Nous avons publié, sur notre site, pluÂsieurs articles sur le thème du posiÂtiÂvisme et de l’opÂtiÂmisme forÂceÂné, menÂsonÂger et aveuÂglant. Nous avons égaÂleÂment publié pluÂsieurs articles sur l’esÂpoir et son ambiÂvaÂlence, sur le fait qu’il puisse être nuiÂsible et paraÂlyÂsant, qu’il puisse serÂvir de carotte pour contiÂnuer à faire avanÂcer l’âne-citoyen.
Le sucÂcès des sites web (mais ausÂsi des magaÂzines, des jourÂnaux, des livres, des images-posts sur FaceÂbook et sur les réseaux sociaux en généÂral) au caracÂtère posiÂtiÂviste, résoÂluÂment optiÂmiste, expose une soif granÂdisÂsante de bonnes nouÂvelles et de rasÂsuÂrances, fruit d’une angoisse comÂpréÂhenÂsible au vu de la situaÂtion plaÂnéÂtaire : comÂbiÂnaiÂson d’une catasÂtrophe écoÂloÂgique sans préÂcéÂdent, d’iÂnéÂgaÂliÂtés et de diverses tenÂsions sociales, et de l’augÂmenÂtaÂtion des troubles psyÂchoÂloÂgiques ; entre autres.
SeuleÂment, loin de parÂtiÂciÂper à la construcÂtion d’une penÂsée criÂtique à même de comÂprendre et de forÂmuÂler les proÂbléÂmaÂtiques de notre temps, le posiÂtiÂvisme se résume bien souÂvent à la préÂsenÂtaÂtion de soi-disant « soluÂtions » qui ne remettent jamais en quesÂtion les fonÂdeÂments cultuÂrels et strucÂtuÂrels de la civiÂliÂsaÂtion indusÂtrielle. Les fadaises ériÂgées en « soluÂtions » à des proÂblèmes qui n’ont même pas été artiÂcuÂlés perÂturbent la capaÂciÂté de penÂser, ce dont Orwell et HuxÂley tenÂtaient de nous averÂtir. Neil PostÂman (auteur du livre « se disÂtraire à en mouÂrir ») le rapÂpelle ainÂsi :
ContraiÂreÂment à une opiÂnion répanÂdue même chez les gens cultiÂvés, les proÂphéÂties de HuxÂley et Orwell sont très difÂféÂrentes l’une de l’autre. Orwell nous averÂtit du risque que nous couÂrons d’être écraÂsés par une force oppresÂsive externe. HuxÂley, dans sa vision, n’a nul besoin de faire interÂveÂnir un Big BroÂther pour expliÂquer que les gens seront déposÂséÂdés de leur autoÂnoÂmie, de leur matuÂriÂté, de leur hisÂtoire. Il sait que les gens en vienÂdront à aimer leur oppresÂsion, à adoÂrer les techÂnoÂloÂgies qui détruisent leur capaÂciÂté de penÂser.
Orwell craiÂgnait ceux qui interÂdiÂraient les livres. HuxÂley redouÂtait qu’il n’y ait même plus besoin d’inÂterÂdire les livres car plus perÂsonne n’auÂrait envie d’en lire. Orwell craiÂgnait ceux qui nous priÂveÂraient de l’inÂforÂmaÂtion. HuxÂley redouÂtait qu’on ne nous en abreuve au point que nous en soyons réduits à la pasÂsiÂviÂté et à l’éÂgoïsme. Orwell craiÂgnait qu’on ne nous cache la vériÂté. HuxÂley redouÂtait que la vériÂté ne soit noyée dans un océan d’inÂsiÂgniÂfiances. Orwell craiÂgnait que notre culture ne soit priÂsonÂnière. HuxÂley redouÂtait que notre culture ne devienne triÂviale, seuleÂment préÂocÂcuÂpée de fadaises. Car, comme le faiÂsait remarÂquer HuxÂley dans « Brave new world reviÂsiÂted » (« Retour au meilleur des mondes », en franÂçais), les défenÂseurs des liberÂtés et de la raiÂson, qui sont touÂjours en alerte pour s’opÂpoÂser à la tyranÂnie « ne tiennent pas compte de cet appéÂtit quaÂsi insaÂtiable de l’homme pour les disÂtracÂtions ». Dans « 1984 », ajouÂtait HuxÂley, le contrôle sur les gens s’exerce en leur infliÂgeant des puniÂtions ; dans « Le meilleur des mondes », il s’exerce en leur infliÂgeant du plaiÂsir. En bref, Orwell craiÂgnait que ce que nous haïsÂsons ne nous détruise ; HuxÂley redouÂtait que cette desÂtrucÂtion ne soit pluÂtôt le fait de ce que nous aimons.
