Comment le progrès technique déshumanise l’être humain et détruit le monde naturel (par Lewis Mumford)

Le texte sui­vant pro­vient de la tra­duc­tion fran­çaise, aux édi­tions de l’En­cy­clo­pé­die des Nui­sances (2008), du livre Les trans­for­ma­tions de l’Homme écrit par Lewis Mum­ford, en date de 1956. Il cor­res­pond au cha­pitre inti­tu­lé « L’homme post­his­to­rique ». Com­ment ne pas recon­naître les tech­no­crates qui nous dirigent (ain­si qu’une bonne par­tie de ceux qu’ils ont for­més dans leurs usines péda­go­giques) dans son effrayante des­crip­tion de cet homme post­his­to­rique ? Voi­là ce que leur fameux pro­grès fait de l’être humain, ce que devient l’être humain sou­mis aux impé­ra­tifs du pro­grès technique.


Nous voi­ci désor­mais par­ve­nus au pré­sent ; si nous cher­chons à aller plus loin, nous entrons dans le domaine du mythe où cha­cun pro­jette ses propres aspi­ra­tions. Même ceux qui ne dis­cernent pas d’autre ave­nir pos­sible que celui, désas­treux, que le pré­sent semble annon­cer, greffent sur leurs obser­va­tions « objec­tives » leurs sou­haits et leurs pen­chants incons­cients lorsqu’ils pré­sentent des condi­tions sociales tran­si­toires comme s’il s’agissait de néces­si­tés natu­relles intan­gibles. Car de nom­breuses autres hypo­thèses existent en réa­li­té ; et le simple fait d’affirmer qu’une pos­si­bi­li­té par­ti­cu­lière pré­vau­dra revient déjà à pos­tu­ler qu’on pos­sède toutes les connais­sances néces­saires pour inter­pré­ter la situa­tion. Cette atti­tude, en dépit de son objec­ti­vi­té osten­ta­toire, est naïve : elle omet de tenir compte des forces latentes de la vie et des sur­prises qui carac­té­risent tous les pro­ces­sus à l’état nais­sant — oubliant aus­si qu’une des fonc­tions de l’intelligence est de tenir compte des dan­gers qu’entraîne une confiance exclu­sive en la seule intel­li­gence. On peut pré­voir l’entropie, mais pas l’émergence du nouveau.

La ligne pos­sible de déve­lop­pe­ment que je vais main­te­nant pro­lon­ger repose sur l’hypothèse que notre civi­li­sa­tion conti­nue­ra à suivre le che­min tra­cé par le Nou­veau Monde et accor­de­ra tou­jours plus d’importance aux pra­tiques intro­duites à l’origine par le capi­ta­lisme, la tech­nique de la machine, les sciences phy­siques, l’administration bureau­cra­tique et le gou­ver­ne­ment tota­li­taire ; et que de leur côté ces pra­tiques se com­bi­ne­ront pour for­mer un sys­tème par­fai­te­ment clos sur lui-même, diri­gé par une intel­li­gence déli­bé­ré­ment déper­son­na­li­sée. [Plu­sieurs décen­nies après l’é­cri­ture de ce texte, l’on peut dire que nous y sommes et que c’est pré­ci­sé­ment ce qui s’est pro­duit, c’est pour­quoi la des­crip­tion qui suit nous semble si juste, NdE] Cela impli­que­rait bien évi­dem­ment l’effacement ou la sup­pres­sion des qua­li­tés humaines et des ins­ti­tu­tions appa­rues anté­rieu­re­ment dans l’histoire. Dans un tel sys­tème, les aspi­ra­tions de l’homme se confor­me­raient à un pro­ces­sus méca­nique immu­ni­sé contre tout désir divergent. Ain­si vien­drait au monde une nou­velle créa­ture, l’homme post­his­to­rique.

L’expression « homme post­his­to­rique » a été for­gée par M. Rode­rick Sei­den­berg dans un livre lucide publié sous ce titre. Réduite à ses grandes lignes, sa thèse est que la vie ins­tinc­tive de l’homme, pri­mor­diale tout au long de son pas­sé ani­mal, a per­du du ter­rain au cours de l’histoire, tan­dis que son intel­li­gence consciente pre­nait de plus en plus fer­me­ment le contrôle d’une acti­vi­té après l’autre. Ain­si la vie orga­nique elle-même est pas­sée au second plan, au pro­fit de ce que l’intelligence per­met de com­prendre et d’utiliser, c’est-à-dire le pro­ces­sus cau­sal, dans lequel les acteurs humains se voient confé­rer le même sta­tut que les moyens non humains. En se déta­chant de l’instinctif, de l’intentionnel et de l’organique, et en s’attachant au cau­sal et au méca­nique, l’intelligence a pu contrô­ler plus effi­ca­ce­ment toutes les acti­vi­tés : aujourd’hui, elle ne cesse d’étendre ses conquêtes du domaine des acti­vi­tés « maté­rielles » à celles qui sont bio­lo­giques et sociales ; et tout ce qui dans la nature de l’homme ne se sou­met­tra pas de bon gré à l’intelligence sera, avec le temps, écra­sé ou éradiqué.

Selon cette hypo­thèse, la nature de l’homme a com­men­cé à subir à l’époque moderne un chan­ge­ment final déci­sif. Avec l’invention de la méthode scien­ti­fique et des pro­cé­dés déper­son­na­li­sés de la tech­nique moderne, l’intelligence froide, qui est par­ve­nue comme jamais aupa­ra­vant à maî­tri­ser les forces de la nature, domine déjà lar­ge­ment toute acti­vi­té humaine. Pour sur­vivre dans ce monde, l’homme lui-même doit s’adapter com­plè­te­ment à la machine. Les types humains réfrac­taires à l’adaptation, comme l’artiste ou le poète, le saint ou le pay­san, seront soit remo­de­lés, soit éli­mi­nés par la sélec­tion sociale. Toutes les formes de créa­ti­vi­té asso­ciées à la reli­gion et à la culture du Vieux Monde dis­pa­raî­tront. Deve­nir plus humain, pous­ser plus loin l’exploration des pro­fon­deurs de la nature de l’homme, recher­cher le divin, tout cela ne concer­ne­ra plus l’homme mécanisé.

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Pous­sons plus loin cette hypo­thèse. L’intelligence voyant son hégé­mo­nie éta­blie par la méthode scien­ti­fique, l’homme appli­que­ra à tous les orga­nismes vivants, et par-des­sus tout à lui-même, les règles qu’il a appli­quées au monde maté­riel. Ayant pour seuls buts l’économie et la puis­sance, il crée­ra une socié­té n’ayant d’autres qua­li­tés que celles qui peuvent être inté­grées dans une machine. La machine est en fait pré­ci­sé­ment cette part de l’organisme qui peut être conçue et contrô­lée par la seule intel­li­gence. En pre­nant pour modèle le fonc­tion­ne­ment régu­lier de la machine, l’intelligence pro­dui­ra une socié­té sem­blable à celles de cer­tains insectes, qui sont demeu­rées stables pen­dant soixante mil­lions d’années : car une fois que l’intelligence a mis au point un mode de fonc­tion­ne­ment, elle ne per­met aucune dévia­tion par rap­port à cette solu­tion parfaite.

