Éoliennes, Terres rares et désastre environnemental : une vérité qui dérange (même les ONG)!

Article paru ini­tia­le­ment sur le site de contre­points, mais les images ayant toutes dis­pa­rues, nous le republions.


Le déve­lop­pe­ment de tech­no­lo­gies vertes telles que les éoliennes reposent sur les « terres rares », dont l’exploitation en Chine se fait dans des condi­tions sani­taires et envi­ron­ne­men­tales scandaleuses.

L’appellation « terres rares » regroupe un ensemble de 17 élé­ments chi­miques com­pre­nant le scan­dium, l’yttrium et les 15 lan­tha­nides (en gros tous les élé­ments chi­miques allant du numé­ro ato­mique 57 au 71). Évi­dem­ment, à moins de mai­tri­ser la chi­mie comme un Wal­ter White, ces élé­ments ne vous disent pro­ba­ble­ment rien. Pour­tant, ceux-ci sont pré­sents en petites quan­ti­tés depuis long­temps dans la plu­part des pro­duits high-tech qui gar­nissent notre quotidien.

terres rares

Si le déve­lop­pe­ment des nou­velles tech­no­lo­gies tend à pous­ser la demande de terres rares à la hausse, une indus­trie s’est net­te­ment démar­quée du lot pour sa demande expo­nen­tielle de terres rares ces der­nières années : j’ai nom­mé l’industrie éolienne ! Pour­quoi donc ?

Eolienne

Comme vous le voyez ci-des­sus, une éolienne cache dans ses entrailles toute une pano­plie d’équipements dont un alter­na­teur à aimants per­ma­nents. Ces fameux aimants per­ma­nents – extrê­me­ment cou­teux au pas­sage – sont géné­ra­le­ment en par­tie com­po­sés d’un alliage de terres rares (néo­dyme-fer-bore dans la majo­ri­té des cas, avec de plus petites quan­ti­tés de dypro­sium et de pra­séo­dyme). Ain­si, pour fabri­quer une éolienne de 3 MW, la com­pa­gnie Fron­tier Rare Earths, spé­cia­li­sée dans le domaine des terres rares, cite des quan­ti­tés de terres rares allant jusqu’à 2 700 kg ! Avec le déve­lop­pe­ment de l’éolien au niveau mon­dial, l’industrie des terres rares s’attend donc à une demande de plus 8 000 tonnes de la part de l’industrie éolienne en 2014.

Sur la route des terres rares…

Si les terres rares sont assez uni­for­mé­ment répar­ties au sein de la croûte ter­restre (on en a trou­vé sur tous les conti­nents), la Chine en est aujourd’hui incon­tes­ta­ble­ment le pre­mier pro­duc­teur mon­dial avec 97% de part de mar­ché ! D’autant plus sur­pre­nant quand on sait que jusqu’au cours des années 80, les États-Unis étaient les pre­miers pro­duc­teurs mon­diaux avec le dépôt de Moun­tain Pass en Cali­for­nie.

Dans un mar­ché en pleine aug­men­ta­tion comme celui-ci, com­ment les Chi­nois ont-ils fait pour conqué­rir la qua­si-tota­li­té du gâteau ? En broyant les prix, par­di ! Et là, arrive la ques­tion qui fâche : com­ment ont-ils broyé les prix ? Tout d’abord, la main d’œuvre chi­noise est rela­ti­ve­ment abor­dable, même si les mineurs tra­vaillant dans le domaine des terres rares sont rela­ti­ve­ment mieux payés que leurs com­pa­triotes (£145 par mois en 2010, d’après un envoyé spé­cial du Dai­ly Mail). En fait, le gros des éco­no­mies réa­li­sées par les com­pa­gnies minières chi­noises vient du non-res­pect sys­té­ma­tique de l’environnement et de la sécu­ri­té de leurs tra­vailleurs, et comme vous allez le voir, la situa­tion est réel­le­ment peu réjouissante.

En Chine com­mu­niste, les infor­ma­tions sen­sibles sont stric­te­ment contrô­lées. De fait, il est extrê­me­ment dur d’accéder aux fameuses mines de terres rares et encore plus ardu d’en rame­ner des images. Cepen­dant, le Dai­ly Mail a réus­si à réa­li­ser deux repor­tages exclu­sifs dans l’une d’elles, en Mon­go­lie Inté­rieure en 2010, repor­tage dont j’aimerais reprendre ici les faits saillants et les images.

DSC_0012
Pho­to 1 : mine de Baiyun Obo en Mon­go­lie Inté­rieure. La mine four­nit 77% de la demande mon­diale en ter­bium et néodyme.
2
Pho­to 2 : les usines de trai­te­ment des terres rares de Bao­tou en Mon­go­lie Inté­rieure avec au pre­mier plan le lac toxique que leurs effluents ont consti­tué au fil du temps.

