Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable (par René Riesel et Jaime Semprun)

Quelques mor­ceaux choi­sis de l’ex­cellent livre de René Rie­sel et Jaime Sem­prun, Catas­tro­phisme, admi­nis­tra­tion du désastre et sou­mis­sion durable, édi­tions de l’En­cy­clo­pé­die des Nui­sances (2008).


L’extinction finale vers laquelle nous entraîne la per­pé­tua­tion de la socié­té indus­trielle est deve­nue en très peu d’années notre ave­nir offi­ciel. Qu’elle soit consi­dé­rée sous l’angle de la pénu­rie éner­gé­tique, du dérè­gle­ment cli­ma­tique, de la démo­gra­phie, des mou­ve­ments de popu­la­tions, de l’empoisonnement ou de la sté­ri­li­sa­tion du milieu, de l’artificialisation des êtres vivants, sous tous ceux-là à la fois ou sous d’autres encore, car les rubriques du catas­tro­phisme ne manquent pas, la réa­li­té du désastre en cours, ou du moins des risques et des dan­gers que com­porte le cours des choses, n’est plus seule­ment admise du bout des lèvres, elle est désor­mais détaillée en per­ma­nence par les pro­pa­gandes éta­tiques et médiatiques. […] 

La dégra­da­tion irré­ver­sible de la vie ter­restre due au déve­lop­pe­ment indus­triel a été signa­lée et décrite depuis plus de cin­quante ans. Ceux qui détaillaient le pro­ces­sus, ses effets cumu­la­tifs et les seuils de non-retour pré­vi­sibles, comp­taient qu’une prise de conscience y met­trait un terme par un chan­ge­ment quel­conque. Pour cer­tains ce devaient être des réformes dili­gem­ment conduites par les États et leurs experts, pour d’autres il s’agissait sur­tout d’une trans­for­ma­tion de notre mode de vie, dont la nature exacte res­tait en géné­ral assez vague ; enfin il y en avait même pour pen­ser que c’était plus radi­ca­le­ment toute l’organisation sociale exis­tante qui devait être abat­tue par un chan­ge­ment révo­lu­tion­naire. Quels que fussent leurs désac­cords sur les moyens à mettre en œuvre, tous par­ta­geaient la convic­tion que la connais­sance de l’étendue du désastre et de ses consé­quences iné­luc­tables entraî­ne­rait pour le moins quelque remise en cause du confor­misme social, voire la for­ma­tion d’une conscience cri­tique radi­cale. Bref, qu’elle ne res­te­rait pas sans effet.

Contrai­re­ment au pos­tu­lat impli­cite de toute la « cri­tique des nui­sances » (pas seule­ment celle de l’EdN), selon lequel la dété­rio­ra­tion des condi­tions de vie serait un « fac­teur de révolte », force a été de consta­ter que la connais­sance tou­jours plus pré­cise de cette dété­rio­ra­tion s’intégrait sans heurts à la sou­mis­sion et par­ti­ci­pait sur­tout de l’adaptation à de nou­velles formes de sur­vie en milieu extrême. […]

La dis­si­mu­la­tion et le men­songe ont bien sûr été uti­li­sés à maintes reprises, le sont et le seront encore, par l’industrie et les États. Toutes sortes d’opérations doivent être menées dans la plus grande dis­cré­tion, et gagnent à n’apparaître en pleine lumière que sous forme de faits accom­plis. Mais comme le prin­ci­pal fait accom­pli est l’existence de la socié­té indus­trielle elle-même, la sou­mis­sion à ses impé­ra­tifs, on peut y intro­duire sans dan­ger des zones tou­jours plus éten­dues de trans­pa­rence : le citoyen désor­mais bien rodé à son tra­vail de consom­ma­teur est avide d’informations pour éta­blir lui-même son bilan « risques-béné­fices », tan­dis que de son côté chaque empoi­son­neur cherche aus­si à se dis­cul­per en noir­cis­sant ses concur­rents. Il y aura donc tou­jours matière à « révé­la­tions » et à « scan­dales », tant qu’il y aura des mar­chands pour trai­ter une telle matière pre­mière : à côté des mar­chands de poi­sons, des mar­chands de scoops jour­na­lis­tiques, d’indignations citoyennes, d’enquêtes sensationnelles.

