Je pensais que je sauvais les enfants trans. Aujourd’hui, je sonne l’alarme. (par Jamie Reed)

Tra­duc­tion d’un article d’une lan­ceuse d’alerte états-unienne, ini­tia­le­ment paru, en anglais, le 9 février 2023 à l’adresse sui­vante.


Il y a plus de 100 cli­niques pédia­triques spé­cia­li­sées dans le genre aux États-Unis. J’ai tra­vaillé dans l’une d’elles. Ce qui arrive aux enfants est mora­le­ment et médi­ca­le­ment consternant.

Je suis une femme queer de 42 ans, ori­gi­naire de Saint-Louis, dans le Mis­sou­ri [aux États-Unis] et poli­ti­que­ment à la gauche de Ber­nie San­ders. Ma vision du monde a pro­fon­dé­ment façon­né ma car­rière. J’ai pas­sé ma vie pro­fes­sion­nelle à conseiller des popu­la­tions vul­né­rables : des enfants pla­cés en famille d’ac­cueil, des mino­ri­tés sexuelles, des pauvres en général.

Jamie Reed chez elle dans le Missouri.

Pen­dant près de quatre ans, j’ai tra­vaillé à la divi­sion des mala­dies infec­tieuses de la facul­té de méde­cine de l’u­ni­ver­si­té de Washing­ton avec des ado­les­cents et des jeunes adultes séro­po­si­tifs. Beau­coup d’entre eux étaient trans ou non conformes au genre, et je m’y recon­nais­sais : pen­dant mon enfance et mon ado­les­cence, je me suis moi-même beau­coup inter­ro­gé sur le genre. Je suis main­te­nant mariée à un « homme trans » [une femme qui se dit homme] et nous éle­vons ensemble mes deux enfants bio­lo­giques issus d’un pré­cé­dent mariage et trois enfants en famille d’ac­cueil que nous espé­rons adopter.

Tout cela m’a conduite à un emploi en 2018 en tant que ges­tion­naire de cas au Centre trans­genre de l’u­ni­ver­si­té de Washing­ton à l’hô­pi­tal pour enfants de Saint-Louis, qui avait été créé un an plus tôt. Le tra­vail du Centre se fon­dait sur l’hypothèse selon laquelle plus on traite tôt les enfants atteints de dys­pho­rie de genre, plus on peut leur évi­ter des angoisses plus tard. Cette pré­misse était par­ta­gée par les méde­cins et les thé­ra­peutes du centre. Étant don­né leur exper­tise, j’ai sup­po­sé qu’il exis­tait de nom­breuses preuves à l’appui de ce consensus.

Pen­dant les quatre années où j’ai tra­vaillé à la cli­nique en tant que ges­tion­naire de cas — j’é­tais res­pon­sable de l’ac­cueil et du sui­vi des patient·es — envi­ron un mil­lier de jeunes en détresse ont fran­chi nos portes. La majo­ri­té d’entre eux ont reçu des pres­crip­tions d’hor­mones pou­vant avoir des consé­quences bou­le­ver­santes, par­mi les­quelles la stérilité.

J’ai quit­té la cli­nique en novembre de l’an­née der­nière, inca­pable de conti­nuer à par­ti­ci­per à ce qui s’y pas­sait. Au moment où je suis par­tie, j’é­tais cer­taine que la façon dont le sys­tème médi­cal amé­ri­cain traite ces patient·es est à l’op­po­sé de la pro­messe que nous fai­sons de « ne pas nuire ». Au contraire, nous cau­sons un pré­ju­dice irré­ver­sible aux patient·es vul­né­rables dont nous nous occupons.

Aujourd’­hui, j’ai choi­si de m’exprimer. Je le fais en sachant à quel point le débat public autour de cette ques­tion très contro­ver­sée est toxique — et consciente des mau­vais usages qui pour­raient être faits de mon témoi­gnage. Je le fais en sachant que je m’ex­pose à de graves risques per­son­nels et professionnels.