 

Photo 2 bis : le même lac vu de plus près.
Pho­to 2 bis : le même lac vu de plus près.
Pho­to 3 : ci-des­sus, l’entreposage peu ortho­doxe des rési­dus des four­neaux d’une usine de trans­for­ma­tion des terres rares, Bao­tou, Chine.

Autant vous dire que les pho­tos ci-des­sus n’ont pas été approu­vées par les auto­ri­tés chi­noises ! En ce qui concerne, l’extraction des terres rares, celle-ci a lieu dans des condi­tions com­plè­te­ment impen­sables pour un Occi­den­tal, je me per­mets ici de tra­duire un pas­sage du repor­tage du Dai­ly Mail :

À l’intérieur de l’usine, de l’acide sul­fu­rique à ébul­li­tion coule dans des tran­chées ouvertes et de la lave jaune en fusion jaillit des four­neaux rota­tifs. L’air rem­plit de sul­fure piquait les yeux et brû­lait les pou­mons. Les vête­ments des ouvriers étaient par­se­més de tâches d’acide.

« On nous donne des uni­formes au début mais ils se font rapi­de­ment ron­ger par l’acide » m’a dit un des tra­vailleurs dont le pan­ta­lon était cou­vert de brû­lures d’acide. « On nous donne des gants et des masques. Mais les masques ne font pas grand chose. J’ai du mal à res­pi­rer après mes shifts de 12 heures. »

À l’intérieur de ces ate­liers, les condi­tions de sécu­ri­té sont inadé­quates et le maté­riel rudi­men­taire comme le montrent ces images :

RARE EARTH IN CHINA6Évi­dem­ment, cette accu­mu­la­tion de négli­gences et d’irresponsabilité totale se devait de pro­duire son lot d’effets per­vers dans les régions minières de la Mon­go­lie Inté­rieure. En pre­mier lieu on pour­rait citer le fait que tous les habi­tants de la région portent désor­mais des masques par­tout où ils vont, ou encore le fait que des vil­lages entiers aient été dépla­cés, ou encore que les radia­tions radio­ac­tives du bas­sin de rési­dus (pho­to 2) sont 10 fois supé­rieures à ce que l’on mesure aux alen­tours (l’exploitation des terres rares met à nu des roches rela­ti­ve­ment radio­ac­tives habi­tuel­le­ment enfouies). On pour­rait encore par­ler des cas de can­cer sur­abon­dants, des cas d’ostéoporoses, des enfants qui naissent avec des mal­for­ma­tions osseuses, etc. En fait, dans cette région, c’est l’environnement entier qui est deve­nu inha­bi­table, même les eaux de sur­face ont été jugées impropres à l’irrigation ! Ce désastre envi­ron­ne­men­tal, c’est le prix à payer pour pro­duire du néo­dyme à des prix ridi­cu­le­ment bas comme les font les Chinois.

Voi­là la face cachée de l’industrie éolienne, une indus­trie dont les pro­duits, déjà hors de prix et peu per­for­mants, sou­ve­nez-vous, ne pour­rait sûre­ment pas se rele­ver d’une aug­men­ta­tion sub­stan­tielle du prix des terres rares du fait de la mise en place de règles envi­ron­ne­men­tales sérieuses en Chine. Alors, comme vous l’imaginez, dans l’industrie on se garde bien d’évoquer le sort des régions recu­lées de la Chine où le pré­cieux néo­dyme est extrait dans des condi­tions abso­lu­ment catastrophiques.

Une vérité qui dérange…

Devant un tel scan­dale sani­taire et envi­ron­ne­men­tal, j’ai donc été curieux de connaître le point de vue des grosses orga­ni­sa­tions envi­ron­ne­men­tales de ce monde (Green­peace, WWF, Envi­ron­men­tal Defense, etc.) sur le sujet.

Chez Green­peace :

greenpeace 1

Appa­rem­ment, chez Green­peace, le néo­dyme, ça n’évoque rien, essayons à nouveau :

greenpeace 2

Rien non plus… Visi­ble­ment, chez Green­peace le scan­dale des terres rares en Chine, on ne connait pas. Étrange, pas la moindre publi­ca­tion, pho­to, vidéo ou dépêche…

Essayons chez le WWF :

WWF 1

Chou blanc encore… J’ai essayé avec les mots clés « rare earths mining Chi­na » mais le moteur de recherche se bor­nait à me sor­tir une liste d’animaux en dan­ger n’ayant rien à voir avec le sujet. Essayons encore ! Chez Envi­ron­men­tal Defence maintenant :

environmental defence

À force de recherche, j’ai bien fini par trou­ver quelques réfé­rences au pro­blème des terres rares en Chine sur quelques rares sites d’ONG (ex : le site des Amis de la Terre). Mais, là encore, peu de détails, et sur­tout aucun lien entre cette indus­trie et l’industrie éolienne. Pour­quoi donc ce silence assour­dis­sant des ONGs, elles qui savent d’ordinaire si bien atti­rer notre atten­tion et nous sen­si­bi­li­ser à dif­fé­rentes causes ?

