Une présentation de Pierre Fournier par Danielle Fournier, son épouse : « Pierre Fournier est né a Saint-Jean de Maurienne, en 1937. A l’école, Pierre déjà taciturne, solitaire, placide, dessinait à longueur de temps. Ce qu’il voyait, ce qu’il inventait, les voyages à travers la France pendant les vacances familiales, les caricatures de ses professeurs au lycée de Chambéry. A Paris, où ses parents sont venus se fixer, il passe son bac, entre dans un atelier de dessin, commence les Arts Déco. Il sera professeur de dessin pendant… deux mois. Pas la vocation. Ce qu’il veut, c’est dessiner, les choses, les gens, la vie, seul dans son coin. Un rétrécissement congénital de l’aorte est alors décelé. Et puis le réflexe : se marier, avoir des enfants, un F3 en banlieue et une fiche de salaire. Pendant cinq ans il sera secrétaire administratif à la caisse des Dépôts et Consignations. Là il voit comment ces petites communes rurales qu’il connait bien pour en avoir dessiné le clocher ou le garde-champêtre pendant des années, comment ces villages s’endettent, s’appauvrissent, se clochardisent, en demandant des prêts et des subventions pour raser des fontaines, des halles de bois, et construire à la place des bâtiments modernes, dignes du vingtième siècle. Un jour enfin, Hara Kiri. La collaboration régulière démarre. Des dessins très peu de textes, sur la vie des gens, celle de la voisine comme celle du paysan kurde dont le génocide commençait. La page mensuelle devient hebdomadaire et les mots plus parlants pour le lecteur, grignotent le dessin. Expliquer, dénoncer, démonter les rouages de la société des hommes, écologie… les deux pages tassées deviennent insuffisantes. La Gueule Ouverte, alors mensuelle, démarre en novembre 1972. Quatre mois plus tard, alors que la tentation lancinante de se réfugier dans la peinture, la solitude, se faisait plus forte, Fournier meurt brutalement, d’embolie sans doute. »
Le texte ci-après est composé d’extraits tirés de la compilation de textes de Pierre Fournier intitulée Y’en a plus pour longtemps. Nous ne sommes pas en phase avec tout, mais des parties nous paraissent très justes et très intéressantes.
Industries, pollutions et lutte écologique
L’écologie devait intégrer (on en revient toujours là) le désir de révolution qui lui manquait (entre la non-violence apolitique du vieux militant catho et la non-violence contestataire d’un transfuge du gauchisme, il y a toute la distance qui sépare l’acceptation du refus). Le régime il risque rien, parce que la civilisation a besoin de lui. L’un soutenant l’autre, ils tiendront jusqu’au bout, jusqu’au suicide collectif. La pollution ne menace pas plus la civilisation que la corruption ne menace le régime. Il y a deux ans, « la pollution » faisait bien rigoler les professionnels de l’agitation politique, et Charlie Hebdo faisait bien rigoler les « spécialistes de l’environnement ». Maintenant les uns et les autres se sentent dépassés sur leur gauche et ne songent qu’à récupérer le truc. Quand elle flaire un danger, la société de consommation n’a qu’un réflexe : elle récupère.
L’enseignement de l’environnement conduit tout droit à la contestation, parce qu’il conduit tout droit à cette évidence que l’économie de compétition est incompatible avec la survie. Il ne s’agit pas de protéger la nature, mais de sauvegarder la vie. La vie, c’est nous, pas « produits du social » : êtres vivants. Il faut pas s’emparer des moyens de production, il faut pas changer de mode de production, il faut abolir la production. La transformation de matière vivante aboutit inéluctablement, volontairement ou non, après production ou déperdition d’énergie, à un autre état d’organisation de la matière vivante. Or, pour la matière vivante, d’autre état d’organisation y’en a qu’un, c’est le retour au minéral, c’est la mort. Quand le guide fait visiter la galerie des glaces, à Versailles, il ne parle pas des centaines d’ouvriers étameurs qui sont morts sans savoir pourquoi, intoxiqués par le mercure, afin que le roy se mire. Le problème ne date pas d’aujourd’hui mais il a pris, aujourd’hui, une dimension nouvelle. Car aujourd’hui c’est nous tous qui mourons, comme les ouvriers de Versailles, d’utiliser la technique en aveugle. L’ère des parlotes est révolue. Si nous ne voulons pas crever de la pollution généralisée, il est grand temps de passer à l’action. Ces jours-ci, Paul-Emile Victor parlant à la radio a répondu (à peu près textuellement) au speaker qui l’interrogeait sur les moyens d’action à employer pour lutter contre la pollution : « Il faut former des commandos et faire la guerre, je dis bien la guerre, une vraie guerre avec tout ce que cela implique. »
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La technostructure
Je ne vois là que des gros qui se placent, qui emportent des marchés, qui font jouer toutes leurs influences, qui surenchérissent à grands coups de chiffres invérifiables dans la noble tradition du secret industriel (auquel s’ajoute, dans le cas qui nous intéresse, le secret militaire) qui nous baisent, nous baiseront, qui nous ont toujours baisés. La vérité, c’est que l’État nationaliste et guerrier s’est mis entre les pattes des industriels de la force de frappe et que ceux-là lui dictent une politique énergétique ruineuse qui servira leurs intérêts au détriment de l’intérêt collectif. La vérité, c’est sans doute que le programme nucléaire « pacifique », monstrueux pari sur l’avenir génétique de l’espèce humaine, n’est même pas défendable du simple point de vue économique. La vérité, c’est que la croissance économique infinie, impératif de survie pour les intérêts nationaux ou privés, signe l’arrêt de mort d’un monde fini. La vérité, c’est que la technostructure ne peut pas échapper à sa logique interne qui lui impose de persévérer dans son être par la surenchère perpétuelle, que cette logique la conduit au suicide et nous avec et qu’elle s’en fout parce qu’elle n’a pas de tête mais nous, Bon Dieu ! on en a une de tête, du moins j’en ai une, mais toi aussi, allons fais pas le modeste.
