L’écologisme se souciait de préserver le monde naturel — ce n’est plus le cas (par Mark Boyle)

Tra­duc­tion d’un article de Mark Boyle, ini­tia­le­ment publié (en anglais) sur le site du Guar­dian, le 22 mai 2017 (plus de ren­sei­gne­ments sur l’au­teur sont dis­po­nibles dans cet article publié sur le site de France Inter). Mark Boyle y dénonce à juste titre l’é­ga­re­ment com­plet du mou­ve­ment éco­lo­giste, cepen­dant, un bémol. Il se concentre sur le chan­ge­ment indi­vi­duel et non col­lec­tif, et sur l’é­vi­te­ment ou l’oc­cul­ta­tion d’une réa­li­té très conflic­tuelle. C’est-à-dire que cela revient à la fameuse idée absurde selon laquelle « si tout le monde fai­sait ça, nous serions sau­vés », que cela revient à comp­ter ET sur la mobi­li­sa­tion totale des masses pour faire les bons choix, pour agir de manière juste, ET sur la pas­si­vi­té des pou­voirs diri­geants, mani­fes­te­ment répres­sifs (sachant que les moyens d’é­du­ca­tion et que les ins­ti­tu­tions cultu­relles sont lar­ge­ment entre les mains de ceux-là). Bien trop naïf. Mur­ray Book­chin dénon­çait à juste titre l’im­passe de l’a­nar­chisme style de vie. L’é­co­lo­gisme style de vie en est une autre.


La plu­part d’entre nous sommes moins déran­gés par l’idée de vivre dans un monde sans martres des pins, sans abeilles mel­li­fères, sans loutres et sans loups qu’à l’idée de vivre dans un monde sans médias sociaux, sans cap­puc­ci­nos, sans vols éco­no­miques et sans lave-vais­selle. Même l’écologisme, qui a un temps été moti­vé par l’amour du monde natu­rel, semble désor­mais plus concer­né par la recherche de pro­cé­dés un peu moins des­truc­teurs qui per­met­traient à une civi­li­sa­tion sur­pri­vi­lé­giée de conti­nuer à sur­fer sur inter­net, à ache­ter des ordi­na­teurs por­tables et des tapis de yoga, que par la pro­tec­tion de la vie sauvage.

Ces temps-ci, toutes les dis­cus­sions tournent autour du car­bone et d’un concept obs­cur appe­lé « durable ». On parle bien moins des cultures à taille humaine que nous devrions essayer de créer, et on ne se demande pas pour­quoi nous tenons tant à faire per­du­rer une culture qui requiert le pillage de chaque cen­ti­mètre car­ré de sol, de forêt, d’océan, de rivière et de vie sau­vage, afin de se main­te­nir. En adop­tant un prag­ma­tisme « durable », l’écologisme a per­du sa vision et son âme, oubliant ain­si qu’un mou­ve­ment sans l’une et sans l’autre est tout sauf pragmatique.

Ain­si que Paul King­snorth l’écrit dans sa remar­quable nou­velle col­lec­tion d’essais inti­tu­lée Confes­sions of a Reco­ve­ring Envi­ron­men­ta­list (« Confes­sions d’un éco­lo­giste en conva­les­cence », dont vous pou­vez lire un extrait tra­duit en fran­çais ici), l’écologisme a été réduit à « un pot cata­ly­tique pour le SUV argen­té de l’économie mon­dia­li­sée ». Paul King­snorth remarque que l’écologisme concentre désor­mais ses efforts dans une ten­ta­tive de « sou­te­nir une civi­li­sa­tion humaine à un niveau de confort auquel les riches du monde – nous – ont l’impression d’avoir droit, sans détruire le ‘capi­tal natu­rel’ dont ils ont besoin pour cela ».

Au lieu, donc, de défendre les endroits sau­vages – les déserts, les océans, les mon­tagnes –, nous pas­sons désor­mais notre temps à nous dis­pu­ter quant à la meilleure manière de les domes­ti­quer, afin de pro­duire l’énergie pré­ten­du­ment « verte » néces­saire pour ali­men­ter toutes ces choses que, jusque très récem­ment, nous n’aurions pas même été capables d’imaginer, et dont nous n’aurions encore moins pré­ten­du avoir besoin. L’état d’esprit de plus en plus urbain de l’écologisme, explique King­snorth, peut se résu­mer à l’équation absurde sui­vante : « Des­truc­tion – car­bone = durable ».