Toutes celles et ceux que je côtoie, ou presque, m’ont conseillé de faire pro­fil bas. Mais je ne peux pas. Ma conscience m’en empêche. Parce que ce qui arrive à des tas d’en­fants importe bien plus que mon confort. Et parce que ce qui leur arrive est mora­le­ment et médi­ca­le­ment épouvantable.

L’ouverture des vannes

Peu après mon arri­vée au Centre trans­genre, j’ai été frap­pée par l’ab­sence de pro­to­coles for­mels de trai­te­ment. Les méde­cins co-direc­teurs du Centre étaient essen­tiel­le­ment la seule auto­ri­té. Au début, la popu­la­tion de patients cor­res­pon­dait au cas « typique » d’un enfant souf­frant de dys­pho­rie de genre : un gar­çon, sou­vent très jeune, qui vou­lait se pré­sen­ter comme — qui vou­lait être — une fille.

Jus­qu’en 2015 envi­ron, un très petit nombre de ces gar­çons consti­tuait la popu­la­tion des cas de dys­pho­rie de genre pédia­trique. Puis, dans tout le monde occi­den­tal, une nou­velle popu­la­tion a com­men­cé à aug­men­ter de façon spec­ta­cu­laire : des ado­les­centes, dont beau­coup n’a­vaient aucun anté­cé­dent de détresse de genre, ont sou­dai­ne­ment décla­ré qu’elles étaient trans­genres et exi­gé un trai­te­ment immé­diat à la tes­to­sté­rone. Je l’ai clai­re­ment consta­té au centre. L’une de mes tâches consis­tait à accueillir les nou­veaux patient·es et leurs familles. Lorsque j’ai com­men­cé, il y avait pro­ba­ble­ment 10 appels de ce type par mois. Lorsque je suis par­tie, il y en avait 50, et envi­ron 70 % des nou­veaux patient·es étaient des filles. Par­fois, des groupes de filles arri­vaient du même lycée.

Cela me pré­oc­cu­pait, mais je ne me sen­tais pas en mesure de tirer la son­nette d’a­larme à l’é­poque. Nous étions envi­ron huit dans l’é­quipe, et une seule autre per­sonne sou­le­vait le genre de ques­tions que je me posais. Qui­conque expri­mait des doutes cou­rait le risque d’être trai­té de transphobe.

Les filles qui venaient nous voir pré­sen­taient de nom­breuses comor­bi­di­tés : dépres­sion, anxié­té, TDAH, troubles ali­men­taires, obé­si­té. Beau­coup étaient diag­nos­ti­quées autistes ou pré­sen­taient des symp­tômes simi­laires à l’au­tisme. L’an­née der­nière, un rap­port sur un centre pédia­trique bri­tan­nique pour les trans­genres a révé­lé qu’en­vi­ron un tiers des patient·es qui y étaient envoyé·es étaient sur le spectre autistique.

Il arri­vait sou­vent que nos patient·es déclarent avoir tel ou tel trouble alors que toute l’équipe voyait bien qu’il n’en était rien. Nous avions des patient·s qui disaient avoir le syn­drome de Tou­rette (alors que ce n’était pas le cas) ; qu’ils avaient des troubles obses­sion­nels com­pul­sifs (alors que ce n’était pas le cas) ; qu’ils avaient des per­son­na­li­tés mul­tiples (alors que ce n’était pas le cas).

Les méde­cins recon­nais­saient en pri­vé que ces faux auto­diag­nos­tics étaient le résul­tat d’une conta­gion sociale. Ils recon­nais­saient même que le sui­cide com­porte un élé­ment de conta­gion sociale. Mais lorsque j’ai fait remar­quer que les pro­blèmes de genre des filles qui affluaient en groupe dans notre ser­vice résul­taient peut-être d’une conta­gion sociale, les méde­cins répon­dirent que l’i­den­ti­té de genre reflé­tait quelque chose d’inné.

Pour com­men­cer leur tran­si­tion, les filles avaient besoin d’une lettre de recom­man­da­tion d’un thé­ra­peute — géné­ra­le­ment celui que nous recom­man­dions — qu’il leur suf­fi­sait de ren­con­trer une ou deux fois pour obte­nir le feu vert. Afin de faci­li­ter la tâche des thé­ra­peutes, nous leur pro­po­sions un modèle tout fait de lettre de vali­da­tion de la tran­si­tion. L’é­tape sui­vante consis­tait en une visite unique chez l’en­do­cri­no­logue pour une pres­crip­tion de testostérone.