Le pire des pièges à cons, celui dont nous crèverons tous, est l’impérialisme de la pensée abstraite. Il est vrai que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, cela n’entraîne pas que ce qui se conçoit bien soit plus juste que ce qui se découvre et se conçoit encore mal. Vos maîtres à penser, jeunes gens, ont cent ans, cent cinquante ans, ou plus. Ils dissèquent avec une admirable lucidité la réalité morte qui fut celle de leur jeunesse. Pendant ce temps la réalité vive, celle de votre jeunesse à vous, vous échappe mais vous entraine, vous couillonne et vous tue. Dans le foutoir du devenir il est plus facile d’être clair que d’être juste.
La critique violente de la civilisation industrielle est le fait seulement d’une minorité turbulente. Tout l’effort des médias a consisté, dès le départ, à donner de « la pollution » une image littéraire, relative et qui n’engage pas. La rubrique environnement des journaux mondains, c’est un supplément à la rubrique spectacles. Pour le défoulement des inadaptés : des intellectuels, des poètes, des femmes. Comme tout ce qui est réel, ça doit rester contenu dans les marges d’une société qui braque ses projecteurs sur l’irréalité totale des rapports de forces électoraux, sociaux, économiques, politiques ou militaires.
Il reste que ce fameux rapport du M.I.T. fait beaucoup de bruit, qu’on se donne énormément de mal, de tous cotés, pour essayer d’en relativiser les conclusions, qu’on n’y parvient qu’en rivalisant de mauvaise foi, et que c’est donc une bonne arme, n’en déplaise aux gauchistes de l’écologie, qui ont hérité des gauchistes traditionnels une méfiance systématique envers toutes les formes d’efficacité (l’efficacité, c’est le compromis, et admettre le compromis c’est admettre que rien n’est simple). En essayant de comprendre quelque chose à une situation dont il ne peut s’extraire sans s’autodétruire, le capitalisme international s’est laissé prendre à son propre jeu. Cet ordinateur infaillible qui lui avait toujours donné raison, il l’a retourné contre lui. Maintenant, il tente d’expliquer que n’est-ce pas, l’ordinateur n’est qu’une machine et les chiffres qu’il traite, ben, on peut leur faire dire ce qu’on veut. Ce faisant, il sape les bases idéologiques de son pouvoir. Il s’enfonce. Il perd tout crédit. La gaffe a été faite, elle est pas réparable. Le rapport du M.I.T démontre très bien que pour amener les pays du tiers monde au niveau de vie occidental (théoriquement nécessaire pour que la natalité s’effondre d’elle-même) il faudrait polluer la planète au point d’y détruire toute vie, et que d’ailleurs c’est impossible puisque les trois quarts des ressources indispensables à cette croissance sont déjà monopolisés par le monde riche.

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L’élan communautaire
En détruisant les liens organiques qui nous unissaient aux autres hommes et à la nature, c’est-à-dire aux autres êtres, aux autres objets, aux autres sujets, la société industrielle (capitaliste si vous préférez) a fait de nous des individus atomisés, encadrés, et collectivement irresponsables. Aucune possibilité, dans ces conditions, d’échapper aux enchainements qui conduisent à la catastrophe.
Nous ne pouvons pas lutter contre ce système en restant actionnaires de ce système.
La communauté, c’est pas l’avènement automatique d’un monde plus juste et plus fraternel. C’est briser le carcan.
C’est reconstituer les liens organiques servant de base à une société qui, sans eux, se raidit et se renforce artificiellement parce qu’elle se décompose. Et des liens organiques, c’est pas avec des aprioris idéologiques ou moraux que ça se reconstitue. Faut voir comment la vie fonctionne, ou fonctionnait, et remonter le courant sans se perdre en route (soi et ses acquis). Sinon, l’on est rien d’autre que le terme ultime de la décomposition.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, sans doute, les problèmes qui se posent à la société sont des problèmes de survie, et cette société n’est pas plus mûre que les précédentes pour les affronter. Dans ces conditions la révolution n’est plus un luxe, c’est une nécessité. Ce n’est plus la société seule qu’il faut réformer, c’est le tout de la civilisation. La révolution désormais nécessaire est d’un type entièrement nouveau. Elle n’a de chance d’être non violente que si elle est totale.
« Dites-moi que nous allons être heureux tous ensemble, je fuis immédiatement du côté où j’ai des chances de pouvoir m’occuper moi-même de mon bonheur personnel », Giono en 1939.
Y’a rien de plus urgent que de prendre du champ, que de faire voir aux gens qu’on peut se libérer des enchainements matériels, intellectuels, dont on nous rabâche qu’ils sont inéluctables, irréversibles. Y’a pas de fatalité. Faut montrer qu’on peut refuser, pour prouver que c’est possible. Si je râle après les communautaires c’est qu’ils sont par irréalisme et par vertige absolu, en train de prouver le contraire, c’est parce qu’ils trimbalent avec eux, à l’envers ou à l’endroit, les schémas intellectuels labyrinthiques dont ils voulaient sortir, exactement comme le résident secondaire transporte à la campagne, malgré lui, sans le savoir, le cadre urbain auquel il voulait échapper. Incapables d’aller jusqu’au bout, de se colleter avec le réel en jouant le jeu, en faisant table rase de tous les rêves, de toutes les idées, de tous les livres. « Ne pas tomber dans le pièges à cons des idéologies », dit la petite Nicole. Qu’est-ce qu’elle a raison. Mais elle tombe dans le piège à cons du moralisme, qui est pire.