Le thème de cet ouvrage repose sur l’iÂdée que HuxÂley avait vu plus juste qu’OrÂwell.
Comme expliÂqué ici ou là , le posiÂtiÂvisme ne nous est d’auÂcune aide, bien au contraire, il est une nuiÂsance de plus, une disÂtracÂtion de plus, une illuÂsion de plus qui nous tient à disÂtance de l’acÂtion et de la réflexion sérieuses.
C’est en cela que le site web PosiÂtiÂvR et les sites du même acaÂbit sont proÂbléÂmaÂtiques.
En déforÂmant réguÂlièÂreÂment les faits pour les transÂforÂmer en inforÂmaÂtions « posiÂtives », aux titres accroÂcheurs, en n’ayant qu’un seul et unique et simÂpliste créÂdo (le posiÂtiÂvisme), et en ayant comme misÂsion avéÂrée de « disÂtraire », de parÂtaÂger des « hisÂtoires, des vidéos & des phoÂtos […] amuÂsantes », ce genre de site web, qui, en plus, monéÂtise son proÂpos (qui gagne de l’argent à l’aide de publiÂciÂtés omniÂpréÂsentes) — ce qui est très proÂbaÂbleÂment son but preÂmier, bien avant une quelÂconque améÂlioÂraÂtion de l’éÂtat du monde, ou de quoi que ce soit — en ne faiÂsant que re-parÂtaÂger (en les disÂtorÂdant réguÂlièÂreÂment) des articles, vidéos ou billets déjà publiés ailleurs sur interÂnet (des choses qui peuvent, indéÂpenÂdamÂment de tout cela, préÂsenÂter un cerÂtain intéÂrêt), n’est au final d’auÂcune utiÂliÂté dans la lutte contre les proÂblèmes qui nous affectent. Harold Paris (le fonÂdaÂteur du site), « pasÂsionÂné par le webÂmarÂkeÂting et l’enÂtreÂpreÂneuÂriat » (deux domaines qui font intéÂgraÂleÂment parÂtie de la nuiÂsance indusÂtrielle monÂdiale, et aucuÂneÂment pasÂsionÂné par l’éÂcoÂloÂgie ou par aucune lutte sociale, vous le remarÂqueÂrez), vous proÂpose « des sujets géniaux » qui l’aident lui, et dont il espère qu’ils vous aideÂront donc vous ausÂsi à vous « chanÂger les idées » (tout ça est écrit ici, je n’inÂvente rien).
Le rôle des sites web comme PosiÂtiÂvR pourÂrait être comÂpaÂré à celui du Soma, la fameuse drogue imaÂgiÂnée par Aldous HuxÂley, dans « le Meilleur des Mondes » (1932), à proÂpos de laquelle il écrit dans « Retour au Meilleur des Mondes » (1952):
« Les êtres finaÂleÂment décanÂtés n’étaient plus tout à fait humains, mais encore capables d’accomplir des besognes non spéÂciaÂliÂsées et l’on pouÂvait compÂter que, conveÂnaÂbleÂment condiÂtionÂnés, relaxés par des rapÂports libres et fréÂquents avec le sexe oppoÂsé, constamÂment disÂtraits par des amuÂseÂments graÂtuits et renÂforÂcés dans leur comÂporÂteÂment conforme par des doses quoÂtiÂdiennes de soma, ils ne cauÂseÂraient jamais le moindre ennui à leurs supéÂrieurs.