C’est tout ce qu’il fallait.

Lors­qu’une femme prend de la tes­to­sté­rone, les effets pro­fonds et per­ma­nents de cette hor­mone se mani­festent en quelques mois. Le timbre de voix devient grave, la barbe pousse, la graisse cor­po­relle est redis­tri­buée. L’in­té­rêt sexuel aug­mente, l’a­gres­si­vi­té aus­si, et l’hu­meur devient instable. Cer­tains de ces effets secon­daires (dont la sté­ri­li­té) étaient expli­qués à nos patientes. Mais après avoir tra­vaillé au centre, je consi­dère désor­mais que les adolescent·es ne sont tout sim­ple­ment pas capables de sai­sir plei­ne­ment ce que signi­fie la déci­sion de deve­nir sté­rile alors qu’ils et elles sont encore mineures.

Les effets secondaires

Les nom­breuses ren­contres que j’ai eues avec les patient·es m’ont per­mis de consta­ter à quel point les jeunes ne sont pas en mesure de com­prendre les graves réper­cus­sions d’un chan­ge­ment de genre sur leur corps et leur esprit. Mais le Centre mini­mi­sait les consé­quences néga­tives et insis­tait sur la néces­si­té de la tran­si­tion. Comme l’in­dique le site web du Centre : « Si elle n’est pas trai­tée, la dys­pho­rie de genre peut avoir de nom­breuses consé­quences, de l’au­to­mu­ti­la­tion au sui­cide. Mais lorsque vous sup­pri­mez la dys­pho­rie de genre en per­met­tant à un enfant d’être qui il ou elle est, nous consta­tons que cela dis­pa­raît. Les études dont nous dis­po­sons montrent que ces enfants finissent sou­vent par aus­si bien fonc­tion­ner que leurs pairs, voire mieux, sur le plan psychosocial. »

Seule­ment, aucune étude fiable ne démontre une telle chose. En réa­li­té, les expé­riences de nombreux·se patient·es du Centre prouvent même que ces affir­ma­tions sont fausses.

En voi­ci un exemple. Le ven­dre­di 1er mai 2020, un col­lègue m’a envoyé un e‑mail au sujet d’un patient mas­cu­lin de 15 ans : « Oh là là. Je crains que [le patient] ne com­prenne pas ce que fait le Bica­lu­ta­mide. » J’ai répon­du : « Hon­nê­te­ment, je ne pense pas que nous devrions com­men­cer quoi que ce soit pour le moment. »

Le Bica­lu­ta­mide est un médi­ca­ment uti­li­sé pour trai­ter le can­cer de la pros­tate méta­sta­tique. Entre autres effets secon­daires, il fémi­nise le corps des hommes qui le prennent, y com­pris en pro­vo­quant l’ap­pa­ri­tion de seins. Le Centre pres­cri­vait ce médi­ca­ment anti­can­cé­reux comme blo­queur de puber­té et agent fémi­ni­sant pour les gar­çons. Comme la plu­part des médi­ca­ments anti­can­cé­reux, le bica­lu­ta­mide a une longue liste d’ef­fets secon­daires, et ce patient a connu l’un d’entre eux : la toxi­ci­té hépa­tique. Il a été envoyé dans une autre uni­té de l’hô­pi­tal pour être éva­lué et son trai­te­ment a été immé­dia­te­ment arrê­té. Par la suite, sa mère a envoyé un e‑mail au Centre trans­genre pour nous dire que nous devrions nous esti­mer chan­ceux que sa famille ne soit pas du genre à enta­mer des pour­suites judiciaires.

L’appel que nous avons reçu en 2020 d’une patiente — fille bio­lo­gique — de 17 ans sous tes­to­sté­rone illustre éga­le­ment à quel point les patient·es sai­sissent mal ce qui les attend. Cette per­sonne nous a appe­lé pour nous dire qu’elle sai­gnait du vagin. En moins d’une heure, elle avait imbi­bé un tam­pon très épais, son jean et une ser­viette qu’elle avait enrou­lée autour de sa taille. L’in­fir­mière du Centre lui a dit d’al­ler tout de suite aux urgences.

