Il y a peut-être de l’eau sur Mars. Mais y a‑t-il une forme de vie intelligente sur Terre ? (George Monbiot)

Tra­duc­tion de l’ar­ticle de George Mon­biot, ini­tia­le­ment publié (en anglais) le 29 sep­tembre 2015 sur le site du Guardian.


Alors que nous nous émer­veillons devant les décou­vertes de la NASA, nous détrui­sons nos irrem­pla­çables res­sources natu­relles – afin d’acheter des bananes pré-éplu­chées et des smart­phones pour chiens.

Des preuves de la pré­sence d’eau liquide sur Mars : cela ouvre la pers­pec­tive de la vie, de mer­veilles que nous pou­vons à peine com­men­cer à ima­gi­ner. Cette décou­verte est un accom­plis­se­ment incroyable. Pen­dant ce temps-là, les scien­ti­fiques mar­tiens conti­nuent de cher­cher des traces de vie intel­li­gente sur Terre. Nous sommes peut être cap­ti­vés par la pers­pec­tive d’organismes sur une autre pla­nète, mais nous sem­blons avoir per­du tout inté­rêt pour la nôtre. Le dic­tion­naire Junior Oxford excise les repères du monde du vivant. Vipères, mûres, cam­pa­nules, mar­rons, houx, pies, vai­rons, loutres, pri­me­vères, grives, belettes et roi­te­lets, sont main­te­nant consi­dé­rés comme du surplus.

Au cours des quatre der­nières décen­nies, le monde a per­du 50% de sa faune sau­vage ver­té­brée. Mais sur la der­nière moi­tié de cette période, il y a eu un déclin mas­sif de la cou­ver­ture média­tique. En 2014, selon une étude de l’université de Car­diff, il y a eu autant d’émissions de la BBC et d’ITV sur Made­leine McCann (qui a dis­pa­ru en 2007) qu’il n’y en a eu sur l’ensemble des pro­blèmes environnementaux.

Ima­gi­nez ce qui chan­ge­rait si nous accor­dions autant d’importance à l’eau ter­restre qu’à la pos­si­bi­li­té de pré­sence d’eau sur Mars. La pro­por­tion d »eau fraîche sur la pla­nète n’est que de 3 %, dont les 2/3 sont gelés. Et pour­tant nous gas­pillons la por­tion acces­sible. 60% de l’eau uti­li­sée par l’agriculture est inuti­le­ment gas­pillée par une irri­ga­tion incon­si­dé­rée. Les rivières, les lacs et les aqui­fères sont vidés, tan­dis que l’eau qui reste est bien sou­vent si conta­mi­née [empoi­son­née] que cela menace la vie de ceux qui la boivent. Au Royaume-Uni, la demande domes­tique est telle que nombre de tron­çons supé­rieurs des rivières dis­pa­raissent durant l’été. Nous ins­tal­lons pour­tant tou­jours de vieilles toi­lettes et douches qui coulent comme des chutes d’eau.

En ce qui concerne l’eau salée, comme celle qui nous pas­sionne tant lorsque détec­tée sur Mars, sur Terre nous lui expri­mons notre recon­nais­sance en la détrui­sant fré­né­ti­que­ment. Un nou­veau rap­port sug­gère que le nombre de pois­sons a été divi­sé par deux depuis 1970. Le thon rouge du paci­fique, qui autre­fois peu­plait les mers par mil­lions, ne compte plus que 40 000 repré­sen­tants, selon une esti­ma­tion, et ces der­niers sont encore pour­chas­sés. Les récifs coral­liens subissent une pres­sion telle qu’ils pour­raient avoir qua­si­ment tous dis­pa­ru d’ici 2050. Et dans nos propres pro­fon­deurs, notre soif de pois­sons exo­tiques sac­cage un monde que nous connais­sons à peine mieux que la sur­face de la pla­nète rouge. Les cha­lu­tiers de fond s’attaquent aujourd’hui aux pro­fon­deurs envi­ron­nant les 2000 mètres. Nous ne pou­vons qu’i­ma­gi­ner ce qu’ils vont détruire.

Quelques heures avant l’annonce de la décou­verte mar­tienne, Shell a mis fin à sa pros­pec­tion pétro­lière dans la mer de Chuk­chi située dans l’Arc­tique. Pour les action­naires de la com­pa­gnie, c’est une décon­ve­nue mineure : la perte de 4 mil­liards de dol­lars ; pour ceux qui aiment la pla­nète et la vie qu’elle abrite, c’est un coup de chance for­mi­dable. Cela n’a eu lieu que parce que la com­pa­gnie n’est pas par­ve­nu à y trou­ver des réserves suf­fi­sam­ment impor­tantes. Si Shell y était par­ve­nu, cela aurait expo­sé un des endroits les plus vul­né­rables sur Terre aux déver­se­ments d’hydrocarbures, qui sont presque iné­luc­tables dans les endroits où le confi­ne­ment est presque impos­sible. Devons-nous lais­ser de tels pro­blèmes au hasard ?

