Critique de la planification écologique : à propos de la technocratie verte (par Tomjo)

Ci-après, un texte de Tom­jo, intro­duit par PMO, récu­pé­ré sur le site de PMO, à l’a­dresse sui­vante. Paru­tion ini­tiale : mars 2013.


C’était l’autre jour, sur la radio de « ser­vice public » (c’est-à-dire au ser­vice de la gauche et de ses orga­ni­sa­tions). Mar­tine Billard, co-pré­si­dente du Par­ti de Gauche, réagis­sait à la liqui­da­tion d’Arkema par son nou­veau pro­prié­taire amé­ri­cain : « On a besoin de PVC en France ! » Le PVC, vous savez ? Ce pro­duit can­cé­ro­gène qui bouffe le foie de ceux qui le fabriquent et intoxique ses consom­ma­teurs, au bout des tuyaux et des cana­li­sa­tions (voir Le can­cer de l’industrie) Mais bien sûr, du PVC fran­çais, natio­na­li­sé et pro­duit sous contrôle syn­di­cal, cela chan­ge­rait tout.

Au temps pour « l’écosocialisme » et « la lutte contre le pro­duc­ti­visme », les faux-fuyants éco­los de la gauche indus­trielle. Il ne s’agissait ni d’une bévue, ni d’un cas iso­lé. Par­mi une mul­ti­tude de pro­jets « éco­so­cia­listes » des­ti­nés au « redres­se­ment indus­triel », à la crois­sance et à l’emploi, Jean-Luc Mélen­chon, son Par­ti de Gauche et/ou son Front de gauche, défendent la can­di­da­ture d’Annecy aux Jeux olym­piques d’hiver, le TGV Lyon-Turin, le méga-canal Seine-Nord-Europe, la construc­tion d’Iter à Cada­rache et la colo­ni­sa­tion des fonds marins.

Cela méri­tait bien cette « Cri­tique de la pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique », contre ce leurre du Front de Gauche pour pêcher l’écolo écœu­ré de l’arrivisme des Verts et de leur pro­jet de capi­ta­lisme vert (tout est vert chez les Verts). Cette cri­tique figure à la suite de L’Enfer Vert. Un pro­jet pavé de bonnes inten­tions (édi­tion revue et cor­ri­gée), publiée le 15 avril 2013 aux Edi­tions L’Echappée (126 p., 9 euros).

C’est que le pro­jet Vert et le pro­jet Rouge se croisent dans la pla­ni­fi­ca­tion et la tech­no­lo­gie pour abou­tir à une « pla­nète intel­li­gente » (IBM). La mise en place d’un Etat d’urgence glo­bal, inner­vé par la cyber­né­tique. « Les limites néces­saires à la pré­ser­va­tion de la vie seront cal­cu­lées et pla­ni­fiées cen­tra­le­ment par des ingé­nieurs éco­lo­gistes, et la pro­duc­tion pro­gram­mée d’un milieu de vie opti­mal sera confiée à des ins­ti­tu­tions cen­tra­li­sées et à des tech­niques lourdes. C’est l’option tech­no­fas­ciste sur la voie de laquelle nous sommes déjà plus qu’à moi­tié enga­gés. » (André Gorz, Éco­lo­gie et Liber­té, 1977)

Nous y voi­ci. Tan­dis que la tech­no­cra­tie ver­dit, la ver­dure se tech­no­cra­tise. Le constat offi­ciel de l’effondrement éco­lo­gique et social pro­cla­mé à tous les éche­lons de l’autorité, du local au glo­bal, accé­lère la fusion entre la classe experte (scien­ti­fiques, ingé­nieurs, tech­ni­ciens) et la poli­tique éco­lo­giste (asso­cia­tions, par­tis, appa­reils). Fusion d’autant plus natu­relle que nombre d’écotechniciens incarnent ce double visage, à la fois Bac +5, CSP+, cadres urbains du public ou du pri­vé, et voraces pré­ten­dants à la direc­tion de ce Green New Deal, de ce capi­ta­lisme rever­di dont ils repré­sentent l’ultime chance. Ce qui est décrit ici, c’est l’ascension et l’extrémisme de l’écolo-technocratie, des années 1970 à nos jours. Des­truc­tion et arti­fi­cia­li­sa­tion des der­niers lam­beaux de nature, construc­tion de gigan­tesques infra­struc­tures, police élec­tro­nique et infor­ma­tique via les puces RFID.

L’auteur du livre, Tom­jo, rédac­teur au jour­nal lil­lois La Brique et ani­ma­teur du site Hors-sol, n’était pas né quand les plus lucides cri­tiques de l’écologie poli­tique nous met­taient en garde contre ce tech­no-fas­cisme vert à pois rouges, ou rouge à pois verts, dont il décrit aujourd’hui l’avènement.

Pièces et Main d’Oeuvre


Face à la Crise, les adver­saires de l’austérité et du libé­ra­lisme rabâchent les heu­reuses expé­riences des grands pro­grammes de pla­ni­fi­ca­tion éco­no­mique de relance. Depuis quelques années le New Deal (Nou­velle Donne en anglais) refait sur­face jusque dans un col­lec­tif nom­mé « Roo­se­velt 2012[1] ». On exhume le rap­port Beve­ridge anglais, le Plan Mar­shall, le Com­mis­sa­riat Géné­ral au Plan.

Ces espé­rances de relance pro­duc­tive s’accompagnent néan­moins d’une feinte prise en compte des limites éco­lo­giques de la pla­nète. « Le futur pacte de crois­sance euro­péen doit être “vert”[2] » tré­pignent les euro­dé­pu­tés éco­lo­gistes. En 2009, l’OCDE (Orga­ni­sa­tion de coopé­ra­tion et de déve­lop­pe­ment éco­no­mique) publie son « Cadre de la stra­té­gie pour une crois­sance verte ». Il fau­drait « Ver­dir l’appareil pro­duc­tif pour retrou­ver la crois­sance », estime Le Monde[3]. En août 2012, le Centre d’analyses stra­té­giques — le bureau de pros­pec­tive rat­ta­ché au pre­mier ministre — publie un rap­port inti­tu­lé « Des tech­no­lo­gies com­pé­ti­tives au ser­vice du déve­lop­pe­ment durable ». Le fond de l’air est vert.

Les par­ti­sans de la pla­ni­fi­ca­tion se trouvent « natu­rel­le­ment » à la gauche de la gauche. Et plus par­ti­cu­liè­re­ment au Front de gauche, lui aus­si ral­lié à la ver­deur ambiante — Mélen­chon recon­nais­sant d’ailleurs la carence éco­lo­gique de la gauche indus­trielle. Plus de cin­quante ans après les pre­mières dénon­cia­tions de la « socié­té de consom­ma­tion », du « sys­tème tech­ni­cien » ou de la « socié­té nucléaire », et deux cents ans après l’insurrection des lud­dites contre la dis­ci­pline de fabrique. Mais quand un front com­mun de socia­listes, de com­mu­nistes, d’altermondialistes et d’écolos de gauche prend la défense de l’environnement, on découvre vite qu’ils pro­gramment, en com­pé­ti­tion avec Europe Éco­lo­gie, l’Enfer Vert.

Vous pen­siez qu’une alliance entre Rouges et Verts atté­nue­rait les ravages du capi­ta­lisme ? Sous la ban­de­role éco­so­cia­liste, le pro­gramme du Front de gauche comme l’action des élus locaux ne portent qu’un énième pro­jet de relance indus­trielle. Vous pen­siez la vieille pla­ni­fi­ca­tion cen­tra­li­sée et auto­ri­taire défi­ni­ti­ve­ment rin­gar­di­sée par les conseils en ana­lyse stra­té­gique ? Le Front de gauche offre une nou­velle légi­ti­mi­té à une tech­no­cra­tie d’État plus effec­tive que jamais, quoi qu’en disent les enne­mis du « libé­ra­lisme ». Si l’Enfer Vert des éco­lo­gistes est un contrôle des com­por­te­ments lié à une ratio­na­li­sa­tion tech­no­lo­gique, celui des éco­so­cia­listes est une éco­no­mie diri­giste avec un ver­nis écologique.