Nous avons décou­vert plus tard que cette fille avait eu des rap­ports sexuels et que, comme la tes­to­sté­rone amin­cit les tis­sus vagi­naux, son canal vagi­nal s’é­tait déchi­ré. Il a fal­lu la mettre sous séda­tif et lui faire subir une inter­ven­tion chi­rur­gi­cale pour répa­rer les dégâts. Sachant que nous avons eu vent d’autres cas de déchi­re­ment vaginal.

D’autres jeunes filles étaient per­tur­bées par les effets de la tes­to­sté­rone sur leur cli­to­ris, qui s’ac­croit et se trans­forme en quelque chose res­sem­blant à un micro­phal­lus ou à un petit pénis. J’ai conseillé une patiente dont le cli­to­ris hyper­tro­phié des­cen­dait main­te­nant jusqu’en-dessous de sa vulve, frot­tant dou­lou­reu­se­ment dans son jean. Je lui ai conseillé de se pro­cu­rer le genre de sous-vête­ments de com­pres­sion que portent les hommes bio­lo­giques qui cherchent à pas­ser pour des femmes. À la fin de l’ap­pel, je me suis dit : « Wow, on a vrai­ment nuit à cette enfant. »

Il existe de rares condi­tions dans les­quelles les bébés naissent avec des organes géni­taux aty­piques — des cas qui néces­sitent des soins sophis­ti­qués et beau­coup de com­pas­sion. Mais les cli­niques comme celle où je tra­vaillais fabriquent tout un tas d’en­fants aux organes géni­taux aty­piques — dont la plu­part n’ont encore jamais eu de rela­tions sexuelles. Ils et elles n’a­vaient aucune idée de qui ils et elles devien­draient à l’âge adulte. Pour­tant, il a suf­fi d’une ou deux brèves conver­sa­tions avec un thé­ra­peute pour qu’ils subissent des trans­for­ma­tions irrémédiables.

Le fait de rece­voir de puis­santes doses de tes­to­sté­rone ou d’œs­tro­gène — en quan­ti­té suf­fi­sante pour duper son corps en l’amenant à ten­ter de déve­lop­per l’apparence du sexe oppo­sé — a des effets sur tout le reste du corps. Je doute que les parents qui acceptent que l’on donne de la tes­to­sté­rone à leur enfant (un trai­te­ment à vie) sachent qu’ils l’engagent aus­si à rece­voir des médi­ca­ments contre la ten­sion arté­rielle et le cho­les­té­rol, et peut-être même contre l’a­pnée du som­meil et le diabète.

Par­fois, les parents finissent par le réa­li­ser dou­lou­reu­se­ment. Comme cette mère :

« Je vous prie de prendre note que je retire mon consen­te­ment concer­nant le trai­te­ment médi­cal. Ses notes ont bais­sé, il y a eu de nom­breuses consul­ta­tions chez le psy­cho­logue com­por­te­men­tal et main­te­nant il a été mis sous 5 médi­ca­ments dif­fé­rent. Lexi­pro, Tra­za­done, Bus­par, etc. [Soit deux anti-dépres­seurs, et un anxio­ly­tique]. **** n’est plus qu’une coquille vide de qui il était et cri­blé d’anxiétés. Qui sait si cela pro­vient des blo­queurs de puber­té ou des autres médi­ca­ments. Je retire mon consen­te­ment. Je ne veux plus que lui soit admi­nis­tré le sup­pres­seur d’hormones. Merci »

***

Patient·es négligé·es et malades mentaux

Outre les ado­les­centes, un autre nou­veau groupe nous a été envoyé : des jeunes de l’u­ni­té psy­chia­trique des patient·es hos­pi­ta­li­sés, ou du ser­vice des urgences de l’hô­pi­tal pour enfants de Saint-Louis. La san­té men­tale de ces enfants est très pré­oc­cu­pante : ils sont diag­nos­ti­qués comme souf­frant de schi­zo­phré­nie, de SSPT, de troubles bipo­laires, etc. Et sou­vent, ils sui­vaient déjà un trai­te­ment com­po­sé d’un cock­tail de médicaments.