À ce stade, on ne peut même plus dis­tin­guer l’automatisme de l’instinct de l’intelligence auto­ma­ti­sée : ni l’un ni l’autre ne laisse ouverte la pos­si­bi­li­té d’un chan­ge­ment, et, fina­le­ment, l’intelligence aus­si sera sans conscience, faute d’avoir à faire face à des choix et à des résis­tances. Si l’intelligence décrète qu’il y a un seul com­por­te­ment appro­prié à une situa­tion don­née, une seule réponse cor­recte à une ques­tion, toute dévia­tion, voire toute hési­ta­tion ou incer­ti­tude, sera consi­dé­rée comme due à un défaut du méca­nisme ou à la mau­vaise volon­té de l’agent humain. On doit obéir à la « ligne du par­ti », et une fois que la ratio­na­li­té scien­ti­fique sera le cri­tère suprême, la ligne du par­ti elle-même ne chan­ge­ra plus. Fina­le­ment, la vie, avec ses vir­tua­li­tés presque infi­nies, se confor­me­ra une fois pour toutes au modèle éta­bli par la seule intelligence.

L’homme post­his­to­rique hante depuis long­temps l’imagination moderne. Dans une série de romans scien­ti­fiques pei­gnant des mondes futurs pos­sibles, Jules Verne et son suc­ces­seur H. G. Wells ont décrit ce que serait une socié­té où une telle créa­ture, fana­ti­que­ment dévouée à la machine, serait aux com­mandes. Dans un de ses der­niers ouvrages, The Shape of Things to Come (1933), Wells expri­mait quelque chose qui res­sem­blait à de l’adoration pour cette race de tech­no­crates volants qui allaient faire sor­tir l’ordre du chaos lais­sé par une guerre ato­mique finale. On pour­rait dire, en véri­té, que dans toute la théo­rie uni­la­té­rale du pro­grès méca­nique telle qu’elle fut conçue par ses inter­prètes les plus émi­nents du XIXe siècle, les amé­lio­ra­tions ins­ti­tu­tion­nelles qu’ils prô­naient avaient l’homme post­his­to­rique pour but. En pré­sen­tant les inven­tions méca­niques à la fois comme les prin­ci­paux moyens et les ultimes bien­faits du pro­grès concep­tion qui remonte à Fran­cis Bacon mais guère au-delà , ils sug­gé­raient que les per­fec­tion­ne­ments non méca­niques intro­duits par les arts et les lettres appar­te­naient à l’enfance de l’espèce.

L’existence de l’homme post­his­to­rique, selon ses propres prin­cipes, sera entiè­re­ment consa­crée au monde exté­rieur et à son inces­sante trans­for­ma­tion : les pen­chants pri­mi­tifs de l’homme ain­si que son moi his­to­rique seront défi­ni­ti­ve­ment éli­mi­nés comme « impen­sables ». Dans plus d’un pas­sage, H. G. Wells, lui-même sen­sible et sen­suel, homme « trop humain », appar­te­nant de par sa pro­fes­sion à l’antique secte des voyants et des rêveurs, parle avec impa­tience de toute forme d’introversion et de sub­jec­ti­vi­té, déni­grant l’émotion, le sen­ti­ment et l’imagination, c’est-à-dire les dons mêmes qui ont fait de lui un écri­vain. La maî­trise des forces natu­relles, et celle de la vie humaine par l’usage de ces forces, tel est le seul sou­ci de l’homme post­his­to­rique. Que l’hégémonie de l’activité céré­brale ne soit qu’une expres­sion spé­cia­li­sée de l’autonomie essen­tielle de l’homme, et serve elle-même un but qui dépasse sa propre expan­sion, ne lui vient pas à l’esprit. Sinon, Wells et ses dis­ciples tar­difs devraient poser la vieille ques­tion romaine : Quis cus­to­diet ipsos cus­todes ? Qui contrô­le­ra le contrô­leur ? Inca­pable de répondre, l’homme post­his­to­rique s’avère n’avoir d’autre concep­tion de la vie que de faire un usage tou­jours plus éten­du des pou­voirs de la « magie natu­relle » : com­mu­ni­ca­tions ins­tan­ta­nées à longue dis­tance, mou­ve­ment rapide à tra­vers l’espace, com­mandes presse- bou­ton qui déclenchent des réponses auto­ma­tiques ; et enfin, réa­li­sa­tion suprême : la réduc­tion des capa­ci­tés et des appé­tits orga­niques, dans leurs mani­fes­ta­tions infi­ni­ment variées, à leurs équi­va­lents méca­niques plus uniformes.

Quel est, en véri­té, le rêve suprême qui hante tous les pro­mo­teurs de l’homme post­his­to­rique ? La réponse ne fait aucun doute : c’est de res­sus­ci­ter l’ancien enthou­siasme du Nou­veau Monde pour l’exploration ter­restre en créant des pro­jec­tiles per­met­tant cette fois d’explorer l’espace extra­ter­restre. De ces pre­mières esquisses que sont De la Terre à la Lune de Jules Verne ou la des­crip­tion don­née par Wells de l’invasion de notre pla­nète par les Mar­tiens, jusqu’aux plé­tho­riques extra­va­gances de la science-fic­tion, c’est ce rêve qui pré­do­mine. Même les romans d’anticipation de C. S. Lewis, cen­sés être écrits dans une inten­tion huma­niste ou même reli­gieuse, dépeignent la vie comme un état de guerre entre des créa­tures pla­né­taires qui ont éten­du leur ter­ri­toire à tra­vers les galaxies mais dont l’esprit n’a pas chan­gé, si ce n’est dans un seul sens : elles sont plus impla­ca­ble­ment intelligentes.

Si nous pas­sons de la fic­tion à la réa­li­té des pro­jets actuels, nous voyons l’abstraction scien­ti­fique et l’habileté tech­nique la plus pous­sée mises au ser­vice d’un idéal infan­tile, inven­tant des super-méca­nismes extra­va­gants à seule fin d’échapper aux pro­blèmes aux­quels des indi­vi­dus adultes et une socié­té adulte doivent faire face. Les anciens rêves d’évasion par l’exploration et la colo­ni­sa­tion loin­taines avaient au moins le mérite de lan­cer les aven­tu­riers à la conquête de contrées réel­le­ment favo­rables à la vie. Les richesses du Cathay dont par­lait Mar­co Polo n’étaient pas un vain rêve, et les mer­veilles réelles décou­vertes aux Amé­riques sur­pas­saient celles, ima­gi­naires, pro­mises par la fon­taine de jou­vence. Mais nul ne peut pré­tendre, sans fal­si­fier les faits, que l’existence sur un satel­lite spa­tial ou sur la face cachée de la Lune res­sem­ble­rait le moins du monde à la vie humaine. Ceux pour les­quels il n’y a aucun sens à la vie, si ce n’est dans un mou­ve­ment conti­nu à tra­vers l’espace, révèlent eux-mêmes les limites de l’intelligence déper­son­na­li­sée. Ils montrent qu’une tech­nique hau­te­ment com­plexe peut être le pro­duit de ce qui est, humai­ne­ment par­lant, un esprit indi­gent, seule­ment capable de sur­veiller sur un écran de contrôle des réa­li­tés confi­nées, iso­lées de la com­plexi­té de la vie organique.

