Écrivain, physicienne, prix Nobel alternatif, la militante écologiste indienne Vandana Shiva est une résistante infatigable contre les entreprises qui pillent son pays, comme Monsanto. Elle pose un regard lucide sur les enjeux de la période : crise écologique, financière, protectionnisme, risque nucléaire, OGM…
Article publié (en anglais) sur le site CommonDreams, le 20 mai 2015
L’agriculture écologique diversifiée entre les mains des femmes est une solution, non seulement à la crise de la malnutrition, mais aussi à la crise climatique.
Les deux grands défis écologiques de notre temps sont l’érosion de la biodiversité et le changement climatique. Et les deux sont liés, dans leurs causes et dans leurs solutions.
L’agriculture industrielle est la principale responsable de l’érosion de la biodiversité, ainsi que du changement climatique. Selon les Nations Unies, 93% de toutes les variétés de plantes ont disparu au cours des 80 dernières années.
Les monocultures basées sur des intrants chimiques ne se contentent pas de détruire la biodiversité des plantes, elles détruisent la biodiversité des sols, ce qui entraine l’émergence de pathogènes, de nouvelles maladies, et davantage d’utilisation d’intrants chimiques.
Notre étude des sols dans les régions de coton Bt de Vidharba montre un déclin spectaculaire des organismes bénéfiques du sol. Dans de nombreuses régions où l’utilisation de pesticides et d’OGM est intensive, les abeilles et les papillons disparaissent. Il n’y a pas de pollinisateurs sur les plants de cotons Bt, alors que la population de pollinisateurs de la ferme de conservation de la biodiversité de Navdanya dans la vallée de Doon est 6 fois plus importante que celle de la forêt avoisinante. L’UNEP a évalué la contribution des pollinisateurs à 200 milliards de dollars annuels. L’agriculture industrielle tue aussi la vie aquatique et marine, en créant des zones mortes, à cause des écoulements de fertilisants. Les pesticides sont aussi en train de tuer ou d’endommager la vie aquatique.
En plus des dommages à la biodiversité et au climat, l’agriculture industrielle nuit, en réalité, à la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Tout d’abord, l’agriculture industrielle fait pousser des marchandises pour le profit des corporations agrochimiques (maintenant aussi appelées Biotech) et les agrobusiness. Seuls 10 % des cultures annuelles de maïs et de soja OGM servent à nourrir des gens. Le reste sert à nourrir des animaux et à la production de biocarburants. Ça n’est clairement pas un système alimentaire destiné à nourrir le monde.
Deuxièmement, les monocultures nuisent à la nutrition en diminuant la biodiversité qui fournit la nourriture et la diversité de nutriments dont notre corps a besoin. Les herbicides comme le Roundup ne font pas que tuer l’asclépiade dont se nourri la larve de papillon monarque, ils tuent les sources de nutrition pour les humains — l’amarante, le « bathua » et les cultures mixtes qui produisent plus de « nutritivité par acre » que les monocultures industrielles (voir le rapport sur la santé par acre de Navdanya).
Ayant détruit nos sources de nutrition en détruisant la biodiversité — et en créant des carences en vitamine A, en fer, entre autres — ces mêmes compagnies, ayant créé cette crise, promettent une solution miracle : les OGMs. Le riz doré génétiquement modifié et les bananes OGMs sont proposés par des corporations se cachant derrière un voile universitaire comme des solutions à la faim et à la malnutrition dans les pays du Sud. Mais ce sont de faux miracles.
Les variétés indigènes biodiversifiées de nourriture que font pousser les femmes sont bien plus nutritives que les marchandises produites par l’agriculture industrielle. Depuis 1985 le faux miracle du riz doré est offert comme une solution à la carence en vitamine A. Mais le riz doré est toujours en cours d’élaboration. Des milliards de dollars ont été gâchés pour une idée frauduleuse.