Chaque mois, le Guar­dian m’envoie une petite sélec­tion repré­sen­ta­tive des com­men­taires sur cette série d’articles. Une remarque fré­quente pré­tend que le mode de vie que je sou­tiens ne pour­rait être viable pour plus de 7 mil­liards d’individus (et bien­tôt 10, grâce au désir et à la pro­pen­sion de l’industrialisme à croître expo­nen­tiel­le­ment), qui vivent désor­mais en ville. Je suis d’accord, ce n’est pas pos­sible. Mais au contraire des innom­brables défen­seurs de l’industrialisme, je n’essaie pas d’offrir une solu­tion nor­ma­tive pour tous les habi­tants de la Terre et pour tous leurs pro­blèmes ; de telles pré­ten­dues « solu­tions » à grande-échelle sont ce qui nous a pré­ci­pi­tés dans ce bour­bier éco­lo­gique et social pour commencer.

Encore une fois, il est tout autant impos­sible pour notre culture obèse de conti­nuer à vivre et à consom­mer comme elle le fait, d’autant moins avec une démo­gra­phie galo­pante. Nous nous retrou­vons lit­té­ra­le­ment face à un casse-tête chi­nois. Face à lui, j’ai sug­gé­ré que nous ferions bien de décons­truire notre addic­tion envers des tech­no­lo­gies déshu­ma­ni­santes et d’élaborer des tech­no­lo­gies appro­priées, à taille humaine, qui pour­raient à nou­veau nous ser­vir au mieux. En explo­rant les voies tra­di­tion­nelles, je pense que nous pour­rons redé­cou­vrir des pers­pec­tives per­dues à même de nous gui­der vers quelque chose d’important, que nous avons oublié, ou vers des pra­tiques que nous pour­rions très bien­tôt re-valo­ri­ser en rai­son du futur géo­po­li­ti­que­ment et éco­no­mi­que­ment tumul­tueux qui se profile.

Il sem­ble­rait, cepen­dant, que ne faire que sug­gé­rer cela relève de la misan­thro­pie, pour la rai­son que cer­taines tech­no­lo­gies indus­trielles sauvent des vies. Je com­prends ce sen­ti­ment – comme beau­coup d’entre nous, cer­tains membres de ma famille ont été sau­vés par la tech­no­lo­gie (bien que leurs bles­sures et mala­dies étaient liées à l’industrialisme). L’ironie, c’est que si l’on conti­nue avec l’industrialisme et le capi­ta­lisme – qui engendrent mani­fes­te­ment un chan­ge­ment cli­ma­tique et une sixième extinc­tion de masse – beau­coup, beau­coup de gens mour­ront, que ce soit à cause d’évènements cli­ma­tiques extrêmes, de la mon­tée des eaux, de guerres pour des res­sources, de dépla­ce­ments, de la faim, de la séche­resse ou de divers troubles éco­no­miques, éco­lo­giques et politiques.

Mark Boyle est aus­si l’au­teur de ce livre récem­ment paru en français.

Quelles tech­no­lo­gies sont appro­priées pour notre temps est deve­nu une ques­tion épi­neuse, qui me pré­oc­cupe depuis long­temps. Il n’y a pas de règle abso­lue, et la réponse peut être aus­si ins­tinc­tive qu’elle est logique. La pre­mière ques­tion que je me pose lorsque je décide d’adopter une tech­no­lo­gie, ancienne ou nou­velle, est « en ai-je vrai­ment besoin ? » Ai-je vrai­ment besoin du der­nier smart­phone, et pour­quoi ? Ai-je besoin de consul­ter Twit­ter et Face­book chaque jour, et de prendre un sel­fie de moi-même à chaque dîner, et pour­quoi ? Pour nous aider, nous pou­vons nous ins­pi­rer d’EF Schu­ma­cher – un éco­no­miste bri­tan­nique célèbre pour son livre Small is beau­ti­ful : une socié­té à la mesure de l’homme – qui sug­gère que toute tech­no­lo­gie appro­priée pos­sède quatre carac­té­ris­tiques essen­tielles. Elle doit être acces­sible à tous ; de taille modeste ; assez simple pour que n’importe quelle com­mu­nau­té puisse la déve­lop­per et l’utiliser à l’aide de ses res­sources et de ses com­pé­tences ; et non-vio­lente, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas rava­ger la vie sur terre, ou se dou­bler d’un coût au niveau de la san­té men­tale ou phy­sique de qui que ce soit.