Vert de rouge

Liqui­dons d’emblée les vel­léi­tés éco­lo­gistes du Front de gauche en les confron­tant à la réa­li­té de leurs enga­ge­ments. Leur pro­gramme aux der­nières pré­si­den­tielles annon­çait que la pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique « per­met­tra de pré­ci­ser les orien­ta­tions et les inves­tis­se­ments publics. […] Nous sou­tien­drons les poli­tiques d’investissements des entre­prises vers les inno­va­tions indus­trielles aux pro­duc­tions utiles[4]. » C’est par exemple la créa­tion d’un « pôle natio­nal des trans­ports publics favo­ri­sant le déve­lop­pe­ment des trans­ports col­lec­tifs [qui] développer[a] le trans­port fer­ro­viaire et flu­vial et le trans­port mari­time côtier. »

Les amou­reux d’une vie libé­rée de la course au néant exis­ten­tiel et du trans­port de mar­chan­dises sur les pay­sages, se réjoui­ront d’apprendre que le Front de gauche est un ardent défen­seur de la ligne TGV Lyon-Turin (le TAV, en ita­lien). Selon Antoine Fati­ga, conseiller régio­nal FG et syn­di­ca­liste CGT : « Il faut tenir compte des inté­rêts des locaux qui ne veulent pas de ligne fer­ro­viaire chez eux, mais aus­si de l’intérêt de quelqu’un qui veut faire trans­por­ter des mar­chan­dises entre un port de Rot­ter­dam et Turin[5]. » Idem pour le pro­jet de ligne à grande vitesse entre Tours et Bor­deaux : « Nous sou­hai­tons par ailleurs et tou­jours dans la même logique insis­ter sur la per­ti­nence supra natio­nale de ce pro­jet[6]. » Les inté­rêts supé­rieurs de l’économie pri­me­ront sur les bou­seux qui tiennent encore à leur terre.

Dans le Nord-Pas de Calais, les élus du Front de gauche se liguent aux indus­triels et à tous les autres par­tis, de droite comme de gauche, pour récla­mer la relance du mons­trueux canal Seine-Nord-Europe au pré­texte de lutte contre l’austérité. Du béton et des conte­neurs, c’est de l’emploi.

Sou­te­nant la can­di­da­ture d’Annecy aux Jeux Olym­piques d’hiver de 2018, le groupe Front de Gauche de la région Rhône-Alpes sou­hai­tait « contri­buer à ce que la région pèse de tout son poids pour une can­di­da­ture exem­plaire qui illustre une concep­tion moderne des plus grands évé­ne­ments spor­tifs[7]. » À la condi­tion d’une plus « haute qua­li­té sociale » après s’être satis­faits des efforts entre­pris pour que ces « Jeux » soient pla­cés sous le signe de la haute qua­li­té envi­ron­ne­men­tale. C’est connu, les Jeux olym­piques d’hiver, leur béton­nage, leur gas­pillage et leur pol­lu­tion de l’eau et des sols, leur trans­port de masses, il n’y a pas plus bio.

Tan­dis que le can­di­dat Mélen­chon pro­met un grand débat natio­nal « sous contrôle citoyen[8] » sur l’énergie, les élus Front de Gauche de Pro­vence-Alpes-Côte d’Azur et la com­mis­sion Ensei­gne­ment Supé­rieur et Recherche du Par­ti de gauche sou­tiennent la construc­tion de la cen­trale nucléaire ITER de Cada­rache : un « pro­jet col­la­bo­ra­tif de recherche publique [dont] les résul­tats concer­ne­ront l’intérêt géné­ral ». Ne dites plus ravages indus­triels, dites « inté­rêt géné­ral ». Au nom de « la liber­té de la recherche », cla­quons 15 mil­liards d’euros d’ici un demi-siècle pour des résul­tats dou­teux. Com­ment en serait-il autre­ment puisque le pilier du Front de gauche est le par­ti com­mu­niste fran­çais, co-ges­tion­naire de l’industrie nucléaire depuis la créa­tion du Com­mis­sa­riat à l’énergie ato­mique juste après Hiroshima.

Ceux qui aiment les pay­sages côtiers pro­fi­te­ront bien­tôt des usines d’éoliennes au large de Cher­bourg et Saint-Nazaire trans­for­més en zone indus­trielle. Ces mar­chés rem­por­tés par le consor­tium EDF-Alstom répon­draient, selon le Front de gauche de la Manche, « aux enjeux indus­triels et éco­lo­giques immé­diats » tels que rechar­ger son iPad ou faire tour­ner des data cen­ters, les prin­ci­pales causes d’augmentation de consom­ma­tion d’électricité.

Dans son livre hal­lu­ci­né La Règle verte, Jean-Luc Mélen­chon jubile à l’idée de colo­ni­ser les fonds marins, espace « immense » et encore mécon­nu qui fera de la France « la pre­mière nation mari­time » : « Voi­là la grande ambi­tion que nous pou­vons avoir : la décou­verte, la conquête de la mer, comme nous avons conquis l’espace ! […] Nous pou­vons être les pre­miers, par notre science, notre tech­nique à la fois, à la décou­verte, puisque 15 % à peine de la bio­di­ver­si­té marine est connue[9]. » Grâce à ses DOM-TOM, la France pos­sède la deuxième plus grande sur­face côtière du monde. Une aubaine ! Exploi­tons le mou­ve­ment de la mer — « gra­tuit et infi­ni » — pour pro­duire de l’électricité. Tant pis si les tur­bines sous-marines (hydro­liennes) sont faites de maté­riaux coû­teux et bien­tôt épuisés.

Hydro­lienne. Vive l’é­co­lo­gie moderne. Qui res­semble étran­ge­ment à l’industrie.

Outre les fonds marins, les pro­fon­deurs de la terre devront aus­si contri­buer à l’effort natio­nal. L’industrie pétro­lière se recon­ver­ti­ra dans la géo­ther­mie : « Ce sont exac­te­ment les mêmes métiers : faire des trous, très pro­fonds [jusqu’à 5 km], repé­rer les res­sources, créer des anneaux, mettre au point les aciers, ce qui signi­fie donc que nous ayons une sidé­rur­gie. » Pas un espace de cette pla­nète qui ne soit la proie de ces ambi­tions écologiques.

Mélen­chon appuie le redé­mar­rage du site sidé­rur­gique de Flo­range, la conscience verte en plus. Grâce au pro­cé­dé ULCOS de cap­ta­tion du CO2 et de réin­tro­duc­tion dans le cycle de fabri­ca­tion des gaz pro­duc­tifs, celui-ci devien­drait le paran­gon de l’écologie indus­trielle. Ou de l’économie cir­cu­laire. Un mythe selon lequel rien ne se perd, les déchets des uns fai­sant les pro­fits des autres. Loin d’être une inno­va­tion éco­lo­gique, c’est un lieu com­mun du tech­no­ca­pi­ta­lisme pour ratio­na­li­ser les pro­cess indus­triels et bais­ser les coûts de production.