Le 20 avril, la maison blanche a offert une récompense à Syngenta qui venait d’essayer de pirater la diversité de riz indienne, et qui possède plus de 80 patentes liées au riz doré. Cela n’est pas sans rappeler la nudité de l’empereur. Le riz doré est à 350% moins efficient pour fournir de la vitamine A que les alternatives biodiversifiées que font pousser les femmes. La banane OGM « riche en fer » contient 3000% de moins de fer que le curcuma et 2000% de moins que l’amchur (poudre de mangue). En plus d’être vides nutritionnellement, les OGM font partie d’un système d’agriculture industriel qui détruit la planète, épuise nos ressources en eau, augmente la quantité de gaz à effet de serre présente dans l’atmosphère, incite les agriculteurs à s’endetter et les pousse au suicide à travers la dépendance croissante aux intrants chimiques. En plus de tout cela, ces monocultures industrielles corporatistes détruisent la biodiversité, et nous perdons l’accès aux systèmes de nourriture qui nous ont soutenus à travers les âges. L’agriculture écologique biodiversifiée entre les mains des femmes n’est pas qu’une solution à la crise de la malnutrition, c’est aussi une solution à la crise climatique.
Les femmes ont été les principales cultivatrices de nourriture et responsables de la nutrition, à travers l’histoire, mais aujourd’hui, on nous retire notre nourriture et on la remplace par des marchandises toxiques contrôlées par les corporations. L’agriculture industrielle de monoculture a fait disparaître la qualité, le goût et la nutritivité de notre nourriture.
En plus de détruire la biodiversité, l’agriculture industrielle est la première source d’émissions de gaz à effet de serre (GES), qui sont la cause du changement et du chaos climatique. Comme je l’ai écrit dans mon livre, « Oui au sol, Non au pétrole : la justice environnementale à l’époque de la crise climatique », 40% de toutes les émissions de gaz à effet de serre — y compris de dioxyde de carbone, d’oxyde d’azote, et de méthane — proviennent de l’agriculture industrielle mondialisée. Et les monocultures chimiques sont aussi plus vulnérables au changement climatique, comme nous l’avons remarqué lors des pluies non saisonnières au moment des récoltes en 2015.
A l’opposé, l’agriculture biologique réduit les émissions, et rend l’agriculture plus résiliente vis-à-vis du changement climatique. Parce que l’agriculture biologique est basée sur le retour de la matière organique dans le sol, elle est le moyen le plus efficace pour retirer les excès de carbone dans l’air, où il ne devrait pas se trouver, et le remettre dans le sol, où il devrait se trouver. Les recherches de Navdanya nous ont montré que l’agriculture biologique augmente l’absorption du carbone de 55%. Des études internationales montrent qu’avec 2 tonnes de Matière Organique au Sol (MOS) par hectare, nous pouvons retirer 10 gigatonnes de dioxyde de carbone de l’atmosphère, ce qui réduirait la concentration atmosphérique de carbone à son niveau pré-industriel de 350 ppm.
De plus, la matière organique dans le sol augmente la capacité de rétention d’eau du sol, réduisant l’impact des inondations et des sécheresses. Une augmentation de la Matière Organique au Sol d’à peine 1% peut augmenter la capacité de rétention d’eau du sol de 100 000 litres par hectare. Et une augmentation de 5% l’augmente de 800 000 litres. Voilà notre assurance contre le changement climatique, à la fois lors des sécheresses et des manques de pluie, et lors d’inondations et de pluies excessives. A l’opposé, le ciment et le béton augmentent l’écoulement de l’eau et aggravent les inondations et les sécheresses. Nous avons vu cela lors du désastre d’Uttarakhand en 2013 et celui du Kashmir en 2014.
Au moment des récoltes, au printemps 2015, l’Inde connaissait des pluies non-saisonnières qui ont détruit les récoltes. Plus de 100 agriculteurs se sont suicidés. Les pluies non-saisonnières dues à l’instabilité climatique se sont ajoutées au fardeau de la dette des agriculteurs, qu’ils ont contractée en raison de la hausse des coûts de production et de la baisse des prix de vente. La crise de la dette, menant au changement climatique, et la crise climatique, ont une solution commune — un virage vers une agriculture écologiquement biodiversifiée, libérée des hauts coûts des intrants chimiques et de la dépendance des semences des corporations, et donc de la dette, et qui intègre en elle une résilience plus importante, à travers la biodiversité et les sols biologiques.

Il y a 4000 ans, nos anciens Vedas nous avaient montré la voie, « De cette poignée de sol dépend notre survie. Prenez-en soin, et elle fera pousser notre nourriture, notre énergie, nos abris, et nous entourera de beauté. Abusez-en, et le sol s’effondrera et mourra, emportant l’humanité avec lui. »
Vandana Shiva
Traduction : Nicolas Casaux
Édition & Révision : Héléna Delaunay