Arthur (HenÂri MonÂtant 1939–2010) fut l’un des jourÂnaÂlistes fonÂdaÂteurs de la Gueule Ouverte, le canard d’éÂcoÂloÂgie poliÂtique des années 1970. MiliÂtant de la lutte contre le proÂgramme nucléaire franÂçais et la menace de l’aÂtome monÂdiaÂleÂment impoÂsé pour un « proÂgrès » aux conséÂquences écoÂloÂgiques désasÂtreuses, Arthur dénonÂça, dans les colonnes de la G.O., d’une plume morÂdante, souÂvent humoÂrisÂtique mais touÂjours engaÂgée, les hypoÂcriÂsies du pouÂvoir préÂtenÂduÂment démoÂcraÂtique.

Bien plus que la seule proÂtecÂtion de l’enÂviÂronÂneÂment, bien plus que la proÂducÂtion d’une énerÂgie « verte » pour faire tourÂner encore la machine capiÂtaÂliste, les articles d’ArÂthur rapÂpellent que l’éÂcoÂloÂgie poliÂtique ne réclame rien d’autre qu’un chanÂgeÂment radiÂcal de sociéÂté.
« ImaÂgiÂnons l’iÂmaÂgiÂnaÂtion au pouÂvoir. Ce serait une catasÂtrophe !
Elle dirait le pouÂvoir nul et non aveÂnu.
Et voiÂlà tous nos archaïques au chôÂmage. »
Arthur

5 ans. Il faut plus d’une main du baron atoÂmique Empain pour compÂter sur les doigts les étés depuis ta disÂpaÂriÂtion. Mais MarÂcel BoiÂteux, ce « haut foncÂtionÂnaire priÂvé de conscience »*, direcÂteur d’EDF penÂdant vingt plombes, agent très dévoué du tout-nucléaire franÂçais, a 93 ans. Et il le reconÂnaît sans s’en faire : deux acciÂdents majeurs se sont proÂduits dans les réacÂteurs de la cenÂtrale de Saint-Laurent-des-eaux. En 1980, du pluÂtoÂnium a été déverÂsé dans la Loire et dans le plus pesant secret car, affirme l’hoÂnoÂrable nucléoÂcrate, averÂtir les riveÂrains des acciÂdents nucléaires est le meilleur moyen d’aÂvoir des hisÂtoires. Des hisÂtoires, ou pluÂtôt de l’inÂforÂmaÂtion à desÂtiÂnaÂtion des popuÂlaÂtions entreÂteÂnues dans l’iÂgnoÂrance par les techÂnoÂcrates qui les méprisent, tu as osé en faire avec tes copains de la Gueule Ouverte, malÂgré l’omÂniÂpoÂtent BoiÂteux, à l’éÂpoque où la France se couÂvrait joyeuÂseÂment de cenÂtrales nucléaires, « soluÂtion » proÂviÂdenÂtielle à la crise du pétrole.
Aujourd’Âhui, des cumuÂlus blancs s’éÂlèvent dans le ciel bleu, au-desÂsus du rideau d’arbres qui cache le béton des hautes tours de refroiÂdisÂseÂment. Au bout du jarÂdin de ton frère, en contreÂbas des vastes champs ferÂtiÂliÂsés, impecÂcaÂbleÂment peiÂgnés, de la Beauce, le ru autreÂfois poisÂsonÂneux et douÂceÂment caresÂsé par les algues, coule ses eaux rares sur la boue de son lit vide de toute herbe et de toute ablette, tanÂdis que sur ses rives, d’inouïs casÂtors drôÂmois réinÂtroÂduits dans le Val-de-Loire, contriÂbuent à leur rythme à l’aÂbatÂtage des peuÂpliers. C’est d’iÂci que j’éÂcris, de cette maiÂson où tu es venu.
Arthur, je t’apÂpeÂlais HenÂri parce que tu es mon oncle. Nous nous sommes pas assez connus, croiÂsés seuleÂment, pour ainÂsi dire, car la vie fait des crasses et éloigne ceux qui auraient tant gagné à mieux se parÂler. J’ai lu les numéÂros de la Gueule Ouverte que j’ai reçu en parÂtage, ceux des années 1977 à 1980, ceux des derÂnières années de la G.O., alors même que le mouÂveÂment écoÂloÂgiste ne désiÂgnait plus seuleÂment un groupe de barÂbus utoÂpistes mais deveÂnait une force poliÂtique bien réelle. C’est à traÂvers la lecÂture de tes articles, où l’inÂforÂmaÂtion renÂforce l’oÂpiÂnion, que je trace aujourd’Âhui ton porÂtrait, ton porÂtrait vers quaÂrante ans, celui de tes idées, celles d’un « vrai » écoÂloÂgiste, même si tu récuÂsais l’éÂpiÂthète qui « supÂpoÂseÂrait l’exisÂtence de criÂtères », toi l’enÂneÂmi des normes morÂtiÂfères et de l’auÂtoÂriÂté.
« L’écologie est un choix de société, l’environnement un délassement d’esthètes. »
Tu rapÂpelles la racine du mot écoÂloÂgie : « la maiÂson », et constate que « la maiÂson plaÂnéÂtaire est mal tenue. »* Contre l’art mauÂvais du gasÂpillage, il faut redéÂfiÂnir les besoins humains, écris-tu : « moins d’obÂjets à consomÂmer, moins de traÂvail à se rider l’esÂprit, mais d’autres objets proÂduits difÂféÂremÂment. Des objets au serÂvice de leurs utiÂliÂsaÂteurs pluÂtôt que des traÂvailleurs enchaîÂnés à leurs traites. L’être pluÂtôt que l’aÂvoir ». AinÂsi, pour toute défiÂniÂtion de l’éÂcoÂloÂgie poliÂtique, depuis que l’éÂcoÂloÂgie ne se contente plus d’être une science mais a fait irrupÂtion dans le débat public et dans la vie quoÂtiÂdienne, tu dis qu’elle est subÂverÂsion : négaÂtion absoÂlue du pouÂvoir et des hiéÂrarÂchies, remise en cause de la croisÂsance à tout va, refus du traÂvail salaÂrié, ce nouÂvel esclaÂvage.
