Un changement dans une loi polonaise déclenche un “massacre” d’arbres (par Christian Davies)

Traduction d'un article initialement publié sur le site du Guardian (en anglais) le 7 avril 2017. Où la considération de la civilisation industrielle pour le monde naturel apparaît dans toute son inhumanité, son absurdité, et son insoutenabilité.

Une nou­velle loi auto­rise les pro­prié­taires fon­ciers à cou­per autant d’arbres qu’ils le sou­haitent sans deman­der de per­mis­sion et sans même en infor­mer les autorités.

Un chan­ge­ment contro­ver­sé dans la loi envi­ron­ne­men­tale polo­naise a déclen­ché ce que des mili­tants décrivent comme un « mas­sacre » d’arbres à tra­vers le pays.

Le nou­vel amen­de­ment, appe­lé « loi de Szysz­ko », d’après Jan Szysz­ko, le ministre de l’environnement du pays, sup­prime l’obligation pour les pro­prié­taires fon­ciers de deman­der une per­mis­sion pour cou­per des arbres, de payer une com­pen­sa­tion ou d’en plan­ter de nou­veaux, et même d’informer les auto­ri­tés locales que des arbres ont été ou seront coupés.

Ce chan­ge­ment est entré en vigueur le 1er jan­vier et a entrai­né une explo­sion des abat­tages d’arbres. Des acti­vistes observent des espaces nou­vel­le­ment déga­gés dans les villes, les vil­lages et dans les cam­pagnes de toute la Pologne.

Jan Szysz­ko, le ministre de l’environnement.

« La loi per­met à n’importe quel arbre sur une pro­prié­té pri­vée d’être cou­pé par le pro­prié­taire, même s’il a 200 ans », explique Joan­na Maz­ga­js­ka de l’institut de Zoo­lo­gie de l’académie des sciences de Pologne. « Beau­coup de citoyens consi­dèrent les arbres sur leur ter­rain comme une nui­sance. Ils ne pré­viennent per­sonne, ils les coupent sim­ple­ment – c’est de la bar­ba­rie ».

Bien que la nou­velle loi inter­dise aux pro­prié­taires d’organiser eux-mêmes un déve­lop­pe­ment com­mer­cial sur un ter­rain qui aurait été récem­ment déboi­sé, un vide juri­dique leur per­met de vendre la terre à des déve­lop­peurs dès que les arbres ont été coupés.

« Une com­pa­gnie peut vendre un ter­rain à un par­ti­cu­lier pour un prix don­né, le par­ti­cu­lier s’occupe ensuite de cou­per les arbres, et enfin, il revend le ter­rain à la com­pa­gnie. Léga­le­ment, rien ne les empêche de pro­cé­der de la sorte », explique Dag­ma­ra Misz­te­la du groupe d’activistes Gdzie jest Drze­wo (Où sont les arbres). « On s’occupait aupa­ra­vant d’aider des par­ti­cu­liers à enre­gis­trer une objec­tion contre des coupes d’arbres dans leur région, mais ce pro­ces­sus d’objection n’existe plus ».

Parce que les gens ne sont plus obli­gés de signa­ler ou d’enregistrer les arbres qu’ils ont cou­pés, il n’y a plus de sta­tis­tique fiable sur le nombre d’arbres qui ont été cou­pés depuis que la loi est entrée en vigueur. Cepen­dant, ceux qui béné­fi­cient de ce chan­ge­ment et ceux qui luttent contre recon­naissent qu’un chan­ge­ment majeur a eu lieu, et est en cours.

« Avant la nou­velle loi, nous rece­vions entre 5 et 10 requêtes chaque jour », explique au Guar­dian un pro­prié­taire d’une entre­prise d’a­bat­tage d’arbre. « Mais en Jan­vier et Février, nous rece­vions 200 requêtes par jour ».

Pawel Szy­puls­ki, de Green­peace Pologne, explique : « Nous rece­vions envi­ron un coup de télé­phone par jour de la part d’individus pré­oc­cu­pés par les arbres qui étaient cou­pés dans leur région. Désor­mais, nous avons deux télé­phones qui sonnent toute la jour­née ».

Dans la ville de Cra­co­vie, un col­lec­tif de femmes appe­lé « Des mères polo­naises sur des souches d’arbres » tente de dénon­cer ce phé­no­mène sur les réseaux sociaux en pos­tant des pho­tos d’elles, assises sur des souches d’arbres, en train d’allaiter leurs bébés.

Cecy­lia Malik, la fon­da­trice de « Des mères polo­naises sur des souches d’arbres »

« Chaque jour, alors que nous nous pro­me­nons dans Cra­co­vie avec mon mari et mon fils, nous tom­bons sur un nou­vel endroit où des arbres ont été cou­pés », explique Cecy­lia Malik, à l’origine de la cam­pagne, qui, depuis, s’est pro­pa­gée à tra­vers le pays. « Depuis que la nou­velle loi est entrée en vigueur, nous en avons obser­vé 50 d’affilée ».