Je sais bien que tout ça finira par sortir du folklore et du sectarisme groupusculaire, qu’en s’étendant le mouvement sera bien obligé d’en venir au réalisme, mais en attendant petits cons, par votre faute, qu’est-ce qu’on perd comme temps ! Et du temps à perdre, y’en a pas de trop.
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À votre santé
Si vous ne voulez pas vous emmerder en faisant bénéficier vos mômes d’une hygiène intelligente qui renforcera leurs immunités naturelles, si vous aimez mieux persévérer dans l’empirisme et la coutume, alors faites-les vacciner, par exemple : contre 50 % de chances de leur filer une déficience ou une maladie chronique peu visible et 100% de chances d’affaiblir globalement l’espèce en quelques générations, vous obtenez peut-être bien, chipotons pas, 90% d’immunité artificielle à des maladies infectieuses répertoriées contre lesquelles la médecine moderne ne sait lutter qu’en sapant le terrain avec des toxiques et qui ne sont pourtant que des processus naturels de retour à un métabolisme normal. La société ne sait que réprimer, mais l’habitude de considérer la répression comme un remède s’inscrit beaucoup plus profond qu’on ne croit. Dans les comportements, les modes de pensée les plus anodins, les moins suspects. C’est forcé.
Nationalisme, racisme, oppression sexuelle, oui c’est encore là, et un peu là. Et probablement même que ça le sera toujours, sous une forme ou sous une autre (avec des fondements « naturels » sur lesquels on n’a pas fini de se casser les dents, tant qu’on ne voudra pas faire aux exigences de la nature leur place et leur part) mais tout de même laissez-moi, ah ! Laissez-moi rigoler. Vous vous excitez sur le cadavre de la fameuse « civilisation judéo-chrétienne », y’a longtemps qu’il bouge plus, il pourrit. On pourrit avec, et ça fait vivre un tas d’asticots. Provocation-bidon, baise couillons. On croit qu’on fout la merde, on est la merde. Entassements, stress, rupture des rythmes biologiques, dérèglements des échanges électro-magnétiques, carences nutritionnelles et cocktails d’intoxications à n’en plus finir, résultat : 80% d’impuissants partiels. Et qui réclament le droit au plaisir et la libre disposition de leur corps, sur un sol bitume, entre quatre murs de béton ! Mime, pantomime, symboles. J’ai eu l’occase de causer avec un expert ès communautés qui fait pas mal de dupes dans un milieu où, il est vrai, les jobards abondent. Il recrutait. Il parait qu’il étouffe, le mec, dans cette civilisation judéo-chretienne oppressive qui fait tout pour nous emmerder. Encore un qui voulait changer les rapports entre les êtres en s’attaquant au mythe de base : le couple. Paraît que tous nos problèmes viennent de là. Le problème du couple, c’est le problème de base. Il développait ses théories à table, tout en dégustant un dessert tout prêt y’a bon, ou je ne sais quel autre ersatz. Je lui ai dit que je voulais pas bosser avec un mec qui bouffe Prisunic, le mec qui bouffe Prisunic il a rien compris, et j’ai scandalisé mes potes qui écoutaient l’orateur et qui m’ont pris pour un « végétarien sectaire », la bouffe c’est important mais tout de même secondaire, c’est pas le problème de base. Eh bien les potes, la civilisation judéo-chrétienne, peut-être qu’elle vous a bien conditionnés mais je vois qu’elle continue. Dites-moi vous baisez aussi souvent que vous bouffez ? Et autour de quoi avez vous bâti vos mythes, pris vos plis, formé votre caractère, quel a été votre principal centre d’intérêt entre 0 et 5 ans, à l’âge où, disent les psychologues, tout se joue ? Baiser ou bouffer ? Et de quoi on meurt le plus vite, de pas baiser ou de pas bouffer ? Et de quoi on meurt le plus vite, de pas bouffer ou de pas respirer ? Apprendre à respirer, finalement, est-ce que c’est pas par là qu’il faudrait commencer ? Est-ce que ça serait pas ça le problème de base ? Si on change pas tout, on change rien. Si on veut tout changer, faut commencer par le commencement, par la base. La vraie.
Le meilleur exposé qu’il m’ait été donné de lire, de ce qu’est la « médecine naturiste », est dû à la plume positive et prosaïque d’un chirurgien qui débute ainsi : « Si l’homme n’était pas dévoré par son incurable prurit de philosopher dans l’abstrait, l’emploi des méthodes naturelles eût vite emporté son adhésion. Et s’il était capable d’être instruit par l’expérience, il eût tôt fait de concrétiser la théorie dans ses comportements journaliers. Il ne ferait ainsi qu’obéir à des lois d’une éblouissante évidence pour quiconque ne veut pas s’avancer avec un bandeau sur les yeux. »
On n’a pas les moyens de faire la guerre à la société de destruction. Mais la guérilla, oui. La grande résistance collective ne peut s’enraciner ailleurs que dans les petites résistances individuelles. Nous faites pas chier avec la « défense du cadre de vie ». La vie sort de tous les cadres et c’est la vie qu’il faut sauver. On n’organise pas la protestation collective de gens qui, individuellement, s’abandonnent. Cette protestation-là sera toujours récupérée. Libérez-vous, avant de prétendre libérer les autres.