Même logique dans la pro­po­si­tion de pipe­line entre la pape­te­rie M‑Real, pro­mise à la fer­me­ture, et la raf­fi­ne­rie Petro­plus de Petit-Cou­ronne pour valo­ri­ser les débris de bois et en tirer de l’huile. L’utilité de ces acti­vi­tés et la fuite en avant indus­trielle n’est jamais ques­tion­née : « Nous devons réqui­si­tion­ner les raf­fi­ne­ries qui veulent fer­mer, parce que notre pays a besoin de raf­fi­ne­ries, et notam­ment pour tous les pro­duits de la chaîne chi­mique[10] » — cou­pable du bio­cide pla­né­taire depuis la fin du XIXe siècle. « Si vous conspi­rez avec des gens qui décident de fer­mer, comme cela a été le cas à la Céla­nèse, l’unique usine d’acide acé­tique du pays, vous serez pour­chas­sés. » Pas un mot sur ces indus­triels qui conspirent, avec la com­pli­ci­té des ser­vices de l’État, contre la terre, l’eau, notre san­té et celle des tra­vailleurs. Il y aurait pour­tant de quoi dire sur cette « zone à can­cer », comme on appelle les dizaines d’hectares autour de cette usine chi­mique des Pyré­nées-Atlan­tiques. Bien que le site soit fer­mé, et la dépol­lu­tion enga­gée, il est recom­man­dé « de ne pas tou­cher aux fosses à noir de car­bone, déchets issus de la pro­duc­tion d’acide acé­tique, mais de les lais­ser in situ et sous sur­veillance. Soit péren­ni­ser une grosse décharge d’une quin­zaine d’hectares[11]. » Un énième sar­co­phage de béton pour un ter­ri­toire mort. Pas de quoi émou­voir Mélenchon.

Au Front de gauche, « l’écologie n’est pas l’ennemie du redé­ploie­ment indus­triel, c’est tout le contraire. » Oscil­lant de part et d’autre de sa ligne de par­tage entre le Rouge et le Vert, nos funam­bules récusent « le modèle d’une éco­no­mie de ser­vices que nous assigne la divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail pilo­tée par les finan­ciers. Nous vou­lons déve­lop­per et réta­blir le poten­tiel indus­triel de la France. Parce que l’urgence éco­lo­gique implique de relo­ca­li­ser l’économie et que l’urgence sociale com­mande de lut­ter contre le chô­mage ouvrier, nous refu­sons de limi­ter notre ambi­tion indus­trielle à quelques sec­teurs de pointe et vou­lons recons­truire un tis­su indus­triel diver­si­fié[12]. » Contre la « ter­tia­ri­sa­tion arti­fi­cielle » et la « finan­cia­ri­sa­tion » de l’économie, le Par­ti de gauche appelle au retour en urgence à la chaîne des Trente Glo­rieuses et au capi­ta­lisme pro­duc­tif. Mais vert cette fois. Ne jurant que par et pour la Grande Indus­trie, « la radi­ca­li­té du Front de Gauche est une radi­ca­li­té concrète, tech­nique, argu­men­tée, rai­son­née[13]. » Une radi­ca­li­té de capi­taine d’industrie. Ren­fi­lez vos bleus, vos blouses blanches, et au boulot !

La planification écologique existe déjà

Pour le Front de gauche, les anti-capi­ta­listes et les alter­mon­dia­listes, l’ennemi, c’est le mar­ché et le pri­vé. Mélen­chon dénonce « ceux qui font pro­blème : les mul­ti­na­tio­nales capi­ta­listes et la mon­dia­li­sa­tion libé­rale, les action­naires qui font pas­ser le pro­fit avant l’intérêt géné­ral, la com­mis­sion euro­péenne qui pri­va­tise le rail, les ultra-riches qui roulent en 4 x 4 et voyagent en jet pri­vé… » Ni l’État et ses ser­vices tech­niques, ni les col­lec­ti­vi­tés locales ou les ser­vices publics sup­po­sés natu­rel­le­ment ver­tueux. Vieille niai­se­rie de gauche qui oppose l’État pro­tec­teur à la bar­ba­rie capi­ta­liste. Oppo­si­tion tou­jours démen­tie par les faits. Pour conso­ler les éter­nels pleur­ni­chards du « désen­ga­ge­ment de l’État », la gauche se réap­pro­prie­ra les moyens de pro­duc­tion et tout ira mieux. C’est connu, l’aliénation et l’exploitation dans une usine natio­na­li­sée, ne sont pas aus­si vio­lentes que chez Arce­lor Mittal.

Le Front de gauche sou­haite la « maî­trise publique, sociale et démo­cra­tique du sec­teur de l’énergie [en] cré[ant] un pôle 100 % public de l’énergie com­pre­nant EDF, GDF, Are­va et Total rena­tio­na­li­sé. » Idem dans les trans­ports. Kaf­ka aurait ado­ré ces usines à gaz. Faut-il rap­pe­ler qu’un acci­dent nucléaire public reste un acci­dent nucléaire ? Que Tcher­no­byl, c’était de l’argent public ? Que les TGV, l’aviation, l’artificialisation du vivant (OGM) ou le vivant arti­fi­ciel (bio­lo­gie de syn­thèse), les nano­tech­no­lo­gies, la chi­mie, le nucléaire, l’informatique ; bref, toutes les agres­sions sociales et éco­lo­giques sont impul­sées et pilo­tées par la recherche publique, et pour une grande part mili­taire ? Le mar­ché seul ne peut pas assu­rer les inves­tis­se­ments néces­saires. Le mar­ché seul ne peut pas amé­na­ger le ter­ri­toire de sorte que mar­chan­dises, infor­ma­tions et sala­riés arrivent à l’heure.

Les néo-pla­ni­fi­ca­teurs doivent se rendre à l’évidence. Depuis l’entre-deux-guerres (sinon depuis Col­bert), l’État n’a jamais lâché ses fonc­tions essen­tielles de direc­teur tech­nique du ter­ri­toire et de l’économie. L’État, c’est la pla­ni­fi­ca­tion — « la tech­nique des tech­niques », disait Ber­na­nos[14].

Le seul minis­tère de l’écologie, du déve­lop­pe­ment durable et de l’énergie anime dans un Réseau scien­ti­fique et tech­nique une qua­ran­taine d’établissements publics ou de ser­vices tech­niques d’État qui conduisent une acti­vi­té de recherche ou d’expertise. Il com­mande plus de 38 000 cher­cheurs, experts et tech­ni­ciens. Pas un mètre car­ré ne lui échappe. Bureau de recherches géo­lo­giques et minières (BRGM), Office natio­nal des forêts (ONF), Ins­ti­tut fran­çais de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), Agence de l’environnement et de la maî­trise de l’énergie (ADEME), Ins­ti­tut fran­çais du pétrole (IFP), Voies navi­gables de France (VNF), Com­mis­sa­riat à l’énergie ato­mique (CEA), Ins­ti­tut fran­çais des sciences et tech­no­lo­gies des trans­ports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), etc.