Une décenÂnie après mai 68, tu affirmes que « perÂsonne ne veut de ce monde pourÂri bâti par les vieux, de ce monde de comÂpéÂtiÂtion finanÂcière et hiéÂrarÂchique absurde, ce monde crisÂpé et danÂgeÂreux, coinÂcé et engonÂcé, sans humour et sans chaÂleur. Ce monde pré-homiÂnien qui se croit sage et n’est que savant, qui se veut scienÂtiÂfique et n’est qu’obsÂcuÂranÂtiste, qui se dit monÂdiaÂliste et n’est que chauÂvin. PerÂsonne n’en veut. Dès qu’il accède à la conscience de sa misère, le jeune se découvre égaÂleÂment soliÂdaire, où qu’il vive, en AlleÂmagne ou au Japon. L’inÂterÂnaÂtioÂnale des vivants est née ». Il y a donc, d’aÂbord, l’imÂpéÂraÂtif d’un refus : ce « non chef ! » lanÂcé par tes amis de la désoÂbéisÂsance civile, qui est un « double refus : refus de l’État (donc de tout ce qui le renÂforce, parÂtis y comÂpris), refus du traÂvail (droit à la paresse créaÂtive). Deux sacrés miraÂdors, deux miraÂdors sacrés. Mais, dis-tu, je crois qu’on ne peut pas se dire écoÂloÂgiste et faire l’imÂpasse sur ces deux monstres. » A quoi l’on voit que l’éÂcoÂloÂgie poliÂtique est fonÂdaÂmenÂtaÂleÂment anarÂchiste.

« Les strucÂtures de l’éÂtat moderne et techÂnique nous oppriment et nous aliènent à tous les niveaux de la vie quoÂtiÂdienne : traÂvail, consomÂmaÂtion, couple, culture, penÂsée ». L’éÂcoÂloÂgie poliÂtique est émanÂciÂpaÂtrice, elle pose la nécesÂsiÂté d’une libéÂraÂtion. LibéÂraÂtion utoÂpique, peut-être ; mais, comme l’aÂboÂliÂtion du traÂvail, « ce n’est pas une raiÂson pour ne pas la réclaÂmer ».
« Le travail salarié ne libère pas l’homme. Ce qui libère l’homme, c’est le geste créateur qui lui permet de transformer la réalité. »
AdmiÂraÂteur de tous les tireurs au flanc, Arthur, je te connais grand amaÂteur de siestes sous l’arbre. Tu te vanÂtais d’aÂvoir la quaÂliÂté de paresÂseux, au point d’en faire le titre de ton autoÂbioÂgraÂphie**. C’est que tu fais la disÂtincÂtion, avec Adret, entre le traÂvail lié et le traÂvail libre. Le triste labeur pour « les nécesÂsiÂtés de la croisÂsance » s’opÂpose au traÂvail utile : « Les écoÂloÂgistes ont tourÂné la difÂfiÂculÂté en preÂnant le proÂblème à l’autre bout. Ils disent : de quoi avons-nous besoin ? Nous verÂrons ensuite s’il est utile de fabriÂquer le superÂflu. Il va de soi qu’auÂcun ouvrier senÂsé n’auÂrait jamais déciÂdé la fabriÂcaÂtion du Concorde si on lui avait demanÂdé son avis. Paris-CaraÂcas en trois heures à quoi bon ? À quoi bon perdre huit heures par jour à faire gagner trois heures à son patron ? »* Et tu répètes que le seul traÂvail digne de l’homme, le seul traÂvail émanÂciÂpaÂteur, est le non-traÂvail de la créaÂtion : « Comme la créaÂtion n’est jamais fasÂtiÂdieuse mais touÂjours liée au jeu, le traÂvail, par contre-coup en prend plein la gueule. Et le type qui a goûÂté à la drogue de la créaÂtion reprend difÂfiÂciÂleÂment le colÂlier du traÂvail, jusÂqu’au jour où il réduit à trois fois rien ses besoins pour ne plus jamais traÂvailler. Ce jour-là , l’homme sort praÂtiÂqueÂment de la sphère de la marÂchanÂdise, même s’il n’y échappe jamais tout à fait. La lutte des classe, sa lutte des classes est terÂmiÂnée. »
De sorte qu’il n’y a pas, selon toi, de proÂblème du chôÂmage mais bien un proÂblème du traÂvail et, dans une époque où la jeuÂnesse est nomÂbreuse et porÂteuse du désir de renouÂveÂler la vie en bousÂcuÂlant le vieux monde, tu te réjouis : « Mais les jeunes ne sont plus dupes. L’abÂsenÂtéisme, le saboÂtage, le couÂlage, bref le refus du traÂvail, sont un phéÂnoÂmène généÂraÂliÂsé. Les patrons se lamentent sur les exiÂgences des jeunes : ils veulent gagner beauÂcoup d’argent sans traÂvailler beauÂcoup. Et en plus, horÂreur et putréÂfacÂtion, ils veulent faire un traÂvail qui leur plaise. (…) Ils désertent les ascenÂseurs sociaux. Ils veulent du temps libre, du temps libéÂré. »
