Le texte suivant est une traduction d’un article initialement publié, en anglais, le 12 octobre 2019, sur le site de journalisme indépendant philippin bulatlat.com ; son auteur, le médecin Romeo F. Quijano, est un professeur à la retraite du département de pharmacologie et de toxicologie de la faculté de médecine de l’université des Philippines à Manille. À sa suite, après les notes de fin, vous trouverez un nota bene du traducteur, complément important à la réflexion proposée par le docteur Quijano.
La vaccination est probablement l’instrument le plus insidieux de l’impérialisme ; au point que la plupart des anti-impérialistes ont même tendance, bien souvent, à ne pas le remarquer. Sous le visage humanitaire qu’elle revêt se cache la perfidie du capitalisme. Son véritable caractère est celui d’un agent double de l’impérialisme. L’idéalisation de la médecine occidentale dissimule la véritable nature de la vaccination et l’éthique qui la fonde. Cependant, au travers du prisme anti-impérialiste, au moyen de la pédagogie des opprimés[1], une étude diligente et approfondie de l’histoire de la vaccination et du contexte sociopolitique et culturel de son développement peut nous aider à révéler son véritable visage.
La vaccination désigne « l’administration, par voie orale, intradermique ou par scarification, d’un vaccin dans l’organisme d’un être vivant, à des fins préventives ou curatives ». Elle n’est pas identique à l’immunisation (que l’on utilise, à tort, comme un synonyme de vaccination), qui désigne le processus conférant une immunité, l’action d’immuniser, pas nécessairement par le biais de la vaccination. Par immunité, il faut entendre la « résistance d’un organisme à l’action d’un poison ou d’un agent pathogène, qui peut être naturelle ou acquise ». L’impérialisme, quant à lui, désigne généralement l’expansion des activités économiques, en particulier l’investissement, la vente, l’extraction de matières premières et l’exploitation de main-d’œuvre, afin de produire des biens et des services au-delà des frontières nationales, ainsi que les effets sociaux, politiques et économiques de cette expansion. Je définirais l’impérialisme comme suit : Intervention Monopolistique d’un Pouvoir Élargissant son Rayon d’Imposition à une Aire Lointaine Induisant Sciemment une Misère Étendue (I‑M-P-E-R-I-A-L-I-S-M‑E).
En examinant attentivement l’histoire de la vaccination, on constate que son développement a coïncidé avec le développement de l’impérialisme, lequel s’est beaucoup appuyé sur la médecine et la santé publique. Avec l’émergence des États-Unis en tant que puissance impériale au début du XXe siècle, des liens entre l’impérialisme, une élite marchande, la santé publique et les organisations en charge de la santé se sont forgés par le biais de plusieurs institutions de médiation clés. Des organisations philanthropiques ont cherché à utiliser les initiatives de santé publique afin de résoudre plusieurs problèmes auxquels étaient confrontées les entreprises capitalistes en expansion : la productivité du travail, la sécurité des investisseurs et des gestionnaires, et le coût des soins[2].
Au début des années 1900, le magnat capitaliste Rockefeller participait au développement du vaccin contre la variole. Thomas Rivers (1888–1962), virologue pionnier au service du clan Rockefeller, entreprit de mettre au point un vaccin plus sûr en reproduisant le virus dans des cultures de tissus. Il obtint une souche de virus atténuée, plus sûre que les vaccins précédents produits en Angleterre. Il s’agissait du premier vaccin utilisé chez l’homme à être développé en culture de tissus. Les rapports qu’entretenait Rivers avec les scientifiques de la Fondation Rockefeller, qui travaillaient alors à la fabrication d’un vaccin contre la fièvre jaune dans les laboratoires de la Fondation, sur le campus de l’Institut Rockefeller, ont incité Max Theiler à développer un vaccin à virus atténué. Theiler a par la suite remporté un prix Nobel pour ce travail[3]. La compagnie Parke-Davis a également été pionnière dans la production de vaccins. La société s’est installée en 1907 à Rochester Hills, dans le Michigan, plantant un chapiteau de cirque pour abriter des chevaux et construisant un bâtiment de production de vaccins, une salle de stérilisation et un réservoir d’eau[4]. Parke-Davis était autrefois le plus ancien et le plus grand fabricant de médicaments d’Amérique. Elle a été rachetée par la société Warner Lambert en 1970, qui a elle-même été rachetée en 2000 par Pfizer, qui est aujourd’hui la plus grande société pharmaceutique au monde[5][6]. Pfizer se targue d’avoir participé à la production d’un vaccin antivariolique au début des années 1900, d’avoir été la première entreprise à mettre au point un vaccin antivariolique thermostable et lyophilisé, à développer l’aiguille bifurquée, d’avoir été la première entreprise à proposer un vaccin combiné visant à prévenir la diphtérie, la coqueluche et le tétanos, ainsi que d’avoir produit plus de 600 millions de doses du premier vaccin oral trivalent vivant contre la poliomyélite[7]. Ces prouesses médicales coïncidaient avec l’émergence du « nouvel impérialisme », durant lequel les États européens établissaient de vastes empires principalement en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient[8] tandis que, presque à la même époque, les États-Unis colonisaient les Philippines, Guam, Porto Rico, le Royaume d’Hawaï, les Samoa américaines, les îles Mariannes du Nord et, pendant de courtes périodes, Haïti, la République dominicaine, le Nicaragua et Cuba[9][10].