Cela étant, l’essentiel du cours du désastre n’a jamais été secret. Tout était là, depuis des décen­nies, pour com­prendre vers quoi nous menait le « déve­lop­pe­ment » : ses magni­fiques résul­tats s’étalaient par­tout, à la vitesse d’une marée noire ou de l’édification d’une « ville nou­velle » en bor­dure d’autoroute. […]

Au spec­tacle qu’offrent les contem­po­rains, on a par­fois du mal à se dépar­tir du sen­ti­ment qu’ils ont fini par aimer leur monde. Ce n’est évi­dem­ment pas le cas. Ils s’efforcent seule­ment de s’y faire, ils s’imposent une fou­lée de jog­ging et puisent dans leurs pres­crip­tions d’anxiolytiques, tout en pres­sen­tant vague­ment que leur corps s’y abîme, que leur esprit s’y égare, que les pas­sions aux­quelles on s’y livre tournent court. Cepen­dant, n’ayant plus rien d’autre à aimer que cette exis­tence para­si­taire désor­mais ins­tal­lée sans par­tage, ils s’accrochent à l’idée que, comme la socié­té qui leur inflige les tour­ments de la com­pé­ti­tion per­ma­nente leur four­nit les psy­cho­tropes pour les endu­rer, et même s’en récréer (sur le modèle des sta­kha­no­vistes de la per­for­mance car­rié­riste et hédo­niste mis en vedette par le spec­tacle), elle se mon­tre­ra capable de per­fec­tion­ner les contre­par­ties en échange des­quelles ils ont accep­té de dépendre d’elle en tout.

C’est pour­quoi, déjà bien entraî­nés aux sophismes de la rési­gna­tion et aux conso­la­tions de l’impuissance, ils peuvent res­ter aus­si impa­vides devant les sinistres pré­dic­tions dont on les abreuve. Au moins autant que le conte­nu de celles-ci, la sou­dai­ne­té appa­rente et démons­tra­ti­ve­ment contrainte de leur offi­cia­li­sa­tion aurait sinon de quoi sus­ci­ter l’inquiétude du plus confiant des citoyens. Et cette inquié­tude aurait tout lieu de tour­ner à la panique au vu de l’incapacité à ima­gi­ner quelque issue de secours pra­ti­cable dont témoigne le bric-à-brac incon­gru de péti­tions de prin­cipe, injonc­tions morales et som­ma­tions à renon­cer à quelques com­mo­di­tés tech­no-mar­chandes (en échange d’autres plus durables) qui consti­tue à peu près tout ce qu’on trouve à oppo­ser expli­ci­te­ment à la pers­pec­tive d’une « extinc­tion finale » ou, pour mieux dire, d’une fin du monde cette fois ration­nel­le­ment pro­mise. Le fait qu’il n’en soit rien, que le catas­tro­phisme se dif­fuse sans bruit dans le corps social, est bien dénon­cé comme une déné­ga­tion par les catas­tro­phistes les plus extré­mistes – ceux qui greffent sur la pré­dic­tion « scien­ti­fique » l’espoir d’un renou­veau social, voire d’un « chan­ge­ment de mode de vie ». Mais ils ne voient por­ter cette déné­ga­tion que sur les « menaces » dont ils tiennent la liste à jour, alors qu’elle consiste sur­tout à se repré­sen­ter sous forme de menaces, comme ils le font eux-mêmes, ce qui est en fait une réa­li­té déjà là : des pra­tiques et des rap­ports sociaux, des sys­tèmes de ges­tion et d’organisation, des nui­sances, des pol­luants, des poi­sons, etc., qui ont pro­duit et conti­nuent de pro­duire de la manière la plus tan­gible des effets délé­tères sur les êtres vivants, le milieu natu­rel et la socié­té des hommes. On peut s’en assu­rer sans recou­rir à des indices sta­tis­tiques : il suf­fit de res­pi­rer l’air des villes ou d’observer un public de supporters.

Eu égard au fait que nous avons si mani­fes­te­ment par­cou­ru un bon bout de che­min sur les allées de la fin du monde, on nous concé­de­ra l’impossibilité de prendre au mot le catas­tro­phisme et ses menaces ; de juger le désastre de la socié­té mon­diale sur ce qu’elle en dit elle-même. La repré­sen­ta­tion de la catas­trophe est fille du pou­voir pré­sent : éloge de ses res­sources tech­niques, de sa scien­ti­fi­ci­té, de la connais­sance exhaus­tive de l’écosystème qui lui per­met­trait main­te­nant de le régu­ler au mieux. Mais comme ce sont pré­ci­sé­ment les moyens intel­lec­tuels et maté­riels qui ont ser­vi à édi­fier ce monde mena­cé de ruine, ce châ­teau bran­lant, qui servent main­te­nant à éta­blir le diag­nos­tic et à pré­co­ni­ser les remèdes, il ne paraît pas trop aven­tu­ré de pen­ser que ceux-ci comme celui-là sont eux-mêmes fort incer­tains, et voués à leur tour à la faillite.