On compte aujourd’Âhui trois fois plus de chôÂmeurs qu’il y a quaÂrante ans. La culpaÂbiÂliÂsaÂtion des « demanÂdeurs d’emploi », le fliÂcage des alloÂcaÂtaires, les injoncÂtions à consomÂmer pour exisÂter, ont, pour beauÂcoup, étoufÂfé toute velÂléiÂté de transÂforÂmer le temps sans traÂvail subi, en un temps libéÂré, ouvert à la créaÂtion. La priÂson du bouÂlot salaÂrié a referÂmé plus dureÂment ses grilles sur ceux qu’elle exclut, leur retiÂrant jusÂqu’à la simple envie de vivre. On prêche l’éÂvanÂgile du labeur aux petiots, dès la materÂnelle. En sepÂtembre 1978, tu iroÂnises : « Quant à ceux qui vouÂdraient proÂpoÂser des mesures écoÂloÂgiques (petites uniÂtés de proÂducÂtion d’obÂjets utiles et inusables) qu’ils se taisent ! D’ailleurs, même s’il parÂlaient, on s’arÂranÂgeÂrait pour que ce fût dans le désert. PoliÂtique et synÂdiÂcal. Car si les gens découÂvraient qu’ils peuvent orgaÂniÂser eux-même leur traÂvail et leur temps, ce serait la révoÂluÂtion. Or ça, nous sommes forÂmels, nous n’en vouÂlons pas : la bourse serait morose. »
Aujourd’hui, c’est comme marÂché à déveÂlopÂper, créaÂteur supÂpoÂsé « d’emplois verts », que « les téléÂviÂdanÂgeurs » nous vendent ce qu’ils appelle « l’éÂcoÂloÂgie. » Pas sûr que les contrats de ces salaÂriés verts satisÂfassent à la proÂpoÂsiÂtion raiÂsonÂnable de « traÂvailler deux heures par jour. » Comme hier, « la reliÂgion proÂducÂtiÂviste, l’iÂdéoÂloÂgie machiÂniste, la croyance en l’absÂtracÂtion du déveÂlopÂpeÂment techÂnique », avec pour toute récomÂpense l’acÂcesÂsion de quelques élus au paraÂdis de la consomÂmaÂtion illiÂmiÂtée, font encore des ravages.

« Ne pas effrayer les gens avec leur mort. Les émerveiller avec leur vie. »

Tu te méfies des idéoÂloÂgies. Tu hais le capiÂtaÂlisme autant que le faux sociaÂlisme des régimes de l’Est, les dicÂtaÂtures du proÂléÂtaÂriat comme les théoÂcraÂties : en Iran, tu déplores qu’on renÂverse la dicÂtaÂture du shah pour étaÂblir celle des ayaÂtolÂlahs. De toutes ces envoÂlées hisÂtoÂriques, tu rapÂpelles que c’est la mort qui sort touÂjours vainÂqueur. Aux grands dogmes idéoÂloÂgiques, tu opposes le réel : « Le réel, c’est que les hommes peuvent vivre libres et égaux. L’iÂdéoÂloÂgie, c’est que l’homme est par nature, fataÂliÂté ou nécesÂsiÂté poliÂtique, desÂtiÂné à être esclave de quelque chose qui le dépasse, contre quoi il est donc inutile de lutÂter sauf à vouÂloir mouÂrir. »* L’éÂcoÂloÂgie poliÂtique n’est pas une idéoÂloÂgie, elle ne cherche pas à faire le bonÂheur des masses malÂgré elles, à les convaincre d’acÂcepÂter leur oppresÂsion pour leur bien, en échange d’une récomÂpense aléaÂtoire et touÂjours à venir. Au contraire, elle prône l’imÂporÂtance de l’inÂdiÂviÂduel, de la diverÂsiÂté, de l’éÂquiÂlibre, de la petite strucÂture autoÂnome contre le cenÂtraÂlisme aliéÂnant. Elle se situe du côté de la vie : « La vie, la vraie vie, le jeu, l’aÂmour, la créaÂtion, s’est laisÂsée étoufÂfer par les mornes réaÂliÂtés de la surÂvie » : Arthur, j’enÂtends, dans ta prose, les échos de VaneiÂgem que tu aimes tant.
Ton infaÂtiÂgable miliÂtanÂtisme antiÂnuÂcléaire n’est donc pas seuleÂment la contesÂtaÂtion d’une indusÂtrie danÂgeÂreuse pour aujourd’Âhui comme pour les généÂraÂtions futures, une menace perÂmaÂnente de desÂtrucÂtion totale des êtres vivants. Le nucléaire impoÂsé aux popuÂlaÂtions du monde est idéoÂloÂgique : c’est le derÂnier tour d’éÂcrou d’un pouÂvoir essenÂtielÂleÂment fasÂciÂsant. Si bien que, affirmes-tu : « l’aÂbanÂdon du nucléaire aurait pour corolÂlaire la décenÂtraÂliÂsaÂtion des pouÂvoirs, la disÂcusÂsion de la croisÂsance, la redéÂfiÂniÂtion du traÂvail, c’est à dire à long terme, la fin des domiÂnances hiéÂrarÂchiques, la fin des États. Quand on est chef d’éÂtat, voire sous-chef, on tue dans l’œuf une subÂverÂsion si radiÂcale. » Ce texte, tu l’éÂcris en août 1977, après la maniÂfesÂtaÂtion contre la cenÂtrale SuperÂphéÂnix de MalÂville, au cours de laquelle un jeune proÂfesÂseur de phyÂsique, Vital MichaÂlon, a été tué par les genÂdarmes et par une greÂnade qu’on quaÂliÂfiait en ce temps-là d’ofÂfenÂsive. La terÂrible répresÂsion de la manif interÂdite de Creys-MalÂville, les nomÂbreux blesÂsés, la mort de Vital MichaÂlon, ce miliÂtant paciÂfique, t’ont bouÂleÂverÂsés, mais tu résistes aux tenÂtaÂtives de culpaÂbiÂliÂsaÂtion : « Quand on rentre dans le jeu des resÂponÂsaÂbiÂliÂtés, on remonte loin, jusÂqu’à la matrice oriÂgiÂnelle. Je ne ferai jamais l’affront à Vital MichaÂlon de supÂpoÂser que j’ai pu l’atÂtiÂrer de force à MalÂville. Je sais qu’il était resÂponÂsable de lui-même, conscient de l’enÂjeu comme nous le sommes tous, en derÂnière anaÂlyse. Le meurÂtrier est le préÂfet JanÂnin. L’arme du crime est une greÂnade offenÂsive lanÂcée dans le brouillard des gaz lacryÂmoÂgènes. Le reste n’est que phanÂtasmes. »