Pour cer­tains, le fait de plan­ter des arbres est une acti­vi­té dis­si­dente. Lorsqu’un dépu­té de l’opposition a écrit au pré­sident de la ville de Kielce la per­mis­sion de plan­ter des chênes dans une par­tie de la ville ou un cer­tain nombre d’arbres avaient été cou­pés, Woj­ciech Lubaws­ki, indé­pen­dant mais ali­gné avec le par­ti Droit et Jus­tice domi­nant en Pologne, a refu­sé au motif qu’une « telle ini­tia­tive pour­rait signi­fier que la ville s’implique dans une pro­tes­ta­tion anti-gou­ver­ne­men­tale ».

Le ministre de l’environnement et pro­fes­seur de fores­te­rie Szysz­ko méprise ouver­te­ment les acti­vistes éco­lo­gistes, et obéit à une phi­lo­so­phie envi­ron­ne­men­tale que des cri­tiques décrivent comme un sacri­fice des res­sources natu­relles de la Pologne au nom du déve­lop­pe­ment éco­no­mique et des inté­rêts des forestiers.

« Nous devons accep­ter deux pos­tu­lats », a expli­qué Szysz­ko lors d’une réunion orga­ni­sée en février par le fond natio­nal de la Pologne pour la pro­tec­tion envi­ron­ne­men­tale. « Tout d’abord, que l’homme est le sujet du déve­lop­pe­ment durable, et qu’ainsi l’homme a non seule­ment le droit mais aus­si le devoir d’utiliser les res­sources natu­relles. Ensuite, que le déve­lop­pe­ment humain n’est pas nui­sible pour l’environnement ».

Szysz­ko s’est atti­ré les foudres des cri­tiques l’an der­nier pour sa déci­sion d’autoriser la défo­res­ta­tion à grande échelle dans la forêt de Bia­lo­wie­za, une des der­nières forêts pri­maires d’Europe. Pour jus­ti­fier sa déci­sion, il a cité le livre de la Genèse, qui exhorte l’humanité non seule­ment à « rem­plir la terre », mais aus­si à « la sou­mettre ».

Alors qu’il était ministre de l’environnement durant le pré­cé­dent man­dat du par­ti Droit et Jus­tice, de 2005 à 2007, Szysz­ko a subi un impor­tant camou­flet lorsque des acti­vistes éco­lo­gistes sont par­ve­nus à blo­quer sa ten­ta­tive d’autoriser la construc­tion d’une auto­route dans la val­lée de Ros­pu­da, dans le nord-est de la Pologne.

Cecy­lia Malik a pris 50 pho­tos de dif­fé­rents lieux où des arbres ont été cou­pés, à tra­vers Cracovie.

De retour au pou­voir, Szysz­ko semble encore vou­loir s’en prendre aux mêmes. Dans une lettre adres­sée en novembre à des ministres impor­tants, il a men­tion­né ses plans ambi­tieux dont des acti­vistes disent qu’il s’agit d’un déman­tè­le­ment glo­bal de la sur­veillance et de la pro­tec­tion de l’environnement de la Pologne.

« Le sys­tème en place… requiert une sérieuse réor­ga­ni­sa­tion », lisait la lettre de Szysz­ko, que Green­peace Pologne s’est procurée.

« Domi­né par des ama­teurs idéa­listes, il sert le déve­lop­pe­ment de la bureau­cra­tie, et bien que n’ayant aucune influence sur la situa­tion envi­ron­ne­men­tale et son éva­lua­tion, il para­lyse le déve­lop­pe­ment des inves­tis­se­ments », peut-on aus­si y lire.

Selon ses plans, qui­conque reçoit un finan­ce­ment sous la forme de sub­ven­tion – et pas sous la forme de coti­sa­tion de membres – n’est pas auto­ri­sé à par­ti­ci­per aux pro­ces­sus de consul­ta­tion des pro­jets envi­ron­ne­men­taux, ce qui exclut par défi­ni­tion la majo­ri­té des ONG.

« Il ne s’agit pas que des grosses orga­ni­sa­tions comme Green­peace, cela exclut aus­si des cen­taines d’organisations locales qui se battent pour les droits des habi­tants – que ce soit contre les effets des extrac­tions de char­bon, des mines à ciel ouvert, ou de la défo­res­ta­tion – à tra­vers toute la Pologne », explique Szypulski.

Cepen­dant, ces plans semblent avoir été mis de côté pour l’instant, alors que le gou­ver­ne­ment fait face à l’hostilité popu­laire à l’encontre de la nou­velle loi de Szysko.

Jarosław Kac­zyńs­ki, le pré­sident du par­ti Droit et Jus­tice, a décla­ré son inten­tion de faire amen­der la loi. Mais les efforts visant à com­bler le vide juri­dique per­met­tant aux déve­lop­peurs de tirer pro­fit de la nou­velle légis­la­tion ont échoué.

