Le texte qui suit est constitué d’extraits du livre d’Eugen Weber intitulé La fin des terroirs : la modernisation de la France rurale (1870–1914). Il traite de la diffusion impérialiste de la langue française, de son expansion et de sa conquête du territoire France, et de la construction de la France en tant qu’État, plus généralement.
Les nombreuses académies provinciales qui constituaient autant d homologues de l’Académie française, se consacraient à la propagation du français ; mais elles fonctionnaient au milieu de populations qui connaissaient fort peu cette langue ou l’ignoraient parfois complètement. En 1726, l’académie de Marseille renonça à ses séances publiques, parce que les auditeurs ne comprenaient pas la langue dans laquelle elles étaient menées. Les membres de ces académies devaient plutôt ressembler a des étudiants étrangers apprenant la langue et la littérature françaises : ils abordaient la culture parisienne comme quelque chose qui n’appartenait pas à leur langage et à leur vie de chaque jour. Ils pouvaient écrire en français, mais pensaient dans leur propre langage.
[…] La diversité linguistique n’avait jamais été dangereuse pour l’unité administrative. Mais on lui attacha de l’importance lorsqu’elle apparut comme une menace pour l’unité politique — c’est-à-dire idéologique. Tous les citoyens devaient comprendre quels étaient les intérêts et les buts de la République, déclara Barthélemy de Lanthemas à la Convention en 1792. Sinon, il leur serait impossible d’y participer puisque les outils nécessaires leur faisaient défaut. Un régime qui cherchait à instruire et intégrer avait besoin d’un instrument d’information et de propagande efficace ; mais il pouvait difficilement en avoir un si la population ignorait le français. En novembre 1792, un mois après le discours de Lanthemas, le ministre de la Justice créa un bureau pour traduire les lois et les décrets en allemand, en italien, en catalan, en basque et en bas-breton.
Mais cela n’était qu’un expédient. L’idéal de la Révolution visait à l’uniformité et à la suppression des particularismes. « La réaction… parle bas-breton », affirmaient avec insistance les jacobins. « L’unité de la République exige l’unité du discours… le discours doit être un, comme la République. » La plupart des révolutionnaires étaient d’accord avec Lanthemas, lorsque celui-ci déclarait que les diverses langues « n’ont aucune espèce de distinction et ne sont que des restes de la barbarie des temps passés ». L’abbé Grégoire exprima encore mieux cette idée quand il réclama l’élimination de la « diversité d’idiomes grossiers, qui prolongent l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés ». La Convention applaudissait à ces paroles. Elle édicta des lois destinées à abolir les dialectes, et à les remplacer par le langage de la République, « le langage de la Déclaration des Droits ». Elle décréta que dans toute la République, les enfants devaient apprendre « à parler, lire et écrire en langue française », et que partout l’instruction devait être dispensée « en langue française ».
[…] Un État peu préoccupé de la diversité linguistique, un catholicisme presque indifférent à ce problème étaient donc remplacés par une idéologie qui concevait l’unité comme un bien positif et qui reconnaissait dans le langage un facteur important pour la réalisation de cette unité. Comme le comité de l’instruction primaire de Cahors le déclarait en 1834, « l’unité politique et administrative du royaume requiert de façon urgente l’unité de la langue dans toutes ses parties ». En tout cas, ajoutait ce comité, les dialectes du Sud étaient des langages inférieurs — point de vue que les siècles passés avaient développé avec plus de discrétion, mais que les révolutionnaires avaient claironné, et que la propagande didactique cherchait désormais à répandre.