Reste la définition du docteur Carton, premier codificateur du « naturisme » en France. Le « Naturisme enseigne que la vie normale et le progrès de l’humanité dépendent d’un ensemble de lois naturelles très précises qui concernent la conduite du corps, de la vitalité de l’esprit et de l’unité individuelle. Quand ces règles sont méconnues ou appliquées sans coordination, il se produit des troubles de fonctionnement, qui conduisent à la perte des immunités naturelles, c’est-à-dire aux maladies. Si, au contraire, elles sont suivies correctement et ensemble, la bonne santé et l’harmonie mentale règnent d’une façon permanente. Et, quand un individu est tombé malade, en dehors du retour à cet ensemble de lois naturelles qui suffit à tout rétablir, il n’existe que faux remèdes et guérisons illusoires. »

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Frénésie de la consommation
La « mécanique humaine » est pas prévue pour fonctionner sans arrêt. La « mécanique humaine » est pas une mécanique. Les mécaniques c’est parce qu’on en fabrique qu’il faut croire que ça existe. La « mécanique humaine » ne s’insère pas sans mal dans un monde mécanisé. La logique de la machine se substitue insidieusement à celle de l’homme qui fait semblant d’y croire, qui fait semblant de marcher, qui fait semblant de suivre, qui suit, tant bien que mal, à grands coups d’équanyl, de valium, de librum, poussé au cul. Y’a longtemps que c’est plus du tout de l’homme qu’il s’agit, de n’importe quel homme, même de celui qui est en haut, celui-ci aussi subit, se conforme à une finalité qui contrecarre les siennes beaucoup plus radicalement que ne le faisait l’antique fatalité naturelle, laquelle, d’ailleurs, n’a pas disparu, tire dans sa direction, ajoute de l’écartèlement. Tout le problème est de repousser l’échéance, l’éclatement, l’effondrement, un peu plus loin, encore un peu plus loin. Y’a toujours une chance de mourir avant. La science et la technique résolvent un tas de petits problèmes qui, finalement, n’étaient pas les nôtres car les nôtres étaient toujours plus vastes que nous ne les avions formulés. Mais les fausses solutions font naître chaque fois des problèmes neufs qui font boule de neige, chaque fois plus énormes, plus insolubles, plus impossibles, même à poser : indéfinissables.
Parait que le retour au village c’est une solution de fuite. La cigarette, la suralimentation, l’alcool, la drogue, les copains, les copines, le boulot, la « réussite », l’abrutissement, le jeu — le militantisme — c’est pas des solutions de fuites ?!
C’est là qu’est le scandale : dans le fait que la drogue, pour une fois, ne serve plus à s’adapter mais à se désadapter d’un monde invivable.
On n’a jamais vu une idéologie survivre à l’écroulement du système qu’elle justifiait, mais on n’a jamais vu des gens détruire un système sans s’attaquer d’abord à l’idéologie sur laquelle il se fonde.
Progrès, face à l’avant-garde des « passéistes », a été de gueuler au « mythe naturel ». Ça sert encore. Évidemment, cette « explication » psychanalytique renvoie aux propres hantises de qui l’exprime, au mythe inexprimé parce qu’inexprimable, puisque universel, de l’artificiel.
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Si vous le savez, c’est qu’on vous l’a dit
Rationalisme et scientisme
L’homme descend du singe et le singe descend de l’arbre, mais l’homme ne remontera pas sur l’arbre. Simiesque et cueilleur de fruits, devenu chasseur et carnivore, puis cultivateur et civilisé, il lui faut se démerder avec cette triple nature, donc expérimenter les formules de compromis et renoncer d’avance aux solutions parfaites.
Toute vérité partielle est une erreur. Tous ce que nous pouvons essayer de faire sans nous tromper, c’est vivre. Il y a trois manières de vivre, trois manières d’appréhender une vérité globale, la nôtre, dont les mots ne rendent compte que du tiers relatif à leur domaine. Trois manières, l’intellectuelle, la sensible et la pratique, de chercher la vérité, mais une manière de la trouver, qui est la conjonction des trois. C’est pas facile et c’est pas assez séduisant parce que nous sommes tous, par tempérament, par éducation ou par réaction, portés à privilégier l’une des trois, au dépens des deux autres. Parce que nous sommes aussi et surtout conditionnés par une civilisation fourvoyée qui crève de s’être basée tout entière sur l’exercice de l’intellect et de l’intellect seul, au mépris de ce qui s’éprouve et se ressent. C’est pas facile mais faut se forcer.
Les civilisations évoluent à travers les mêmes phases successives que les individus. Le rationalisme on en est tous passés par là, à part ceux qui ne l’atteindront jamais, qui resteront toujours des petizenfants, l’immense majorité, peut-être, hélas, tant pis. Toutefois le rationalisme n’est qu’une étape psychologique, presque biologique, une étape post-pubertaire qu’il faut atteindre, franchir, dépasser. Les problèmes qui se posent aujourd’hui ne sont pas de ce que peut résoudre une civilisation adolescente, faut cesser de foncer, sans cesse, d’une certitude à son contraire et inversement.
Préparer la révolution, aujourd’hui – la faire aujourd’hui même – c’est réduire dès aujourd’hui la distance qui sépare l’utopie de la réalité. Il s’agit pas de fuir le réel pour se réfugier dans une utopie rêvée mais, au contraire, de réaliser une Utopie vécue – de vivre l’utopie sans se couper le retour du réel tel qu’il est, présentement, pour la plupart des gens.
Le prestige du scientifique est tel qu’il lui interdit de dialoguer publiquement avec les gens qui n’ont pas son niveau de connaissances. Voila comment des spécialistes compétents deviennent incompétents par incapacité de sortir de leur domaine. D’où une irresponsabilité collective désastreuse. Quand j’entends le mot « spécialiste », je sors mon revolver, si le spécialiste est « éminent », je tire.
Encore une citation : « Un certain esprit scientifique n’est pas moins étroit que l’esprit religieux. L’erreur fait peau neuve, simplement. Elle était fétichisme, elle deviens idolâtre. » (Victor Hugo)
Encore une : « Je croyais qu’un savant c’était toujours un homme qui cherche une vérité, alors que c’est souvent un homme qui vise une place. » (Jean Rostand)
Juxtaposition pas fortuite. Une coalition d’intérêt s’appuie toujours sur une idéologie, implicite ou explicite, formulée ou diffuse ; une idéologie qui s’institutionnalise recouvre et protège toujours une coalition d’intérêts.