De nos jours, ces fan­tasmes post­his­to­riques, sur­gis de l’inconscient, ont ces­sé d’être de simples pro­phé­ties : ils sont déjà aux com­mandes de la méca­ni­sa­tion et ont été cana­li­sés par la plus des­truc­trice et la plus pitoya­ble­ment péri­mée des ins­ti­tu­tions humaines : la guerre. De son côté, en accord avec le nihi­lisme exis­ten­tiel de l’homme post­his­to­rique, la guerre elle-même s’est trans­for­mée, pas­sant d’un champ limi­té de des­truc­tion et de vio­lence ayant des buts limi­tés, à une exter­mi­na­tion sys­té­ma­tique et sans res­tric­tion : en d’autres termes, au géno­cide. Est-ce réel­le­ment le fait du hasard si tous les triomphes qui annoncent l’apparition de l’homme post­his­to­rique sont des triomphes de la mort ? C’est la volon­té de nier les acti­vi­tés vitales, et par-des­sus tout de nier la pos­si­bi­li­té d’un épa­nouis­se­ment de la vie, qui anime cette idéo­lo­gie, au point que le géno­cide ou le sui­cide col­lec­tif consti­tuent le seul but de tant d’efforts infor­mu­lé et impli­cite, mais pas tou­jours caché. L’entreprise post­his­to­rique com­mence inno­cem­ment par éli­mi­ner de la science cette source d’erreurs que sont les sen­ti­ments humains : elle fini­ra par éli­mi­ner de la réa­li­té la nature humaine elle-même. Dans la culture post­his­to­rique, la vie est réduite à un mou­ve­ment pré­vi­sible, condi­tion­né et diri­gé méca­ni­que­ment, où est pros­crit tout ce qui est incal­cu­lable c’est-à-dire tout ce qui est créateur.

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La réus­site suprême des sciences mathé­ma­tiques et phy­siques a sans aucun doute été la suite de décou­vertes qui a abou­ti à la concep­tion moderne de l’atome, et à l’équation qui iden­ti­fie masse et éner­gie : seuls un esprit et une méthode de tout pre­mier ordre pou­vaient décou­vrir ces secrets cos­miques. Mais vers quelle fin était diri­gé ce maître exploit de l’intelligence ? Qu’est-ce qui a, en fait, déci­dé l’homme à déclen­cher le pro­ces­sus de la fis­sion ato­mique ? Nul d’entre nous ne peut igno­rer la réponse : l’objectif était la pro­duc­tion d’un ins­tru­ment de des­truc­tion et d’extermination à grande échelle.

Au cours d’une décen­nie d’exploitation mas­sive de cette nou­velle source d’énergie, les gou­ver­ne­ments de l’Union sovié­tique et des États-Unis ont pro­duit assez d’armes ato­miques et ther­mo­nu­cléaires pour rendre pos­sible, même d’après les esti­ma­tions les plus modé­rées, l’extermination de toute vie humaine sur cette pla­nète, par empoi­son­ne­ment lent sinon par mort ins­tan­ta­née. Alors que ces moyens de mort s’accumulaient, mobi­li­sant toutes les res­sources dis­po­nibles, les réflexions consa­crées à la recherche de moyens moraux et poli­tiques sus­cep­tibles de réorien­ter une telle puis­sance vers des buts vrai­ment humains se rédui­saient, com­pa­ra­ti­ve­ment, à une goutte d’eau dans l’océan.

Ain­si, l’intelligence scien­ti­fique froide et imper­son­nelle, qui se tar­guait de son indif­fé­rence vis-à-vis de la morale, de la poli­tique ou de la res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle, a déclen­ché un pro­ces­sus qui fini­ra néces­sai­re­ment par saper jusqu’à sa propre exis­tence sépa­rée. Les scien­ti­fiques, for­més à consi­dé­rer la recherche sys­té­ma­tique comme un abso­lu, ont igno­ré les aver­tis­se­ments répé­tés d’observateurs vigi­lants comme Jacob Burck­hardt et Hen­ry Adams, aver­tis­se­ments qui ont pré­cé­dé ou accom­pa­gné les pre­mières expé­riences sur les élé­ments radio­ac­tifs. Et aujourd’hui, en dépit de la menace d’anéantissement uni­ver­sel que fait peser la pos­sible uti­li­sa­tion de bombes nucléaires dans une guerre, les nations du monde se sont lan­cées tête bais­sée dans l’exploitation de l’énergie nucléaire à des fins paci­fiques alors qu’on ne sait tou­jours pas com­ment se débar­ras­ser des déchets nucléaires, et que la poi­gnée d’usines expé­ri­men­tales exis­tantes sont déjà une impor­tante source de pol­lu­tion. La seule uti­li­sa­tion indus­trielle et médi­cale irré­flé­chie de l’énergie nucléaire menace, en quelques géné­ra­tions, selon une mise en garde de l’Académie natio­nale des sciences, de pro­duire de graves alté­ra­tions orga­niques. De tels agis­se­ments irres­pon­sables méprisent réso­lu­ment le fait qu’en matière de radia­tions nucléaires les erreurs com­mises par incom­pé­tence ou par igno­rance ne peuvent être cor­ri­gées. Nous sommes donc fon­dés à dire de l’homme post­his­to­rique, se condam­nant lui-même et condam­nant tout ce qui l’entoure à la des­truc­tion, ce que le capi­taine Achab du pro­phé­tique Moby Dick de Mel­ville s’avoue dans un éclair de luci­di­té : « Tous mes moyens sont sains, nor­maux ; mes mobiles et mon but sont fous. »

Car il n’y a guère de doute que l’hostilité à la vie que mani­feste l’homme post­his­to­rique ne finisse par jouer contre lui. En rai­son de son inadap­ta­tion pro­fon­dé­ment enra­ci­née, due peut-être à sa consciente dépré­cia­tion de son huma­ni­té et à la haine de soi incons­ciente qu’elle engendre, il est pro­bable qu’il met­tra un point final à sa car­rière alors qu’il l’aura à peine enta­mée. Je revien­drai sur cet aspect après avoir exa­mi­né plus en détail les formes actuelles de sa phi­lo­so­phie et de sa pratique.

Pour com­prendre à quel point est déjà proche l’homme post-his­to­rique, il faut voir qu’il ne fait que pous­ser à leur conclu­sion logique des ten­dances pro­fondes de la culture du Nou­veau Monde. Son atti­tude à l’égard de la nature est tota­le­ment dépour­vue du sen­ti­ment d’unité et d’harmonieuse sym­pa­thie qui ame­nait l’homme pri­mi­tif à attri­buer sa propre vita­li­té à des mor­ceaux de bois et à des pierres : la nature n’est plus pour lui qu’un stock de maté­riaux inertes, à décom­po­ser, à resyn­thé­ti­ser et à rem­pla­cer par un équi­valent fabri­qué méca­ni­que­ment. Il en va de même de la per­son­na­li­té humaine, dont une part, l’intelligence ration­nelle, est ampli­fiée jusqu’à des dimen­sions sur­hu­maines, tan­dis que tout le reste est muti­lé ou proscrit.