C’é­tait tra­gique, mais pas sur­pre­nant étant don­né le pro­fond trau­ma­tisme que cer­tains avaient subi. Pour­tant, quelle que soit la souf­france ou la dou­leur endu­rée par un enfant, ou le peu de soin et d’a­mour qu’il avait reçu, nos méde­cins consi­dé­raient la tran­si­tion de genre — même avec toutes les dépenses et les dif­fi­cul­tés qu’elle impli­quait — comme la solution.

Cer­taines semaines, nous avions l’im­pres­sion que la qua­si-tota­li­té de nos cas n’é­tait consti­tuée que de jeunes gens perturbés.

Par exemple, un ado­les­cent est venu nous voir au cours de l’é­té 2022, qui avait 17 ans et vivait dans un centre fer­mé parce qu’il avait abu­sé sexuel­le­ment de chiens. Il avait eu une enfance ter­rible : sa mère était toxi­co­mane, son père était incar­cé­ré et il avait gran­di dans des familles d’ac­cueil. Quel que soit le trai­te­ment qu’il rece­vait (s’il en rece­vait un), il ne fonc­tion­nait pas.

Lorsqu’on l’a admis, j’ai appris d’un autre tra­vailleur social qu’à sa sor­tie, il pré­voyait de réci­di­ver parce qu’il croyait que les chiens s’é­taient sou­mis volontairement.

À un moment don­né, il a expri­mé le désir de deve­nir une femme, c’est pour­quoi il a fini par être reçu dans notre centre. De là, il est allé voir un psy­cho­logue de l’hô­pi­tal connu pour approu­ver pra­ti­que­ment toutes les per­sonnes cher­chant à tran­si­tion­ner. Il lui a pres­crit des hor­mones fémi­ni­santes. À l’é­poque, je me suis deman­dé s’il s’agissait d’une forme de cas­tra­tion chimique.

J’ai pen­sé la même chose d’un autre cas. Au prin­temps 2022, un jeune homme nous a été envoyé qui souf­frait d’un trouble obses­sion­nel-com­pul­sif intense qui se mani­fes­tait par le désir de se cou­per le pénis après s’être mas­tur­bé. Ce patient n’ex­pri­mait aucune dys­pho­rie de genre. Pour­tant, on lui a aus­si pres­crit des hor­mones. J’ai deman­dé au méde­cin quel pro­to­cole il sui­vait, mais n’ai jamais obte­nu de réponse claire.

In Loco Parentis

Un autre aspect trou­blant du Centre était son manque de consi­dé­ra­tion pour les droits des parents. Les méde­cins se consi­dé­raient comme de meilleurs déci­deurs en ce qui concerne le sort de ces enfants.

Dans le Mis­sou­ri, le consen­te­ment d’un seul parent suf­fit pour le trai­te­ment d’un enfant. Et lors­qu’il y a un dif­fé­rend entre les parents, il semble que le Centre prenne tou­jours le par­ti du parent affir­ma­tif [du genre].

Mes pré­oc­cu­pa­tions concer­nant cette approche des parents dis­si­dents se sont accrues en 2019 quand un de nos méde­cins a témoi­gné durant une audience de garde contre un père qui s’op­po­sait au sou­hait de la mère de pla­cer leur fille de 11 ans sous blo­queurs de puberté.

Je m’étais char­gé de l’ap­pel d’ac­cueil ini­tial, et j’avais trou­vé la mère assez inquié­tante. Le couple était en plein divorce, et la mère décri­vait sa fille comme « une sorte de gar­çon man­qué ». La mère était donc convain­cue que son enfant était trans. Mais quand je lui ai deman­dé si sa fille avait adop­té un nom de gar­çon, si elle était angois­sée par son corps, si elle disait qu’elle se sen­tait comme un gar­çon, elle m’a répon­du par la néga­tive. Je lui ai donc expli­qué que sa fille ne rem­plis­sait pas les cri­tères d’évaluation.