Quand on croit très fort à la cohérence, on arrive toujours à la voir où elle n’est pas. Le besoin éperdu, religieux, humain, de prouver qu’aucune contradiction n’est irréductible pour qui possède un cerveau en état de marche, c’est le premier degré de la mégalomanie. Dieu dégringolé de son trône, on s’assied à sa place, on se le fout dans la caboche. L’absolu est là, rassurant, grisant, domestiqué, réduit en truc qu’on fait marcher. Je préfère mille fois un curé à un rationaliste assoiffé de certitudes négatives et dévoré de volonté de puissance. L’absolu à ras le sol, à ras de tête, à ras de révolution ou à ras d’éprouvette, j’en ai absolument la trouille. L’homme est éternellement écartelé, par la trouille de mourir, entre le désir de comprendre, qui le rend intelligent, et le désir d’avoir compris, qui le rend bête. Le refus d’avoir compris, c’est par là que la liberté commence. Commencerait si, en posant la Liberté comme un absolu, on ne se faisait encore baiser.
Ce qu’il y a de plus profond, de plus irréductible et de plus pervers en l’homme, c’est le besoin compensatoire de rêve métaphysique. Tout part toujours de là. Croyez pas que l’homme se tue à la tâche pour du fric, même s’il le croit. Derrière le fric, il y a quelque chose qui le dépasse immensément, et c’est là trouille de la mort. Toutes les métaphysiques sont des opiums, des pièges à cons, et les métaphysiques inversées sont les pires. Les métaphysiques me font chier toutes. Tant que je suis vivant, bien vivant, le « néant », rien à foutre.
La connaissance scientifique (rationnelle, etc.) repose depuis Aristote dans notre civilisation occidentale sur « l’identité, qui assure la permanence en niant le devenir, l’analogie, qui assure la généralité en niant la singularité, et la quantité, qui assure la mesure on niant la différence. » Ces trois opérations résultent de l’introduction de l’unité, de la marque, du signe et ça s’appelle la logique, qui permet la domination sur l’objet. Tu vois qu’on est en plein dans nos préoccupations : on nous a appris depuis des siècles à nier de plus en plus ce qu’on appelle l’événement : ce qui est en devenir, singulier et toujours différent, la vie, quoi ! Moi, je suis un foutu intellectuel et j’ai besoin de ça, faut que je comprenne (même si Foucault c’est pas ça qu’il a voulu dire, tant pis pour lui) et grâce à ses élucubrations philosophiques je comprends mieux et je sens mieux, quotidiennement, qu’est-ce que c’est la vie et surtout comment il faudrait que ce soit et tout ce qu’il faut renverser, littéralement, pour que notre vie, la mienne, celle de Madame Michu, de l’épicier, redevienne quelque chose de plein, de bien réel et vécu.
Une certaine méthodologie scientifique oriente le développement technique actuel. Ce développement technique détermine tous nos modes d’activité. Nos modes d’activités conditionnent tous nos modes de pensée. Nos modes de pensée fondent toutes nos valeurs admises. On comprend qu’il y ait des résistances. Y’a pourtant pas d’autre moyen d’en sortir.
« Le trait commun entre les USA, l’URSS la Chine c’est l’idéologie : l’idéologie scientiste, qui sous-tend toutes les autres. Et c’est contre ça que la révolution se fera. » Alexandre Grothendieck.
La civilisation industrielle est bâtie sur, rendue possible par l’énorme hiatus qui existe entre les sciences de la matière inerte et les sciences de la matière vivante. La philosophie de la transformation physique et chimique règne, la philosophie de la compréhension biologique, de l’amour et du respect de la matière ne fait que sourdre encore, et déjà il est trop tard.
C’est chez les biologistes qu’on trouve le plus de révolutionnaires authentiques, je veux dire contemporains. Les types ont le nez dans la merde et dans les contradictions les plus fondamentales, avec consigne de ne rien voir. Ceux qui sont honnêtes, à ce régime, deviennent enragés.
On ne change pas la Société sans changer la Vie, mais on ne change pas la vie sans changer la société. On ne change pas la Vie sans changer sa vie, mais on ne change pas la Société sans changer sa propre position dans la société. On ne change pas la Société sans changer de mode de vie, mais on ne change pas de mode de vie sans changer la Société. Et ainsi de suite. Tournez ça dans tous les sens, le résumé reste le même : par ce que tout se tient, n’importe quelle petite réforme globale vaut mieux que n’importe quelle grande réforme fragmentaire. L’une est féconde l’autre se contente de déplacer les pions.
Et si la première évidence à remettre en cause c’était ça : ce besoin d’un système, d’une théorie, d’une philosophie préalable ?
C’est la vie qu’il faut comprendre. Mais comprendre c’est aimer. Qu’il faut aimer. Mais aimer c’est vivre. Qu’il faut vivre. La vie est un donné expérimental, et qui s’expérimente hors des laboratoires. À la différence des systèmes, la vie est incompréhensible. Mais, à la différence des systèmes, elle peut être vécue.
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Changer notre relation au réel
Toutes les valeurs se fondant sur la liberté, quand un domaine est considéré comme le seul ou la liberté puisse s’exercer, il devient aussi le domaine exclusif des valeurs de ce que ce qui va avec la morale. Osez le dévaloriser devient une infamie, qui permet de soupçonner toutes les autres. Quand j’explique patiemment à des types, comme à vous aujourd’hui, qu’il faut tout revoir en commençant par le commencement : physique, puis biologie, puis psychologie et sociologie enfin, ils me suivent jusqu’au moment où ils s’aperçoivent que je place le problème social à la fin, et ils s’écrient, indignés, mais oui, indignés, et c’est normal : « Tu prends le problème à l’envers ! » C’est exact. Je le prends à l’envers d’eux. C’est à dire, pour moi, à l’endroit.