Apprendre le français au peuple c’était contribuer à le « civiliser », à l’intégrer dans un monde moderne supérieur. Félix Pécaut, l’apôtre de l’éducation progressiste sous la Troisième République, exprima en 1880 le point de vue gradualiste selon lequel le basque céderait bientôt la place à « un ordre supérieur de civilisation ». Le critique littéraire Francisque Sarcey avait de plus grandes prétentions encore : les Français — tous les Français — devaient parler le même langage, « celui de Voltaire et du Code, il faut que tous puissent lire le même journal, parti de Paris, qui leur apporte les idées élaborées par la grande ville ». On ne saurait exprimer plus clairement ce sentiment impérialiste : la francophonie fit ses premières conquêtes sur le sol national. Que l’extension du français ait en effet été perçue comme une conquête, c’est ce qu’atteste la remarque d’Henri Baudrillart selon laquelle la langue d’oc était en train de « céder à l’ascendance de la langue des vainqueurs ». Les populations locales étaient d’accord : « La langue française n’est pour nous qu’une langue imposée par droit de conquête », déclarait l’historien marseillais François Mazuy. Toutefois, cette conquête fut lente. Un siècle après l’abbé Grégoire, l’unité restait un but et une source de préoccupation, comme en témoignent les appréhensions exprimées par le ministre de l’Intérieur en 1891 : les curés qui continuaient à prêcher en dialecte « pouvaient mettre en danger l’unité française ». Le Dieu français a toujours été un Dieu jaloux. Il ne peut être adoré qu’en français, disait Anatole de Monzie dans sa fameuse circulaire de 1925, qui autorisait « le seul langage français, dont le culte jaloux ne peut jamais avoir trop d’autels ».
[…] En tout cas, jusqu’à la Première Guerre mondiale, le « langage maternel françois » de François Ier n’était pas celui de la plupart des citoyens français. Comme Arnold Van Gennep l’écrivait en 1911, « pour les paysans et les ouvriers, la langue maternelle est le patois, la langue étrangère le français ».
[…] Il fallut beaucoup de temps avant que l’on cesse de penser en patois. L’enfant patoisant connaissait les oiseaux, les arbres et les cours d’eau par leurs noms locaux. Les noms français qu’il avait appris à l’école n’étaient jamais associés à des choses familières, mais restaient détachés, évoquaient un domaine lointain des images abstraites.
[…] Un mot évoque une image, ou un groupe d’images, et on peut rencontrer de sérieuses difficultés quand un mot familier dans votre propre langue comporte des connotations toutes différentes dans une autre ; c’était le cas, par exemple, du mot rentier, qui, dans le Sud, ne désignait pas un homme qui avait une rente et en vivait mais celui qui devait la payer. Même au niveau de la pure pratique, des problèmes d’ajustement mental peuvent surgir quand un objet doté d’un genre ou d’une personnalité particulière dans une langue en reçoit d’autres par la traduction. Gaston Bonheur en cite un exemple frappant à propos de la rivière Aude. Dans le patois local, la rivière n’était pas traitée comme un objet, mais comme une personne. On n’employait pratiquement jamais l’article défini à son propos : on allait à Aude, on disait qu’Aude était haute, qu’Aude grognait, et ainsi de suite. Il fallut un changement de mentalité total pour qu’on ajoute un petit article au nom de la rivière. Il n’est pas étonnant que les enfants et les adultes aient eu des difficultés à employer une langue qui n’était pas seulement étrangère en elle-même, mais qui présentait aussi une vision du monde étrangère.
[…] Le langage est une technique pour dominer la réalité. Les dialectes locaux avaient maîtrisé le monde quotidien de l’expérience paysanne, l’avaient personnifié dans ses détails. Quand le parler urbain évinça les dialectes, le familier devint étranger. Le parler nouveau, les mots nouveaux, les formes nouvelles ne permettaient pas de participer aussi aisément et immédiatement à des situations que le temps et l’habitude avaient rendues communes et familières, et que les mots, si l’on peut dire, avaient également domestiquées. Le nouveau vocabulaire était plus abstrait. Les valeurs et les idées qu’il véhiculait étaient plus extérieures ou distantes. Il fallait faire un effort intellectuel pour rétablir le contact avec les objets et les expériences. Ce besoin de réajustement provoquait une certaine timidité (cette « sauvagerie » dont nous avons parlé), non seulement dans l’expression en public, mais aussi dans l’acceptation intérieure et privée d’un nouveau monde très différent de l’ancien.