L’impérialisme découle du besoin du capital d’étendre toujours plus ses investissements. Les crises récurrentes de surproduction, la diminution des profits et la stagnation du capital qui s’ensuivent, génèrent une pression toujours plus forte en faveur de l’expansion des marchés et des territoires contrôlés. Le désir des investisseurs de travailler à l’annexion politique de pays en mesure de receler des potentialités lucratives est très puissant. L’impérialisme est considéré comme une nécessité par les capitalistes, afin qu’ils puissent continuer à accumuler des richesses. La cupidité capitaliste se cache derrière le rideau de la « destinée manifeste » et de la « mission civilisatrice ». Ce sont avant tout les barons voleurs de l’époque, les Rockefeller, Morgan, Carnegie, Cooke, Shwab, Fisk, Harriman et leurs semblables, qui avaient besoin de l’impérialisme, qui incitaient les gouvernements à y recourir, et qui ont utilisé les ressources publiques de leur pays pour leur expansion capitaliste[11]. L’impérialisme a donc été adopté comme politique et pratique politique par des gouvernements sous l’influence de l’élite capitaliste [Pour plus de détails, il faut lire les ouvrages de Ludovic Tournès, dont quelques articles très fournis se trouvent en lecture libre sur Cairn : lire notamment celui-ci, celui-là, et cet autre, NdT]. Le gouvernement et les sociétés privées cherchaient des moyens de maximiser les profits. L’expansion économique exigeait une main d’œuvre bon marché, l’accès ou le contrôle de nouveaux marchés pour vendre ou acheter des produits, et de nouveaux territoires pour en extraire des ressources naturelles. Ainsi s’ensuivirent pillages et régimes coloniaux.
Cependant, les impérialistes furent confrontés à un excès de maladies et à de nombreux décès au sein de leurs troupes, leurs fonctionnaires et leurs commerçants. Il leur fallait réagir. Avec l’avènement de la « théorie microbienne » des maladies, on estima que ces maladies et ces décès étaient causés par des agents infectieux. Cela conduit à l’élaboration de médicaments et de vaccins que les puissances coloniales adoptèrent sans réserve. Ce fut le début de Big Pharma [le début de l’industrie ou plutôt du cartel pharmaceutique, NdT]. Des innovations médicales furent alors déployées, initialement, en vue de protéger les troupes coloniales et les fonctionnaires, ensuite, pour les populations locales exploitées par la puissance coloniale, et enfin pour toute la population. De meilleurs soins et la construction d’hôpitaux : d’abord pour les militaires, puis pour les expatriés et enfin pour la population locale[12]. Les entreprises pharmaceutiques pionnières de l’époque, ainsi que l’élite marchande, plus généralement, percevaient les énormes profits à tirer de la vaccination et de la fourniture de produits pharmaceutiques. L’introduction de « services de santé modernes » à destination des populations soumises est l’une des justifications les plus souvent citées pour justifier le régime colonial. Ainsi, la santé est devenue un instrument de pacification des opprimés, et les gens ont été amenés à croire que le colonialisme était bon pour eux. Cela étant, il apparaît clairement que l’introduction de technologies sanitaires comme les vaccins et les médicaments n’est pas le fruit de l’altruisme de la puissance coloniale mais le résultat du pillage impérialiste. En réalité, les organisations de santé publique sont issues de programmes militaires visant à soutenir l’expansion impérialiste. Et des organisations caritatives privées se sont investies dans le domaine au fur et à mesure de la consolidation des conquêtes coloniales. Le colonisateur se souciait avant tout de maximiser l’exploitation de la main-d’œuvre coloniale et l’extraction (le vol) des ressources naturelles des peuples conquis.
Depuis lors, l’élimination ou le contrôle des maladies dans les pays tropicaux sont devenus une obsession motrice pour toutes les puissances coloniales. Dans le monde colonisé, les mesures de santé publique encouragées par la Commission Internationale de la Santé (International Health Commission) de Rockefeller ont permis d’augmenter les bénéfices, car chaque travailleur pouvait désormais être moins payé par unité de travail, « mais avec une force accrue, il pouvait travailler plus dur et plus longtemps et recevait plus d’argent dans son enveloppe de paie ». Les programmes de recherche Rockefeller promettaient une plus grande marge de manœuvre pour les futures aventures militaires américaines dans le Sud économique, où les armées d’occupation avaient souvent été paralysées par des maladies tropicales[13]. Les programmes Rockefeller ne se préoccupaient pas uniquement de la productivité des travailleurs. Ils visaient également à réduire la résistance culturelle des peuples « arriérés » et « non civilisés » à la domination de leur vie et de leur société par le capitalisme industriel. La Fondation Rockefeller a découvert que la médecine était une force presque irrésistible dans la colonisation des pays non industrialisés. Pendant l’occupation américaine des Philippines, le président de la Fondation Rockefeller, George Vincent, l’a formulé sans ambages : « Les dispensaires et les médecins ont récemment pénétré pacifiquement dans des zones des îles philippines et démontré que, dans le but d’apaiser les peuples primitifs et suspicieux, la médecine présente des avantages que les mitraillettes n’ont pas[14]. »