Par­mi les ser­vices tech­niques de l’État, le Ser­vice d’études sur les trans­ports, les routes et leurs amé­na­ge­ments (SETRA) pla­ni­fie le réseau rou­tier ; le Centre d’études et de recherches sur les trans­ports et l’urbanisme (CERTU) car­to­gra­phie le ter­ri­toire par satel­lite pour son amé­na­ge­ment, sans oublier le Centre d’études des tun­nels ou le Centre d’études tech­niques mari­times et flu­viales. Des mil­liers d’agents pla­ni­fi­ca­teurs, experts, tech­ni­ciens, sta­tis­ti­ciens. 3 500 agents répar­tis dans huit Centres d’études tech­niques de l’équipement (CETE) œuvrent « à la concep­tion et à la mise en œuvre des poli­tiques publiques conduites par le minis­tère, par leur voca­tion de recherche, d’innovation, d’expertise, d’études et de dif­fu­sion des connais­sances scien­ti­fiques et tech­niques et par l’appui qu’ils offrent aux direc­tions géné­rales et aux ser­vices décon­cen­trés. » Voi­là la pla­ni­fi­ca­tion. Tous ces orga­nismes d’État sont char­gés de « faci­li­ter le trans­fert de la recherche fina­li­sée vers les entre­prises [pour] contri­buer au déve­lop­pe­ment de l’économie et des emplois[15]. » Ils four­nissent un appui scien­ti­fique et tech­nique à la crois­sance. Ils pré­cèdent, encadrent et via­bi­lisent le mar­ché. Il est faux de dire, comme le font les pla­ni­fi­ca­teurs du Front de gauche, que l’État pro­té­ge­rait du mar­ché. La pla­ni­fi­ca­tion « à la fran­çaise », contrai­re­ment à la pla­ni­fi­ca­tion sovié­tique, a tou­jours favo­ri­sé le mar­ché. Ou alors, l’écosocialisme du Front de gauche ne serait qu’un Green Gos­plan.

Le minis­tère de l’écologie, c’est déjà la pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique. Il dis­pose de sa propre mis­sion char­gée des « pro­grammes de pros­pec­tive sur les modèles et tran­si­tions de long terme vers un déve­lop­pe­ment durable, en s’appuyant sur des pro­grammes de recherches. » Il pro­gramme déjà « la ville post-car­bone », les « ter­ri­toires durables » ou la « tran­si­tion vers une éco­no­mie éco­lo­gique ». L’ADEME par exemple, grâce au Com­mis­sa­riat géné­ral à l’investissement, finance des « Inves­tis­se­ments d’avenir » de mil­lions d’euros sur les éner­gies renou­ve­lables, les réseaux élec­triques « intel­li­gents », l’économie cir­cu­laire, les voi­tures du futur, etc. Pour « accé­lé­rer les pro­ces­sus d’innovation » qu’attendent les mar­chés et « la tran­si­tion de la France vers un modèle de crois­sance durable », l’ADEME finance la recherche publique, sou­tient des filières indus­trielles et des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té, des pro­jets d’aménagement de trans­ports ou d’énergie. Le Front de gauche fera la même chose, mais encore plus.

Chan­tier de fon­da­tions gra­vi­taires pour éoliennes off-shore (Le Havre). L’é­co­lo­gie, encore. C’est émou­vant, le sau­ve­tage de la planète.

Aux origines de la planification « à la française »

L’idée d’un pilo­tage éta­tique de l’économie naît dans les franges « néo-socia­listes » de la SFIO et de la CGT ins­pi­rées par le Par­ti ouvrier belge au début des années 1930. Les « néos » sont réso­lu­ment modernes. Ils se disent la « géné­ra­tion réa­liste » face à l’idéal mar­xiste repré­sen­té par Léon Blum. À la fois contre un réfor­misme « sans allure ni effi­ca­ci­té » et « une révo­lu­tion sans forme ni date[16] », leur socia­lisme se veut l’actualisation d’un sché­ma mar­xiste dépas­sé par le « com­pro­mis éco­no­mique » for­diste qui assure désor­mais à chaque tra­vailleur de quoi consom­mer. Dépas­sant la seule lutte des classes et ral­liant les nou­velles « classes moyennes », leur « révo­lu­tion construc­tive » vise à un ren­for­ce­ment de l’État par la pla­ni­fi­ca­tion et le pou­voir des ingé­nieurs déjà « à l’œuvre dans la Rus­sie des Soviets, l’Italie de Mus­so­li­ni, l’Allemagne d’Hitler ou les États-Unis du New Deal[17] ». « Ordre — Auto­ri­té — Nation » sont leurs maître-mots face à la crise du capi­ta­lisme des années 1930. Ils s’adressent ain­si aux mili­tants de la SFIO réunis en congrès en 1933 : « Le pays doit com­prendre que vous repré­sen­tez dès à pré­sent les pre­miers élé­ments de l’ordre socia­liste que, depuis que le socia­lisme existe, vous vous pro­po­sez de sub­sti­tuer au désordre capi­ta­liste[18]. » On dirait du Mélen­chon avec sa « règle verte » en réponse au chaos éco­lo­gique. D’ailleurs, disent les néo-socia­listes, « l’idéologie de la liber­té n’est plus d’aucun secours dans les cir­cons­tances pré­sentes. » Cet avè­ne­ment du socia­lisme éta­tique se fera par « l’action métho­dique d’une éco­no­mie contrô­lée par la puis­sance publique[19]. »

Avec l’expérience inter­ven­tion­niste de Roo­se­velt, l’idée gagne peu à peu les autres par­tis poli­tiques jusqu’à la droite. Un Ernest Mer­cier par exemple, poly­tech­ni­cien, PDG d’Alsthom et fon­da­teur du mou­ve­ment « Redres­se­ment fran­çais », pro­meut un modèle tech­no­cra­tique et cor­po­ra­tiste. Mais ces idées trouvent peu d’échos auprès des décideurs.

La pre­mière appli­ca­tion véri­table du « pla­nisme » revient au régime de Vichy avec la créa­tion de la Délé­ga­tion géné­rale à l’équipement natio­nal en 1941, futur Com­mis­sa­riat géné­ral au plan en 1946 ; et la créa­tion en 1942 du Ser­vice natio­nal des sta­tis­tiques qui devien­dra l’INSEE à la Libé­ra­tion. Der­rière le dis­cours du « retour à la terre » du Maré­chal Pétain et des tra­di­tio­na­listes, ce sont les tech­no­crates qui dirigent. D’après l’historien de Vichy Robert Pax­ton, sous le Front popu­laire, la lutte d’influence est rude entre dépu­tés et tech­ni­ciens de la fonc­tion publique, appar­te­nant cha­cun « à des mondes presque dis­tincts[20] ». Conseil d’État, Ins­pec­tion des finances, Cour des comptes, corps pré­fec­to­ral et diplo­ma­tique, offi­ciers de car­rière, tous à la veille de la guerre sortent de l’École libre des sciences poli­tiques (« Sciences Po »). Hen­ri Char­don, pré­sident de sec­tion au Conseil d’État, enseigne aux élèves de « Sciences Po » en 1936 que la France est « dés­équi­li­brée pour avoir don­né une pré­pon­dé­rance exces­sive aux puis­sances poli­tiques[21] ». Pous­sés par la crise, « ce sont les experts qui l’emportèrent » dans l’établissement du bud­get et la ges­tion finan­cière. Ils entrent pro­gres­si­ve­ment au gou­ver­ne­ment ; par­mi eux, Raoul Dau­try, ingé­nieur des che­mins de fer, obtient l’Armement en 1939 et aide Joliot-Curie dans ses recherches sur la bombe ato­mique. En 1940, avec le régime de Vichy, les tech­no­crates « entrèrent au gou­ver­ne­ment comme en pays conquis », selon Pax­ton. On parle volon­tiers de « révo­lu­tion bureau­cra­tique » : « Les hommes qui, en tenant le haut du pavé dans les minis­tères, contrô­laient dans l’ombre le gou­ver­ne­ment, sont main­te­nant eux-mêmes au pou­voir. […] À son apo­gée, Vichy est l’œuvre d’un corps d’hommes de métier plus que de tout autre groupe social. »