« En démocratie, on permet aux gens de choisir la couleur des rideaux de leur cellule. Et les gens disent : on est libres. »
ParÂtout dans tes écrits, cette idée revient : il n’y a pas de démoÂcraÂtie. Et tu donnes un exemple : « SonÂgez que la déciÂsion la plus imporÂtante, la plus contraiÂgnante, la plus gonÂflée qu’ait prise un gouÂverÂneÂment depuis NapoÂléon, le proÂgramme nucléaire franÂçais, le fut par un moriÂbond (PomÂpiÂdou) que conseillait le coloÂnel MessÂmer, sorte d’huÂmaÂnoïde à faible rayon d’acÂtion menÂtal. »* La démoÂcraÂtie est confisÂquée par les grands orgaÂnismes priÂvés ou public à la tête desÂquels on trouve les hommes de pouÂvoir, « ces machines à plaÂniÂfier le desÂtin des masses », « ces machines parÂlantes, débiÂtant un lanÂgage stéÂréoÂtyÂpé, totaÂleÂment déconÂnecÂté des réaÂliÂtés humaines, mais à quoi bon, il est celui du pouÂvoir. »
Dans ton pays, la Drôme, tu vois que les élus sont dépasÂsés par les quesÂtions techÂnoÂloÂgiques hauÂteÂment comÂplexes que posent l’insÂtalÂlaÂtion des cenÂtrales sur leur terÂriÂtoire, se résignent à « faire confiance » et ne font qu’ « entéÂriÂner les déciÂsions occultes des techÂnoÂcrates (non élus). » Le refus popuÂlaire, masÂsif, de la construcÂtion des grands barÂrages ou des cenÂtrales nucléaires, tu remarques qu’EDF et son patron BoiÂteux n’en tiennent aucun compte. EDF praÂtique la « démoÂcraÂtie du fait accomÂpli et de l’irÂréÂverÂsible (« nous avons mis tant de fric dans l’afÂfaire, imposÂsible de reveÂnir en arrière ») ». Les bétonÂneurs d’hier et d’auÂjourd’Âhui se font proÂtéÂger par l’arÂmée. À la manif de Cruas, tu observes « touÂjours ce cliÂmat de guerre civile, cette volonÂté d’opÂpoÂser les gens. Ce que recherche EDF et les pouÂvoirs publics est clair : criÂmiÂnaÂliÂser l’éÂcoÂloÂgie, l’asÂsiÂmiÂler au terÂroÂrisme et faire des franÂçais 50 milÂlions de miliÂciens rejeÂtant cette ganÂgrène intelÂlecÂtuelle et pasÂséiste. »
Dans ce specÂtacle de démoÂcraÂtie, tu dénonces les parÂtis et les synÂdiÂcats, que tu vois touÂjours du côté de l’ordre et de la serÂviÂtude, qui anéanÂtissent les tenÂtaÂtives d’éÂmanÂciÂpaÂtion des traÂvailleurs par eux-même : « Car (les forces poliÂtiques et synÂdiÂcales) ont la pesante effiÂcaÂciÂté du bÅ“uf. Elles étouffent la sponÂtaÂnéiÂté, elles bureauÂcraÂtisent la poéÂsie. Elles agissent comme la gélaÂtine, maçonnent les spores de la liberÂté et labourent les champs sans clôÂture. » Tu traÂduis faciÂleÂment les belles proÂmesses élecÂtoÂrales : « vous vouÂlez être peiÂnards ? RésiÂgnez-vous et gagnez du fric ! Et venez pas nous faire chier avec vos hisÂtoire de chanÂger la vie. LaisÂsez ça aux disÂcours. N’aÂgisÂsez pas ! La démoÂcraÂtie on est là pour s’en occuÂper. On est des spéÂciaÂlistes. Votez, nous ferons le reste. »
Tu n’as que très rareÂment voté, et jamais cru au vote. En 1978, on demande aux écoÂloÂgistes de s’ouÂvrir « aux forces poliÂtiques et synÂdiÂcales », tu doutes : « se reconÂnaître, s’aiÂmer, se parÂler, se souÂrire, ça veut dire faire sauÂter les cloiÂsons, creÂver les écrans, mettre en panne les ascenÂseurs, occuÂper l’esÂpace, occuÂper le temps, s’éÂmerÂveiller soi-même. SurÂhuÂmain boyÂcott de tout ce qui s’inÂterÂpose entre les gens et la vie des gens. Et d’aÂbord, jusÂteÂment, « les forces poliÂtiques et synÂdiÂcales. » »
« Éviter l’émergence des notables verts, corrects, crédibles et beau-parleurs. »
« On avait crée la Gueule Ouverte à quelques indiÂviÂdus, pour se la fendre un petit peu, la gueule, et l’ouÂvrir un tanÂtiÂnet.»* Tu rapÂpelles cela en 1977, ravi mais pas surÂpris que les idées des écoÂloÂgistes aient fait leur petit bout de cheÂmin pour atteindre plus larÂgeÂment les consciences indiÂviÂduelles pourÂtant quoÂtiÂdienÂneÂment modeÂlées par la proÂpaÂgande des hérauts du « proÂgrès » nucléaire, de la croisÂsance et de la consomÂmaÂtion. Le vote écoÂlo pèse souÂdain dans les cinq pour cent, capable donc de faire basÂcuÂler une élecÂtion. Mais que faire de cette force nouÂvelle ? ComÂment ne pas laisÂser disÂsoudre les prinÂcipes fonÂdaÂmenÂtaux de l’éÂcoÂloÂgie poliÂtique, telle que tu la penses, telle que tu la vis, dans les comÂproÂmisÂsions de la démoÂcraÂtie repréÂsenÂtaÂtive ?
