« Qui a tué l’écologie ? » ou Comment l’ONG-isation étouffe la résistance (par Fabrice Nicolino)

Texte tiré de la conclu­sion de l’ex­cellent livre de Fabrice Nico­li­no, Qui a tué l’é­co­lo­gie ? : WWF, Green­peace, Fon­da­tion Nico­las Hulot, France Nature Envi­ron­ne­ment en accu­sa­tion, publié le 16 mars 2011 aux édi­tions Les Liens qui libèrent.


Une conclu­sion ? Quelle conclu­sion ? Le livre est grand ouvert devant vous. Dans la meilleure des hypo­thèses, il est et sera une intro­duc­tion aux immenses com­bats qui nous attendent. Que se taisent les pleu­reuses ! Pour ma part, j’en ai assez des jéré­miades. Ou les équi­libres de la vie sur terre sont réel­le­ment mena­cés, et nous devons sans crainte abattre tout ce qui gêne la mobi­li­sa­tion géné­rale. Ou bien il ne s’agit que d’une absurde alerte qui dis­cré­dite à jamais ses auteurs. Ou, ou. En bon fran­çais, on appelle cela une alter­na­tive, c’est-à-dire le choix offert entre deux pos­si­bi­li­tés. Et il n’y en a pas trois. Pour ce qui me concerne, je pense et je suis même convain­cu que jamais l’aventure humaine, com­men­cée gros­siè­re­ment il y a deux mil­lions d’années, n’a connu un tel péril. Et la folie des asso­cia­tions dites éco­lo­gistes que j’ai étrillées ici dure­ment [prin­ci­pa­le­ment Green­peace, le WWF, FNE — France Nature Envi­ron­ne­ment, et la FNH — Fon­da­tion Nico­las Hulot, on pour­rait rajou­ter 350.org, qui n’exis­tait pas en France, à l’é­poque où le livre est sor­ti, mais qui est du même aca­bit, NdE], mais de manière argu­men­tée [si vous vou­lez en savoir plus, nous vous conseillons de vous pro­cu­rer cet excellent livre qu’est « Qui a tué l’é­co­lo­gie ? », NdE], c’est qu’elles tiennent offi­ciel­le­ment le même discours.

Leur bara­tin, car c’en est un, consiste à pleur­ni­cher chaque matin sur la des­truc­tion de la pla­nète, avant d’aller s’attabler le midi avec l’industrie, dont le rôle mor­ti­fère est cen­tral, puis d’aller conver­ser avec ces chefs poli­tiques impuis­sants, per­vers et mani­pu­la­teurs qui ne pensent qu’à leur car­rière avant de signer les auto­ri­sa­tions du désastre en cours.

On hésite devant le qua­li­fi­ca­tif. Misé­rable, minable, hon­teux, déri­soire, tra­gi­co­mique ? Qu’importe. Les éco­lo­gistes de salon ont failli pour de mul­tiples rai­sons, que j’ai essayé d’entrevoir dans ce livre. Cer­tains d’entre eux demeurent valeu­reux, et je ne doute pas de les croi­ser sur ma route, ni même de che­mi­ner de concert. Mais les struc­tures, en tout cas, sont mortes, et nul ne pour­ra les res­sus­ci­ter. Elles ont eu un sens il y a une qua­ran­taine d’années [nous ne sommes pas du tout d’ac­cord avec cette remarque, NdE], mais sont deve­nues des obs­tacles qui empêchent une nou­velle géné­ra­tion poli­tique et morale de conduire nos affaires les plus cruciales.

Je ne crois pas être — tou­jours — naïf. On ne pro­clame pas une nou­velle époque. Nul décret ne peut venir à bout des vieilles lunes exté­nuées. Le mou­ve­ment éco­lo­giste fran­çais, sous sa forme actuelle, doit dis­pa­raitre. Peut-être bien, au pas­sage, chan­ger de nom. Mais un tel mou­ve­ment des idées et des âmes ne se conçoit pas sans un sur­saut his­to­rique de la socié­té. Il fau­dra donc, s’ils se pro­duisent tou­te­fois, des trem­ble­ments de terre d’une vaste ampleur, capables d’enfouir ce qui est mort, et de lais­ser s’épanouir ce qui défend réel­le­ment la vie.