« À présent, disait le Père Gorse dans sa Corrèze de la fin du XIXe siècle, le paysan n’a plus de langage pour le servir. Il a désappris le patois ; il manque même de mots pour exprimer sa pensée. Et quand il les emploie, c’est de façon absurde. Il ne sait pas ce qu’ils désignent. Le français dans lequel il a été brutalement jeté… lui fait oublier sa langue limousine, mais ne pénètre pas jusqu’à lui. »
[…] À quel moment la France est-elle devenue « une » ? C’est là chose bien connue. Quarante rois ont travaillé dur à la tâche, mais c’est la Révolution française qui a finalement mené cette œuvre à bien : elle a aboli les particularismes locaux, parachevé l’unité nationale la plus forte et la plus compacte qu’une nation ait jamais connue. Ainsi que Hippolyte Taine l’affirmait dans sa préface aux Origines de la Révolution en France, en 1808 « tous les traits de la France [étaient] établis et définitifs ». C’est à peu de chose près ce qu’enseignaient les manuels scolaires de la Troisième République : un peuple, un pays, un gouvernement, une nation, une patrie. C’est ce qu’ont exposé sans relâche les historiens, axiome rappelé par Albert Soboul : « La Révolution française a complété la nation, qui est devenue une et indivisible. »
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Sauf que la réalité est tout autre, comme le souligne Eugen Weber par la suite :
[…] Lors de son voyage dans les Alpes françaises, en 1846, Adolphe Blanqui trouvait des « populations plus soustraites à l’influence française que celles des îles Marquises ». Quelque vingt ans plus tard, un voyageur anglais, traversant l’autre bout du pays, exprimait des sentiments très semblables. Les habitants des Landes, écrivait-il, « vivent sur le sol français, mais ne peuvent être appelés français. Ils parlent une langue aussi inintelligible pour un Français que pour un Anglais ; ils ne possèdent aucune des caractéristiques nationales — et fort peu, sans doute, de sang français ».
[…] Personne, au XIXe siècle, n’a entrepris la moindre enquête d’envergure sur la conscience nationale et sur le patriotisme. Les discussions menées sur ce thème au début du XXe siècle se sont concentrées exclusivement sur des groupes urbains — généralement étudiants. Les études ultérieures ne semblent pas non plus exhaustives. Les quelques matériaux que j’ai pu rassembler montrent la nécessité d’une étude plus systématique. Toutefois, ces matériaux, tels qu’ils sont, nous révèlent une nation très incomplètement intégrée. Le Sud-Ouest, l’Ouest et le Centre constituent, une fois de plus, les principaux bastions de résistance. Au XIXe siècle, les Basques étaient réputés ne partager aucune affinité avec le reste de la France. « Fermés aux influences du dehors », déplorait Félix Pécaut en 1880, ils n’avaient guère été touchés jusqu’alors par « l’action émancipatrice du génie français ». A l’autre bout des Pyrénées, où, en 1844, les Français étaient considérés à l’égal de chiens, « le sang français n’était encore greffé que de façon inconsistante sur la souche espagnole ».
[…] La Savoie, qui avait voté dans les années 1860 sa réunion avec la France, était à peine assimilée en 1870, comme le savaient bien soldats et fonctionnaires, traités d’aventuriers étrangers par ses habitants, et victimes de « la haine injuste [des Savoyards] pour tout ce qui porte un nom français ». Les Savoyards combattirent courageusement en 1870–1871, mais, « indépendamment du départ de quelques rares soldats », cette guerre imprévue, avec sa défaite encore plus imprévue, eut fort peu d’effet sur la vie locale : « Tout se passait comme dans un rêve lointain. » Lorsque le rêve tourna au cauchemar et que la menace d’une occupation allemande commença à planer, certains groupes savoyards exigèrent des mesures radicales : une occupation de troupes suisses, la rupture avec la France, une déclaration d’autonomie et de neutralité.