Quatre ans après la canÂdiÂdaÂture de René Dumont aux élecÂtions préÂsiÂdenÂtielles, se proÂfilent les légisÂlaÂtives de 1978. SouÂdain préÂocÂcuÂpés de consiÂdéÂraÂtions « vertes », les canÂdiÂdats à leur propre élecÂtion oublient que l’éÂcoÂloÂgie poliÂtique est la négaÂtion même de ce qu’ils repréÂsentent : l’amÂbiÂtion perÂsonÂnelle, le goût du pouÂvoir et de l’argent, le menÂsonge pour arriÂver puis le fliÂcage et la force armée face à la popuÂlaÂtion.
Tu es plus que méfiant, tu es anti-élecÂtions. « Pour les domiÂnants, la démoÂcraÂtie parÂleÂmenÂtaire est effecÂtiÂveÂment le moins pire des sysÂtème, car c’est celui qui fait le mieux parÂtiÂciÂper les gens à leur auto-exploiÂtaÂtion. La dicÂtaÂture c’est trop voyant. » Tu ne crois pas que l’on puisse chanÂger la vie de l’inÂtéÂrieur d’un sysÂtème que tu récuses. « Ni dieu, ni maître, ni dépuÂté ! » affirmes-tu, prêt, pourÂtant, à t’enÂgaÂger dans la bataille de la mobiÂliÂsaÂtion des indéÂcis en faveur du vote écoÂlo pour que les idées écoÂloÂgistes touchent un encore plus large public, pour que les miliÂtants écoÂloÂgistes aient accès aux dosÂsiers senÂsibles, pour ausÂsi (et surÂtout?) « détourÂner (les élecÂtions) vers le burÂlesque. Qu’on laisse au moins aux gens un souÂveÂnir plaiÂsant. Dire ce qu’on a à dire sans se prendre au sérieux. BadiÂner un brin avec l’aÂpoÂcaÂlypse. » Mais tu refuses absoÂluÂment la lutte des places : les batailles d’ego, les chaÂmailleÂries des plaÂcés et des à plaÂcer ne t’inÂtéÂressent pas. La conquête du pouÂvoir rend les gens imbéÂciles : « un chef ne peut par nature être intelÂliÂgent puisÂqu’il utiÂlise toute son énerÂgie à conserÂver bêteÂment son pouÂvoir. L’homme intelÂliÂgent, l’homme de science, se moque du pouÂvoir. Il veut savoir, connaître. DiriÂger les autres est une recherche idiote. »
Tu abhorres le vedetÂtaÂriat. Tu sais que les leaÂders sont fabriÂqués par le sysÂtème médiaÂtique, parÂfois malÂgré les indiÂviÂdus, et tu te rapÂpelles des affres de ton ami FourÂnier, vedette bien malÂgré lui. Mais « les gens ont besoin de staÂtues et d’iÂcônes ». Il faut faire avec cette réaÂliÂté, au moins proÂviÂsoiÂreÂment, alors tu conseilles : « ne jalouÂsez pas les leaÂders, plaiÂgnez-les et le proÂblème sera réglé. »

Tu redoutes comme le plus grand des danÂgers la récuÂpéÂraÂtion poliÂtique du vote écoÂloÂgiste par les parÂtis qui se proÂclament de gauche, et tu rapÂpelles que « la gauche veut chanÂger la vie de l’esclave en garÂdant le même fouet. » Les poliÂtiÂciens en quête de sufÂfrages ont tous la même idée sur l’éÂcoÂloÂgie, que tu résumes par le joli mot de « verÂdure » : « la « verÂdure » c’est le posÂsible, le plus grand dénoÂmiÂnaÂteur comÂmun, si grand qu’il déteint sur tous les canÂdiÂdats poliÂtiques. Mais si vous ne chanÂgez pas tout, vous ne chanÂgez rien. » Or, malÂgré la verÂdure, il n’est jamais quesÂtion, ni au PS ni au PC, de stopÂper le nucléaire, ni civil, ni miliÂtaire. Il t’arÂrive même de hausÂser le ton, interÂpelÂlant les récuÂpéÂraÂteurs : « l’éÂcoÂloÂgie ne se ralÂlieÂra jamais à votre sysÂtème poliÂtique. Vous pourÂrez sans doute en récuÂpéÂrer les gadÂgets : les bouts de chanÂdelles pétaiÂnistes de l’éÂcoÂnoÂmie d’énerÂgie. Vous ne pourÂrez jamais digéÂrer son potenÂtiel subÂverÂsif pour une raiÂson très simple : le capiÂtaÂlisme libéÂral est aux antiÂpodes d’une sociéÂté écoÂloÂgique. Le moteur de votre « démoÂcraÂtie », c’est l’exÂploiÂtaÂtion de l’homme par l’homme, l’exÂploiÂtaÂtion du tiers monde, l’exÂploiÂtaÂtion de la nature. » Les écoÂloÂgistes ne peuvent, sans se perdre, rejoindre le clan ferÂmé des notables élus.
Tu es conscient de l’éÂnorÂmiÂté de ce qui est à surÂmonÂter : « L’éÂcoÂloÂgie c’est difÂfiÂcile. Sinon ce serait le sociaÂlisme. Il faut conciÂlier les aléas de la sponÂtaÂnéiÂté et ceux de l’orÂgaÂniÂsaÂtion. Il faut marier l’inÂdiÂviÂdu avec la sociéÂté. Il faut que l’homme, aniÂmal social, n’y perde pas son aspect unique. Il faut des strucÂtures assez ouvertes pour ne pas se ferÂmer aux innoÂvaÂtions. Il faut resÂpecÂter les diverÂsiÂtés ethÂniques sans perdre de vue l’internationalisme plaÂnéÂtaire des proÂblèmes. Il faut surÂtout arrêÂter de dire il faut. Les écoÂloÂgistes ne veulent pas se constiÂtuer en parÂti avec les appaÂreils, les dogmes et les magouilles des congrès. PourÂtant la tenÂtaÂtion est grande ; on évoque l’efficacité .»