La vaccination de masse est apparue comme un programme impérialiste majeur, malgré la prémisse erronée et réductionniste qui la sous-tend, et malgré l’absence totale d’études appropriées concernant sa sécurité et son efficacité. La vaccination a été considérée comme la solution miracle pour les personnes colonisées, face aux maladies infectieuses, en dépit de l’existence avérée d’effets néfastes pires que la maladie que l’on cherchait à éviter. Nombre de campagnes de vaccination de masse forcées, obligatoires, ont eu des résultats désastreux. Aux Philippines, par exemple, avant le coup d’État états-unien de 1905, la mortalité de la variole était d’environ 10 %. En 1905, à la suite du commencement du programme de vaccination systématique imposé par le gouvernement américain, une épidémie s’est déclarée, avec une mortalité de 25 à 50 %, dans différentes parties des îles. En 1918–1919, alors que plus de 95 % de la population était vaccinée, la pire épidémie de l’histoire des Philippines s’est produite, avec une mortalité de 65 %. La mortalité la plus faible a été observée à Mindanao, l’endroit le moins vacciné, en raison de préjugés religieux. Le docteur V. de Jesus, directeur de la santé, a estimé que l’épidémie de variole de 1918–1919 avait provoqué 60 855 décès. Au Japon, après que la vaccination ait été rendue obligatoire, on a enregistré 171 611 cas de variole et 47 919 décès entre 1889 et 1908, soit un taux de mortalité de 30 %, supérieur à celui de la période précédant la vaccination. À peu près à la même époque, en Australie, l’un des pays les moins vaccinés contre la variole dans le monde, on n’enregistrait que trois cas de variole en 15 ans. En Angleterre et au Pays de Galles, entre 1934 et 1961, aucun décès dû à une infection naturelle de variole n’a été enregistré, et pourtant, pendant cette même période, 115 enfants de moins de 5 ans sont morts des suites de la vaccination contre la variole. La situation était tout aussi grave aux États-Unis, où 300 enfants sont morts des complications du vaccin antivariolique entre 1948 et 1969. Pourtant, pendant cette même période, aucun cas de variole n’a été signalé dans le pays[15].
Des résultats désastreux du même ordre ont également été obtenus avec le vaccin contre la polio. La majorité des cas de polio ne provoquent en réalité aucun symptôme chez les personnes infectées. Les symptômes n’apparaissent que dans 5 % des cas d’infection[16], environ, avec un taux de létalité de seulement 0,4 %, environ. Même pendant les pics épidémiques, l’infection par le poliovirus, qui entraîne une paralysie à long terme, était une maladie à faible incidence, faussement présentée comme une maladie paralysante virulente et violente par le biais de campagnes publicitaires visant à collecter des fonds pour accélérer le développement et l’approbation du vaccin Salk, dont Rockefeller était le principal soutien. En raison de pressions extérieures, le comité d’homologation américain chargé d’approuver le vaccin l’a fait après avoir délibéré pendant à peine deux heures, et sans avoir lu au préalable l’intégralité de la recherche[17]. Cette approbation hâtive a conduit au tristement célèbre « désastre Cutter » : l’épidémie de poliomyélite déclenchée par l’utilisation du vaccin Salk produit par la société Cutter. En fin de compte, 200 000 personnes, au moins, ont été infectées par le virus vivant [il était censé être inactif, NdT] de la polio contenu dans le vaccin de Cutter ; 70 000 ont développé une faiblesse musculaire, 164 ont été gravement paralysées, 10 ont été tuées. De toutes ces personnes infectées, 204 ont développé la polio, dont 153 (75 %) ont été paralysées à vie[18]. Lorsque les campagnes nationales de vaccination ont été lancées dans les années 1950, le nombre de cas de polio signalés à la suite d’inoculations massives avec le vaccin à virus inerte était nettement plus élevé qu’avant les inoculations massives et pourrait avoir plus que doublé, dans l’ensemble, aux États-Unis[19]. On a également découvert, beaucoup plus tard, que Wyeth avait produit un vaccin paralysant. Les vaccins de tous les autres fabricants mis sur le marché, dans les années 50, ont été vendus et injectés aux enfants américains, et des millions de vaccins ont également été exportés dans le monde entier[20].
L’ « éradication » de la variole et le déclin apparemment spectaculaire de la polio ne peuvent être attribués aux vaccins, ni exclusivement, ni principalement. Aucune étude scientifique en bonne et due forme n’a jamais permis d’appuyer l’affirmation selon laquelle les vaccins sont responsables du déclin de la maladie. Les effets combinés des déterminants sociaux et environnementaux de la poliomyélite ont été les causes les plus probables du déclin. L’utilisation étendue du vaccin contre la poliomyélite a été impulsée par les intérêts économiques, politiques et personnels des impérialistes plutôt que par les intérêts de la science et de la santé publique. Il est assez bien établi scientifiquement que le déclin des taux de mortalité des maladies infectieuses était dû, en grande partie, à des déterminants socio-économiques (amélioration de la nutrition, de l’hygiène et de l’assainissement, etc.) et à l’extension de l’immunité naturelle. L’intervention médicale à base de vaccins et d’antibiotiques a été tardive, et sa contribution à la diminution globale de la mortalité au fil du temps a été, au mieux, minime. Il existe en effet un certain nombre de preuves scientifiques et descriptives montrant que les vaccins provoquent divers effets indésirables aigus et chroniques, et qu’ils ont probablement eu pour effet de retarder le déclin des maladies infectieuses. La vaccination, induction contrainte d’une réponse immunitaire, était largement inappropriée. Elle n’a pas particulièrement aidé, mais a au contraire créé plus de problèmes, parmi lesquels l’émergence de souches de micro-organismes très virulentes. Autre effet indésirable potentiellement désastreux et imprévu de la vaccination : la perturbation de l’immunité naturelle des membres d’une communauté donnée. Néanmoins, en dépit de preuves scientifiques négatives accablantes, le pouvoir écrasant de l’élite dirigeante a réussi à propager la croyance bien ancrée selon laquelle la vaccination avait éradiqué la variole et considérablement réduit les décès dus à la polio et à d’autres maladies infectieuses. Cette croyance largement répandue a permis à la classe dirigeante mondiale de revendiquer des velléités humanitaires et de dissimuler son véritable programme d’hégémonie planétaire et de maximisation des profits industriels.