Un mois plus tard, la mère a rap­pe­lé, en disant que sa fille uti­li­sait main­te­nant un nom de gar­çon, qu’elle était angois­sée par son corps et qu’elle vou­lait effec­tuer une tran­si­tion. Cette fois, la mère et la fille ont obte­nu un ren­dez-vous. Nos pres­ta­taires ont déci­dé que la fille était trans et lui ont pres­crit des blo­queurs de puber­té pour empê­cher son déve­lop­pe­ment normal.

Le père n’é­tait abso­lu­ment pas d’ac­cord, affir­mant que c’était la mère qui la pous­sait à faire ça. Une bataille pour la garde s’en est sui­vi. Après l’au­dience où notre méde­cin a témoi­gné en faveur de la tran­si­tion, le juge s’est ran­gé du côté de la mère.

J’ai fait part de mes pré­oc­cu­pa­tions concer­nant les droits et le consen­te­ment des parents dans des e‑mails comme celui-ci :

« Mer­ci, je n’avais aucun pro­blème à inter­pré­ter ou com­prendre les élé­ments qu’elle a com­men­té ci-des­sous. Je me posais des ques­tions sur la manière dont le consen­te­ment est désor­mais obte­nu. Je crains que le juge ne soit en train de sup­pri­mer le consen­te­ment paren­tal pour le pla­cer entre nos mains. Le juge aurait pu confier la déci­sion ou la garde au père. À la place, il place la déci­sion entre les mains du centre pour la tran­si­tion médi­cale. On parle d’un patient qui n’a pas 16 ans. »

***

« Je veux retrouver mes seins »

Comme j’é­tais la prin­ci­pale per­sonne char­gée de l’ac­cueil, je dis­po­sais de la vision la plus large sur nos patient·es exis­tants et poten­tiels. En 2019, un nou­veau groupe de per­sonnes est appa­ru dans mes dos­siers : les aban­don­nistes [il nous semble oppor­tun d’u­ti­li­ser ce terme pour rendre le mot anglais desis­ters, notam­ment parce qu’en fran­çais, « aban­don­niste » désigne, dans le domaine du mar­ke­ting, « un ache­teur poten­tiel qui abandonne/quitte le pro­ces­sus d’a­chat dans lequel il était enga­gé avant la fin, et donc avant d’a­voir fina­li­sé son achat » (NdT)] et les détran­si­tion­nistes. Les aban­don­nistes choi­sissent de ne pas aller jus­qu’au bout d’une tran­si­tion. Les détran­si­tion­nistes sont des per­sonnes trans­genres qui décident de reve­nir à leur genre de nais­sance. [Oui, sexe et genre sont un peu tou­jours confon­dus dans son pro­pos, comme chez toutes celles et ceux qui adhèrent aux idées trans (NdT)]

Le seul col­lègue avec lequel j’ai pu par­ta­ger mes pré­oc­cu­pa­tions s’accordait avec moi à pen­ser que nous devrions suivre les cas de désis­te­ments et de détran­si­tions. Nous pen­sions que les méde­cins vou­draient recueillir et com­prendre ces don­nées afin de com­prendre ce qu’ils avaient manqué.

Nous avions tort. Un méde­cin s’est deman­dé à haute voix pour­quoi il consa­cre­rait du temps à quel­qu’un qui n’é­tait plus son patient.

Mais nous avons quand même créé un docu­ment que nous avons appe­lé la Liste des dra­peaux rouges. Il s’a­gis­sait d’une fichier Excel qui réper­to­riait le type de patient·es qui nous empê­chait, mon col­lègue et moi, de dor­mir la nuit.

L’un des cas de détran­si­tion les plus tristes dont j’ai été témoin était une ado­les­cente qui, comme beau­coup de nos patient·es, venait d’une famille instable, vivait dans des condi­tions pré­caires et avait des anté­cé­dents de toxi­co­ma­nie. L’é­cra­sante majo­ri­té de nos patient·es sont blancs, mais cette fille était noire. Elle a été mise sous hor­mones au Centre quand elle avait envi­ron 16 ans. À 18 ans, elle a subi une double mas­tec­to­mie, que l’on appelle « chi­rur­gie du haut ».