La jeu­nesse, non parce qu’elle serait plus maligne, mais pour la seule rai­son qu’elle est l’avenir, est la condi­tion sine qua non du renou­veau. Je n’ai aucun conseil à don­ner, je me contente de rêver d’une insur­rec­tion de l’esprit, qui met­trait sens des­sus des­sous les prio­ri­tés de notre monde malade. On ver­ra. Je ver­rai peut-être. Il va de soi que le livre que vous lisez sera vili­pen­dé, et je dois avouer que j’en suis satis­fait par avance. Ceux que je cri­tique si fon­da­men­ta­le­ment n’ont d’autre choix que de me trai­ter d’extrémiste, et de pré­pa­rer dis­crè­te­ment la cami­sole de force. Grand bien leur fasse dans leurs bureaux bien chauffés !

Moi, depuis tou­jours, je place mon enga­ge­ment du côté des gueux de ce monde en déroute. Chez les pay­sans pauvres d’Afrique ou de l’Inde, chez les min­gong — 200 mil­lions de vaga­bonds — chi­nois, chez les Inuits assom­més par le « pro­grès » en marche, chez les Indiens de l’Amazonie ou les autoch­tones des îles Anda­man. Autant vous avouer que je me fous roya­le­ment des états d’âme des petits mar­quis pari­siens de la galaxie éco­lo-mon­daine. La véri­té, cer­taine à mes yeux, est que ces gens ne sont pas à la hau­teur des évè­ne­ments. Ils ne sont pas les seuls. Ils ne sont pas les pre­miers. Ils risquent de ne pas être les derniers.

La tâche était trop lourde pour eux, très sim­ple­ment. Sau­ver la pla­nète, cela va bien si l’on mène le com­bat depuis les confor­tables arènes pari­siennes. Mais affron­ter le sys­tème indus­triel, mené par une oli­gar­chie plus inso­lente de ses pri­vi­lèges qu’aucune autre du pas­sé, c’est une autre affaire. Il fau­drait nom­mer l’adversaire, qui est sou­vent un enne­mi. Rap­pe­ler cette évi­dence que la socié­té mon­diale est stra­ti­fiée en classes sociales aux inté­rêts évi­dem­ment contra­dic­toires. Assu­mer la pers­pec­tive de l’affrontement. Admettre qu’aucun chan­ge­ment radi­cal n’a jamais réus­si par la dis­cus­sion et la per­sua­sion. Recon­naître la néces­si­té de com­bats immé­diats et sans rete­nue. Par exemple, et pour ne prendre que notre petit pays, empê­cher à toute force la construc­tion de l’aéroport nan­tais de Notre-Dame-des-Landes, pour­chas­ser sans relâche les pro­mo­teurs cri­mi­nels des dits bio­car­bu­rants, dénon­cer dès main­te­nant la pers­pec­tive d’une exploi­ta­tion mas­sive des gaz de schistes, qui sera pro­ba­ble­ment la grande bataille des pro­chaines années.

Mais en ce cas, bien sûr, il fau­drait aus­si accep­ter le retour de bâton de l’ordre en place. Ce qu’on appe­lait jadis la répres­sion, et qu’on ver­ra reve­nir, à n’en pas dou­ter [qui n’a sur­tout jamais ces­sé d’exis­ter, qui est un pré­re­quis néces­saire à la marche du « pro­grès », au déve­lop­pe­ment, NdE]. Il fau­drait enfin savoir ce que nous sommes prêts à ris­quer per­son­nel­le­ment pour enrayer la machine infer­nale. Et poser sans fré­mir la ques­tion du dan­ger, de la pri­son, du sacri­fice. Car nous en sommes là, n’en déplaise aux Bisou­nours qui vou­draient tel­le­ment que tout le monde s’embrasse à la manière de Folleville.