[…] Ainsi ce radical de Saint-Julien, qui s’écriait en 1873 : « A bas la France ! A bas les Français !… Nous détestons les Français. Il faut faire une révolution pour s’en débarrasser. » Conduit au tribunal pour avoir insulté un gendarme (« Je me fous de vous, vous êtes Français, je hais les Français, je ne l’ai jamais été et je ne le serai jamais »), l’homme fut seulement frappé d’une amende par des juges locaux bien disposés. Aucun espoir pour le patriotisme dans ce département, se plaignait le préfet en 1874. Un subordonné voyait les choses avec plus de lucidité : il était encore trop tôt pour espérer que les Savoyards se sentent Français. Ce qui pouvait s’appliquer, on l’a vu, tout aussi justement aux régions situées aux alentours de la Savoie. Là, aussi, comme l’ont reconnu les auteurs d’une récente étude sur les changements ruraux en Maurienne : « Ces hommes n’ont pas pu encore accéder à une conscience nationale… La solidarité subie avec l’État ne les fait pas participer aux traditions et au projet commun qui définissent une nation. »
[…] L’armée considérait les populations de manière très terre à terre : étaient-elles amicalement disposées ? Pouvait-on en espérer de l’aide ? Ou bien s’attendre à des problèmes ? Quelle était la meilleure façon de s’y prendre avec elles ? Étant donné que leurs rapports n’étaient pas destinés à être publiés, les officiers pouvaient s’exprimer en toute franchise et leurs jugements étaient généralement dépourvus d’illusions. Ainsi, dans les Pyrénées, le patriotisme de la population locale ne serait pas lésé si son territoire était annexé par l’Espagne, écrivait un officier : « Je ne les crois pas, en effet, assez français par le cœur » (1853). Et un autre, à Pont-de-Cé, dans la Maine-et-Loire, où l’on pouvait trouver de bons combattants à la condition qu’ils restent près de chez eux, déclarait : « Ils sont encore Angevins et non Français » (1859). Le Corse, bien sûr, « a toujours supporté impatiemment le joug de l’étranger ; ce n’est pas [notre] conquête qui l’attache à jamais à la France » (1860). Dans l’Hérault, « la population est peu patriotique en général », et « peu portée à faire des sacrifices » (1862). « Jamais ce pays n’a été jusqu’à présent à même de montrer directement son patriotisme, lit-on à propos de l’Allier, et comme toutes les populations centrales il en a peu » (1864).
Il ne fallait pas trop s’inquiéter d’un tel état de choses, mais se préparer à prendre les mesures appropriées. « Il n’y a pas de raison de craindre les habitants… Faciles à tenir par la peur » (Loiret, 1828). « Les paysans de la Brie sont timorés et peu rusés, et toute résistance de leur part serait facilement réduite » (Seine-et-Marne, 1860). Les habitants du Midi possèdent « un souvenir de leurs libertés passées qui les rend difficiles », malaisés à manier, et réticents à obéir aux ordres ; « un déploiement de force suffira néanmoins à briser ces résistances » (Hérault, 1862).
[…] « Les gens de Limoges sont à la lois agressifs et lâches. Tous ceux de la ville et de la campagne ont des sentiments patriotiques fort peu développés. » En cas de combats dans la région, on ne pourrait pas compter sur l’aide de la population (Haute-Vienne, 1873). Dans la vallée de l’Indre, malheureusement, « l’esprit militaire et le patriotisme sont peu développés » (Indre-et-Loire, 1873). En descendant vers le Midi, la mentalité était encore pire. La population « manque complètement de patriotisme » ; non seulement elle n’accepterait aucun sacrifice, mais elle n’hésiterait pas à provoquer des troubles (Hérault, 1874). Généralement tout à fait hostile à l’armée ; les troupes pouvaient s’attendre à des difficultés (Gard et Vaucluse, 1877). Les choses n’avaient pas radicalement changé depuis l’époque où les gens s’étaient opposés à la conscription avec des fourches, ou s’étaient enfuis dans les collines. Certes, les conditions générales rendaient maintenant difficiles de telles réactions, mais il y avait eu peu de changements dans les mentalités.
[…] « On n’a pas encore trouvé le secret de faire une patrie sans des idées communes », soulignait Pecaut en 1879. Avant que cette communauté pût se réaliser, il faudrait plus de drapeaux et plus d’instituteurs.
Les instituteurs auraient à inculquer en outre quelque chose d’encore inexistant, en fait une sorte de religion : c’est-à-dire, pour reprendre les mots de Gambetta, qu’« il est un être moral auquel un homme] peut tout donner, tout sacrifier, sa vie, son avenir, …et que cet être c’est… la France ».
[…] Un grand nombre de Français n’étaient pas conscients de former une nation avant que les longues campagnes d’éducation de la fin du XIXe siècle le leur aient appris et que leur propre expérience et le changement de leur condition les aient convaincus que cela avait un sens.