Pen­sez au télé­phone por­table, au four micro-onde, à la brosse-à-dent élec­trique, aux médias sociaux, ou à n’importe laquelle de ces choses dont nous nous pas­sions encore il n’y a pas si long­temps, et deman­dez-vous si elle pré­sente ces carac­té­ris­tiques ; sinon, deman­dez-vous si vous êtes heu­reux de conti­nuer à uti­li­ser des tech­no­lo­gies vio­lentes. Cepen­dant, ce qui est appro­prié pour l’un d’entre nous, dans une cer­taine mesure, dépend de notre situa­tion. Per­son­nel­le­ment, je trouve que la vie en ville est stres­sante, mal­saine, bien trop fré­né­tique et irré­flé­chie, et choi­sis donc de vivre dans le monde natu­rel, ce qui implique une situa­tion spé­ci­fique dif­fé­rente de celles des autres. J’avais très peu d’argent, j’ai donc dû être créa­tif ; cette limi­ta­tion a été mon plus pré­cieux allié. Je ne peux par­ler qu’en mon nom.

Bien avant de me défaire de cette habi­tude d’utiliser les médias sociaux, les ordi­na­teurs por­tables, les télé­phones et inter­net, j’ai réa­li­sé qu’en plus de ne pas en avoir besoin, sans eux, j’étais en meilleure san­té men­tale et phy­sique. J’avais réa­li­sé cela à pro­pos de la télé­vi­sion des années aupa­ra­vant. Parce que je vis sous un cli­mat tem­pé­ré, je n’ai pas vrai­ment besoin d’un réfri­gé­ra­teur ou d’un congé­la­teur. J’ai déci­dé, ce qui en a sou­la­gé plus d’un, que je vou­lais des toi­lettes, mais que des toi­lettes sèches étaient plus appro­priées que des toi­lettes à chasse d’eau. Déve­lop­per des rela­tions avec mes voi­sins et avec la terre a eu plus de sens à mes yeux que dépendre de l’argent, imper­son­nel et incons­tant. J’ai pré­fé­ré la scie de long à la tron­çon­neuse, la faux à la ton­deuse, et je ne m’en porte que mieux. Un poêle de type rocket stove rem­place ma dépen­dance au gaz importé.

Je trouve désor­mais que pêcher est plus appro­prié qu’acheter des bâton­nets de pois­son arra­chés aux fonds marins et conge­lés dans un super­mar­ché, ou du beurre de caca­huète en tube de plas­tique, par exemple. Bien que le net­toyage manuel de ma vais­selle et de mes vête­ments semble moins pra­tique que d’utiliser des machines, cela me semble plus pra­tique que de devoir trou­ver com­ment gérer 200 mil­lions de réfu­giés cli­ma­tiques dans 30 ans.

Le regret­té David Fle­ming – un des plus grands pen­seurs dont vous igno­rez pro­ba­ble­ment l’existence – a écrit, dans son mag­num opus post­hume, récem­ment publié, inti­tu­lé Lean Logic, que « le local se trouve, au mieux, à la limite de la pos­si­bi­li­té pra­tique, mais il a pour lui l’argument déci­sif du fait qu’il fini­ra par n’y avoir aucune autre alternative ».

Ce « local » n’a pas à être un cal­vaire, d’ailleurs, il pour­rait enri­chir nos vies si nous l’embrassions. Retom­ber amou­reux de notre place dans le monde natu­rel – éta­blir avec lui une rela­tion saine, le sou­te­nir et le pro­té­ger – pour­rait être notre salut. Et aus­si celui de l’écologisme.