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Posez-vous des questions
Le fameux débat sur l’être et l’avoir, lui encore, se borne à une opposition stérile entre deux dimensions. Il conduit de ce fait à toutes les fausses solutions du mysticisme de pacotille, du pied par la drogue et de l’amour universel s’effilochant en passivité narcissique et larvaire. Être, c’est aimer et sentir. Avoir, c’est décrire et connaitre. Il manque la troisième dimension, celle du faire : de la transformation active du monde par la technique et la science. Qu’elle soit devenue aujourd’hui envahissante n’autorise pas – au contraire – à en faire abstraction.
Le fond du problème est là, justement : nous nous sommes laissés enfermer dans la logique à deux pôles, dans la logique répétitive et gâteuse de l’ordinateur qui interdit toute relation réelle parce que toute relation réelle est ouverte : il y a les deux termes et ce qui les relie, qui est l’évolution, la dynamique : la Vie. On peut évidemment (et pourquoi pas) donner à la vie un autre nom. Certains l’appellent Dieu, libre à eux. Je n’en suis pas, mais suis pas de ceux que ça dérange. Et qu’il y en ait que ça hérisse, je l’admets aussi, très bien.
Ce qui est sûr, c’est que le problème de la survie n’est pas politique (n’est pas, veux-je dire, seulement politique, n’en déplaise à ceux qui font de la politique une mystique). Il va beaucoup plus loin que ça. C’est le problème de la relation de l’homme au réel. C’est un problème religieux (du latin ligere : relier). Une religion est un système de relation de l’homme à la nature, et par suite de l’homme à l’homme. Elle n’implique pas forcément l’existence de Dieu (problème propre à l’univers mental judéo-chrétien) ni celle d’une église. Toute grande révolution (89) est un changement de religion. Nous vivons sur l’héritage religieux de 89. Le culte du Progrès est une religion messianique et fataliste, basée sur des dogmes métaphysiques, entretenue par une église qui a, comme celle du Moyen Âge, les monopoles de l’éducation et de la santé publique, plus beaucoup d’autres que l’église médiévale n’avait pas. Et si chacun doit rester libre de choisir sa foi, ou de n’en choisir aucune, il ne reste pas moins que la société dans son ensemble doit aujourd’hui changer la base même de ses comportements suicidaires – changer son mode de relation au réel – changer de religion.
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La révolution écologique
L’irruption du fait écologique dans notre champ de conscience signifie d’abord la fin de l’anthropocentrisme, et par voie de conséquence, la fin d’un certain ratiocentrisme cartésien : le je pense donc je suis figurant au centre du monde, comme seule réalité indubitable, avec tout le reste autour et s’y rapportant. D’où la mécanisation de l’univers, figurée puis effective, conformément à nos seules structures intellectuelles. Cette remise en question devra se faire mais ne l’est pas encore. C’est aux plus intellectualisés qu’elle posera le plus de problèmes. Tel scientifique a déjà compris, et le proclame, que l’humanité ne survivra qu’en changeant de buts, en abolissant la société de gaspillage et de surenchère. Il se croit révolutionnaire et ne l’est pas. La découverte d’un nouveau but doit entraîner celle de nouveau moyens. Cette révolution-là ne se fera pas sur des barricades. Avant d’être révolutionnaire il faut être subversif.
Il va de soi qu’ « écologique » s’entend au sens le plus large du terme. Ce n’est pas le « problème de l’environnement » qui nous intéresse, ce sont les extraordinaires possibilités de révolution enfin globale, radicale et fondamentale que fait entrevoir l’absolue nécessité de le résoudre.
La contestation de type proprement politique ne nous paraît plus pouvoir déboucher que sur des impasses. Il faut s’opposer aux bases mêmes du système, qui sont économiques. On ne peut plus changer la société sans, d’abord, changer la vie. Nous subissons les ultimes développements logiques d’un capitalisme devenu, non plus seulement international mais planétaire. La société capitaliste, c’est la civilisation industrielle elle-même. Elle ne se contente plus de nous exploiter, elle nous détruit. Une seule issue : la révolte. La défense de l’environnement (nous préférerions dire comme les « provos » hollandais : la réconciliation de la Nature et de la Culture) est devenue le problème n°1. La prise de conscience écologique ne débouche pas sur des réformes, des palliatifs, des rafistolages, comme on voudrait nous le faire croire en haut lieu, mais sur une révolution, seule capable d’imposer le passage inéluctable d’une économie de croissance et d’exploitation à une économie d’équilibre et de partage.
Notre sympathie pour le mouvement « hippie » ne nous empêche pas de penser que la solution n’est pas dans une marginalisation des individus conscients, mais dans une sensibilisation des masses, qui débouchera un jour ou l’autre, sur leur mobilisation. Nous pensons que cette mobilisation est possible, sinon dans l’immédiat, du moins dans un futur assez proche pour qu’il faille, dès maintenant, le prévoir et le préparer. Notre obsession : nous faire comprendre de Monsieur Tout-le-monde, lui faire comprendre qu’il ne sauvera sa peau que si le monde change. Aucun mouvement révolutionnaire n’a jamais disposé d’un argument pareil.