Après la Seconde Guerre mondiale, le secteur philanthropique [d’aucuns parlent, à raison, de « colonialisme philanthropique », ou inversement, de « philanthropie colonialiste », ou de « complexe industrialo-caritatif », ou encore de « complexe industriel non-lucratif », NdT] axé sur la santé publique s’est étroitement aligné sur la politique étrangère des États-Unis, le néocolonialisme favorisant le « développement » des pays du Tiers-Monde. Les principales fondations philanthro-capitalistes ont ainsi collaboré avec l’USAID [« L’Agence des États-Unis pour le Développement International »] et les agences connexes afin de soutenir des interventions visant à augmenter l’obtention de matières premières tout en créant de nouveaux marchés pour les produits manufacturés occidentaux. Le concept de « gouvernance mondiale de la santé » (Global Health Governance, GHG) est apparu au début des années 1990, reflétant la confiance des États-Unis dans le fait que la chute de l’Union soviétique allait inaugurer un monde unipolaire dominé par leurs propres intérêts. Il s’agissait d’une vision d’un pouvoir diffus et omniprésent conjointement exercé par les institutions du capitalisme mondialisé et garanti, en dernier recours, par l’armée américaine. Les programmes d’ajustement structurel ont alors détourné et pillé les investissements des gouvernements du tiers monde dans la santé publique. La mondialisation du capitalisme s’est intensifiée avec les mesures néolibérales, la déréglementation et la privatisation. Le nouveau régime de gouvernance mondiale de la santé a systématiquement contourné ou compromis les ministères nationaux de la santé par le biais de « partenariats public-privé » et autres dispositifs similaires. Afin d’atténuer la résistance aux interventions impérialistes dans le domaine de la santé, des « maladies émergentes » ont été présentées comme inévitables et potentiellement catastrophiques, et le régime de gouvernance mondiale de la santé s’est inscrit dans le discours plus général sur la « sécurité », à la suite des évènements douteux du 11-septembre. L’inquiétude mondiale concernant le bioterrorisme a permis de relier le secteur de la santé à celui de la sécurité nationale/internationale. Non seulement les travailleurs de la santé allaient constituer un important poste de dépenses dans une sorte de front médical de la guerre contre la terreur, mais en outre les forces militaires allaient être régulièrement mobilisées en réponse aux catastrophes sanitaires. Les interventions impérialistes, dans le domaine de la santé, ont commencé à être justifiées dans les mêmes termes que les récentes interventions militaires « humanitaires ». Certains analystes ont dénoncé la militarisation de la santé publique, estimant qu’elle était autoritariste et stratégiquement contre-productive, mais pour Bill Gates, le deuxième homme le plus riche du monde, il s’agissait d’un développement bienvenu. Le soutien de Gates était particulièrement significatif, sa fondation étant désormais à la pointe du complexe industriel non-lucratif à l’ère de la gouvernance mondiale de la santé[21].
La Fondation Bill & Melinda Gates (FBMG) est aujourd’hui, et de loin, la plus importante fondation privée au monde, avec plus de 50 milliards de dollars d’actifs. La majeure partie de ses activités ont pour objets les populations du monde impérialisé, où sa mission consiste supposément à aider au contrôle des naissances et à lutter contre les maladies infectieuses. La BMGF (Bill et Melinda Gates Foundation) exerce son pouvoir non seulement au travers de ses propres dépenses, mais aussi en pilotant un réseau élaboré d’ « organisations partenaires » comprenant des organisations à but non lucratif, des agences gouvernementales et des sociétés privées. En tant que deuxième plus importante source de financement de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) [depuis que les USA de Trump ont annoncé qu’ils cessaient de financer l’OMS, peut-être que Bill Gates est le principal financeur de l’OMS, NdT], et des Nations unies, elle joue un rôle prépondérant dans l’élaboration de la politique sanitaire mondiale. Elle orchestre des partenariats public-privé complexes, et est le principal bailleur de fonds et le moteur principal de l’Alliance pour les vaccins (anciennement GAVI), un partenariat public-privé entre l’OMS et l’industrie des vaccins. Le principal bénéficiaire des activités de la BMGF n’est pas la population du Sud économique, mais l’industrie pharmaceutique occidentale. Les liens de la Fondation Gates avec l’industrie pharmaceutique et l’industrie des vaccins sont très étroits, complexes et anciens. Peu après sa création, la BMGF a investi 205 millions de dollars dans de grandes entreprises pharmaceutiques, dont Merck & Co, Pfizer, Johnson & Johnson et GlaxoSmithKline. Les interventions de la BMGF visent à créer des marchés lucratifs pour les produits pharmaceutiques excédentaires, en particulier les vaccins[22][23].