Au début du mois de Sep­tembre, deux semaines après qu’il ait auto­ri­sé Shell à forer dans la mer de Chu­ck­chi, Barack Oba­ma s’est ren­du en Alas­ka pour pré­ve­nir les Amé­ri­cains des consé­quences dévas­ta­trices du chan­ge­ment cli­ma­tique, cau­sé par la com­bus­tion des car­bu­rants fos­siles, qui pour­raient frap­per l’Arctique. « Par­ler n’est pas suf­fi­sant », leur a‑t-il dit. « Nous devons agir ». Nous devrions « accor­der notre confiance à l’ingéniosité humaine qui peut y remé­dier ». A la NASA, qui a publié ces images incroyables, l’hu­main fait preuve d’une grande ingé­nio­si­té. Mais pas quand il s’a­git de politique.

Lais­ser le mar­ché déci­der : c’est ain­si que les gou­ver­ne­ments comptent résoudre la des­truc­tion pla­né­taire. Faire repo­ser cela sur la conscience des consom­ma­teurs, tan­dis que cette conscience est for­ma­tée et embrouillée par la publi­ci­té et les men­songes cor­po­ra­tistes. Dans un qua­si-néant d’informations, ils nous laissent déci­der ce que nous devrions prendre aux autres espèces et aux autres per­sonnes, ce que nous devrions nous arro­ger à nous-mêmes, ou ce que nous devrions lais­ser aux géné­ra­tions futures. N’y a‑t-il pas clai­re­ment des res­sources et des endroits – comme l’Arctique et les pro­fon­deurs océa­niques – dont l’exploitation devrait sim­ple­ment cesser ?

Tous ces forages et exca­va­tions et cha­lu­tages et déver­se­ments et empoi­son­ne­ments – à quoi cela sert-il, de toute façon ? Est-ce que cela enri­chit, ou est-ce que cela entrave, l’expérience humaine ? Il y a quelques semaines, j’ai lan­cé le Hash­Tag #civi­li­sa­tio­nex­treme, en invi­tant les sug­ges­tions. Elles ont abon­dé. Voi­ci sim­ple­ment quelques exemples de pro­duits que mes cor­res­pon­dants ont trou­vés. Tous, à ma connais­sance, sont véridiques.

Un pla­teau à œufs qui se syn­chro­nise avec votre télé­phone pour que vous puis­siez savoir com­bien d’œufs il vous reste. Un gad­get pour les brouiller – à l’intérieur de leur coquille. Des per­ruques pour bébés, pour per­mettre aux « petites filles avec peu ou pas de che­veux d’avoir une coupe admi­ra­ble­ment réa­liste ». Le iPot­ty, qui per­met aux tout-petits de conti­nuer à jouer sur leurs iPads pen­dant qu’ils sont sur le pot. Un caba­non à 2500€ à l’épreuve des arai­gnées. Un sau­na polaire, en vente aux émi­rats arabes unis, dans lequel vous pou­vez créer un para­dis ennei­gé en appuyant sur un bou­ton. Une caisse réfri­gé­rée rou­lante pour pas­tèque : indis­pen­sable pour les pique-niques – ou pas, étant don­né qu’elle pèse plus que la pas­tèque. Une crème déco­lo­rante anale, pour… hon­nê­te­ment, je ne veux pas savoir. Un « rota­teur auto­ma­tique de montre » qui vous évite la cor­vée de remon­ter le bijou luxueux qui se trouve à votre poi­gnet. Un smart­phone pour chien, avec lequel ils peuvent prendre des pho­tos d’eux-mêmes [sel­fies]. Des bananes pré-éplu­chées, dans des bar­quettes en poly­sty­rène cou­vertes de film ali­men­taire : vous n’avez qu’à éplu­cher l’emballage.

Chaque année, d’ingénieuses façons de gas­piller des choses sont conçues, et chaque année nous deve­nons plus insen­sibles au non-sens que repré­sente cette consom­ma­tion des pré­cieuses res­sources de la Terre. A chaque inten­si­fi­ca­tion sub­tile, le réfé­ren­tiel de la nor­ma­li­té change. Cela ne devrait pas être sur­pre­nant de consta­ter que plus un pays devient riche, moins ses habi­tants se sou­cient de leur impact sur la pla­nète vivante.

Notre alié­na­tion des mer­veilles de ce monde, avec laquelle nous évo­luons, n’a fait que s’intensifier depuis que David Bowie a décrit une fille tré­bu­chant à tra­vers un « rêve englou­ti », s’apprêtant à se faire « attra­per par l’écran argen­té », dont les nom­breuses dis­trac­tions la diver­tissent des grandes ques­tions de la vie. La chan­son en ques­tion était, bien évi­dem­ment, Life on Mars [La vie sur Mars].

George Mon­biot


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Édi­tion & Révi­sion : Hélé­na Delaunay

Print Friendly, PDF & Email
Total
13
Shares
3 comments
  1. J’a­dore !
    Mer­ci encore d’a­voir tra­duit et par­ta­gé ce texte éco­lo­giste qui aborde le sujet avec humour, même si cela est loin d’être drôle.

    Acco­lades anarchistes

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles connexes
Lire

Les seigneurs de la mer & Revolution (Merci à Rob Stewart)

Le 3 février 2017, le corps du biologiste et vidéaste écologiste Rob Stewart a été retrouvé au fond de la mer, au large de la Floride, où il était allé plonger, après 72 heures de recherches intensives par bateaux, drones et hélicoptères. Parce que son travail importe énormément, bien que nous ne partagions pas certaines de ses considérations et préconisations, nous republions ici ses deux premiers films, en VO sous-titrées, en attendant et en espérant que le troisième soit finalisé et diffusé.