Finalement, on a recours à la force. Finalement, mais aussi dès le début, et tout au long du processus. C’est la centralisation, déclarait Alexandre Sanguinetti, « qui a permis la construction de la France malgré les Français, ou au milieu de leur indifférence… La France est une construction politique délibérée pour la création de laquelle le pouvoir central n’a jamais cessé de lutter ». Vérité d’évidence, sans doute ; mais vérité trop souvent oubliée.
E.J. Hobsbawm se demandait récemment si la « nation » était la « tentative de remplir le vide créé par le démantèlement de la communauté et des structures sociales anciennes ». En réalité, cette assertion renverse l’ordre des faits, tout au moins en ce qui concerne la France. En France, la nation politique de l’Ancien Régime fonctionnait à côté de la communauté traditionnelle et des structures sociales existantes. La nation idéologique de la Révolution, elle, se devait d’entrer en rivalité avec celles-ci. Elle n’a pas été inventée à partir de leur démantèlement : son invention impliquait leur démantèlement. Il est intéressant, dans ce contexte, de lire les réflexions du sociologue Marcel Mauss à propos de l’injustice de l’impérialisme culturel, d’un mouvement pangermaniste ou panslave essayant d’imposer « une civilisation dominante à une société composite ». Mauss, qui est un homme cultivé et humain, ne pense jamais que cette critique pourrait aussi bien s’appliquer à la France.
Eugen Weber
Et pourtant, c’est très précisément ce qu’il s’est passé en France. Afin de construire la France, de venir à bout de l’édification de ce projet monarchiste, antidémocratique, entamé par « quarante rois », il a fallu la destruction, par la force et la propagande (l’école, la scolarisation), « de la communauté et des structures sociales anciennes ». Ce qui, comme le montre Eugen Weber, était ouvertement formulé par différentes figures d’autorité.
Ce que ces extraits choisis font ressortir, c’est tout cela. Ils rappellent ce fait souvent oublié ou passé sous silence que la construction de la France en tant qu’État (de même que la construction de l’Italie, du Royaume-Uni, etc.), est un projet royaliste, impérialiste, monarchiste, mais jamais démocratique : les États modernes ne sont pas des constructions démocratiques, des émanations des volontés de tous les habitants des territoires qu’ils occupent, mais tout l’inverse. La France est l’autre nom du Royaume de France, l’Italie du Royaume d’Italie, le Royaume-Uni, eh bien, son nom est suffisamment explicite. Pour compléter ce texte d’Eugen Weber, vous pouvez lire cet autre article :
https://www.partage-le.com/2018/08/de-la-royaute-aux-democraties-modernes-un-continuum-antidemocratique-par-nicolas-casaux/
Ou encore, celui-ci :
https://www.partage-le.com/2015/01/la-standardisation-du-monde-james-c-scott/
Voici ce que j’ai vécu à Poullaouën, au centre du Finistère, entre 1955 et 1960. J’ai connu le fameux symbole. Celui qui l’avait le donnait celui qu’il entendait parler le breton. Quelle belle leçon de dénonciation organisée par l’école publique d’état. Celui qui l’avait le soir était puni et restait copier 100 fois « je ne parlerai plus le breton ». En rentrant, apres deux ou trois kilomètres de chemins boueux, il recevait souvent une torgnole car son père avait dû rentrer les vaches à sa place.
Pas moi, mon père était menuisier.
On ne me parlait que le français à la maison.
C’est donc en cachette que j’ai appris le breton en jouant aux billes derrière la cantine. Je n’ai jamais eu le symbole le soir. C’était excitant de désobéir.
Vers 10 ans, j’ai fait mon coming out au cours d’une discussion à table entre mes parents et des amis.
C’était en breton. Je n’étais pas d’accord avec ce qui se disait et je me suis résolu à intervenir en breton.
Stupéfaction de mes parents ! Comme si le ciel leur tombait sur la tête. Mais où a‑t-il appris???
Au bout de quelques minutes, je crois qu’il étaient fiers car j’avais fait une bonne intervention…moi aussi, j’étais fier, et soulagé de ne plus devoir me cacher…sauf à l’école !!!!
La start-up nation va vous faire le même sort. Envoyez des emails, et soyez au top. Allez‑y les gars !
Mais, s’il vous plaît, pas de larmes ensuite…