La révolution n’est plus possible par l’émeute dans la pétaudière des villes où le flic, par la force des choses, devient le seul intermédiaire possible entre la machine et l’homme, et vous l’alibi dont il a besoin, comme l’anar poseur de bombes au début du siècle. C’est plus dans le piège à cons des usines, c’est dans les campagnes déjà qu’on peut le mieux bosser, changer quelque chose. Les villes sont condamnées, les citadins foutus, sortez des villes. C’est seulement dans les villes quadrillées par le pouvoir qu’on peut prendre un pouvoir dont on a plus rien à foutre, et s’y laisser prendre. Faut pas prendre le pouvoir ni le contrer, faut le narguer. Ce sont des structures de non-pouvoir qu’il faut mettre en place. Et c’est au dehors des villes, en marge du pouvoir, que changera la vie, que se fondera, avant de tout envahir, la révolution existentielle, la révolution non-violente, libératrice et fraternelle. La crise écologique c’est bien autre chose que « la pollution », problème marginal appelant des solutions appropriées (croit-on), c’est la soudaine et brutale révélation de l’échec de la raison. La civilisation technologique s’en remettra pas. La raison ne pouvait constituer, à elle seule, ni un moyen ni un but, c’est à dire qu’elle ne pouvait fournir de base matérielle ni spirituelle viable. Y’a plus de base ! Tout le monde est paumé. Parce que « plus de base » évidemment ça veut dire : pas plus de base pour les « révolutionnaires » que pour les « conservateurs ». Ils sont aussi réacs les uns que les autres. Pas plus, pas moins. La vie (pour nous êtres humains) c’est la fusion du sentiment de la raison dans l’expérience individuelle (laquelle n’annule pas mais englobe l’expérience de laboratoire c’est-à-dire l’expérience dans les limites de la raison). Conséquences, auxquelles je fonce directo, en sautant allègrement par-dessus les cheminements logiques qui rendraient mes propos moins sibyllins peut-être : fin du distinguo théorie-pratique, intégration de la compréhension, de la contemplation et de l’action dans la vie, substitution de la vie à « l’action », fin des philosophies spéculatives, promotion des philosophies opérationnelles, bref : fin des actions collectives dans lesquelles chacun n’engage qu’une part de soi, donc fin des meneurs : fin des théories, donc fin des théoriciens ; fin des spéculations, donc fin des prophètes.
Pendant qu’on nous amuse avec des guerres et des révolutions qui s’engendrent les unes les autres en répétant toujours la même chose, l’homme est en train, à force d’exploitation technologique incontrôlée, de rendre la terre inhabitable, non seulement pour lui mais pour toutes les formes de vies supérieures qui s’étaient jusqu’alors accommodées de sa présence. Le paradis concentrationnaire qui s’esquisse et que nous promettent ces cons de technocrates ne verra jamais le jour parce que leur ignorance et leur mépris des contingences biologiques le tueront dans l’œuf. La seule vraie question qui se pose n’est pas de savoir s’il sera supportable une fois né mais si, oui ou non, son avortement provoquera notre mort.
Depuis 2 000 ans, la première vraie révolution, toutes les autres en découlent, s’est produite quand l’irruption du phénomène scientifique a provoqué la partition de l’homme et de la nature en substituant, à une relation de fils à mère, une relation de sujet à objet. La deuxième commence sous nos yeux : de plus en plus nombreux sont ceux qui embrayent sur le réel tel qu’il est, et se servent de la lutte anti-pollution comme du seul levier révolutionnaire accessible aujourd’hui.
On ne change rien si l’on ne change pas tout. Et c’est bien parce qu’il va falloir à toute force changer ce rien, au regard myope des intellectuels coupeurs de mots en quatre, ce rien, cette paille qu’est votre attitude agressive et négative vis-à-vis de tout ce qui nous entoure et vis-à-vis de nous-mêmes (car tout se tient), c’est bien pour cela que tout va changer. Je n’ai jamais prôné le retour pur et simple à la matrice, j’ai demandé que ce retour inévitable qui précède des catastrophes, ne se fasse pas sous la pression de catastrophes, ne nous soit pas imposé, ne se traduise pas, de ce fait, par une régression ; qu’il n’entraîne pas, par force, la perte de nos acquis, ni n’en découle, mais qu’il soit voulu et conscient ; qu’il s’effectue, pendant que c’est encore possible, au niveau supérieur de conscience, qui est ou pourrait être le nôtre. Il ne s’agit pas de renoncer à s’affranchir des fatalités naturelles, mais de prendre enfin conscience de ce que nous ne nous en sommes pas affranchis, de ce que le seul moyen de nous en affranchir est de les dépasser par la connaissance et de que cette connaissance nous appartient à tous, appartient, de droit, à chacun de nous.
Révolution globale, ça veut dire en réalité, révolution FONDAMENTALE parce que c’est sur le fond que s’opère la synthèse sans quoi la globalité reste inaccessible.
Dans une civilisation qui met l’essentiel en marge, le marginalisme est parfois le plus court chemin vers les aspirations du plus grand nombre.
Loin d’occulter le problème social, le problème écologique nous fourre le nez dedans. Simplement, il lui fournit le cadre hors duquel toute recherche de solution ne pourrait être que fantaisiste.
Les sondages, les meetings ça ne peut servir qu’à faire la guerre. On ne fait pas plus la paix avec ça qu’avec des mitraillettes. L’idée de paix, creuse abstraction plaquée sur la trame d’une civilisation belliciste par essence, recèle exactement la même charge d’inévitable agressivité dynamique pure, par exemple, que l’idée du progrès, autre creuse abstraction, simple justification d’un dogme absurde de la croissance économique exponentielle, de l’équilibre acquis par l’enflure indéfinie du pouvoir, du nombre, des besoins, des satisfactions, des insatisfactions, des obligations et des conflits. Tant qu’on ne changera pas radicalement, c’est-à-dire en allant plus loin que « le social », les bases d’une société qui fait de l’agressivité le principe du progrès, et qui ne définit le progrès qu’en termes de quantité, l’état de guerre restera ce qu’il est : le seul moyen de résoudre quand même les conflits économiques qu’on ne peut résoudre en état de paix. Faut savoir ce qu’on veut. Si l’on accepte que la paix soit relative, soit une guerre larvée, faut accepter l’éventualité de l’état de guerre comme crise évolutive et normative inévitable entre deux états de paix relative.