Pre­nons le cas de Green­peace par exemple, chez Green­peace, on est pour­tant bien conscient des pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux que peuvent sou­le­ver les exploi­ta­tions minières, la preuve, le mot « mining » ren­voie 493 résultats :

greenpeace 3

Pour­quoi donc ce silence radio sur une catas­trophe envi­ron­ne­men­tale dont les pro­por­tions sont lar­ge­ment supé­rieures à la moyenne des affaires trai­tées par Green­peace ? Eh bien, une bonne par­tie de la réponse réside sûre­ment dans le fait que Green­peace s’est ouver­te­ment posé en porte-éten­dard de l’industrie éolienne par­tout dans le monde. On peut légi­ti­me­ment être esto­ma­qué par le cynisme de la posi­tion de Green­peace (et des autres ONGs d’ailleurs) pour qui le sou­tient sans faille à l’industrie éolienne passe par une omer­ta totale sur les méfaits envi­ron­ne­men­taux qui béné­fi­cient aux fabri­cants d’éoliennes. Ima­gi­ner un ins­tant un scan­dale pareil béné­fi­ciant de près ou de loin à l’industrie pétro­lière. Quelle serait la réac­tion de Green­peace & Co ? Entre l’industrie éolienne et les autres indus­tries, c’est déci­dé­ment deux poids, deux mesures.

Mais pour­quoi donc se faire du sou­ci quand on est pro-éolien ? L’éolien c’est green, c’est hype, c’est soli­daire ! Pas comme les vilaines éner­gies fos­siles aux mains de mul­ti­na­tio­nales qui puent l’ultra-libéralisme ! Mais sur­tout, les pauvres Chi­nois qui vivent la dure réa­li­té de la tran­si­tion éner­gé­tique au jour le jour sont si loin, pour­quoi s’en inquié­ter ? Bref, au train où vont les choses, les mâts d’éoliennes n’ont pas finis d’être éri­gés dans nos cam­pagnes, au grand pro­fit de nou­veaux capi­ta­listes façon Al Gore : la main gauche dans le pot de confi­ture des sub­ven­tions éta­tiques, la main droite en train de signer des contrats pour vendre ce qu’ils ont eux-mêmes fait sub­ven­tion­ner, le tout les fesses assises dans un jet pri­vé pour aller à l’autre bout du monde infor­mer la popu­lace de l’impérieuse néces­si­té d’amorcer la tran­si­tion éner­gé­tique à grands frais. Il parait qu’on appelle ça l’économie verte


Une vidéo qui reprend cer­tains des élé­ments de cet article, et en pré­sente d’autres :

Print Friendly, PDF & Email
Total
0
Partages
11 comments
  1. Bon­jour,
    Je cherche un confé­ren­cier fran­çais qui pour­rait expo­ser le sujet « pho­to­vol­taïque : un conte de fées » , ain­si que ce que je viens de lire sur les terres rares vs éoliennes… » Les illu­sions vertes – ou l’art de se poser les mau­vaises questions. »
    merci

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles connexes
Lire

À propos des métiers à la con (par David Graeber)

En 1930, John Maynard Keynes avait prédit que d'ici la fin du siècle, les technologies seraient suffisamment avancées pour que des pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis mettent en place une semaine de travail de 15 heures. Tout laisse à penser qu’il avait raison. En termes technologiques, nous en sommes tout à fait capables. Et pourtant cela n’est pas arrivé. Au contraire, la technologie a été mobilisée dans le but de trouver des moyens de nous faire travailler plus. [...]
Lire

Comment tout va s’effondrer — La fin des énergies industrielles (et le mythe des renouvelables)

La présentation de Pablo Servigne et Raphael Stevens du 13 avril 2015, à la maison des métallos, à l'occasion de la parution de leur (excellent) livre: "Comment tout peut s'effondrer: Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes," sorti le 9 avril 2015 (éditions du Seuil), suivie d'un texte tiré de ce même livre. Un livre qui présente de manière assez détaillée les multiples raisons qui font que notre civilisation, qui n'a jamais été soutenable, approche aujourd'hui des nombreuses limites inévitables auxquelles elle était appelée à se heurter.