La vie se résume alors pour l’homme à main­te­nir l’intelligence, et avec elle la machine, en bon état de marche. En véri­té les auda­cieuses ten­ta­tives d’inventer des sub­sti­tuts syn­thé­tiques à la vie s’avèrent par­fois illu­soires et subissent des échecs, même quand on les applique aux phé­no­mènes vitaux les plus simples. Quoique la science soit par­fai­te­ment capable d’analyser les com­po­sants chi­miques de l’eau de mer, les expé­riences visant à la repro­duire en labo­ra­toire n’ont tou­jours pas réus­si à créer un milieu dans lequel des créa­tures marines puissent sur­vivre. En dépit de tels échecs, l’homme post­his­to­rique n’espère pas seule­ment construire des molé­cules de pro­téines com­plexes, mais fina­le­ment repro­duire les phé­no­mènes de la vie dans une éprou­vette. Déjà, ses suc­cès dans la fabri­ca­tion de fibres syn­thé­tiques lui font annon­cer des triomphes sem­blables dans la conver­sion de maté­riaux inor­ga­niques en nour­ri­ture. S’il réus­sit dans ce domaine, il rati­fie­ra sans nul doute ce suc­cès en engen­drant une nou­velle huma­ni­té sus­cep­tible d’ap­pré­cier de tels ali­ments, ou plu­tôt de ne même plus savoir que man­ger a jadis été un plai­sir. Avec le temps, les êtres humains néces­saires au bon fonc­tion­ne­ment de la culture post­his­to­rique seront dotés à la nais­sance de réac­tions inté­grées, sou­mises seule­ment à des contrôles exté­rieurs : solu­tion plus éco­no­mique que les méthodes dis­pen­dieuses aujourd’hui appli­quées par le com­mis­saire poli­tique ou le publicitaire. […] 

Dans ce pas­sage à un monde diri­gé par la seule intel­li­gence et voué au seul déve­lop­pe­ment de la puis­sance, tous les efforts de l’homme post­his­to­rique tendent à l’uniformité. En contraste avec la diver­si­té orga­nique, pré­sente ori­gi­nel­le­ment dans la nature et enri­chie par une large part des efforts his­to­riques de l’homme, l’environnement dans sa tota­li­té devient aus­si uni­forme et aus­si rec­ti­ligne qu’une auto­route de béton, afin de per­mettre le fonc­tion­ne­ment uni­forme d’une masse uni­forme d’unités humaines. Aujourd’hui déjà, plus on se déplace rapi­de­ment, plus uni­forme est l’environnement qui favo­rise méca­ni­que­ment le mou­ve­ment, et plus minime est le dépay­se­ment une fois par­ve­nu à des­ti­na­tion ; si bien que le chan­ge­ment pour l’amour du chan­ge­ment et la vitesse pour l’amour de la vitesse ont pour résul­tat le plus haut degré de monotonie.

Si le but est l’uniformité, il n’est pas un aspect de la nature ou de l’homme qui ne soit mena­cé. Pour­quoi l’homme post­his­to­rique devrait-il cher­cher à pré­ser­ver quoi que ce soit de la diver­si­té envi­ron­ne­men­tale qui existe encore sur terre et dont la richesse élar­git le champ de la liber­té humaine : prai­ries, maré­cages, forêts, parcs, vignobles, déserts et mon­tagnes, lacs ou chutes d’eau ? Pour­quoi, avec de solides rai­sons post­his­to­riques pour cela, ne pul­vé­ri­se­rait-il pas les mon­tagnes, soit pour obte­nir du gra­nit, de l’uranium et de la terre, et plus de com­bus­tible pour l’énergie nucléaire, soit pour le simple plai­sir d’aplanir et de broyer, jusqu’à ce que le globe ter­restre soit réduit à l’état de plate-forme nive­lée ? Pour­quoi, pour les mêmes rai­sons, ne crée­rait-il pas un cli­mat unique, des pôles à l’équateur, sans varia­tions diurnes ni chan­ge­ments de sai­son, afin que les jour­nées de l’homme soient libé­rées de ces sti­mu­li per­tur­ba­teurs ? Si l’homme post­his­to­rique ne peut créer un sub­sti­tut méca­nique aux arbres, qu’il les réduise à quelques varié­tés stan­dar­di­sées com­mer­cia­li­sables, comme nous avons déjà réduit à une petite dou­zaine d’espèces les varié­tés de poi­riers bien plus de neuf cents, selon U. P. Hedrick qui étaient culti­vées aux États-Unis il y a seule­ment un siècle.

Pour sa propre sécu­ri­té, et aus­si pour célé­brer comme il convient le culte de son dieu, la machine, l’homme post­his­to­rique doit effa­cer tout sou­ve­nir de ce qui est sau­vage et indomp­table, bigar­ré et étrange, unique et pré­cieux : les mon­tagnes qu’on pour­rait être ten­té d’escalader, les déserts où l’on pour­rait recher­cher la soli­tude et la paix inté­rieure, les jungles dont les créa­tures vivantes pour­raient rap­pe­ler à quelque explo­ra­teur humain dont la sen­si­bi­li­té n’aurait pas été alté­rée la pro­di­ga­li­té avec laquelle la nature a autre­fois créé, à par­tir du rocher et du pro­to­plasme ori­gi­nels, une immense varié­té d’habitats et de modes de vie.

Déjà, dans les grandes métro­poles et dans les conur­ba­tions pro­li­fé­rantes du monde occi­den­tal, les fon­da­tions de l’environnement post­his­to­rique ont été posées : la vie d’un opé­ra­teur d’ascenseur auto­ma­tique dans un grand immeuble de bureaux est presque aus­si vide et morne que le devien­dra la vie tout entière une fois que la culture post­his­to­rique aura effec­ti­ve­ment effa­cé tout sou­ve­nir d’un pas­sé plus riche. Au rythme actuel de l’urbanisation, il ne fau­dra guère qu’un siècle pour que la des­truc­tion de tous les espaces vivants natu­rels, ou plu­tôt leur trans­for­ma­tion en tis­su urbain de basse qua­li­té, ne laisse plus rien sub­sis­ter qui per­mette d’échapper à la vie post­his­to­rique. Si le but de l’histoire humaine est un type d’homme uni­forme, se repro­dui­sant à un rythme uni­forme, dans un envi­ron­ne­ment uni­forme, main­te­nu à tem­pé­ra­ture, pres­sion et humi­di­té constantes, vivant une exis­tence uni­for­mé­ment sans vie, avec des besoins phy­siques uni­formes satis­faits par des pro­duits uni­formes, toute rébel­lion inté­rieure se trou­vant rame­née à la norme par les hyp­no­tiques et les séda­tifs, ou par des inter­ven­tions chi­rur­gi­cales, une créa­ture sous pres­sion méca­nique constante, de l’incubateur à l’incinérateur, presque tous les pro­blèmes du déve­lop­pe­ment humain seront réglés. Il res­te­ra tou­te­fois celui-ci : pour­quoi qui­conque, fût-ce une machine, se sou­cie­rait-il de conser­ver en vie une telle créature ?