Tel qu’il est rédi­gé, le nou­vel amen­de­ment de la loi contient un para­graphe qui devrait inter­dire toute acti­vi­té pro­fes­sion­nelle sur un ter­rain sur lequel des arbres viennent d’être cou­pés. En pra­tique, cela devrait empê­cher qui que ce soit de tra­vailler depuis chez lui après qu’un arbre ait été cou­pé dans son jardin.

En résul­tat, la cor­rec­tion pro­po­sée reste blo­quée au par­le­ment polo­naise, et les déve­lop­peurs conti­nuent à tirer pro­fit de la rédac­tion actuelle de la loi.

« Nous vou­lons juste que ce pro­ces­sus catas­tro­phique, qui nous nuit, ain­si qu’à nos enfants, prenne fin », explique Malik. L’ampleur de ce phé­no­mène est vrai­ment effrayante.

Chris­tian Davies


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

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  1. Quand les gens com­pren­dront-ils que face à tous ces cafards, la seule solu­tion qui s’im­pose est l’é­li­mi­na­tion directe et sys­té­ma­tique ? Ah oui… que suis-je bête, nous vivons en « démo­cra­tie ». Mani­fes­tons, « gre­vons ». Ils fini­ront bien par comprendre…

  2. C’est en page 2 de la bible, après que dieu ait tout créé, il donne à l’homme son ordre de mis­sion : « Tu domi­ne­ras la terre et toutes ses créa­tures. ». Nous voyons aujourd’­hui où une telle idéo­lo­gie nous mène : à la des­truc­tion du vivant sur la Terre, notre seule source de vie.

    La Genèse est très inté­res­sante pour com­prendre l’i­déo­lo­gie occi­den­tale. Un worldle (ce gra­phisme de mots super­po­sés où plus un mot revient sou­vent dans un texte plus il est grand) de la Genèse montre que le mot qui revient le plus n’est ni dieu, ni amour, mais terre. Ce mot revient tel­le­ment sou­vent que nous pou­vons par­ler d’une véri­table obses­sion de la terre, et sur­tout de sa pos­ses­sion et de son exploi­ta­tion. Nous retrou­vons cette obses­sion dans le denier cha­pitre, l’A­po­ca­lypse où, après que le christ, ce pro­to­type par­fait de Super­man, ait tué toutes celles et ceux qui ne sont pas d’ac­cord avec lui remet Jéru­sa­lem et ses richesses aux 7 tri­bus du début les­quelles visi­ble­ment seront les seuls sur­vi­vants à se par­ta­ger ce butin.

    L’at­ti­tude de ce ministre n’est de loin pas un fait iso­lé. De Göran Per­son en train de chan­ter « Oh Store Gud » (Oh grand dieu) en direct à la télé, alors qu’il était pre­mier ministre, à G. Bush et tous les autres pré­si­dents amé­ri­cains qui ont tou­jours jus­ti­fié leurs guerres en fai­sant réfé­rence à dieu, ceci après avoir mas­sa­cré bisons et amé­rin­diens au nom de dieu, c’est une constante de l’his­toire européenne.

    Le fond du pro­blème avec nos reli­gions orga­ni­sées est qu’elle prive l’être humain de sa trans­cen­dance pour la remettre à dieu (seul dieu peut chan­ger l’ordre des choses dans une hypo­thé­tique apo­ca­lypse — ver­sion occi­den­tale) où pour la jeter dans les oubliettes de l’his­toire (seul une tout autant hypo­thé­tique réin­car­na­tion peut per­mettre de chan­ger l’ordre des choses, même dieu ne le peut pas — ver­sion asia­tique et du reste du monde). Le résul­tat est un homme pri­vé de sa capa­ci­té d’a­na­ly­ser des pro­blèmes ici et main­te­nant, et de tra­vailler à leur réso­lu­tion tou­jours ici et main­te­nant, c’est à dire un homme inca­pable de for­ger consciem­ment son ave­nir et par voie de consé­quence tota­le­ment frus­tré. Or même un psy de pre­mière année sait qu’une telle accu­mu­la­tion de frus­tra­tion abou­tit à ouvrir grande la porte à la vio­lence non contrôlée.

  3. Oups. J’ai oublié :

    Une telle accu­mu­la­tion de frus­tra­tion rend aus­si n’im­porte quel être humain sen­sé inca­pable de pen­ser de façon ration­nelle. Ain­si il ne remar­que­ra même plus, comme le fait très jus­te­ment remar­quer Saint-Exu­pé­ry dans sa Lettre au géné­ral « X », qu’il existe une vie en dehors de sa voi­ture, de son compte en banque et du tra­vail obligatoire.

  4. Réponse à Domi­nique:« Tu domi­ne­ras avec AMOUR… » et dans Révé­la­tion de Jean « Dieu sac­ca­ge­ra ceux qui sac­cagent la terre »

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