Les entreprises productrices de vaccins appartiennent à de plus vastes compagnies imbriquées, contrôlées directement ou indirectement par une élite d’ultra-riches et puissants, qui dirigent effectivement le monde en imposant leurs politiques impérialistes. Ces grandes entreprises sont de plus en plus liées entre elles par des directeurs et des investisseurs institutionnels communs. En 2004, une équipe de théoriciens suisses des systèmes, utilisant une base de données de 37 millions d’entreprises et d’investisseurs dans le monde, a étudié l’actionnariat reliant plus de 43 000 sociétés transnationales. Ils ont découvert qu’un noyau de 1 318 sociétés, représentant 20 % des revenus d’exploitation mondiaux, « semblait posséder collectivement, par leurs actions, la majorité des compagnies de premier ordre et des entreprises manufacturières du monde — l’économie dite « réelle » — représentant 60 % supplémentaires des revenus mondiaux ». En étudiant plus minutieusement encore le réseau de propriété, l’équipe a découvert qu’une grande partie de celui-ci remontait à une « super-entité » de 147 entreprises encore plus étroitement liées — toutes leurs propriétés étaient détenues par d’autres membres de la super-entité — qui contrôlaient 40 % de la richesse totale du réseau. Ainsi, moins de 1 % des entreprises étaient capables de contrôler 40 % de l’ensemble du réseau. La plupart étaient des institutions financières. Parmi les 20 compagnies les plus importantes, on trouvait la Barclays Bank, JP Morgan Chase & Co et le groupe Goldman Sachs[24]. Cette élite commerciale est intimement liée au Council of Foreign Relations (CFR). Le CFR, fondé en 1921, est un think tank américain spécialisé dans la politique étrangère et les affaires internationales des États-Unis. Le CFR dirige le Programme d’Études Rockefeller (Rockefeller Studies Program) et réunit des responsables gouvernementaux, des dirigeants de multinationales et des membres éminents du secteur du renseignement et de la politique étrangère, afin de discuter de sujets internationaux et de formuler des recommandations à l’attention de l’administration présidentielle et de la communauté diplomatique[25]. Certains critiques et analystes politiques ont qualifié le CFR de « gouvernement fantôme » (USAméricain) tirant les ficelles en coulisses [Arundhati Roy, par exemple, en parle dans son livre Capitalisme, une histoire de fantômes, dont nous avons publié un extrait ici, NdT].
Ces dernières années, le cheval de Troie de l’impérialisme en matière de vaccination s’est beaucoup développé grâce au pouvoir croissant de la Fondation Bill et Melinda Gates, désormais le principal moteur de la politique de santé mondiale. Elle est aujourd’hui le deuxième donateur de l’OMS [et peut-être même, le principal, ainsi que je le rappelais plus haut, NdT]. Avec les États-Unis comme principal donateur, l’emprise de l’impérialisme américain sur l’OMS est donc presque absolue. Bill Gates est la première personne privée à prendre la parole à l’assemblée générale des pays membres de l’OMS. Un délégué l’a fait remarquer : « Il est traité comme un chef d’État, non seulement à l’OMS, mais aussi au G20[26] ». La BMGF a été comparée à « une énorme société multinationale à intégration verticale, contrôlant chaque étape d’une chaîne d’approvisionnement qui va de sa salle de conseil d’administration basée à Seattle, en passant par les différentes étapes de l’approvisionnement, de la production et de la distribution, et jusqu’aux millions d’ “utilisateurs finaux” anonymes et dépossédés dans des villages d’Afrique et d’Asie du Sud ». Elle dispose d’un monopole fonctionnel dans le domaine de la santé publique. Selon les termes d’un responsable d’ONG : « Vous ne pouvez pas tousser, vous gratter la tête ou éternuer sans croiser quelqu’un de la Fondation Gates[27] ».

Grâce à son pouvoir sans précédent, Bill Gates a été en mesure de lancer un plan de financement néolibéral élaboré pour les vaccins, qui transfère inévitablement les fonds publics vers les caisses privées. En apparence, ce plan semble conçu pour aider les « pays en développement » à financer leurs programmes de vaccination, mais en réalité, ces pays sont pris dans un piège de la dette. Ce « financement innovant du développement » est un mécanisme fondé sur la dette qui fait appel aux marchés des capitaux pour subventionner les acheteurs et les fabricants de vaccins par l’intermédiaire de la Facilité Internationale de Financement pour l’Immunisation (IFFIm). La GAVI émet des obligations qui sont garanties par la promesse des donateurs gouvernementaux d’acheter des millions de doses de vaccins à un prix fixe sur des périodes pouvant aller jusqu’à 20 ans. Les capitalistes extorquent une part à chaque étape de la chaîne de valeur tandis que les pays pauvres sont censés bénéficier de l’accès à des vaccins qu’ils ne pourraient pas s’offrir autrement. Les détenteurs d’obligations bénéficient d’un retour sur investissement garanti et non imposable, adapté à une époque où les taux d’intérêt sont très bas. Les entreprises pharmaceutiques, quant à elles, sont en mesure de vendre des vaccins coûteux à des prix subventionnés sur un marché pauvre en liquidités mais vaste et sans risque. En créant une demande prévisible, l’IFFIm s’attaque à un obstacle majeur à l’extension de la vaccination : la rareté des flux de trésorerie stables, prévisibles et coordonnés sur une longue période[28][29]. Les récentes activités de la BMGF/GAVI au Sri Lanka offrent une étude de cas exemplaire de ce que l’on qualifie parfois de « colonialisme pharmaceutique ». La GAVI a ciblé le pays en 2002, en proposant de subventionner un vaccin pentavalent breveté à prix élevé, le DtwP-hepB-Hib. En échange du soutien de la GAVI, le pays a accepté d’ajouter le vaccin à son calendrier national de vaccination. Dans les trois mois qui ont suivi l’introduction du vaccin, 24 effets indésirables, dont 4 décès, ont été signalés, ce qui a conduit le Sri Lanka à suspendre l’utilisation du vaccin. Par la suite, 21 nourrissons sont morts des suites d’effets indésirables en Inde[30].