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L’uniforme, qui était lui-même, comme la dis­ci­pline, un pro­duit du plus ancien sys­tème d’embrigadement, celui de l’armée, devient rapi­de­ment le cos­tume invi­sible de la socié­té tout entière. Dans l’intérêt de l’uniformité, toute forme de choix est éli­mi­née, jusqu’au détail le plus tri­vial, comme la déci­sion concer­nant l’épaisseur d’une tranche de pain. Une fois prise la déci­sion col­lec­tive, aucune dévia­tion indi­vi­duelle, aucune modi­fi­ca­tion sur la base de la pré­fé­rence ou du juge­ment per­son­nels, n’est plus pos­sible. Au cours de la phase sui­vante d’émergence de l’homme post­his­to­rique, ce prin­cipe d’uniformité devra s’appliquer aux idées aus­si bien qu’aux choses. Il est moins coû­teux et plus effi­cace de répri­mer l’individualité humaine que d’introduire les fac­teurs non quan­ti­fiables de la vie dans un sys­tème méca­ni­sé. Un des aspects de la culture post­his­to­rique qui jouent contre son propre déve­lop­pe­ment est que, selon sa logique, elle doit créer des esprits sem­blables à des dis­tri­bu­teurs auto­ma­tiques, n’admettant que la pièce de mon­naie pres­crite avant de reje­ter le pro­duit uni­forme, col­lec­ti­ve­ment approu­vé. À la longue, comme com­mencent déjà à s’en rendre compte cer­taines grandes entre­prises, des orga­ni­sa­tions aus­si uni­formes ne créent plus le type d’esprit dont elles ont besoin pour les diri­ger, les confor­mistes timo­rés et les rou­ti­niers étant inca­pables du genre d’initiative créa­trice qu’il a fal­lu prendre pour construire l’organisation.

L’homme post­his­to­rique réduit toutes les acti­vi­tés spé­ci­fi­que­ment humaines à une forme de tra­vail : une trans­for­ma­tion d’énergie, ou une opé­ra­tion intel­lec­tuelle mise au ser­vice d’une telle trans­for­ma­tion. À l’intérieur de ce cadre res­tric­tif, la récom­pense du tra­vail n’est pas dans son accom­plis­se­ment, mais dans son pro­duit : au lieu de trans­for­mer l’activité labo­rieuse afin que s’y exprime plus plei­ne­ment la per­son­na­li­té humaine et que les moyens mis en œuvre apportent une satis­fac­tion par leur usage même, la tech­nique de la machine, en accord avec toute l’idéologie post­his­to­rique, cherche à éli­mi­ner l’élément humain. […] 

Mais la culture post­his­to­rique va plus loin : elle tend à auto­ma­ti­ser toutes les acti­vi­tés, qu’elles soient sté­riles et ser­viles, ou créa­trices et indé­pen­dantes. Même le jeu et le sport doivent en fait être nor­ma­li­sés et se voir appli­quer le prin­cipe du moindre effort. Au lieu de consi­dé­rer que le tra­vail est un bon moyen pour façon­ner une per­son­na­li­té plus hau­te­ment indi­vi­dua­li­sée, l’homme post­his­to­rique cherche plu­tôt à déper­son­na­li­ser le tra­vailleur, le condi­tion­nant et l’adaptant afin qu’il s’intègre dans les méthodes imper­son­nelles de pro­duc­tion et d’administration. Le confor­misme tota­li­taire jaillit de la machine, et s’impose dans tous les sec­teurs qu’elle enva­hit : la pro­cé­dure stan­dar­di­sée exige un com­por­te­ment stan­dar­di­sé. Et le phé­no­mène ne se limite pas aux États offi­ciel­le­ment totalitaires.

Selon cet idéal post­his­to­rique, l’homme devient donc une machine, réduite autant que pos­sible à un fais­ceau de réflexes : recons­truite dans l’usine péda­go­gique pour être conforme aux besoins des autres machines. À cette fin, sa nature ani­male ori­gi­nelle, pour ne rien dire des aspi­ra­tions qui le rendent plus spé­ci­fi­que­ment humain, doit être aban­don­née. Toutes ses réa­li­sa­tions et tous ses sou­ve­nirs pas­sés, tous ses espoirs et tous ses pen­chants, toutes ses inquié­tudes et tous ses idéaux consti­tuent des obs­tacles à cette trans­for­ma­tion. Seuls ceux qui ont réus­si à se débar­ras­ser de leurs qua­li­tés les plus humaines sont donc can­di­dats aux fonc­tions suprêmes de la socié­té post­his­to­rique : celles des pla­ni­fi­ca­teurs et des administrateurs.

La sym­pa­thie et l’empathie, la capa­ci­té de se mettre, par l’imagination et l’amour, à l’unisson de la vie des autres hommes, n’ont pas de place dans la culture post­his­to­rique, qui exige que tous les hommes soient trai­tés comme des choses. Humai­ne­ment par­lant, l’homme post­his­to­rique est un infirme, sinon un délin­quant actif, et fina­le­ment un monstre poten­tiel. La nature patho­lo­gique de son infir­mi­té est dis­si­mu­lée par son haut quo­tient intel­lec­tuel. Vêtus de banals cos­tumes de confec­tion, expri­mant des opi­nions appa­rem­ment tout aus­si banales et pro­saïques, ces monstres sont déjà à l’œuvre dans la socié­té actuelle. Leurs acti­vi­tés carac­té­ris­tiques tels leurs pré­pa­ra­tifs pour la guerre ato­mique, bac­té­rio­lo­gique et chi­mique sont aus­si irra­tion­nelles que leurs actes sont com­pul­sifs et auto­ma­tiques. Le fait que la démence morale, sinon la futi­li­té pra­tique, de ces pré­pa­ra­tifs n’ait pas pro­vo­qué une révolte humaine géné­ra­li­sée montre à quel point le déve­lop­pe­ment de la socié­té post­his­to­rique est déjà avancé.

Aucune des acti­vi­tés carac­té­ris­tiques de l’homme post­his­to­rique, si ce n’est peut-être l’exercice de l’intelligence pure, n’a quoi que ce soit à voir avec l’entretien de la vie ou la culture de ce qui est véri­ta­ble­ment humain. L’homme post­his­to­rique a déjà, intel­lec­tuel­le­ment, renié son huma­ni­té. Ce qui sur­vit de ce patri­moine est une gêne, que son contrôle crois­sant sur les pro­ces­sus de repro­duc­tion fini­ra par éli­mi­ner, comme il éli­mine déjà les qua­li­tés indé­si­rables des porcs ou des vaches. D’une façon ou d’une autre, par le condi­tion­ne­ment psy­cho­lo­gique et la pro­créa­tion diri­gée, ou en ayant recours à des exter­mi­na­tions col­lec­tives sans rete­nue, il effa­ce­ra ce qui reste de l’humanité.

Déjà, ces rêves para­noïaques dominent la vie de mil­lions d’êtres humains et pèsent lour­de­ment sur leur ave­nir. Dans les plans actuels de géno­cide de masse, dans une « guerre » qui tout à la fois inau­gu­re­rait la période post­his­to­rique et y met­trait un point final, c’est l’humanité même de l’homme qui est l’objet de l’agression. En  pro­po­sant de trai­ter l’enne­mi comme si c’était de la ver­mine, autant de mil­lions de rats ou de punaises, l’homme post­his­to­rique avi­lit à la fois l’agresseur et la vic­time avant d’entraîner leur anéan­tis­se­ment commun.

