­cra­tie ne peut être sou­te­nue si elle ne peut être vue. Ceux au pou­voir doivent craindre les mou­ve­ments prêts à déran­ger la machi­ne­rie étatique. […] 

Les ins­ti­tu­tions de pou­voir cor­rom­pues ont, depuis des décen­nies, uti­li­sé à suc­cès un théâtre poli­tique creux pour créer une démo­cra­tie fic­tive. Dans notre démo­cra­tie admi­nis­trée, seuls les can­di­dats approu­vés par le sec­teur des cor­po­ra­tions — comme Barack Oba­ma, qui est sor­ti de la machine poli­tique de Chi­ca­go — peuvent être élu à des postes éta­tiques ou natio­naux. Il est qua­si­ment impos­sible, dans notre sys­tème de tota­li­ta­risme inver­sé, de voter contre les inté­rêts d’ExxonMobil, de Bank of Ame­ri­ca, de Ray­theon ou de Gold­man Sachs. En ce qui concerne tous les pro­blèmes struc­tu­rels majeurs, depuis l’échec de la régu­la­tion de Wall Street jusqu’aux guerres impé­ria­listes, en pas­sant par l’éviscération de nos liber­tés civiles, il y a eu une conti­nui­té com­plète entre les admi­nis­tra­tions Bush et Obama.

Les voix des citoyens émergent des rues de Washing­ton, des sites de frac­tu­ra­tion du Colo­ra­do, elles émergent de villes et de com­munes telles que Fer­gu­son et Bal­ti­more où la police assas­sine et ter­ro­rise les gens pauvres et de cou­leurs. Elles émergent des rues de Los Angeles, de tra­vailleurs sous-payés, et de rêveurs. Et ces voix vont, si nous les ampli­fions et nous y joi­gnons, deve­nir un cres­cen­do assour­dis­sant. Elles crée­ront les genres de mou­ve­ments qui seuls rendent pos­sible le chan­ge­ment social et politique.

Nous sommes tous en mesure de refu­ser de coopé­rer. Nous n’avons pas à être les com­plices du sui­cide col­lec­tif ini­tié par notre espèce. Nous pou­vons appor­ter la démo­cra­tie dans les rues. En rejoi­gnant les boy­cotts, les mani­fes­ta­tions, les grèves, les jeûnes, et les mou­ve­ments popu­laires, en ini­tiant des actes de déso­béis­sance civile, nous enflam­mons nos âmes, nous créons une autre his­toire, une autre façon d’être, et nous expo­sons pour ce qu’elle est la main morte de l’autorité.

Les élites sont en dan­ger. Elles ont per­du toute cré­di­bi­li­té. Le néo­li­bé­ra­lisme et la mon­dia­li­sa­tion ont été démas­qués en tant qu’outils de l’exploitation cor­po­ra­tiste. Les mil­liards dépen­sés en pro­pa­gande pour ali­men­ter l’illusion de démo­cra­tie et les béné­fices du « libre-mar­ché » n’ont plus d’effet. Les guerres inces­santes, qui n’ont pas ren­du plus sûrs les USA, l’Europe ou le Moyen-Orient sont aujourd’hui démas­quées et expo­sées pour les mar­chés d’armes san­gui­naires d’une indus­trie gavée par les bil­lions d’euros des contri­buables qu’elles sont.

L’industrie de la guerre et celle des com­bus­tibles fos­siles, comme tout sys­tème cor­po­ra­tiste d’exploitation, sont en leur cœur des sys­tèmes de mort. Elles attaquent une pla­nète qui a urgem­ment besoin d’écologie et de sys­tèmes sociaux éga­li­taires, qui seuls rendent la vie pos­sible. Le com­bat qui nous attend, comme le sait qui­conque suit la science cli­ma­tique, est urgent. Il s’agit de vaincre ces sys­tèmes de mort. D’un com­bat pour la vie. Ces sys­tèmes sont puis­sants et impi­toyables. Mais si nous ne résis­tons pas, l’espoir s’éteint.

Chris Hedges


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Print Friendly, PDF & Email
Total
0
Partages
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles connexes
Lire

Bienvenue dans la machine : Science, surveillance, et culture du contrôle (par Derrick Jensen)

Quels sont les prérequis nécessaires à la transformation d'une communauté humaine vivante en machine ? Il faut que ses membres commencent à se percevoir eux-mêmes non plus comme les fils entrelacés d'une immense tapisserie du vivant, composée de relations complexes et changeantes — dans laquelle ils joueraient tel ou tel rôle selon ce qui est approprié, nécessaire, et désiré (par eux et par d'autres) — mais comme des rouages de l'engrenage colossale de ce qu'ils perçoivent comme une machine géante sur laquelle ils n'ont fondamentalement aucun contrôle, aucun impact. [...]
Lire

Christophe Colomb, les Indiens et le progrès de l’humanité (Howard Zinn)

FRAPPÉS D'ÉTONNEMENT, les Arawaks, femmes et hommes aux corps hâlés et nus abandonnèrent leurs villages pour se rendre sur le rivage, puis nagèrent jusqu'à cet étrange et imposant navire afin de mieux l'observer. Lorsque finalement Christophe Colomb et son équipage se rendirent à terre, avec leurs épées et leur drôle de parler, les Arawaks s'empressèrent de les accueillir en leur offrant eau, nourriture et présents. Colomb écrit plus tard dans son journal de bord:
Lire

La guerre et la construction de l’État en tant que crime organisé (par Charles Tilly)

Tandis qu'une intervention militaro-policière est en cours à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, qui a débuté aux alentours de 3h du matin ce lundi 9 avril 2018, il nous semble opportun de republier cette très bonne analyse du sociologue états-unien Charles Tilly, qui nous rappelle que l'État est une forme d'organisation sociale (ou antisociale, c'est selon) née de la violence et de la guerre, et qui utilise la violence et la guerre pour continuer à s'imposer — ce qui est tout aussi vrai des premières formes d'État que des États soi-disant "démocratiques" actuels. [...]