Alter­mon­dia­liste avant l’heure, en février 1941, Fran­çois Lehi­deux, ministre de l’équipement Natio­nal, dit aux élèves de « Sciences po » que l’Europe doit s’organiser contre la puis­sance éco­no­mique des États-Unis. C’est lui qui fait adop­ter en mai 1941 un « plan décen­nal pour la pro­duc­ti­vi­té ». Tou­jours selon Pax­ton, pen­dant la Pre­mière guerre mon­diale, « la pla­ni­fi­ca­tion avait été pro­gres­sive, empi­rique, tem­po­raire. En 40–44, elle fut déli­bé­rée, totale et des­ti­née tout aus­si bien à une éco­no­mie d’abondance. »

Le prag­ma­tisme tech­ni­cien n’ayant que faire des idéo­lo­gies et de la morale, au sor­tir de la guerre, les prin­ci­paux ingé­nieurs et hauts fonc­tion­naires res­tent en fonc­tion, à la Cour des comptes, orga­nisme pure­ment tech­nique, au Conseil d’État ou à l’Inspection géné­rale des finances. Cette der­nière étant char­gée « de four­nir les élé­ments finan­ciers néces­saires à la pla­ni­fi­ca­tion décou­lant du diri­gisme tou­jours plus accu­sé du minis­tère de l’Économie natio­nale ». En com­pa­rant les annuaires des grands corps d’État, Pax­ton observe que « c’est dans l’administration publique, dans la moder­ni­sa­tion et la pla­ni­fi­ca­tion éco­no­mique que les mesures — et le per­son­nel – de Vichy se per­pé­tuent avec le plus d’évidence » après 1945. Il remarque plus géné­ra­le­ment qu’« aucune des Répu­bliques qui se suc­cé­dèrent ne son­gea en fait à déman­te­ler les ser­vices d’une admi­nis­tra­tion cen­tra­li­sée, issus du des­po­tisme éclai­ré, sys­té­ma­ti­sé par les Jaco­bins et Napo­léon qui forment les grands corps de la fonc­tion publique. […] À l’époque même où le suf­frage uni­ver­sel deve­nait la règle pour dési­gner les par­le­men­taires (1848) et les édiles locaux (1884), on crée donc paral­lè­le­ment des corps de tech­ni­ciens appe­lés à prendre une puis­sance tou­jours plus grande dans l’État, et échap­pant tota­le­ment au contrôle de l’électorat. » L’apolitisme des choix tech­niques explique qu’ils échappent aux pro­ces­sus démo­cra­tiques. « Les résis­tants, d’ailleurs, qui sont contre un retour à l’économie libé­rale anar­chique des années 30, sont des par­ti­sans aus­si réso­lus du diri­gisme que ne l’étaient les ministres de Pétain. Enfin, ce que choi­sissent tous les par­tis, sans oublier le PCF, c’est l’ordre, ce n’est pas la révo­lu­tion. La IVe Répu­blique, tout comme Vichy, veut gar­der la haute main sur l’administration et non la sup­pri­mer. Les grands com­mis, plus influents que jamais et forts de leur récente expé­rience de pla­ni­fi­ca­tion, sont soli­de­ment armés pour le diri­gisme des régimes d’après-guerre et le règne des experts. » La Tech­nique ne fait pas de poli­tique, elle est la poli­tique. L’avènement de la socié­té de consom­ma­tion au milieu des années 1950 s’explique en par­tie « par le choc de 1940 et les quatre années de Vichy. […] C’est alors qu’une géné­ra­tion de tech­ni­ciens et de patrons ont acquis une expé­rience nou­velle et un pou­voir nouveau. »

L’État gestionnaire

« Moder­ni­sa­tion ou déca­dence » est le leit­mo­tiv du pre­mier plan mis en place par Jean Mon­net avec pour tâche de recons­truire un pays lais­sé exsangue par la guerre. Pierre Mas­sé, com­mis­saire géné­ral au Plan de 1959 à 1966, donne une défi­ni­tion de la pla­ni­fi­ca­tion dans son livre inti­tu­lé Le Plan ou l’Anti-hasard : « l’interprétation de l’activité humaine comme une aven­ture cal­cu­lée, une lutte entre le hasard et l’anti-hasard. […] Ses ins­tru­ments sont les plans, par­tiels ou glo­baux, pri­vés ou publics. »

Voi­ci son ana­lyse du cours de l’histoire : « Aven­ture et cal­cul se répondent, s’opposent et, à cer­tains moments, s’équilibrent. Cepen­dant, sui­vant l’époque et les cir­cons­tances, l’un des deux termes pré­vaut. Il semble qu’en 1914 la balance se soit ren­ver­sée[22]. » Pour Mas­sé, la guerre qui débute en août 1914 signe la « défaite du cal­cul ». La suite de l’histoire n’étant que l’avènement de la « dérai­son » : crise éco­no­mique des années 1930, mon­tée des régimes tota­li­taires et second conflit mon­dial, bombes ato­miques sur le Japon, guerre froide, appau­vris­se­ment du tiers-monde, « la démo­cra­tie poli­tique et éco­no­mique se main­tien­dra-t-elle dans un monde de plus en plus sou­mis aux exi­gences de la tech­nique et de l’efficacité, c’est-à-dire de plus en plus spé­cia­li­sé et hié­rar­chi­sé ? » Mas­sé recon­naît que les pro­grès de la science et « l’impérialisme indus­triel » n’ont pas hono­ré leurs pro­messes. « Le monde que l’on com­prend mal devient ain­si, à l’extrême, celui de l’absurdité et du non-sens. » La science et la tech­nique lui appa­raissent comme « ambi­va­lentes », l’angoisse et l’incertitude croissent : « Résol­vant des sys­tèmes à des cen­taines et bien­tôt des mil­liers d’inconnues, télé­gui­dant un mis­sile ou une usine, sur­mon­tant la plu­ra­li­té des langues, [les machines élec­tro­niques] nous four­nissent l’instrument de cal­cul qu’appellent les nou­velles dimen­sions de nos pro­blèmes et l’accélération du chan­ge­ment. On ne peut cepen­dant négli­ger le risque qu’inventée pour assis­ter le cer­veau humain, la machine élec­tro­nique n’impose sa propre logique dans le choix des pro­blèmes et la manière de les poser, et qu’elle n’engendre ain­si une cer­taine déshu­ma­ni­sa­tion de l’esprit. »

Tech­no­cra­tie ou bar­ba­rie. Face à ce sen­ti­ment de chaos — qui n’est d’ailleurs pas qu’un sen­ti­ment — la civi­li­sa­tion indus­trielle néces­site une meilleure ges­tion par le ren­for­ce­ment de l’État, le contrôle et la pla­ni­fi­ca­tion de l’économie : « Il appar­tient au cal­cul éco­no­mique d’être, dans son domaine, réduc­teur d’incertitude[23] par ces nou­veaux ins­tru­ments qui s’appellent le plan, la pros­pec­tive, la recherche opé­ra­tion­nelle. […] Il ne s’agit pas d’éliminer ce qui, par nature, est inéli­mi­nable, et d’apporter ain­si aux inquié­tudes de l’homme des réponses qui l’apaisent et l’endorment. Il s’agit de lui four­nir des élé­ments de déci­sion qui lui per­mettent de faire face à l’incertitude par l’action. » C’est ce que Jacques Ellul nomme dès 1954 « l’auto-accroissement de la tech­nique[24] ». Le sys­tème tech­ni­cien répond tech­ni­que­ment aux pro­blèmes créés par la tech­nique. L’histoire humaine se clôt sur elle-même dans une fuite en avant sans fin vers la dépos­ses­sion, livrant son des­tin aux mains des experts et des tech­no­crates. L’État, sa bureau­cra­tie et son auto­ri­té se ren­forcent au fur et à mesure que s’accroît notre dépen­dance à des super­struc­tures tech­niques. Il n’y a plus d’échappatoire à la logique ges­tion­naire : « Le monde où deux et deux font cinq appar­tient à l’illusion ou au songe. Or, le pro­blème n’est pas de rêver, mais d’agir » conti­nue Mas­sé. Le songe, le rêve, la sen­si­bi­li­té, mais aus­si le hasard, l’angoisse, les conflits, l’incertitude, l’erreur font le sel de la vie. Si la pla­ni­fi­ca­tion est l’ennemie du hasard, la pla­ni­fi­ca­tion est l’ennemie de la vie. D’autant plus qu’elle a réponse à tout, que son pou­voir est sans limite : « La beau­té a pu être au début de l’industrialisation un objec­tif dif­fi­cile. Elle n’est plus aujourd’hui hors de por­tée pour peu que nous le vou­lions vrai­ment » (Mas­sé). La tech­no­cra­tie, c’est le ren­for­ce­ment conjoint de la ges­tion et du chaos techno-industriel.