L’homme post­his­to­rique peut-il espé­rer un meilleur des­tin que celui que j’ai dépeint ? La socié­té à laquelle il aspire sera-t-elle plus dési­rable une fois par­ache­vée que ce qui en existe déjà à l’état d’ébauche ? Pour répondre à cette ques­tion, il n’est pas inutile de pas­ser rapi­de­ment en revue les uto­pies où furent tout d’abord envi­sa­gés les chan­ge­ments actuels.

Bien que raillées par les contem­po­rains comme réa­li­sables, les uto­pies clas­siques, depuis le XVIe siècle, s’avèrent à l’instar de bien des construc­tions idéales, avoir pré­vu de façon presque exacte ce qui se met effec­ti­ve­ment en place aujourd’hui. Depuis Tho­mas More, les uto­pies clas­siques com­portent essen­tiel­le­ment deux com­po­santes : une ancienne et une moderne. La com­po­sante ancienne remonte à la Répu­blique de Pla­ton et, au-delà, aux lois Spar­tiates de Lycurgue : elle consiste à vou­loir impo­ser à une col­lec­ti­vi­té une dis­ci­pline mili­taire com­mune à pros­crire l’amour dio­ny­siaque de la nour­ri­ture, de la bois­son et du plai­sir sexuel, à ban­nir le poète et l’artiste, et à réser­ver aux seuls gar­diens de l’État le plein exer­cice de la pen­sée. Dans un tel sys­tème, toute forme de vie pri­vée est soit res­treinte, soit inter­dite ; toute forme de sen­ti­ment tendre est répri­mée. Le résul­tat final est une com­mu­nau­té uni­fiée, à direc­tion cen­tra­li­sée, obéis­sant uni­for­mé­ment aux ordres : libé­rée de l’angoisse, de l’insécurité, de la mal­chance ou de l’erreur ; et par là éga­le­ment libé­rée de toute pos­si­bi­li­té de crois­sance et de per­fec­tion­ne­ment. Dans 1984, l’utopie qui pousse toutes ces ten­dances à leur paroxysme, George Orwell déclare : « L’orthodoxie signi­fie… pas besoin de pen­sée. L’orthodoxie c’est l’inconscience ». Il n’y a pas de liber­té, si ce n’est dans le sens pick­wi­ckien de Karl Marx : « La liber­té est l’acceptation consciente de la nécessité ».

En contre­par­tie de cet écra­se­ment com­plet des qua­li­tés propres à l’individu, on peut même dire propres à tout orga­nisme vivant, les uto­pistes ont intro­duit une nou­velle com­po­sante : ils ont misé sur la science et l’invention pour trans­for­mer à la fois l’environnement phy­sique et social. L’utopie inache­vée de Bacon, La Nou­velle Atlan­tide, a dépeint avec une remar­quable pers­pi­ca­ci­té et même avec pré­ci­sion l’esprit qui ani­mait à la fois la science et l’invention. En fait, il a décrit toute la gamme des exploits tech­no­cra­tiques des trois siècles à venir, ima­gi­nant un bâti­ment scien­ti­fique haut de huit cents mètres, la muta­tion diri­gée des espèces, l’accélération des pro­ces­sus natu­rels, le per­fec­tion­ne­ment des ins­tru­ments de des­truc­tion, la créa­tion de fon­da­tions scien­ti­fiques inter­na­tio­nales, le vol aérien, le ciné­ma et même la cli­ma­ti­sa­tion. Bien que Bacon ait sous-esti­mé les pos­si­bi­li­tés de la science pure, une de ses conjec­tures appa­rem­ment extra­va­gantes, la divi­sion du tra­vail scien­ti­fique, est désor­mais une réa­li­té dans cer­tains laboratoires.

La socié­té post­his­to­rique s’est per­fec­tion­née au-delà de toutes ces espé­rances en éla­bo­rant tech­ni­que­ment, avec des raf­fi­ne­ments que l’imagination n’avait jamais osé conce­voir, les ins­tru­ments de l’embrigadement humain, ori­gi­nel­le­ment pré­sen­tés comme béné­fiques dans les pro­jets uto­pistes. Toutes sans excep­tion, ces uto­pies ont pro­po­sé le rem­pla­ce­ment de l’homme par un sys­tème méca­ni­sé. Non seule­ment chaque acti­vi­té humaine doit être asser­vie à la machine, mais la vie est ain­si orga­ni­sée qu’il devient impos­sible d’échapper à la machine, exac­te­ment comme aujourd’hui la machine vous suit, à tra­vers le vacarme de la radio et le scin­tille­ment de la télé­vi­sion, jusqu’aux plus loin­tains déserts. Le résul­tat devait être une sécu­ri­té et un confort maté­riels excé­dant tout ce qui avait pu être rêvé ; mais le prix de cette féli­ci­té a été une dépen­dance de plus en plus abjecte à l’égard du sys­tème méca­ni­sé. Ce qui ne peut être sou­mis à un contrôle exté­rieur n’est pas consi­dé­ré comme digne de vivre.

Il existe cepen­dant deux pos­si­bi­li­tés insi­dieuses aux­quelles n’a son­gé aucun uto­piste, aus­si ima­gi­na­tif fût-il. L’une est une fai­blesse inhé­rente au sys­tème lui-même : le fait que lorsque chaque élé­ment du pro­ces­sus est tou­jours plus méca­ni­sé et ratio­na­li­sé, l’ensemble tend à échap­per au contrôle humain, si bien que même ceux qui sont cen­sés être les sur­veillants de la machine deviennent ses agents pas­sifs, et fina­le­ment ses vic­times. Ain­si l’homme, comme le pré­di­sait sar­cas­ti­que­ment Samuel But­ler dans Erew­hon, ne serait plus pour finir qu’un appen­dice de la machine, lui ser­vant à se reproduire.

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L’homme moderne s’est déjà déper­son­na­li­sé si pro­fon­dé­ment qu’il n’est plus assez homme pour tenir tête à ses machines. L’homme pri­mi­tif, fai­sant fond sur la puis­sance de la magie, avait confiance en sa capa­ci­té de diri­ger les forces natu­relles et de les mai­tri­ser. L’homme post­his­to­rique, dis­po­sant des immenses res­sources de la science, a si peu confiance en lui qu’il est prêt à accep­ter son propre rem­pla­ce­ment, sa propre extinc­tion, plu­tôt que d’avoir à arrê­ter les machines ou même seule­ment à les faire tour­ner à moindre régime. En éri­geant en abso­lus les connais­sances scien­ti­fiques et les inven­tions tech­niques, il a trans­for­mé la puis­sance maté­rielle en impuis­sance humaine : il pré­fé­re­ra com­mettre un sui­cide uni­ver­sel en accé­lé­rant le cours de l’investigation scien­ti­fique plu­tôt que de sau­ver l’espèce humaine en le ralen­tis­sant, ne serait-ce que temporairement.