Mark Boyle


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Pour aller plus loin :

L’écologie™ du spectacle et ses illusions vertes (espoir, “progrès” & énergies “renouvelables”)

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7 comments
  1. Naïf certes, mais dans le sens de pre­mier ou d’o­ri­gi­nel. Comme Mark je pense que la recherche de la qua­li­té est la seule option capable de sous­traire l’in­di­vi­du à l’ap­pât indus­triel de la quan­ti­té. L’in­di­vi­du qui voit et com­prend ce qui se passe, et qui refuse.
    On n’ar­ri­ve­ra jamais à rien de bien avec une masse. Un petit col­lec­tif à la limite, mais dans ce cas il faut miser à fond sur l’in­di­vi­du pour que ce petit col­lec­tif se forme, natu­rel­le­ment, et reste soli­de­ment ancré à ses prin­cipes face à l’é­norme pression.
    L’in­di­vi­du est la clé, Il doit pro­je­ter sa force vers lui-même. Deux bonnes rai­sons à cela : la pre­mière est qu’il est vain d’es­sayer de détour­ner ceux qui ne par­tagent pas la même réa­li­té, la seconde est qu’il est plus que temps de se pré­pa­rer au choc qui arrive.

  2. hola­la­la, figu­rez vous que pour ma part, j’adhère à 100% à cette phi­lo­so­phie mais je suis confron­té à un pro­blème de taille : Ma femme.
    J’adhère à 100% à l’i­dée de vivre le plus sim­ple­ment et sobre­ment du monde, mais ma femme elle, se refuse à aban­don­ner sa vie ultra com­plexe de capi­ta­liste bour­geoise, avec l’a­vion à prendre chaque année pour retrou­ver la famille au bout du monde,parce qu’on veut tra­vailler ici plu­tôt que là bas. la petite voi­ture IND-IS-PEN-SABLE en ville avec pour­tant le tra­vail à 20 minutes en métro. c’est ter­rible cette situa­tion, parce que je suis pris entre deux choix impos­sibles. soit, je me met en accord avec moi même et je la quitte, soit je conti­nue ma vie avec elle et je ne suis pas en accord avec moi même. Je remarque que le monde capi­ta­liste uti­lise la femme (walt dis­ney avec la prin­cesse qui rêve du prince char­mant qui lui appor­te­ra tout ) pour sou­mettre l’homme…quand ce ne sont pas les enfants eux même qui sont utilisés…que faire ? La convaincre est impos­sible et pour­tant, elle se pré­tend révo­lu­tion­naire et anti capi­ta­liste. JE crois qu’il existe beau­coup de modèle de ce genre. La femme est un outil lar­ge­ment uti­li­sé par le capi­ta­lisme et si vous vou­lez sor­tir du système…l’accès à la femme (pour faire plus abso­lu, au sexe) est beau­coup plus com­plexe. je vous assure que cet his­toire de femme et d’en­fant uti­li­sé comme outil par le capi­ta­lisme pour obli­ger l’homme à la sou­mis­sion abso­lue mérite au mini­mum un article, voir un livre.

  3. Mer­ci pour l’ar­ticle et tout autant pour sa traduction.
    Virer le fri­go a été beau­coup plus facile qu’i­ma­gi­né au départ. Le capi­ta­lisme ne pou­vant plus entrer dans la chambre froide qui lui sert de trône, je me satis­fais chaque jour du nombre d’a­mé­lio­rants de type Exx1 qui n’en­tre­ront pas dans la peau douce de mes têtes brunes. Mieux, en gar­dant tous les légumes et les fruits sous la main, bien en vue en tête de gon­dole dans la cui­sine, plus rien ne dépé­rit et tout est cui­si­né, ça par­ti­cipe même à faire d’un béo­tien, un excellent cuisinier.

    Les exemples sont légions, un petit-déjeu­ner avec du Pain (la majus­cule c’est pour dire, de la mai­son, au levain, pétrit à la main) ça prend dix bonnes grosses minutes chaque matin (la confi­ture ça dégou­line), alors qu’un paquet de céréales, rien, puis­qu’ils se servent seuls. Ayant depuis Mathu­sa­lem aban­don­né ces salo­pe­ries sucrées sous plas­tiques, je me demande sou­vent ce que font les parents mieux nor­més, de ces dix minutes (ô com­bien sacrées) qu’ils ont éco­no­mi­sées. Ils consultent leur mes­sa­ge­rie, me souffle-t-on à l’oreille …

    @ Mar­cel, j’ai fran­chi le pas. Par­ti ache­ter des allu­mettes, il y douze ans. Ce n’est pas un conseil, juste de l’empathie et une réelle com­pas­sion. Com­bien de couples déchi­rés, par les deux petits auxi­liaires de la langue française ?

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