La véritable cause sous-jacente des décès lors d’épidémies est le dysfonctionnement du système de santé provoqué par le sous-développement socio-économique chronique caractéristique d’une société semi-féodale et semi-coloniale victime de l’impérialisme, et non la perte de confiance dans les vaccins due à la « peur du Dengvaxia ». Le détournement du système de santé par les entreprises, avec la complicité du gouvernement, des institutions internationales, de la médecine conventionnelle et de divers organismes, a privé les populations de leur droit à la santé. Le profit est devenu le principal facteur décisionnel dans la résolution d’un problème de santé publique, et non de bien-être public. La déréglementation, la privatisation et la libéralisation, caractéristiques de la mondialisation capitaliste, le nouveau visage de l’impérialisme, ont pratiquement anéanti tout ce qui restait des services sociaux abordables, en particulier des services de santé, accessibles à la majorité de la population. Pire encore, sous couvert de « développement économique », le poids des grandes entreprises dans les mines, les plantations, le charbon, les barrages et autres mégaprojets destructeurs de l’environnement et socialement nuisibles ont dévasté les initiatives de responsabilisation des communautés et de soutenabilité réelle, de réduction de la pauvreté, de promotion de la santé et de résilience climatique. Les atteintes concomitantes et croissantes (comprenant même des exécutions extrajudiciaires) aux droits fondamentaux de l’homme ont soumis les personnes marginalisées à un stress physique, biologique, psychologique et social extrême, et les ont forcées, à plusieurs reprises, à quitter leurs terres, leurs maisons, leurs cultures et à abandonner leurs autres moyens de subsistance. Dans ces circonstances, des épidémies de maladies infectieuses et d’autres problèmes de santé graves ne peuvent que survenir et s’aggraver. La cause profonde des épidémies, dans ce pays, est l’impérialisme. Le remède est donc la libération, l’émancipation du joug colonial, pas la vaccination.
Romeo F. Quijano
Traduction : Nicolas Casaux
Correction : Lola Bearzatto
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- Atun, R., et al. Innovative financing for health : What is truly innovative ? Lancet, 380(9858), 2044–2048,2012. ↑
- Voir note 13 ↑
Nota Bene : Le prisme anti-impérialiste est intéressant, et important. Cependant, il passe bien souvent à côté d’une partie essentielle de l’Histoire. L’impérialisme n’est que le prolongement d’une politique ayant d’abord été appliquée, imposée, au sein même d’une entité étatique (Cf. L’ennemi intérieur : la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine de Mathieu Rigouste, et Portrait du colonialiste : l’effet boomerang de sa violence et de ses destructions de Jérémie Piolat).
Les opposants aux vaccins et à la vaccination ne sont le plus souvent pas des opposants à la société industrielle dans son ensemble, leurs arguments relèvent bien souvent de polémiques concernant des statistiques, l’efficience des vaccins, leur dangerosité, etc. Le texte de Romeo Quijano l’illustre d’ailleurs, mais seulement en partie. Cette tendance ne constitue ni le plus intéressant ni le principal élément de son argument, qui est que les vaccins et la vaccination sont des produits et des éléments de l’impérialisme capitaliste. Dans un article sur les nouveaux vaccins obligatoires, publié en 2017 dans un numéro de Philosophie Magazine, le philosophe Olivier Rey souligne que :
« La majorité des opposants à la vaccination […] invoquent avant tout les risques que ferait courir la vaccination, notamment à cause de leurs adjuvants aluminiques ou de rares cas de complications. Autrement dit, ils se placent dans la même logique que ceux qui la préconisent, tout en contestant les données du calcul bénéfice/risque. Une telle position est peu convaincante. La façon la plus favorable de l’envisager est d’y voir un symptôme : l’expression du sentiment de dépossession qui nous envahit de devoir nous confier, pour ce bien propre que sont notre santé et celle de nos enfants, à un système qui décide de ce qui est bon pour nous et qui, en prétendant œuvrer pour notre bien, ruine notre autonomie. »
Le problème fondamental de la vaccination est en effet politique, c’est pourquoi Romeo Quijano parle de libération, d’émancipation du joug colonial. Cela dit, pour le comprendre, encore faut-il réaliser que nous ne vivons pas en démocratie, qu’il existe bel et un bien un « système qui décide » et que l’immense majorité d’entre nous ne contrôle aucunement. Les vaccins et la vaccination ont été imposés à l’intérieur des frontières de la France comme dans ses colonies d’Afrique et d’ailleurs. Leur développement, ainsi que Romeo Quijano le rappelle, découle du développement conjoint du capitalisme et de l’industrialisme — sans eux, pas de vaccin, pas de vaccination, mais en même temps, pas besoin de vaccin, et pas besoin de vaccination. C’est en effet leur développement conjoint, ou, plus exactement, celui de la civilisation depuis déjà plusieurs millénaires, qui agglutine toujours plus les êtres humains dans des villes, étiolant ainsi leurs organismes (« maladies de civilisation », etc.), qui concentre pareillement les animaux domestiques et d’élevages, qui détruit le monde naturel, qui détraque le climat, déroulant un véritable tapis rouge à l’émergence et la propagation de toujours plus nombreuses maladies infectieuses. Dans un tel cercle vicieux, il est très possible que les vaccins et la vaccination constituent une nécessité vitale de la société industrielle techno-capitaliste, sans laquelle elle périrait ; une condition sine qua non de la perpétuation de son entreprise de destruction et d’artificialisation du monde, d’exploitation toujours plus poussée des « ressources humaines » dont elle a encore besoin (pour l’instant).