L’écologisme et le citoyennisme au secours de la technocratie

Savoir, c’est pou­voir. La pre­mière tâche de la pla­ni­fi­ca­tion est le ren­sei­gne­ment, le recen­se­ment, l’inventaire le plus fin pos­sible des res­sources démo­gra­phiques, finan­cières, natu­relles et tech­niques. Tâche assu­mée par l’Institut natio­nal de la sta­tis­tique et des études éco­no­miques (INSEE), les diverses mis­sions d’études et de pros­pec­tives des minis­tères, ser­vices d’État, centres de recherche, etc. Renom­mé Centre d’analyses stra­té­giques en 2006, le vieux Com­mis­sa­riat géné­ral au Plan prend acte de l’accélération tech­no­lo­gique. La pros­pec­tive ou la stra­té­gie sont à l’innovation tech­no­lo­gique ce que les plans quin­quen­naux ou décen­naux étaient au déve­lop­pe­ment indus­triel. La domi­na­tion ges­tion­naire se moder­nise. Afin de contra­rier la « tyran­nie du pro­duc­ti­visme[25] », le Front de Gauche pro­pose donc la « pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique ». Elle serait un « moyen de redé­fi­nir nos modes de pro­duc­tion, de consom­ma­tion et d’échange en fonc­tion de l’intérêt géné­ral de l’humanité et de l’impact de l’activité éco­no­mique sur l’écosystème. » For­mule magique. En toute humi­li­té, le Front de Gauche veut ren­for­cer l’omniscience d’un État pour répondre aux inté­rêts de l’humanité.

Pour pla­ni­fier l’humanité de façon éco­lo­gique, il faut son­der ses besoins et ses pro­fon­deurs. Les tech­no­crates du Front de gauche met­tront en place d’autres « indi­ca­teurs que ceux à par­tir des­quels est actuel­le­ment jugé le “pro­grès” des socié­tés, notam­ment le PIB ». Avec la pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique, des couches de plus en plus intimes de nos vies seront recen­sées, ana­ly­sées, gérées sta­tis­ti­que­ment par nos experts en qua­li­té de vie. Un Indi­ca­teur de pro­grès humain mesu­re­ra l’épanouissement per­son­nel et l’émancipation, cal­cu­lés selon les taux d’accès à l’éducation (peu importe laquelle) ou l’espérance de vie en bonne san­té. Cet indi­ca­teur cal­cu­le­ra autant la « socia­bi­li­té et la cohé­sion sociale » de la four­mi­lière France, que ses « liber­tés » scien­ti­fi­que­ment quan­ti­fiées, jusqu’à l’inévitable empreinte éco­lo­gique. Des expé­riences sont déjà en cours dans le Nord-Pas de Calais pour esti­mer votre Indice de san­té sociale grâce au recen­se­ment du taux d’adhésion à des asso­cia­tions ou le nombre d’interactions que vous avez avec votre famille ou vos voi­sins[26] (Com­bien de coups de fil avez-vous reçus cette semaine ? À com­bien de per­sonnes avez-vous dit « bon­jour » ? Com­bien d’apéros ce tri­mestre ?). Il n’est pas jusqu’à nos ami­tiés, la défense de nos liber­tés et de notre éman­ci­pa­tion qui ne soient dépo­li­ti­sées, tech­ni­fiées, ratio­na­li­sées, arra­chées de nos mains pour être dépo­sées entre celles des experts en sciences humaines. Ain­si se pla­ni­fie l’intérêt géné­ral. L’impérialisme de la mesure n’a plus de limites depuis que les cher­cheurs en sciences sociales par­viennent à « quan­ti­fier le qua­li­ta­tif ». À la manière d’un Pierre Mas­sé qui sou­hai­tait gérer la beau­té du monde, le Front de gauche, en pré­ten­dant huma­ni­ser la tech­no­cra­tie, tech­no­cra­tise l’humanité. « Être sachant, être culti­vé, aimer la musique, lire les livres, faire des sculp­tures, des­si­ner, réci­ter de la poé­sie, voi­là des choses qui sont impor­tantes, plus impor­tantes que toutes les autres ! Aimer, être aimé, don­ner du bon­heur, il n’y a pas besoin de mon­tagnes d’argent ! Voi­là, mes amis, les valeurs qu’il s’agit de mettre aux postes de com­mande et qui sont le cœur de la révo­lu­tion cultu­relle qui marche avec la pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique » prêche le can­di­dat Mélen­chon[27]. Pas­sons sur la réfé­rence maoïste. Une fois l’imagination au pou­voir, nous aurons per­du notre pou­voir d’imagination.

« Pla­ni­fi­ca­tion citoyenne » : l’expression fait froid dans le dos. Devan­çant les cri­tiques contre l’aspect cen­tra­li­sé, auto­ri­taire, ges­tion­naire et froid de la pla­ni­fi­ca­tion, le Front de gauche pré­tend inté­grer les citoyens aux pro­grammes de recherche et déve­lop­pe­ment tech­nos­cien­ti­fiques. Un an après Fuku­shi­ma, et dra­guant le ver­daille, il pro­pose un grand débat natio­nal sur la poli­tique éner­gé­tique « sous contrôle citoyen de l’information jusqu’à la prise de déci­sion [qui] se ter­mi­ne­ra par un réfé­ren­dum[28] ». Sous contrôle citoyen, c’est-à-dire en fait sous le contrôle des appa­reils Front de gauche, Par­ti com­mu­niste, Attac, pré­ten­dant repré­sen­ter les citoyens. À quoi peut bien res­sem­bler un débat démo­cra­tique à pro­pos du nucléaire dans un pays de 65 mil­lions d’habitants dépen­dants du nucléaire ? Assem­blée géné­rale tous les jeu­dis 18h sur Inter­net ? Vote après des duels télé­vi­sés d’experts et de contre-experts ?

« Dans le domaine du nucléaire civil, l’ensemble des pos­si­bi­li­tés — dont la sor­tie du nucléaire ou le main­tien d’un nucléaire sécu­ri­sé et public — sera alors tran­ché. » On l’a vu : pour le Front de gauche, s’il est urgent de réin­dus­tria­li­ser le pays et de faire cra­cher les che­mi­nées, rien ne presse pour arrê­ter les usines ato­miques. Le pire reste envi­sa­geable. D’ailleurs, le Front de gauche n’est pas pres­sé non plus d’en finir avec la menace abso­lue qu’est l’arme ato­mique : « Nous agi­rons pour la dénu­cléa­ri­sa­tion, pour le désar­me­ment mul­ti­la­té­ral et contrô­lé de tous les types d’armement. » Entre 2002 et 2011, le bud­get mili­taire amé­ri­cain a aug­men­té de 60 %. S’il faut attendre les États-Unis pour un désar­me­ment mul­ti­la­té­ral, les pro­messes du Front de gauche n’engagent personne.