Au lieu de quoi la gran­diose pers­pec­tive de remettre le monde sur ses pieds se limite à trier ses ordures et éteindre la lumière der­rière soi. Les plus cou­ra­geux iront jusqu’à envoyer un mes­sage élec­tro­nique de pro­tes­ta­tion et faire du vélo trois fois par semaine, se nour­ris­sant bien enten­du de pro­duits bio. J’ai l’air de me moquer, mais pas de ceux qui croient agir pour le bien public. J’attaque en fait cette immense coa­li­tion du « déve­lop­pe­ment durable » qui a inté­rêt à faire croire à des fadaises. Car ce ne sont que de ter­ribles illu­sions. Il est grave, il est même cri­mi­nel d’entraîner des mil­lions de citoyens inquiets dans des voies sans issue.

Non, il n’est pas vrai qu’acheter des lampes à basse consom­ma­tion chan­ge­ra quoi que ce soit à l’état éco­lo­gique du monde. La machine broie et digère tous ces gestes hélas déri­soires, et conti­nue sa route. Pis, cela donne bonne conscience. Les plus rou­blards, comme au temps des indul­gences catho­liques, voyagent en avion d’un bout à l’autre de la terre autant qu’ils le sou­haitent, mais com­pensent leur émis­sion de car­bone en payant trois francs six sous cen­sés ser­vir à plan­ter quelques arbres ailleurs, loin des yeux. On ne fait pas de bar­rage contre l’océan Paci­fique, non plus qu’on ne vide­ra jamais la mer avec une cuiller à café. Les dimen­sions du drame exigent de tout autres mesures. Et il y a pire que de ne rien faire, qui est de faire sem­blant. Qui est de s’estimer quitte, d’atteindre à la bonne conscience, et de croire qu’on est sur la bonne voie, alors qu’on avance en aveugle vers le mur du fond de l’impasse. […]

Asi son las cosas, comme on dit avec fata­lisme sur les terres cas­tillanes. La vie est comme ça. Il faut l’accepter comme une réa­li­té, et la refu­ser comme une réa­li­té. Le Gre­nelle de l’environnement a été une opé­ra­tion poli­ti­cienne de bout en bout. Déso­lante, démo­ra­li­sante, absurde pour finir. Mais à quelque chose mal­heur est bon. Je gage que cette expé­rience mal­heu­reuse ne sera pas per­due pour tout le monde. Je pense, je crois, je vois que se pré­pare dans les recoins de notre modeste ter­ri­toire une relève qui devra être meilleure, plus com­ba­tive, beau­coup plus inso­lente et imaginative.

L’avenir n’est pas écrit. Mais il aura besoin pour vivre d’une révo­lu­tion morale et intel­lec­tuelle qui balaie­ra les formes anciennes. Nous avons tant besoin d’une renais­sance spi­ri­tuelle. Ce n’est qu’un début.

P.-S. : On aura remar­qué que je n’aborde pas la ques­tion de l’écologie poli­tique. Cela néces­si­te­rait un livre que je n’écrirai pas. Mais ma vision des Verts, fussent-ils rebap­ti­sés Europe Éco­lo­gie, est aus­si cri­tique que celle adres­sée aux asso­cia­tions. Queue de comète du mou­ve­ment de 1968, hédo­niste et petit-bour­geois, indif­fé­rent en fait aux peuples du Sud, ce par­ti n’a aucune chance de nous aider à affron­ter la crise éco­lo­gique pla­né­taire. Il contient certes de beaux com­bat­tants, de belles per­sonnes que je connais, appré­cie, et salue au pas­sage, mais la struc­ture n’est pas réfor­mable. Elle est d’ailleurs tenue, mais le mal est encore plus pro­fond, par des manœu­vriers cyniques, qui se moquent de la nature et de la vie sans même le dis­si­mu­ler. Europe Éco­lo­gie existe, mais dis­pa­raî­tra lorsque le mou­ve­ment réel du monde en aura déci­dé autre­ment. Disons que ce jour-là ne sera pas perdu.