Trois mois plus tard, elle a appe­lé le cabi­net du chi­rur­gien pour dire qu’elle repre­nait son nom de nais­sance et que son pro­nom était « elle ». Le cœur bri­sé, elle a dit à l’in­fir­mière : « Je veux retrou­ver mes seins. » Le cabi­net du chi­rur­gien a contac­té notre bureau car il ne savait pas quoi dire à cette fille.

Mon col­lègue et moi lui avons dit que nous allions la contac­ter. Il nous a fal­lu un cer­tain temps pour la retrou­ver. Une fois que nous y sommes par­ve­nus, nous nous sommes assu­rés qu’elle était en bonne san­té men­tale, qu’elle n’é­tait pas sui­ci­daire, qu’elle ne consom­mait pas de sub­stances. Aux der­nières nou­velles, elle était enceinte. Bien sûr, elle ne pour­ra jamais allai­ter son enfant.

« Suivre les règles, ou foutre le camp »

Au bout d’un moment, je n’ai plus pu sup­por­ter tout ce qui se pas­sait au centre. Au prin­temps 2020, j’ai res­sen­ti une obli­ga­tion médi­cale et morale de faire quelque chose. J’ai donc pris la parole au bureau et envoyé de nom­breux e‑mails.

En voi­ci un exemple : le 6 jan­vier 2022, j’ai reçu un e‑mail d’un thé­ra­peute du per­son­nel me deman­dant de l’aide concer­nant un jeune homme trans­genre de 16 ans vivant dans un autre État. « Les parents sont ouverts à ce que le patient voie un thé­ra­peute mais ne sont pas affir­ma­tifs du genre et le patient ne veut pas que ses parents soient au cou­rant de son iden­ti­té de genre. J’ai du mal à trou­ver un thé­ra­peute affir­ma­tif du genre. »

J’ai répon­du : « Je ne suis pas éthi­que­ment d’ac­cord pour mettre en rela­tion un patient mineur avec un thé­ra­peute qui serait affir­ma­tif du genre et dont le tra­vail serait cen­tré sur le genre sans que cela soit dis­cu­té avec un parent qui accepte ce type de soin. »

« Au centre, on ne pro­pose pas de soins d’affirmation du genre à des patients mineurs sans le consen­te­ment d’au moins un des parents ou des tuteurs légaux. »

Durant toutes mes années à la facul­té de méde­cine de l’u­ni­ver­si­té de Washing­ton, j’ai obte­nu de très bonnes éva­lua­tions de per­for­mance. Mais en 2021, les choses ont chan­gé. J’ai obte­nu des notes infé­rieures à la moyenne concer­nant mon « juge­ment » et mes « rela­tions de travail/esprit de coopé­ra­tion ». Tout en me décri­vant comme « res­pon­sable, conscien­cieuse, tra­vailleuse et pro­duc­tive », l’é­va­lua­tion notait : « Par­fois, Jamie réagit mal aux direc­tives de la direc­tion en se met­tant sur la défen­sive et en témoi­gnant de l’hostilité. »

Les choses ont atteint leur paroxysme lors d’une demi-jour­née de retraite à l’é­té 2022. Devant l’é­quipe, les méde­cins ont décla­ré que mon col­lègue et moi devions ces­ser de remettre en ques­tion « la méde­cine et la science » ain­si que leur auto­ri­té. Puis, un admi­nis­tra­teur nous a dit que nous devions « suivre les règles, ou foutre le camp ».

Le sys­tème de l’u­ni­ver­si­té de Washing­ton offre un géné­reux pro­gramme de paie­ment des frais d’é­tudes uni­ver­si­taires aux employés de longue date. Je vis de mon salaire et je n’ai pas d’argent à mettre de côté pour payer cinq frais de sco­la­ri­té pour mes enfants. Je devais gar­der mon emploi. J’é­prouve aus­si beau­coup de loyau­té envers l’u­ni­ver­si­té de Washington.

Mais j’ai déci­dé à ce moment-là que je devais quit­ter le Centre trans­genre, et, pour ce faire, que je devais faire pro­fil bas afin d’améliorer ma pro­chaine éva­lua­tion de performance.