ComÂment faire de la poliÂtique en se pasÂsant des hommes et des femmes poliÂtiques, en refuÂsant les parÂtis ? ComÂment faire en sorte que les gens prennent eux-même leur desÂtin en main malÂgré les menÂsonges de ceux qui les maniÂpulent ? « Le rôle excluÂsif de l’homme poliÂtique, c’est jusÂteÂment de donÂner un espoir. Le rôle des incroyants pas dupes, c’est de démysÂtiÂfier, de prouÂver par des faits, des exemples hisÂtoÂriques, des supÂpoÂsiÂtions étayées par la science sociale, qu’une sociéÂté égaÂliÂtaire passe d’aÂbord par la desÂtrucÂtion de ces faux espoirs, de ces croyances en l’homme poliÂtique. » D’où la nécesÂsiÂté absoÂlue d’un jourÂnal comme la Gueule Ouverte, arme de papier contre la désÂinÂforÂmaÂtion : « notre seul bouÂlot, affirmes-tu, c’est de faire tout simÂpleÂment de l’inÂforÂmaÂtion poliÂtique de base. PatiemÂment. ExpliÂquer ce qu’est un homme poliÂtique, un cash-flow, une mulÂtiÂnaÂtioÂnale, un taux de croisÂsance, une élecÂtion. » ParÂtiÂciÂper, en somme, à l’éÂgaÂliÂté du niveau de conscience des indiÂviÂdus appeÂlés à vivre ensemble.
« Un jour les poules auront des dents et les poulets n’en auront plus ! »
Arthur, je me souÂviens de tes arriÂvées toniÂtruantes dans les réunions de famille. L’apÂpaÂriÂtion de mon oncle, touÂjours préÂcéÂdée du craÂqueÂment du frein à main de ta vieille PeuÂgeot, de ta voix râpeuse de fumeur de pipe et d’un grand éclat de rire. En te lisant, je découvre qu’il pouÂvait t’arÂriÂver d’être raiÂsonÂnaÂbleÂment optiÂmiste. AinÂsi, tu oses affirÂmer en avril 1977 : « bien sûr qu’on peut arriÂver à supÂpriÂmer les DasÂsault, BalÂkaÂny et autres requins et à réduire la fraude fisÂcale ! » Il sufÂfit d’être patient : « un jour l’homme sorÂtiÂra de la préÂhisÂtoire et les guerres civiles, les guerres reliÂgieuses, les guerres du traÂvail salaÂrié (lutte des classes) paraîÂtront ausÂsi risibles que les comÂbats du triÂcéÂraÂtops. En attenÂdant, l’homme est un dinoÂsaure légèÂreÂment évoÂlué qui se roule sur son tas de fouÂgères en croyant que ça dureÂra touÂjours. Pauvre bête ! »*
Dans ces années-là , tu crois en la jeuÂnesse, en sa capaÂciÂté à reverÂser les strucÂtures étaÂblies : « les jeunes lycéens savent, nous savons tous, que la révoÂluÂtion est posÂsible, la révoÂluÂtion cultuÂrelle : fin du sysÂtème marÂchand, remÂplaÂceÂment des rapÂports marÂchands d’éÂchange par les rapÂports humains, conviÂviaux. Si elle se veut libre, l’huÂmaÂniÂté ne pourÂra pas faire l’imÂpasse sur l’humain… » J’ai onze ans quand tu écris ces lignes. Enfants de mai 68, nous avons déçu tes espoirs, sans doute, puisque les années 80 furent celles où le fric étaÂblit pour longÂtemps son empire totaÂliÂtaire sans que nous proÂtesÂtions beauÂcoup. Toi qui détestes tant « les amouÂreux de l’argent. Ces gens sont peu nomÂbreux mais bien orgaÂniÂsés. Leur reliÂgion, l’argent, a un fort pouÂvoir de séducÂtion. Ils l’uÂtiÂlisent pour faire des adeptes. Ils sont assez nomÂbreux et proÂséÂlytes pour étoufÂfer les cris des vivants et, par exemple, gagner les élecÂtions. C’est pourÂquoi ils dirigent tous les pays du monde. » Tu t’es touÂjours soiÂgneuÂseÂment arranÂgé pour ne jamais faire parÂtie de ce club resÂtreint des blinÂdés.