« Nous abo­li­rons les pôles de com­pé­ti­ti­vi­té qui concentrent les acti­vi­tés sur quelques lieux dans une mise en concur­rence des ter­ri­toires, au pro­fit de la consti­tu­tion de pôles de coopé­ra­tion per­met­tant de mieux lier recherche, for­ma­tion, pro­duc­tion et emploi. » L’éducation popu­laire au ser­vice de la crois­sance et du pro­duc­ti­visme. « Dans ce cadre nous crée­rons des pôles publics de l’industrie à l’échelle ter­ri­to­riale. Ceux-ci ras­sem­ble­ront les par­te­naires publics et pri­vés de ces ter­ri­toires et tra­vaille­ront en liai­son avec les forums citoyens des sciences et de la tech­no­lo­gie ou d’autres ins­tances de recherche. […] Le droit des citoyens à inter­ve­nir dans le déve­lop­pe­ment de la recherche sera ins­crit dans la Consti­tu­tion. » La ver­sion mélen­cho­niste de la « démo­cra­tie tech­nique » (sui­vant le concept de Michel Cal­lon, socio­logue de l’acceptabilité des tech­no­lo­gies[29]). On brûle de connaître la forme concrète de ce nou­veau droit consti­tu­tion­nel, sachant que la Recherche & Déve­lop­pe­ment, indis­pen­sable à la pro­duc­tion et à l’emploi chers au Front de gauche, ne s’accommode d’aucune inter­ven­tion « citoyenne » et que les cher­cheurs font leurs valises à la moindre vel­léi­té de contrôle populaire.

En croyant citoyen­ni­ser la tech­no­cra­tie, le Front de gauche tech­no­cra­tise les citoyens dans une illu­soire fusion entre experts et « pro­fanes » sur le ter­rain des « contro­verses » scien­ti­fiques. Ima­gi­nez : À l’ordre du jour de notre pre­mier forum citoyen : la nor­ma­li­sa­tion et la dis­tinc­tion des nano-maté­riaux, nano-objets et nano-pro­cé­dés (qu’ils soient syn­thé­tiques, bio-sour­cés ou hybrides) pour une défi­ni­tion stricte des armes défen­sives et/ou offen­sives en vue d’une contri­bu­tion citoyenne à l’encadrement du com­merce des armes par l’UNICRI (Ins­ti­tut inter­ré­gio­nal de recherche des Nations unies sur la cri­mi­na­li­té et la jus­tice), et la pro­tec­tion de la pro­prié­té intel­lec­tuelle. Vous avez deux heures.

Pour un Green Deal natio­nal, euro­péen ou mondial ?

Il n’est pas facile de déci­der qui du Front de gauche ou d’Europe Éco­lo­gie a les ambi­tions les plus indus­trielles. Pour les Verts, « L’industrie du XXIe siècle sera celle d’un éco-déve­lop­pe­ment, elle dépas­se­ra le ver­dis­se­ment à la marge (green­wa­shing) des anciennes indus­tries[30]. » Le réseau élec­trique sera intel­li­gent grâce aux smart grids – des comp­teurs élec­triques reliés à Inter­net. Leur « éco­lo­gie indus­trielle » s’impose pour lut­ter contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et le dum­ping social. Des « Pro­jects Bonds » euro­péens finan­ce­ront leurs pôles indus­triels. Et l’Europe devient leur « réponse à la mondialisation ».

Si l’Europe ne suf­fit pas, nous devrons envi­sa­ger un « contrat social mon­dial » avec la défi­ni­tion d’un « nou­vel objec­tif de ges­tion démo­cra­tique et par­ti­ci­pa­tive » pour mettre en œuvre les « Objec­tifs du Mil­lé­naire ». Lieu com­mun : une catas­trophe pla­né­taire (le chan­ge­ment cli­ma­tique par exemple) appelle une réponse pla­né­taire. D’où leur pro­jet de repous­ser tou­jours plus loin et plus haut la déci­sion entre les mains des experts et des centres de pou­voir. Jusqu’où iront-ils ? Jusqu’au gou­ver­ne­ment mondial.

Voyez le livre d’Alain Lipietz Green Deal, la crise du libé­ral-pro­duc­ti­visme et la réponse éco­lo­gique31. Cet ancien maoïste du Par­ti socia­liste uni­fié pas­sé des rouges aux verts est diplô­mé de Poly­tech­nique – vous savez, ces gens dont on dit que si on leur confie le Saha­ra, trois ans après il fau­dra y impor­ter du sable. Éco­no­miste illu­mi­né (ex-cher­cheur au Centre d’études pros­pec­tives d’économie mathé­ma­tique appli­quée à la pla­ni­fi­ca­tion), cet ancien euro­dé­pu­té vert milite pour un fédé­ra­lisme euro­péen fis­cal, moné­taire et bud­gé­taire tel que celui vou­lu par Roo­se­velt en 1933 aux États-Unis avec son Glass-Stea­gall Act (sépa­ra­tion entre banques de dépôt et banques d’investissement). L’histoire radote, ou peut-être seule­ment Lipietz. Lequel pro­pose des éco­taxes, des « pol­lu­taxes » et des quo­tas – « c’est-à-dire la pla­ni­fi­ca­tion en prix ou en quan­ti­té » – pour finan­cer une éco­no­mie « stric­te­ment » orien­tée vers des acti­vi­tés vertes. Et de déplo­rer l’absence d’un « gou­ver­ne­ment mon­dial » pour rati­fier un super Wag­ner Act inter­na­tio­nal ins­ti­tuant des droits syn­di­caux tels que ceux votés en 1935 aux États-Unis. Bien sûr ce gou­ver­ne­ment mon­dial sera un « régime inter­na­tio­nal coopé­ra­tif » dans lequel les États contrô­le­ront les émis­sions de gaz à effet de serre ou favo­ri­se­ront les trans­ferts de tech­no­lo­gies propres. Après la démo­cra­tie tech­nique et le déve­lop­pe­ment durable, la tech­no­cra­tie coopé­ra­tive.

Certes, Lipietz recon­naît que « per­sonne ne sou­haite reve­nir à ces États dans l’État qu’étaient les grandes entre­prises tech­no­cra­tiques natio­na­li­sées des années 60 ». Mais il s’empresse d’ajouter que la « cri­tique de la bureau­cra­tie, étant don­né l’urgence et l’ampleur des enjeux qui se pré­sentent à nous, ne doit pas nous empê­cher pour autant de mettre en place cette éco­no­mie diri­gée ». La cri­tique du lard ne doit pas nous empê­cher de faire du cochon. Ou, si vous pré­fé­rez, il ne faut pas jeter le lard avec le cochon. Selon Lipietz, théo­ri­cien de l’impuissance, nous ne pou­vons que subir et nous lais­ser pla­ni­fier par ses semblables.