La paix, c’est toutes les cinq minutes qu’il faut la faire. Si vous avez pigé ça (si vous êtes aussi loin que moi d’avoir vraiment pigé) et si un type vous frappe sur la joue gauche, foutez‑y un grand coup de tatane quelque part, ça vaudra mieux pour vous, pour lui, pour tout le monde.
Les finalités réelles de la société industrielle sont totalement irrationnelles et l’industrie de la guerre ne fait que rendre plus évidente encore cette irrationalité fondamentale. Cette démonstration que les faits sont en train de nous fournir, de l’irrationalité fondamentale du positivisme, est évidemment très emmerdante pour les marxistes puisque le marxisme n’est qu’un des multiples développements du positivisme ; qu’une des multiples manières de croire que les faits sont contenus tout entiers dans la mesure qu’on peut en faire et la définition qu’on peut en donner.
La société doit cesser d’être organisée pour devenir organique, s’affranchir des modèles mathématiques pour se calquer sur des modèles biologiques. Ceci n’implique pas l’abandon de l’optique scientifique, mais son dépassement ; n’implique pas le renoncement à la réflexion, ni à l’expérimentation, mais leur approfondissement. Ce retour conscient à la nature est tout le contraire de « naturel ». Il va même exactement en sens inverse des tendances les plus « naturelles ».
Le quoi faire ne gène personne ? La question n’est pas : quoi faire ? Mais : comment faire ? C’est le comment faire qui est révolutionnaire. Il faut :
Foutre le camp, mais pour mieux revenir.
Faire la grève, mais pour tout investir.
Mettre en route dès aujourd’hui, « now ! », la subversion par le mode de vie.
Appliquer, rechercher et faire connaitre des techniques de boycott, des techniques de substitution, des techniques de survie, des techniques de retour au primordial et au vital.
Partir de la réforme individuelle et la faire déboucher sur la réforme collective, appelez-la révolution, en reconstituant le lien organique des petites collectivités naturelles que la centralisation a détruites.
Mettre en place et développer des structures, des moyens, des méthodes de non-fric, non-consommation, non-production, non-dépendance, non-obéissance.
Tout ça c’est moi qui le rajoute, mais je relis et je signe. « Do it »

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Survivre
Le désastre écologique qui guette toute la terre est en même temps une force politique immense. Le tout est de savoir la réveiller, cette force. La canaliser avant qu’elle ne se déchaîne dans le vent de panique de grandes catastrophes. Cette force qui est dans la conscience nette du danger de mort, elle peut être le moteur puissant qui va pousser les hommes à s’atteler un peu aux transformations qu’il faut.
Et c’est une chance terrible, somme toute, que la survie ne soit pas possible « en transformant » notre société un peu plus encore en une cage à lapin de ciment et plastique, en nous échinant encore un peu plus devant des automates toujours plus gros et plus cons, pour produire de la camelote toujours aussi laide, aussi superflue et vite démodée, qu’ira s’accumuler sur des montagnes d’ordures toujours plus hautes partout où on ira. Ni en continuant à améliorer nos fusées à têtes multiples, en nous tapant dessus à coup de mitraillettes, de défoliants, de napalm et de fusées, pour nous arracher les uns les autres les derniers lambeaux de matières premières qu’ont pas encore été transformées en puantes ordures. C’est heureux que ce soye comme ça, et la crise de notre fin de millénaire, de notre fin du quatrième milliards d’années pour mieux dire, si on n’y laisse pas la peau, ce sera alors notre chance d’arriver enfin à vivre comme des hommes. L’Écologie elle va nous y obliger à coups de pied dans le cul – des coups de pieds si violents qu’on ne sera pas prêt de les oublier, s’ils nous cassent pas les reins aussi secs. La leçon qu’elle va nous enseigner, l’Écologie, elle va pas être rose, vous faites pas d’illusion, et qu’elle soye utile ça dépendra que de nous : vivez comme des hommes, ou au moins pas plus mal que les animaux, mille fois moins idiots et moins carnes que vous, ou bien crevez tous.
L’humanité a le choix entre la révolution, ou sa disparition. Et la révolution, faudra la faire en utilisant l’Écologie comme un levier, et comme une fin. L’un et l’autre.
Cela dit, le choix d’un révolutionnaire lucide me semble assez clair.
C’est le nôtre.
« La doctrine tue la vie », disait Bakounine. La révolution écologique étant une révolte de l’instinct vital, les doctrinaires seront les derniers à en comprendre l’urgence, le sens et la portée.
Y’a encore des mecs qu’ont pas compris que je suis indécrottable, et qui se donnaient la peine de m’écrire pour m’expliquer que la pollution (sic) c’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est selon. C’est l’amour. Ou la justice. Ou la liberté. Ou la Vie éternelle (dans ce monde ou l’autre). Ou la connaissance (celle que vous voudrez). Ou l’art. Ou le bonheur. Ou la Révolution (à chaque fois, on avance d’un cran dans l’absurde vous remarquerez).
Seulement, le primordial, tout le monde s’en fout parce que le primordial nous est imposé tandis que l’essentiel, lui, on le choisit (ou l’on s’imagine le choisir).
Ce qu’il y a de nouveau dans la situation présente, voyez vous, c’est l’irruption du primordial. La terre se dérobe sous nos pas, l’air échappe à nos poumons. Le souci du primordial s’impose à nous. Du coup, l’essentiel devient secondaire. La vie s’ordonne, ça plaît pas à tout le monde, ça plaît même à personne, selon SA logique (et non plus la nôtre) : un, le primordial, deux, si on a le temps, l’essentiel.
Eh bien, les potes, on a pris conscience d’être séparés du primordial et, du coup, le primordial est devenu le premier objet de nos choix, individuels et collectifs. Et ce primordial réévalué, pour la première fois, peut intégrer tous les essentiels sans contradiction. Le primordial est l’essentiel, pour la première fois depuis toujours peut-être, c’est la même chose.
Profitez-en.
Pierre Fournier