Mais ton humour iroÂnique cache mal un pesÂsiÂmisme parÂfois extrême. Tu es pesÂsiÂmiste, devant l’inÂtelÂliÂgence humaine si mal employée : « impriÂmer une presse pouÂbelle, réaÂliÂser un bomÂbarÂdier superÂsoÂnique, une cenÂtrale nucléaire, un ordiÂnaÂteur, toutes ces resÂsources qui tournent à vide pour proÂduire de la mort et de l’aÂliéÂnaÂtion. » Face aux conflits armés qui se mulÂtiÂplient, tu rapÂpelles qu’il « n’y a pas d’aÂtome paciÂfique », que la bombe est réaÂliÂsable à parÂtir de n’imÂporte quel réacÂteur nucléaire et que la disÂséÂmiÂnaÂtion nucléaire conduit inéviÂtaÂbleÂment à la guerre. Tu déplores le gouÂverÂneÂment des popuÂlaÂtions par la trouille, et tu fais en juillet 1977 le tableau d’un aveÂnir bien sombre : « un monde tétaÂniÂsé sous la menace nucléaire qu’aÂgite une poiÂgnée d’homme comÂplices à l’ouest et à l’est. Et une mulÂtiÂtude serve, accepÂtant la fataÂliÂté techÂnique du confort élecÂtrique, la répéÂtiÂtion du contrôle absoÂlu (peur des « terÂroÂristes »), le matraÂquage audio-visuel des cultures domiÂnantes. Un monde de flics. Un monde où on ne pourÂra plus penÂser sans ceinÂture de sécuÂriÂté, un monde où tous les déplaÂceÂments, même les plus infimes, seront souÂmis au contrôle étaÂtique. Un monde géoÂméÂtrique ou nous serons souÂmis à la raiÂson qui n’est pas la RaiÂson. Un monde telÂleÂment figé dans toutes ses strucÂtures qu’il sera alors temps pour lui de mouÂrir. » Le découÂraÂgeÂment souÂdain te saiÂsit, l’enÂvie de tout laisÂser tomÂber devant l’imÂplaÂcable force d’écrasement des indiÂviÂdus du pouÂvoir pseuÂdo-démoÂcraÂtique : « la seule alterÂnaÂtive, et je la resÂsens aujourd’Âhui comme beauÂcoup dans mes tripes, pour les mouÂtons qui ont manÂgé l’herbe enraÂgée de MalÂville, c’est TahiÂti, la déserÂtion, les vahiÂnées et le bras d’honÂneur parÂfuÂmé à cette sociéÂté qui barre en couille : après moi le déluge des neuÂtrons. J’ai tout tenÂté, je n’iÂrai pas jusÂqu’au sacriÂfice. Vivre d’aÂbord et vite, ça urge ! Mais c’est dur de se résiÂgner. »

« Il va falloir sous peu liquider l’écologie en tant que gadget idéologique du système dominant, nouveau cache-misère. »
Non, je ne t’ai jamais connu résiÂgné. Tu affirmes, devant le scanÂdale de l’AmoÂco Cadiz, qu’« il y a pire que la marée noire : l’haÂbiÂtude que l’on s’en fait. Il fauÂdrait pouÂvoir casÂser les habiÂtudes menÂtales des gens et cette résiÂgnaÂtion morÂbide : « de toutes façons on n’y peut rien. » De l’OÂlympe aux plaies d’Égypte, les PouÂvoirs inventent touÂjours de nouÂvelles fataÂliÂtés pour faire courÂber le chef aux esclaves. Les dieux aujourd’Âhui, c’est le proÂgrès, cette molle entiÂté calÂcuÂlée en vains bénéÂfices tanÂdis que meurent nos biens essenÂtiels : l’eau, la faune, la flore et l’auÂtoÂnoÂmie de ceux qui en vivent. »* Les catasÂtrophes se mulÂtiÂplient, qui ne connaissent jamais de resÂponÂsables ni de couÂpables. « La catasÂtrophe, ce moyen libéÂral des masses contrôÂlées, joue le rôle d’un gouÂlag apoÂliÂtique. Sauf que chez nous, les gens s’enÂferment tous seuls au camÂping de Los AlfaÂqués », dont l’inÂcenÂdie, cauÂsé par l’exÂploÂsion d’un camion-citerne transÂporÂtant 25 tonnes de gaz, fait 217 morts.
Alors, il faut contiÂnuer à s’inÂdiÂgner : « qui ne s’inÂdigne plus consent. IndiÂgnons-nous morÂdiÂcus jusÂqu’à la mort. Voyez comme on est : on serait aux portes de l’enÂfer qu’on gueuÂleÂrait touÂjours… c’est plus du jourÂnaÂlisme, c’est du mauÂvais caracÂtère ! » Mais les disÂcours ne sufÂfisent plus, « l’heure du bla-bla et de l’inÂforÂmaÂtion est pasÂsée. Place aux poètes (du verbe grec qui signiÂfie : faire).» Tu dis qu’il faut « pasÂser enfin aux actes. Sinon nous resÂteÂrons des gugusses spéÂciaÂlistes dans l’éÂcoÂloÂgie, récuÂpéÂrés bienÂtôt par la comÂmisÂsion ad hoc du parÂti machin chouette et gesÂtionÂnaire new look du monde capiÂtaÂliste. »
Agir, c’est d’aÂbord maniÂfesÂter, même quand c’est interÂdit et malÂgré la répresÂsion poliÂcière. Est-ce sufÂfiÂsant ? Tu remarques après la maniÂfesÂtaÂtion très calme de FlaÂmanÂville que « le pouÂvoir aime bien ce genre de pique-nique. Ce qu’il déteste c’est que les gens s’enÂraÂcinent, parlent et vivent ensemble. » C’est cela, pour toi, la révoÂluÂtion : choiÂsir son lieu de vie, choiÂsir ses Å“uvres, vivre ensemble, se renÂconÂtrer, se parÂler.