Son modèle est celui de l’« éco­no­mie mobi­li­sée » par la demande publique déjà expé­ri­men­tée pen­dant la « recons­truc­tion pla­ni­fiée » de l’immédiat après-guerre. Mais au niveau mon­dial. Un délire d’économiste qui écha­faude des usines à gaz en vue de les impo­ser depuis le som­met du Pou­voir. « Certes, nous n’avons plus de Com­mis­sa­riat géné­ral du plan, admet-il sans se décou­ra­ger pour autant, mais plu­sieurs des appa­reils pros­pec­tifs minis­té­riels ou aca­dé­miques sont encore en place, et cette heu­reuse époque de la “pla­ni­fi­ca­tion à la fran­çaise” a été trans­mise par les ensei­gnants à leurs étu­diants. » C’est-à-dire ces écoles d’ingénieurs qui four­nissent en tech­no­crates de haut rang les som­mets du Pou­voir – la haute fonc­tion publique comme les états-majors indus­triels pri­vés : le Corps des Mines (Mines Paris­Tech) et l’École natio­nale des ponts et chaus­sées (les Ponts Paris­Tech) bien connus des anti­nu­cléaires, Poly­tech­nique, l’École natio­nale de la sta­tis­tique et de l’administration éco­no­mique Paris­Tech, l’école supé­rieure d’électricité (« Supé­lec »), l’École Cen­trale Paris, Agro­Pa­ris­Tech, Télé­com Paris­Tech, etc. N’est-ce pas la fonc­tion de l’économie poli­tique, de l’urbanisme et de la socio­lo­gie que d’analyser et de pla­ni­fier la vie des masses pour sus­ci­ter les com­por­te­ments adé­quats. Que les anti­li­bé­raux se ras­surent. Mal­gré le pré­ten­du recul du ser­vice public, l’État n’a pas aban­don­né toutes ses com­pé­tences au mar­ché. Et quand bien même, fau­drait-il renouer avec une époque des Trente Glo­rieuses qui nous a pro­pul­sés dans la socié­té de consom­ma­tion et l’aliénation au sys­tème pro­duc­tif ? ; cette époque de terre brû­lée, sans retour des pay­sages, des cultures et des langues, de notre san­té et nos dési­rs de vie sauvage ?

L’Enfer Vert du Front de gauche est non seule­ment pla­ni­fié par l’État mais pro­tec­tion­niste. Au libre-échan­gisme d’Europe Écologie–Les Verts, la gauche indus­trielle oppose la « démon­dia­li­sa­tion » et le « pro­tec­tion­nisme intel­li­gent[31] ». En fait il s’agit du même cock­tail — la que­relle ne por­tant que sur le dosage de vert et de rouge qu’il convient de mélan­ger. L’accord sur la relance verte de l’économie étant acquis.

Selon Le Pro­tec­tion­nisme et ses enne­mis[32], ouvrage com­mun de cinq auteurs du Monde Diplo­ma­tique, men­suel à pen­ser de la gauche indus­trielle, les bar­rières doua­nières seraient des digues contre les délo­ca­li­sa­tions afin de pro­té­ger les salaires de la concur­rence inter­na­tio­nale. Soit. Exemples his­to­riques à l’appui, le livre pré­sente le pro­tec­tion­nisme comme un moyen de reve­nir à l’époque heu­reuse du déve­lop­pe­ment indus­triel : « Quand les pays actuel­le­ment déve­lop­pés se trou­vaient encore en déve­lop­pe­ment, ils n’ont mené pra­ti­que­ment aucune des poli­tiques qu’ils pré­co­nisent. […] La Grande-Bre­tagne, en par­ti­cu­lier, n’est aucu­ne­ment le paran­gon du libre-échange sou­vent invo­qué. Tout au contraire, elle a uti­li­sé avec agres­si­vi­té et même, dans cer­tains cas, inven­té des poli­tiques diri­gistes pour pro­té­ger et pro­mou­voir ses indus­tries stra­té­giques. » Le nou­veau busi­ness-model des alter­mon­dia­listes : agres­si­vi­té et diri­gisme. Ils ne seraient pas contre­dits par les néo-socia­listes des années trente. « Pen­dant les années 1960 et 1970, quand il exis­tait bien davan­tage de pro­tec­tions et autres régu­la­tions, l’économie mon­diale pro­gres­sait beau­coup plus vite qu’aujourd’hui. […] L’expérience néo­li­bé­rale des années 1980 et 1990 s’est tout sim­ple­ment révé­lée inca­pable de tenir sa prin­ci­pale pro­messe : l’accélération de la crois­sance. » On voit la sin­cé­ri­té éco­lo­giste de ces obsé­dés de la crois­sance. Il n’y aura jamais assez d’écrans plas­ma, d’iPod, de smart­phones, de gad­gets de consom­ma­tion à par­ta­ger avant que les éco­so­cia­listes ne s’interrogent sur l’utilité de cette came­lote et sur les ravages qu’elle inflige à nos vies, à nos socié­tés et au milieu natu­rel. Les rouges à pois verts et les verts à car­reaux rouges relèvent du même musée des hor­reurs chi­mé­riques dont nous espé­rons, sans trop d’espoir, l’extinction.

Tom­jo

Mars 2013


  1. roosevelt2012.fr. On y retrouve des élus du par­ti socia­liste jusqu’au Front de gauche, des jour­na­listes, des asso­cia­tifs, des uni­ver­si­taires, etc.
  2. Tho­mas Hou­daille, secré­taire géné­ral du think-tank Euro­pa­No­va, et Sven Gie­gold, dépu­té euro­péen alle­mand du groupe des Verts, Le Monde, 28 mai 2012.
  3. décembre 2012.
  4. L’humain d’abord, le pro­gramme du Front de gauche aux élec­tions pré­si­den­tielles, Librio, 2012.
  5. La Voix des Allo­broges, 10 août 2011.
  6. Décla­ra­tion du Par­ti de Gauche au Conseil Géné­ral de Gironde, 21 octobre 2010.
  7. Inter­ven­tion du 21 octobre 2010 au Conseil régio­nal.
  8. L’Humain d’abord, op. cit.
  9. La règle verte. Pour l’éco-socialisme. Jean-Luc Mélen­chon, éd. Bru­no Leprince, 2012.
  10. Idem.
  11. « Céla­nèse : bras de fer sur les sols pol­lués », La Répu­blique des Pyré­nées, 9 juillet 2012.
  12. L’Humain d’abord, op. cit.
  13. La règle verte, op. cit.
  14. La France contre les robots, 1947.
  15. Les orga­nismes scien­ti­fiques et tech­niques au ser­vice du déve­lop­pe­ment durable : developpementdurable.gouv.fr.
  16. Pers­pec­tives socia­listes, Mar­cel Déat, 1930.
  17. Néo-socia­lisme ? Ordre, auto­ri­té, nation, Mar­cel Déat, Adrien Mar­quet, Bar­thé­lé­my Mon­ta­gnon, Gras­set, 1933. Dis­cours pro­non­cés au Congrès socia­liste de juillet 1933.
  18. Néo-socia­lisme ? Ordre, auto­ri­té, nation, op. cit.
  19. Léon Blum, Serge Ber­stein, Fayard, 2006.
  20. La France de Vichy, Le Seuil, 1973.
  21. Hen­ri Char­don, cité par Robert Pax­ton.
  22. Le Plan ou l’Anti-hasard, Gal­li­mard, 1965.
  23. C’est nous qui sou­li­gnons
  24. La Tech­nique ou l’enjeu du siècle, Jacques Ellul, 1954, Eco­no­mi­ca pour l’édition 2008.
  25. L’Humain d’abord, Librio, 2012.
  26. Voir le pro­jet « Indi­ca­teurs 21 » du Conseil régio­nal NPdC dans le cha­pitre « Bien­ve­nue à Gat­ta­ca » de L’Enfer Vert.
  27. La Règle verte, op. cit.
  28. L’Humain d’abord, op. cit.
  29. Voir Agir dans un monde incer­tain – essai sur la démo­cra­tie tech­nique, Cal­lon, Barthes, Las­cousmes, Le Seuil, 2001.
  30. Vivre mieux. Vers une socié­té éco­lo­gique, Europe éco­lo­gie Les Verts, Les petits matins, 2012. 31 La Décou­verte, 2012.
  31. Le Monde Diplo­ma­tique, octobre 2012.
  32. H.-J. Chang, F. Lor­don, S. Hali­mi, F. Ruf­fin, J. Sapir, Les liens qui libèrent, 2012.
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