Jamais aupa­ra­vant l’homme n’a été aus­si affran­chi des contraintes impo­sées par la nature, mais jamais non plus il n’a été davan­tage vic­time de sa propre inca­pa­ci­té à déve­lop­per dans leur plé­ni­tude ses traits spé­ci­fi­que­ment humains ; dans une cer­taine mesure, comme je l’ai déjà sug­gé­ré, il a per­du le secret de son huma­ni­sa­tion. Le stade extrême du ratio­na­lisme post­his­to­rique, nous pou­vons le pré­dire avec cer­ti­tude, pous­se­ra plus loin un para­doxe déjà visible : non seule­ment la vie elle-même échappe d’autant plus à la maî­trise de l’homme que les moyens de vivre deviennent auto­ma­tiques, mais encore le pro­duit ultime l’homme lui-même devien­dra d’autant plus irra­tion­nel que les méthodes de pro­duc­tion se rationaliseront.

En bref, le pou­voir et l’ordre, pous­sés à leur comble, se ren­versent en leur contraire : désor­ga­ni­sa­tion, vio­lence, aber­ra­tion men­tale, chaos sub­jec­tif. Cette ten­dance s’exprime déjà aux États-Unis dans le ciné­ma, la télé­vi­sion et les bandes des­si­nées pour enfants. Ces formes de diver­tis­se­ment sont de plus en plus uti­li­sées pour repré­sen­ter la bru­ta­li­té accom­plie de sang-froid et la vio­lence phy­sique : pré­pa­ra­tion péda­go­gique à la per­pé­tra­tion de l’homicide et du géno­cide, tout comme Robin­son Cru­soé était une pré­pa­ra­tion à la néces­si­té de sur­vivre, les mains nues, sur une terre étrange et inha­bi­tée. Ces fan­tasmes mal­fai­sants annoncent des réa­li­tés sinistres qui ne sont que trop proches.

Cepen­dant, c’est là qu’un autre fac­teur, non pré­vu par les uto­pistes, entre en jeu : la fonc­tion com­pen­sa­trice de la des­truc­tion mal­fai­sante. L’homme étant né avec la pos­si­bi­li­té d’être plei­ne­ment humain, il devra tôt ou tard se révol­ter contre l’organisation post­his­to­rique de la vie. Si l’homme doit être aux ordres de la machine, il lui reste encore une forme de résis­tance. Puisqu’il ne peut se réin­sé­rer lui-même, en tant qu’être plei­ne­ment auto­nome, dans le pro­ces­sus méca­nique, il peut deve­nir le grain de sable qui grip­pe­ra les rouages : s’il le faut, il uti­li­se­ra la machine pour détruire la socié­té qui l’a produite. […] 

Plus nous avan­çons dans la voie post­his­to­rique, plus nous trou­vons d’ironiques confir­ma­tions de la stu­pi­di­té et de la faus­se­té de son pro­jet humain. Deux siècles d’inventions et d’organisation méca­nique ont déjà eu pour effet de créer des orga­ni­sa­tions qui fonc­tionnent auto­ma­ti­que­ment, avec un mini­mum d’intervention humaine active. Au contraire de la civi­li­sa­tion, qui à ses débuts avait besoin pour se consti­tuer de l’impulsion de chefs, ce sys­tème auto­ma­tique fonc­tionne mieux avec des gens ano­nymes, sans mérite par­ti­cu­lier, qui sont en fait des rouages amo­vibles et inter­chan­geables : des tech­ni­ciens et des bureau­crates, experts dans leur sec­teur res­treint, mais dénués de toute com­pé­tence dans les arts de la vie, les­quels exigent pré­ci­sé­ment les apti­tudes qu’ils ont effi­ca­ce­ment répri­mées. Avec le déve­lop­pe­ment à venir des sys­tèmes cyber­né­tiques per­met­tant de prendre des déci­sions sur des sujets excé­dant, de par leur com­plexi­té ou les séries astro­no­miques de nombres impli­qués, les capa­ci­tés humaines de patience ou de cal­cul, l’homme post­his­to­rique est sur le point d’évincer le seul organe humain dont il fasse quelque cas : le lobe fron­tal de son cerveau.

En créant la machine pen­sante, l’homme a fait le der­nier pas vers la sou­mis­sion à la méca­ni­sa­tion, et son abdi­ca­tion finale devant ce pro­duit de sa propre ingé­nio­si­té lui four­ni­ra un nou­vel objet d’a­do­ra­tion : un dieu cyber­né­tique. Il est vrai que cette nou­velle reli­gion exi­ge­ra de ses fidèles une foi plus aveugle encore que le Dieu de l’homme axial : la cer­ti­tude que ce démiurge méca­nique, dont les cal­culs ne pour­ront être humai­ne­ment véri­fiés, ne don­ne­ra que des réponses correctes…

Géné­ra­li­sons ce résul­tat et voyons-le clai­re­ment pour ce qu’il est. L’automate ayant atteint la per­fec­tion, l’homme devien­dra com­plé­te­ment étran­ger à son monde et sera réduit à néant le règne, la puis­sance et la gloire appar­tiennent désor­mais à la machine. Plu­tôt que d’établir une rela­tion riche de sens avec la nature pour obte­nir son pain quo­ti­dien, il s’est condam­né à une vie de bien-être sans effort, pour peu qu’il se contente des pro­duits et des sub­sti­tuts four­nis par la machine. Plus exac­te­ment, ce bien-être serait sans effort s’il n’imposait pas le devoir de consom­mer exclu­si­ve­ment les pro­duits que la machine lui livre sans dis­con­ti­nuer, quel que puisse être son degré de satié­té. L’incitation à pen­ser, l’incitation à sen­tir et à agir, en fait l’incitation à vivre, auront bien­tôt disparu.

Déjà, en Amé­rique, de par sa sujé­tion à l’automobile, l’homme a com­men­cé à perdre l’usage de ses jambes. Bien­tôt, il mène­ra une exis­tence pure­ment vis­cé­rale, cen­trée sur l’estomac et les par­ties géni­tales, bien qu’il y ait des rai­sons de pen­ser que s’appliquera là aus­si le prin­cipe du moindre effort. […] La science ne four­ni­ra-t-elle pas éga­le­ment un orgasme méca­nique sans effort, éli­mi­nant ain­si les incer­ti­tudes de l’affection humaine et le besoin d’un contact cor­po­rel : une aide néces­saire à l’insémination arté­rielle ? Nous com­men­çons seule­ment à voir les effets du mépris pour les pro­ces­sus orga­niques et de l’effort opi­niâtre pour les rem­pla­cer à tout prix par des équi­va­lents mécaniques.