J’ai réus­si à obte­nir une éva­lua­tion décente, et j’ai décro­ché un emploi de coor­di­na­tion de la recherche dans un autre ser­vice de la facul­té de méde­cine de l’u­ni­ver­si­té de Washing­ton. J’ai don­né mon pré­avis et j’ai quit­té le Centre trans­genre en novembre 2022.

Ce que je voudrais qu’il se passe

Pen­dant quelques semaines, j’ai essayé de tout mettre der­rière moi et de m’ins­tal­ler dans mon nou­veau travail.

Mais je suis tom­bée sur des com­men­taires du Dr Rachel Levine, une femme trans­genre qui est un haut fonc­tion­naire du dépar­te­ment fédé­ral de la san­té et des ser­vices sociaux. L’ar­ticle disait : « Levine, la secré­taire adjointe à la san­té des États-Unis, a décla­ré que les cli­niques pro­cèdent avec pru­dence et qu’au­cun enfant amé­ri­cain ne reçoit incon­si­dé­ré­ment de médi­ca­ments ou d’hor­mones pour la dys­pho­rie de genre. »

Je me suis sen­tie stu­pé­faite et écœu­rée. C’était un men­songe. Et je le savais d’expérience.

J’ai donc com­men­cé à écrire tout ce que je pou­vais sur mon expé­rience au Centre trans­genre. Il y a deux semaines, j’ai por­té mes pré­oc­cu­pa­tions et mes docu­ments à l’at­ten­tion du pro­cu­reur géné­ral du Mis­sou­ri. Il est répu­bli­cain. Je suis pro­gres­siste. Mais la sécu­ri­té des enfants ne devrait pas faire les frais de nos guerres culturelles.

Cli­quez ici pour lire la lettre de Jamie Reed au pro­cu­reur géné­ral du Mis­sou­ri.

Compte tenu de l’opacité et de l’ab­sence de normes rigou­reuses qui carac­té­risent la tran­si­tion de genre des jeunes dans tout le pays, je crois que pour assu­rer la sécu­ri­té des enfants amé­ri­cains, nous devons décré­ter un mora­toire sur les trai­te­ments hor­mo­naux et chi­rur­gi­caux des jeunes souf­frant de dys­pho­rie de genre.

Selon l’a­gence Reu­ters [repor­tage tra­duit en fran­çais, cli­quez sur le lien], au cours des 15 der­nières années, les États-Unis sont pas­sés de zéro cli­nique pédia­trique spé­cia­li­sée dans le genre à plus de 100. Une ana­lyse appro­fon­die devrait être entre­prise pour savoir ce qui a été fait à leurs patient·es et pour­quoi — et quelles sont les consé­quences à long terme.

La voie que nous devons suivre est claire. L’an­née der­nière, l’An­gle­terre a fer­mé le Centre Tavi­stock, la seule cli­nique pour jeunes du pays, après qu’une enquête ait révé­lé des pra­tiques dou­teuses et un mau­vais trai­te­ment des patient·es. La Suède et la Fin­lande ont éga­le­ment enquê­té sur la tran­si­tion pédia­trique et ont consi­dé­ra­ble­ment frei­né cette pra­tique, esti­mant que les preuves de son uti­li­té étaient insuf­fi­santes et qu’elle ris­quait d’être très préjudiciable.

Cer­tains cri­tiques décrivent le trai­te­ment pro­po­sé dans des endroits comme le Centre trans­genre où j’ai tra­vaillé comme une sorte d’expérimentation natio­nale. Mais c’est faux.

Les expé­riences sont cen­sées être soi­gneu­se­ment conçues. Les hypo­thèses sont cen­sées être tes­tées de manière éthique. Or, à pro­pos du trai­te­ment de nos patient·es, les méde­cins aux côtés des­quels je tra­vaillais au Centre trans­genre disaient sou­vent : « Nous construi­sons l’a­vion tout en le fai­sant voler. » Aucun enfant ne devrait être à bord d’un tel d’avion.

Jamie Reed


Tra­duc­tion : Audrey A. & Nico­las Casaux

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