La ration de soma quoÂtiÂdienne était une garanÂtie contre l’inquiétude perÂsonÂnelle, l’agitation sociale et la proÂpaÂgaÂtion d’idées subÂverÂsives. Karl Marx déclaÂrait que la reliÂgion était l’opium du peuple, mais dans le Meilleur des Mondes la situaÂtion se trouÂvait renÂverÂsée : l’opium, ou pluÂtôt le soma, était la reliÂgion du peuple. Comme elle, il avait le pouÂvoir de consoÂler et de comÂpenÂser, il faiÂsait naître des visions d’un autre monde, plus beau, il donÂnait l’espoir, souÂteÂnait la foi et encouÂraÂgeait la chaÂriÂté.
[…] Le soma de ma fable avait non seuleÂment la proÂpriéÂté de tranÂquilliÂser, d’halluciner et de stiÂmuÂler, mais ausÂsi d’augmenter la sugÂgesÂtiÂbiÂliÂté et pouÂvait donc être utiÂliÂsé pour renÂforÂcer les effets de la proÂpaÂgande gouÂverÂneÂmenÂtale. »
EffecÂtiÂveÂment, sous couÂvert d’inÂsufÂfler « un peu de posiÂtif dans votre jourÂnée » — à vous qui êtes au bureau ou à l’uÂsine, qui triÂmez dur (ou êtes au chôÂmage), ou qui vous ennuyez à mouÂrir sur votre lieu de traÂvail (ou chez vous) — Harold Paris engrange de l’argent.
On reproche souÂvent aux médias et aux gouÂverÂneÂments d’uÂtiÂliÂser la peur pour vendre leur proÂpaÂgande sécuÂriÂtaire, mais le proÂcesÂsus est ici très simiÂlaire. SurÂfer sur la peur et l’anÂgoisse généÂraÂliÂsées, sur la moroÂsiÂté du quoÂtiÂdien, sur le besoin d’être rasÂsuÂré et sur le besoin d’esÂpoir de notre époque pour gagner de l’argent grâce à des publiÂciÂtés (merÂci le webÂmarÂkeÂting!), tout en ne proÂpoÂsant aucune vision, aucune anaÂlyse poliÂtique, c’est garanÂtir la perÂpéÂtuaÂtion du staÂtu quo.
Les proÂblèmes extrêÂmeÂment sérieux de notre temps requièrent que nous les anaÂlyÂsions ausÂsi direcÂteÂment et luciÂdeÂment qu’il nous est posÂsible de le faire. Les angoisses et les peurs qui font le sucÂcès de ce posiÂtiÂvisme devraient être exaÂmiÂnées en proÂfonÂdeur, et mener à des anaÂlyses poliÂtiques, écoÂloÂgiques et psyÂchoÂloÂgiques réfléÂchies. Les sites de buzz qui publient à la chaine des doses d’insÂpiÂraÂtion posiÂtive ne font que rajouÂter à la canÂcéÂriÂsaÂtion de l’inÂforÂmaÂtion, et parÂtiÂcipent à « l’aÂvaÂlanche du disÂcours de plus en plus inutile », comme le forÂmuÂlait Jacques Ellul, à « l’excès des disÂcours priÂvés de sens et de véraÂciÂté ». (« InsÂcriÂvez-vous à la POSIÂTIVÂletÂter et receÂvez chaque jour dans votre boite mail des iniÂtiaÂtives posiÂtives, des causes insÂpiÂrantes, des innoÂvaÂtions proÂmetÂteuses, des artistes talenÂtueux et des actus dans l’air du temps »). L’inÂdusÂtrie des rasÂsuÂrances n’est qu’une indusÂtrie du déni. Une nouÂvelle indusÂtrie qui ne fait qu’agÂgraÂver la toxiÂciÂté de la sociéÂté indusÂtrielle.
ColÂlecÂtif Le ParÂtage
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Afficher les commentaires Hide commentsEt donc, vous penÂsez qu’il est criÂmiÂnel de cherÂcher un peu de posiÂtif et qq lueurs d’esÂpoir dans ce monde de brutes épaisses relayées ad nauÂseam par toutes les unes de jourÂnaux ? et que le monde ira mieux qd nous seront tous sous anti-dépresÂseurs ? PerÂsonÂnelÂleÂment, je n’en suis pas convainÂcue… je ne sais pas ce que cache cette attaque ad homiÂnem du site « PosiÂtiÂvR », mais il me semble que le cynisme et l’inÂdéÂcence de nos poliÂtiques est larÂgeÂment plus domÂmaÂgeable pour notre sociéÂté que 3 pauvres articles sur un site quaÂsi confiÂdenÂtiel… non ?
bonÂjour,
peut-on parÂler d’ad HomiÂnem ?
il me semble que l’arÂticle attaque une praÂtique, ce qui a mon sens ne peut pas vraiÂment être quaÂliÂfié d’ad NomiÂnem, criÂtiÂquer les actions d’une perÂsonne, ce n’est pas tout a fait pareil qu’atÂtaÂquer cette perÂsonne.