Les fanatiques d’une soi-disant « sécurité » dépourvue d’objet, se fichant pas mal de la liberté, y ayant pleinement renoncé, y compris pour et aux noms des autres, ne voient là que du bien. L’État et les Entreprises garantissent la sécurité de tous — de tous leurs sujets, ou objets (cela revient au même) — et tout va pour le mieux dans Le Meilleur des mondes. Car en effet, la vaccination « suppose l’allégeance à un gigantesque système médical », ainsi que le formule Olivier Rey dans le même article. Ce gigantesque système médical, en grande partie constitué de l’industrie pharmaceutique, s’inscrit lui-même dans le cadre plus vaste du système techno-industriel capitaliste désormais mondialisé, lequel détruit la vie sur Terre — voilà pour le coût écologique des vaccins et de la vaccination : leur impact environnemental est indissociable de celui du système sociotechnique sur lequel ils reposent, et dans lequel ils s’imbriquent — aussi sûrement qu’il nous dépossède et nous aliène effectivement tous, à tous les niveaux, ainsi que le dénonçait Lewis Mumford dans Le Mythe de la machine :
« […] l’organisation de la vie est devenue si complexe et les processus de production, distribution et consommation si spécialisés et subdivisés, que la personne perd toute confiance en ses capacités propres : elle est de plus en plus soumise à des ordres qu’elle ne comprend pas, à la merci de forces sur lesquelles elle n’exerce aucun contrôle effectif, en chemin vers une destination qu’elle n’a pas choisie. […] l’individu conditionné par la machine se sent perdu et désespéré tandis qu’il pointe jour après jour, qu’il prend place dans la chaîne d’assemblage, et qu’il reçoit un chèque de paie qui s’avère incapable de lui offrir les véritables biens de la vie.
Ce manque d’investissement personnel routinier entraîne une perte générale de contact avec la réalité : au lieu d’une interaction constante entre le monde intérieur et extérieur, avec un retour ou réajustement constant et des stimuli pour rafraîchir la créativité, seul le monde extérieur – et principalement le monde extérieur collectivement organisé, exerce l’autorité ; même les rêves privés nous sont communiqués, via la télévision, les films et les disques, afin d’être acceptables.
Parallèlement à ce sentiment d’aliénation naît le problème psychologique caractéristique de notre temps, décrit en termes classiques par Erik Erikson comme la “crise d’identité”. Dans un monde d’éducation familiale transitoire, de contacts humains transitoires, d’emplois et de lieux de résidences transitoires, de relations sexuelles et familiales transitoires, les conditions élémentaires pour le maintien de la continuité et l’établissement d’un équilibre personnel disparaissent. L’individu se réveille soudain, comme Tolstoï lors d’une fameuse crise de sa vie à Arzamas, dans une étrange et sombre pièce, loin de chez lui, menacé par des forces hostiles obscures, incapable de découvrir où et qui il est, horrifié par la perspective d’une mort insignifiante à la fin d’une vie insignifiante. »
Car la vaccination et les vaccins sont intrinsèquement des « techniques autoritaires », pour reprendre une autre formule de Mumford, c’est-à-dire qu’ils s’inscrivent dans « une nouvelle configuration d’invention technique, d’observation scientifique et de contrôle politique centralisé qui a donné naissance au mode de vie que nous pouvons à présent identifier à la civilisation, sans en faire l’éloge ».