Fabrice Nico­li­no

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  1. Qu’est-ce que ce bean’s ? Je pour­rais croire que vous ven­dez le livre de Nico­li­no, un mélange de vrai et de débilités.
    Un bon anar­chiste ne ferait pas cela. Il cra­che­rait sur ce ver­biage s’il avait à le lire en un temps rare de loisir.
    Fou­tez-nous ça aux archives. Qu’est-ce que viennent faire les ONG dans une affaire d’é­co­lo­gie ? Qu’est-ce qu’on en a à battre des cli­gno­teurs d’am­poules, des stu­dio-bikers et autres laveurs à sec, et sur­tout des groupes qui pensent pour les autres ?
    Lut­ter main­te­nant c’est quit­ter les villes, pro­duire peu en suant (peu si pos­sible aus­si) en accep­tant et ten­tant de contrer les fatales consé­quences des erreurs com­mises, se débar­ras­ser d’une culture imbé­cile qui-ne-mène-qu’à-pire.
    C’est nous les indi­vi­dus, les res­pon­sables. Nous savons que les ins­ti­tu­tions sont de la merde, que leur rôle est de nous conta­mi­ner et de nous faire pour­rir à notre tour. Nous avions la vie comme chal­lenge, nous avons main­te­nant la sur­vie comme objec­tif. Nous n’é­cou­tons plus notre corps depuis long­temps, d’ailleurs qu’est-ce qu’un corps à part un sexe ou un amas de cel­lules malades ?
    Il est bien brave Nico­li­no, avec ses ONG res­pon­sables. Et toi aus­si tu doubles le pot en publiant ces fadeurs qui dégoû­te­ront tout humain res­pon­sable. Tes lec­teurs ne sont pas des veaux.
    Qui vient ici, lire l’i­dée, l’al­truisme ou le récon­fort ? Ceux qui ont vio­lence dans leur coeur, ceux qui veulent l’im­pres­sion durable de leur vision dans la réa­li­té. Pas les indé­cis, les inca­pables, les sui­veurs et autres couillons.
    Un autre extrait eut été préférable.

    1. On ne s’a­dresse pas qu’à ceux qui savent déjà. Sinon on ne sert pas à grand-chose. Les ONGs détournent des vel­léi­tés qui auraient pu être très utiles par ailleurs. Les dénon­cer est plus que nécessaire.

  2. Certes, je com­prends qu’il faille dénon­cer. Mais bien qu’ad­mi­rant le tra­vail minu­tieux de Fabrice Nico­li­no, j’en­rage de consta­ter que les vrais res­pon­sables ne sont jamais poin­tés, je désigne ici ceux qui ont les clefs dans leurs mains : les popu­la­tions. Ces popu­la­tions qui dans leur immense majo­ri­té s’en foutent tota­le­ment, de l’é­co­lo­gie — et de bien d’autres choses encore. Pre­nons l’exemple de la viande bovine infecte qui bien­tôt risque d’en­va­hir nos étals. On fait tout un tapage sur cette his­toire, on montre des séna­teurs, des patrons, on divulgue leur hypo­cri­sie mais pas celle des consom­ma­teurs, qui s’ils étaient vrai­ment ou se sen­taient réel­le­ment concer­nés, lais­se­raient pour­rir cette bar­baque dans les hypers et se tour­ne­raient vers les bou­che­ries de quar­tier, de vil­lage, ou plus sim­ple­ment encore vers le monde paysan.
    Pour tous les domaines de l’é­co­lo­gie, c’est kif-kif. Les mes­sages d’a­lerte des­ti­nés aux naïfs (si j’ai bien com­pris ?) sont trans­mis par la tech­no­lo­gie papier son vidéo et numé­rique, ils empruntent donc le pire chemin.
    Je suis en rogne, déso­lé ; ça ira mieux demain 🙂

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