Le tout dernier documentaire à faire le buzz dans le milieu écolo grand public s’intitule Chasing Coral (ce qui pourrait être traduit par : « À la Recherche du Corail »). Disponible en ligne sur le site de Netflix depuis le 14 juillet 2017, ce film documentaire primé au festival très tendance de Sundance a été tourné sur plus de trois ans, à l’aide de plus de 500 heures de vidéo (dont des heures et des heures de vidéo montrant comment leurs vidéos ont été enregistrées, comme nous allons le voir).
Subventionné par l’argent du philanthrocapitalisme, à l’instar de tous les documentaires écolos grand public (comme Avant le déluge de DiCaprio, Demain le film de Mélanie Laurent et Cyril Dion, etc.), on retrouve, parmi ses financeurs, et pour n’en citer que quelques-uns, le « philanthrope environnementaliste » David Cornfield (ayant fait carrière chez Microsoft et partie des premiers investisseurs d’Amazon.com), des organismes « philanthropiques » comme le Kendeda Fund (créé par Diana Blank, l’ex-femme du co-fondateur de Home Depot, une multinationale états-unienne, plus grand détaillant au monde en matière d’équipement de la maison), The Ocean Agency (une ONG fondée en 2010 par d’anciens grands pontes du secteur de la publicité), la Fondation Ford, l’Open Society Foundations, des entreprises comme GoPro et Red (une entreprise américaine de fabrication de caméras de cinéma numérique), etc. Bref, beaucoup d’argent, provenant d’individus, d’organisations ou d’entreprises tout sauf partisans de la décroissance ou anticapitalistes, et dont les empreintes écologiques sont à la mesure des sommes d’argent qu’ils brassent.
Ce qui explique pourquoi on y retrouve les mêmes travers, les mêmes perspectives problématiques et les mêmes carences que dans les autres documentaires écolos grand public.
À commencer par la perspective problématique du suprémacisme et du narcissisme inhérents à la civilisation, qui se manifestent tout au long du documentaire à travers une infinité de remarques présentant l’importance de conserver les récifs coralliens pour la raison qu’ils peuvent servir à l’humanité industrielle (nourriture, médicaments élaborés à partir du rhizome du corail, etc.), et non pas parce qu’ils sont constitués d’espèces vivantes possédant une valeur intrinsèque, indépendante de l’homme, non pas parce que les récifs coralliens constituent des habitats cruciaux pour d’innombrables autres espèces, autres que l’homme. Durant tout le film, la principale motivation du sauvetage des récifs coralliens mise en avant est leur utilité technique pour l’être humain, et plus particulièrement, pour la civilisation industrielle. Un angle de vue typique de la fausse écologie, parfois qualifiée de superficielle, ou d’utilitariste, ainsi que l’explique Satish Kumar dans la vidéo suivante :
Deuxième problème : le documentaire véhicule une puissante fascination pour — et mise en valeur des — hautes technologies, pendant plus de la moitié de sa durée totale. Autrement dit, Chasing Coral n’est pas qu’un documentaire sur les coraux, c’en est aussi (et peut-être surtout) un sur les choses incroyables que l’homme est en mesure d’accomplir grâce à la technologie (et surtout grâce aux hautes technologies). Non, je ne parle pas de la chose incroyable qui consiste à détruire 50% des récifs coralliens en moins de 30 ans, bien que cela représente une sacrée prouesse technique, directement liée au développement technologique de la civilisation. La moitié du documentaire, environ, est une célébration du matériel hautement technologique utilisé pour filmer et photographier les coraux : caméra sous-marine en mode Time-Lapse posée sur son trépied ou dans un globe translucide doté d’un essuie-glace pour « assurer la propreté de la vitre », grâce à un « bras magnétique », relié à un « BeagleBoard » ou à un « Raspberry Pi et un SSH » ; « routeur placé dans un encastrement sous-marin », qui « communique sans fil avec la caméra », etc. Gloire à la technologie. Mais, bien entendu, cette exaltation de la high-tech n’a rien d’étonnant. Après tout, Chasing Coral a été financé par des entreprises produisant de tels appareils (GoPro et Red, par exemple). Aucune mention, en revanche, des ravages écologiques liés à la production en masse de tous ces engins high-tech, à l’extraction des matières premières nécessaires à leur fabrication, ou encore à leur recyclage (ou absence de, puisque, rappelons-le, au niveau mondial, 90% des e‑déchets, ou déchets électroniques, ne sont pas recyclés, et finissent dans des pays pauvres, dans des décharges à ciel ouvert où ils pourrissent les eaux, les sols et l’atmosphère). Aucune mention, donc, de la contradiction manifeste entre développement (hautement) technologique et préservation de l’environnement. Mais, encore une fois, c’était attendu.
La confusion résultant de la profusion des médias de masse et des informations souvent futiles et/ou mensongères et/ou insidieuses qu’ils diffusent en permanence, doublée de l’asservissement salarial qui vole le temps et l’attention des individus, font que bien peu perçoivent l’impasse où nous nous dirigeons. De plus, intérêts financiers obligent, celui qui voudrait faire un documentaire sur la nécessité de combattre les ravages écologiques de la civilisation industrielle par la décroissance, par une désindustrialisation, par un abandon (même progressif) des hautes-technologies au profit des basses technologies (low-tech), par le démantèlement du capitalisme et de ses inégalités, ne verrait aucun « philanthrope environnementaliste », aucune fondation philanthropique, ni aucune institution monétaire se bousculer pour le financer.
Troisième problème : la solution absurde suggérée en à peine deux minutes à la fin du film. Tout documentaire écolo grand public se doit (en plus de ne pas être trop critique à l’égard des institutions dominantes) de présenter un point de vue naïvement et béatement optimiste, d’offrir de l’espoir (de ne pas trop effrayer le spectateur, de ne pas trop déranger ses certitudes et ses habitudes), et donc de proposer une solution (simple, de préférence, ne requérant presque rien de la part du consommateur, et qui lui permette d’ailleurs de le rester). Il s’agit d’une condition sine qua non de sa réalisation (de son financement) et de sa diffusion. Chasing Coral n’y coupe pas. La solution est à portée de porte-monnaie (« ce n’est pas comme si on n’avait pas les moyens financiers ou les ressources »). De quoi s’agit-il ? De développer la production d’énergie dite « renouvelable » (ou « verte », ou « propre », selon le choix du publicitaire), évidemment. Cette imbécilité qui ne résout rien, bien au contraire (mais qui permet au consommateur d’avoir l’impression d’agir en achetant un panneau solaire, ou d’avoir l’impression que quelque chose est fait pour sauver l’environnement tandis qu’il constate que des parcs éoliens et des centrales solaires poussent un peu partout).
Pour comprendre ce dernier point, je vous renvoie vers un autre article publié ici, intitulé « L’étrange logique derrière la quête d’énergies ‘renouvelables’ ». Une section entière de notre site est d’ailleurs consacrée à la démystification de l’absurdité consistant à présenter le développement de nouvelles manières de produire de l’énergie à partir de machines pour alimenter les autres machines qui constituent la trame de l’existence dans la civilisation contemporaine comme une solution au problème de la destruction de la nature.
Reste que certaines images de ce mauvais documentaire peuvent peut-être servir à exposer la catastrophe de la destruction du corail, c’est pourquoi je me suis permis de les couper et d’en faire la vidéo suivante :
Nicolas Casaux