L’arÂticle ne me semble pas attaÂquer PosiÂtiÂvR dans le but de leurs faire du tord, mais de remetre en quesÂtion leurs modéle, en poinÂtant ce qui semble pour l’auÂteur être un mal pour la sociéÂté.
je comÂprenÂdrais par ailleur que vous poinÂtiez un proÂcès d’inÂtenÂtion (qui me semble être assez difÂféÂrent d’une attaque ad NomiÂnem)
ConcerÂnan le cynisme et l’inÂdéÂcence des poliÂtique, j’ai bien du mal a comÂprendre en quoi cela serait domÂmaÂgeable a notre sociéÂté… plus que le cynisme et l’inÂdéÂcence de n’imÂporte quel autre citoyen, j’enÂtend.
Si les poliÂtiques ont surÂement des résÂponÂsaÂbiÂliÂtés dans un cerÂtains nombre de nos difÂfiÂculÂtés, l’iÂmages qui envoie me semble être la bien moins danÂgeÂreuse.
Je ne nie pas que leurs images font réagir, focaÂlise l’aÂgaÂceÂment, etc… mais en quoi modéle t’ils notre sociéÂté ? je doutes qu’ils ai plus d’imÂpacte que les autres figure hauÂteÂment médiaÂtiÂsé.
quand on les attaques sur l’indécence, j’ai l’imÂpresÂsion d’enÂtendre que s’ils agisÂsaient de la même façon, mais que ça ne ce voyais pas, alors la sociéÂté irait mieux… Parce que l’inÂdéÂcence est une transÂgresÂsion de l’éÂtiÂquette, des règles visible a resÂpecÂté en sociéÂtés… Et je suis perÂsuaÂdé que les transÂgresÂsions vis a vis de ces règles devraient être le cadés de nos souÂcis.
Quant au cynisme … j’ai été très surÂpris par la page wikiÂpeÂdia qui lui est attriÂbué.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cynisme
du coup, pour comÂprendre votre attaque, j’auÂrais besoin de votre défiÂniÂtion, je supÂpose qu’il s’aÂgit d’une assez proche de la mienne (encore en vigueur dans mon esprit avant de faire ma petite recherche sur WikiÂpeÂdia), c’est a dire d’une façon de traiÂté avec désinÂvolÂture d’acte égoïste et nuiÂsible pour les autres, en gros, de parÂler du « mal » comme si c’éÂtait norÂmal. sur quoi, je serais en parÂtie d’acÂcord, si ce n’est qu’il me semble parÂfois nécesÂsaire de traiÂté ces sujets avec de la disÂtance, pour en comÂprendre le foncÂtionÂneÂment, et mieux lutÂter contre, ce qui parÂfois s’apÂpaÂrente a de la désinÂvolÂture.
VoiÂlà une bien bonne transÂcripÂtion de l’éÂtat de ce meilleur des mondes
de l’aÂprès 1984. EviÂdemÂment, le posiÂtiÂvisme façon new-age du site incriÂmiÂné n’est pas le seul disÂtriÂbuÂteur du soma quoÂtiÂdien. Tous les médias-sysÂtème le font généÂreuÂseÂment et avec beauÂcoup de talents.
Quand aux lauÂdaÂteurs de ce site posiÂtiÂviste, peut-être qu’ils n’ont pas bien comÂpris les réaÂliÂtés dans lesÂquelles nous trouÂvons au traÂvers l’opÂtique de ces deux grands romans d’anÂtiÂciÂpaÂtion.
[…] éconoÂmique à le faire. Nous pourÂrions appeÂler cela le synÂdrome « PosiÂtivr », d’après le nom de ce site web nuiÂsible au sloÂgan ridiÂcule, mais qui en dit long […]