Et souÂdain, dans ce que tu écris, dans le récit des mobiÂliÂsaÂtions, des rasÂsemÂbleÂments contesÂtaÂtaires contre les cenÂtrales, les barÂrages, le grand canal du Sud, les autoÂroutes, l’exÂtenÂsion du camp miliÂtaire du LarÂzac, surÂgit la quesÂtion de la vioÂlence. Tu es non-violent, parÂfois jusÂqu’à la naïÂveÂté. Pour toi, la non-vioÂlence est « l’atÂtiÂtude indiÂviÂduelle la plus intelÂliÂgente. » PourÂtant, tu comÂprends le recours à la vioÂlence, car « d’où vient-(elle) ? D’un chroÂmoÂsome perÂvers ? Non ! La vioÂlence naît de l’imÂposÂsiÂbiÂliÂté du diaÂlogue. C’est l’ulÂtime recours de celui qui se sent nié. Le derÂnier cri. »
Le saboÂtage te semble une réponse logique à la démoÂcraÂtie accaÂpaÂrée par la techÂnoÂcraÂtie : « dans un monde qui tue, peut-on condamÂner ceux qui détruisent les outils des tueurs ? » Je sens à la lecÂture des numéÂros sucÂcesÂsifs de la G.O. que le cliÂmat poliÂtique et social se durÂcit, et pas seuleÂment en France. Devant l’imÂplaÂcable déterÂmiÂnaÂtion des techÂnoÂcrates et des finanÂciers, tu constates que « les « doux » écoÂloÂgistes devront étuÂdier sérieuÂseÂment la quesÂtion du saboÂtage. Ils découÂvriÂront peut-être que la marÂchanÂdise n’est pas sacrée, et que la détruire n’est pas un geste de vioÂlence mais un geste de légiÂtime défense. » AinÂsi, tu souÂtiens les saboÂteurs des cenÂtrales nucléaires suisses : « ce que les artiÂfiÂciers font sauÂter, c’est la poliÂtique du fait accomÂpli, la poliÂtique du retour en arrière imposÂsible. Les démoÂcrates, c’est eux. »
C’est l’éÂpoque des attenÂtats de la RAF (FracÂtion Armée Rouge) en AlleÂmagne, des faux suiÂcides de BaaÂder et de ses camaÂrades dans leur celÂlule. Si tu prends tes disÂtances avec la méthode employée, que tu n’apÂprouves pas, tu reconÂnais que BaaÂder a visé juste en s’en preÂnant à la consomÂmaÂtion, aux banques, à la presse pourÂrie, au patroÂnat, à l’arÂmée et non pas aux lamÂpistes. Selon toi, « BaaÂder est peut-être le derÂnier romanÂtique. Nous entrons dans des temps bien mausÂsades. Le règne des purs et durs s’aÂchève. L’État étend sa patte graisÂseuse sur l’enÂsemble des actiÂviÂtés humaines. Toute déviance, toute disÂsiÂdence sera assiÂmiÂlée au terÂroÂrisme. La norme sera la résiÂgnaÂtion coite. L’huÂmaÂniÂté entre sans molÂlir dans le grand asile silenÂcieux, le mouÂroir défiÂniÂtif. Il ne fera pas bon penÂser et agir autreÂment. » A la mort d’AlÂdo Moro, ce poliÂtiÂcien assasÂsiÂné en ItaÂlie par les BriÂgades Rouges, qui fait les grands titres de la presse, tu opposes celle de milÂlions d’aÂnoÂnymes qui chaque jour meurent de faim, celle des torÂtuÂrés de la dicÂtaÂture en ArgenÂtine, celle des LibaÂnais bomÂbarÂdés par les IsraéÂliens, dans l’acÂcord tacite des bonnes consciences des nanÂtis : « Nous écoÂloÂgistes, lutÂtons contre la mort, toutes les morts. La mort de Moro ne nous paraît pas plus horÂrible que celle de l’enÂfant libaÂnais. Et le terÂroÂriste à la mitraillette ne fait que copier à petite échelle, les leçons du terÂroÂrisme suprême : l’État. »
Et tu répètes, que la preÂmière vioÂlence est d’aÂbord celle, pourÂtant jamais quaÂliÂfiée ainÂsi, des domiÂnants : « une môme de quinze ans s’est suiÂciÂdée à ChaÂlon pour s’être fait piquée à voler dans un (magaÂsin) MamÂmouth. C’est pas de la vioÂlence. C’est les affaires. DasÂsault a venÂdu des dizaines de mirages de plus au Moyen-Orient. C’est pas de la vioÂlence. C’est du comÂmerce extéÂrieur. Un colÂleur d’afÂfiches RPR, membre du SAC, a vidé son fusil sur un jeune. C’est pas de la vioÂlence. C’est la camÂpagne élecÂtoÂrale des « défenÂseurs de la liberÂté libéÂrale. » BourÂguiÂba a lanÂcé l’arÂmée sur les jeunes chôÂmeurs tuniÂsiens : 150 morts. C’est pas de la vioÂlence. C’est du mainÂtien de l’ordre. »

Être et, surÂtout, demeuÂrer non-violent, c’est ausÂsi un comÂbat.
Arthur, en te lisant, près de quaÂrante ans plus tard, il me semble lire ce qui pourÂrait être écrit ce matin, à quelques chanÂgeÂments de noms près. Tu penÂsais l’éÂcoÂloÂgie dans sa gloÂbaÂliÂté, et te moquais des préÂtenÂdues « vicÂtoires écoÂloÂgiques » du type limiÂter les coloÂrants dans les bonÂbons ou réaÂliÂser des couÂloirs à vélos. Tu rapÂpeÂlais que l’éÂcoÂloÂgie doit se fonÂder sur la confiance en l’homme, mais en l’homme « enfin sorÂti du moyen âge », capable de battre en brèche cette mauÂdite pulÂsion du pouÂvoir. Aujourd’Âhui, c’est du côté des Zones à Défendre, bien plus que des parÂleÂments et des minisÂtères, que tu trouÂveÂrais de quoi surÂmonÂter ce pesÂsiÂmisme proÂfond que tu cachais en faiÂsant de tout une raiÂson de rire. Un peu parÂtout, en France et ailleurs, les gens refusent encore les grands traÂvaux indusÂtriels inutiles, qui leurs sont impoÂsés. Ils se battent pour faire resÂpecÂter la diverÂsiÂté écoÂloÂgique, se révoltent contre les potenÂtats locaux et contre le pouÂvoir de l’argent, ils font, comme tu le souÂhaiÂtais, de la poliÂtique sur leur lieu de vie en constiÂtuant des petites strucÂtures autoÂnomes. Autant de ZAD, autant de gueules ouvertes, autant de sources d’esÂpoir.
* toutes les citaÂtions d’ArÂthur sont extraites des numéÂros de la Gueule Ouverte des années 1977 à 1980.
** l’auÂtoÂbioÂgraÂphie d’ArÂthur, Mémoires d’un paresÂseux, est parue aux édiÂtions de l’AÂléï en 1988.
Article iniÂtiaÂleÂment publié à l’aÂdresse suiÂvante.
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