Or une des caractéristiques des « techniques autoritaires », c’est qu’elles font système, qu’il est impossible de les concevoir isolément : pas de production en masse de vaccins sans laboratoires, machines, employés, etc., sans de nombreuses autres industries, et sans un système pour faire tenir le tout. C’est-à-dire qu’il serait erroné de ne voir dans les vaccins ou la vaccination « qu’un objet isolé, tel que son utilité ponctuelle le fait passer pour bénin et de peu de conséquences », ainsi que l’expose Jaime Semprun, dans son excellent livre Défense et illustration de la novlangue française, en prenant, pour exemple de technologie autoritaire, la voiture (sachant qu’il en va pareillement des vaccins et de la vaccination) :
« En revanche, dès qu’on le considère comme partie intégrante d’un ensemble, tout change. Et ainsi l’automobile, machine on ne peut plus triviale et presque archaïque, que chacun s’accorde à trouver bien utile et même indispensable à notre liberté de déplacement, devient tout autre chose si on la replace dans la société des machines, dans l’organisation générale dont elle est un simple élément, un rouage. On voit alors tout un système complexe, un gigantesque organisme composé de routes et d’autoroutes, de champs pétrolifères et d’oléoducs, de stations-service et de motels, de voyages organisés en cars et de grandes surfaces avec leurs parkings, d’échangeurs et de rocades, de chaînes de montage et de bureaux de “recherche et développement” ; mais aussi de surveillance policière, de signalisation, de codes, de réglementations, de normes, de soins chirurgicaux spécialisés, de “lutte contre la pollution”, de montagnes de pneus usés, de batteries à recycler, de tôles à compresser. Et dans tout cela, tels des parasites vivant en symbiose avec l’organisme hôte, d’affectueux aphidiens chatouilleurs de machines, des hommes s’affairant pour les soigner, les entretenir, les alimenter, et les servant encore quand ils croient circuler à leur propre initiative, puisqu’il faut qu’elles soient ainsi usées et détruites au rythme prescrit pour que ne s’interrompe pas un instant leur reproduction, le fonctionnement du système général des machines. »
Si vous désirez ardemment servir de rouage à la machine techno-capitaliste dans les agglomérations de la société de masse — laquelle, n’ayant de cesse de détruire la nature, est sans doute vouée à s’autodétruire — on peut alors comprendre que vous défendiez les vaccins et leur monde. Mais tâchez de comprendre que ceux d’entre nous qui choisissent de s’opposer « à ce système autoritaire qui confère […] à la technique l’autorité qui appartient à la personnalité humaine » (Mumford), qui estiment que « la vie ne se délègue pas » (idem), qui ne se rêvent pas servomécanismes dans la conurbation planétaire, mais souhaitent le démantèlement intégral de la civilisation industrielle, puissent ne voir dans la vaccination et les vaccins qu’une détestable technologie autoritaire parmi toutes celles sur lesquelles elle repose, et qui finiront avec elle.
***
« Oui, mais sans vaccins, tous les enfants mourraient !
— Dans l’état actuel des choses, admettons (même s’il s’agit, bien entendu, d’une exagération). Cela étant, nous ne sommes bien évidemment pas en train d’affirmer, ici, que nous souhaitons une interdiction totale et immédiate des vaccins dès demain matin. Et d’abord parce que ça n’aurait aucun sens. Pour bien le comprendre, prenons un autre exemple : la plupart de ceux qui dénoncent à juste titre l’extraction et l’utilisation de combustibles fossiles ne sont pas en train de dire qu’ils exigent que dès demain matin, littéralement, plus une seule goutte de pétrole ni d’aucun autre combustible fossile ne soit utilisée. Cela n’a aucune chance de se produire, mais pour aller au bout de l’absurde, imaginons que cela soit possible. Cela ne serait pas forcément une mauvaise chose, du moins pour le reste du monde vivant, mais cela impliquerait la mort de 95% des humains, grosso modo (la plupart d’entre nous en dépendent actuellement, d’une façon ou d’une autre, de manière quasi-vitale sinon vitale, étant donné que le fonctionnement de la civilisation industrielle repose totalement sur leur utilisation). On ne reproche pourtant pas à ceux qui critiquent l’extraction et l’utilisation de combustibles fossiles de vouloir tuer toute l’humanité, ou tous les enfants. Ce qu’ils disent, c’est qu’il faut que nous parvenions à des sociétés dans lesquelles nous ne serons plus contraints d’utiliser de tels combustibles. Nous ne disons pas autre chose concernant les vaccins. »
(La production de vaccins reposant elle aussi, au même titre que tout le reste, sur l’utilisation de combustibles fossiles et sur la société industrielle dans son ensemble, on pourrait reprocher à ceux qui les défendent bec et ongles de vouloir tous nous tuer, ainsi que la vie sur Terre telle qu’elle existe actuellement, au travers du réchauffement climatique et de ses conséquences, ou simplement au travers de la destruction suicidaire de la nature qu’implique le fonctionnement normal de la civilisation industrielle).
Nicolas Casaux
Merci à Le Partage d’évoquer le sujet (j’ai juste survolé l’article pour le moment). Il semble important de faire les ponts entre les événements. Comme Jacques Pauwels (cité sur ce site web) le disait pour la première guerre mondiale, il y a probablement un but à ce que nous vivons. N’en déplaisent à ceux, empêtrés dans des étiquettes (« extrême gauche » par exemple) qui refuseront de croire à tout complot (décrétant que « l’extrême droite » est tenancière de ces théories). J’ajoute au sujet de Bill Gates, le lien pour la simulation de pandémie faite juste avant la crise : https://www.centerforhealthsecurity.org/event201/
Il en va de notre possibilité d’avenir que de refuser masques, attestations, traçage, vaccination et tout ce qu’on va nous imposer sous couvert de seconde vague, troisième vague etc. Maintenant, c’est STOP.
Je me permets un lien pour le site de Xochipelli, fondateur des semences Kokopelli. Concernant la vaccination, il a des choses à dire, sourcées, à chaque fois. Outre son « climatosepticisme » (quel terme de merde — créé par les industriels?) ceci dit très étayé, Xochi est un véritable défenseur du vivant, pour un « futur primitif » et avec une culture incroyable. Beaucoup des textes qu’il fait partager ne seraient pas reniés par Le Partage ; Le « conspirationnisme » en fera peut-être bondir certains… je suis d’avis qu’il est tant d’ouvrir les yeux. N’a t‑on pas dit souvent, ici, que les puissants, les Etats, n’étaient certainement pas là pour notre bien ?
http://xochipelli.fr/