Pour com­prendre le but final du sys­tème post­his­to­rique, exa­mi­nons le meilleur spé­ci­men exis­tant du nou­veau type humain qui le per­son­ni­fie : non pas une créa­ture de cau­che­mar sor­tie de 1984,  mais un per­son­nage bien réel et obser­vable. Consi­dé­rons un avia­teur dont le métier consiste à pilo­ter un avion super­so­nique. Voi­ci le nou­vel homme méca­nique, avec tout son har­na­che­ment, her­mé­ti­que­ment iso­lé de l’extérieur, sa com­bi­nai­son chauf­fée élec­tri­que­ment, son casque à oxy­gène, son siège éjec­table muni d’un para­chute, prêt à être cata­pul­té dans la stra­to­sphère. Tel qu’il est équi­pé pour son tra­vail, c’est un mons­trueux ani­mal squa­meux, res­sem­blant plus à une four­mi géante qu’à un pri­mate : cer­tai­ne­ment pas un dieu nu. Tan­dis qu’il sillonne les éten­dues désertes du ciel, la vie de ce pilote est pure­ment fonc­tion de la masse et du mou­ve­ment ; mal­gré son cou­rage d’acier, sa vie sen­sible se réduit à l’effort constant pour coor­don­ner ses réac­tions avec l’ensemble de l’appareillage dont dépend sa sur­vie. Perte de conscience, asphyxie, congé­la­tion, rafale de vent, tout cela le menace plus dan­ge­reu­se­ment que les tigres aux dents de sabre ou les mam­mouths poi­lus ne mena­çaient ses ancêtres du paléo­li­thique. Une exis­tence confi­née vécue dans une pure ins­tan­ta­néi­té, dépen­dante de la pré­ser­va­tion, par des moyens arti­fi­ciels, du très peu d’aptitudes néces­saires à contrô­ler la machine, voi­là tout ce que son tra­vail lui apporte.

Peut-on appe­ler cela une vie ? Non. C’est un coma méca­ni­que­ment assis­té. Ce n’est qu’un spé­ci­men, limi­té mais pré­cis, du chan­ge­ment total dans le com­por­te­ment humain auquel don­ne­rait lieu la réus­site de la trans­for­ma­tion chez l’homme post­his­to­rique. L’étape sui­vante consiste à cou­ler toutes les autres acti­vi­tés dans le même moule. Nous four­nis­sons déjà des rêves éveillés méca­niques et des pen­sées méca­niques, via la radio et la télé­vi­sion, si omni­pré­sentes que l’on ne peut guère leur échap­per. Nous n’avons plus qu’à sou­mettre les aspects de la vie encore épar­gnés à une main­mise similaire.

La vie de l’homme post­his­to­rique serait au comble de l’appauvrissement dans un voyage inter­pla­né­taire par fusée, ou dans l’édification et l’occupation par l’homme d’une sta­tion spa­tiale satel­lite. Il est signi­fi­ca­tif que l’objectif d’une telle expé­di­tion soit de mieux connaître l’univers phy­sique, ou bien et c’est ce qui jus­ti­fie actuel­le­ment les sommes énormes consa­crées à ce sec­teur de dis­po­ser d’une posi­tion stra­té­gique pour détruire par la vio­lence un éven­tuel enne­mi humain : des pou­voirs sur­hu­mains au ser­vice de buts infra­hu­mains ! (Ce dont l’homme a vrai­ment besoin, c’est de se connaître assez lui-même pour com­prendre pour­quoi il accorde tant d’importance à la science de l’univers, alors même qu’il lui fau­drait sur­tout se pen­cher sur sa propre imma­tu­ri­té et sur son dés­équi­libre patho­lo­gique.) Dans de telles condi­tions, la vie serait à nou­veau réduite à l’accomplissement des fonc­tions phy­sio­lo­giques : res­pi­rer, man­ger, excré­ter ; et cet accom­plis­se­ment lui- même n’aurait rien de très aisé sur un vais­seau spa­tial. Tel est cepen­dant le but final de l’homme post­his­to­rique : l’ultime objet de ce qui lui tient lieu de désir, la jus­ti­fi­ca­tion de tous ses renon­ce­ments. Son des­tin est de se trans­for­mer en un homon­cule arti­fi­ciel dans une cap­sule auto­pro­pul­sée, voya­geant à la vitesse maxi­male et ayant étouf­fé jusqu’à les éteindre ses dons natu­rels, mais sur­tout ayant éli­mi­né toute forme spon­ta­née de vie de l’esprit.

Le triomphe de l’homme post­his­to­rique, on peut l’affirmer, ferait dis­pa­raître toute rai­son sérieuse de demeu­rer en vie. Seuls ceux qui ont déjà per­du l’esprit pour­raient contem­pler sans hor­reur un tel vide spi­ri­tuel ; seuls ceux qui ont déjà renon­cé à la richesse de la vie pour­raient contem­pler sans déses­poir une telle exis­tence sans vie. En com­pa­rai­son, le culte des morts égyp­tien était débor­dant de vita­li­té : une momie dans sa tombe donne une meilleure idée qu’un cos­mo­naute d’un être humain dans sa plénitude.

Déjà, dans ses rêves de vol spa­tial, comme dans ses pro­jets guer­riers infra­hu­mains, l’homme post­his­to­rique a per­du le contact avec la réa­li­té vivante : il s’est livré lui-même à ses pul­sions de mort. Même s’il réus­sis­sait pro­vi­soi­re­ment sa muta­tion, cela ne ferait qu’amener la tra­gé­die humaine à son dénoue­ment. Car ce qui est post­his­to­rique est aus­si posthumain.

Lewis Mum­ford

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  1. Lewis Mum­ford (1895–1990) est un his­to­rien amé­ri­cain, spé­cia­li­sé dans l’histoire de la tech­no­lo­gie et de la science, ain­si que dans l’histoire de l’urbanisme.
    Phi­lo­sophe et his­to­rien des tech­niques émi­nent, Lewis Mum­ford s’est atta­ché à décrire la genèse et les consé­quences de la socié­té indus­trielle. Écri­vant avant la Seconde Guerre mon­diale, il déve­loppe une vision du monde moderne extrê­me­ment cri­tique, en par­ti­cu­lier envers les tech­niques et tech­no­lo­gies militaires.

    Lors de la « chasse aux sor­cières » du McCar­thysme, ses posi­tions cri­tiques lui valent à plu­sieurs reprises d’être accu­sé de sym­pa­thie envers le com­mu­nisme et donc inquié­té pro­fes­sion­nel­le­ment ; il ne manque pas de pré­ci­ser que le sys­tème com­mu­niste n’avait rien à envier aux autres sys­tèmes éco­no­miques. Autre­ment dit, ses posi­tions étaient au-delà de ce cli­vage doctrinal.

    Étayant sa démons­tra­tion d’informations et de faits his­to­riques très pré­cis, il ana­lyse ce qui consti­tue les racines du mode de vie indus­triel. Ces racines remon­te­raient ain­si, selon lui, aux toutes pre­mières usines d’armement (où le tra­vail était déjà frag­men­té, ou « ratio­na­li­sé ») dès la fin du xviie siècle ; c’est-à-dire bien avant ce que l’on nomme la « pre­mière révo­lu­tion industrielle ».

    Les évé­ne­ments récents, en matière cli­ma­tique ou stra­té­gique, ont appor­té un regain d’actualité à ses écrits.
    source : wikipedia

  2. Un texte incroyable, d’une effrayante luci­di­té. On y voit a la fois le pré­cur­seur de Debord et celui de Jim Bal­lard, mes deux auteurs favo­ris. Allé­luiah ! Meme a 60 ans, on peut encore avoir des sur­prises et des ful­gu­rances… Mer­ci pour cette fabu­leuse découverte.

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