Toute réflexion sur l’état du monde et sur les pos­si­bi­li­tés d’y inter­ve­nir, si elle com­mence par admettre que son point de départ est, hic et nunc, un désastre déjà lar­ge­ment accom­pli, bute sur la néces­si­té, et la dif­fi­cul­té, de son­der la pro­fon­deur de ce désastre là où il a fait ses prin­ci­paux ravages : dans l’esprit des hommes. Là il n’y a pas d’instrument de mesure qui vaille, pas de badges dosi­mé­triques, pas de sta­tis­tiques ou d’indices aux­quels se réfé­rer. C’est sans doute pour­quoi si rares sont ceux qui se hasardent sur ce ter­rain. On grom­melle bien ici ou là à pro­pos d’une catas­trophe « anthro­po­lo­gique », dont on ne dis­cerne pas trop s’il fau­drait la situer dans l’agonie des der­nières socié­tés « tra­di­tion­nelles » ou dans le sort fait aux jeunes pauvres modernes, en conser­vant peut-être l’espoir de pré­ser­ver les unes et d’intégrer les autres. On pense cepen­dant avoir tout dit lorsqu’on l’a dénon­cée comme le pro­duit de la per­ver­si­té « néo-libé­rale », qui aurait inven­té récem­ment la fameuse « glo­ba­li­sa­tion des échanges » : on se défend ain­si de recon­naître, après tant d’années et de slo­gans « anti-impé­ria­listes », que cet aspect du désastre a quelque chose à voir avec une logique d’universalisation depuis long­temps à l’œuvre, et relève de bien plus que d’une simple « occi­den­ta­li­sa­tion du monde », Les innom­brables syn­cré­tismes – entre idio­tismes locaux et uni­ver­sa­li­té mar­chande – qui concourent à accé­lé­rer si puis­sam­ment cette méca­nique de l’uniformisation (les décol­lages indien, chi­nois, etc., tirant par­ti de spé­ci­fi­ci­tés régio­nales, c’est-à-dire du maté­riel humain que les formes anté­rieures d’oppression leur ont effi­ca­ce­ment pré­pa­ré) montrent qu’il n’est pas de ser­vi­tude, ancienne ou nou­velle, qui ne puisse se fondre har­mo­nieu­se­ment – au sens de l’harmonie spé­ciale dont la Rus­sie post-bureau­cra­tique donne un magni­fique exemple – dans l’asservissement à la socié­té totale ; pour ne pas par­ler des mons­truo­si­tés tout à fait inédites que suf­fit à pro­duire la ren­contre entre cette moder­ni­té et les régions du monde qu’on ne déses­père pas de faire décol­ler : qu’on songe à la pro­pa­ga­tion du sida ou aux enfants-sol­dats en Afrique. Cepen­dant on n’ose en géné­ral qu’un regard fuyant sur ce que deviennent là-dedans les pos­si­bi­li­tés et les dési­rs des hommes réels. Pour le dire gros­siè­re­ment, mais dans les termes consa­crés : au « Nord » comme au « Sud », la classe moyenne, les « lais­sés-pour-compte » et les « exclus » pensent et veulent la même chose que leurs « élites » et ceux qu’ils croient « les maîtres du monde ».

Un cli­ché rebat­tu, qui pré­tend résu­mer de manière frap­pante les « impasses du déve­lop­pe­ment », et appe­ler à la contri­tion, affirme que pour assu­rer le mode de vie d’un Amé­ri­cain moyen à l’ensemble de la popu­la­tion mon­diale, il nous fau­drait dis­po­ser de six ou sept pla­nètes comme la nôtre. Le désastre est évi­dem­ment bien plu­tôt qu’un tel « mode de vie » – en réa­li­té une vie para­si­taire, hon­teuse et dégra­dante dont les stig­mates si visibles sur ceux qui la mènent se com­plètent des cor­rec­tions de la chi­rur­gie esthé­tique – semble dési­rable et soit effec­ti­ve­ment dési­ré par l’immense majo­ri­té de la popu­la­tion mon­diale. (Et c’est pour­quoi la vul­ga­ri­té des nan­tis peut s’exhiber avec une telle com­plai­sance, sans plus rien conser­ver de la rete­nue et de la dis­cré­tion bour­geoises : ils sus­citent l’envie – il leur faut tout de même des gardes du corps – mais pas la haine et le mépris qui pré­pa­raient les révolutions.)

Du reste, cer­tains par­ti­sans de la « décrois­sance », sans doute insuf­fi­sam­ment convain­cus de la fai­sa­bi­li­té de leurs pré­co­ni­sa­tions, évoquent par­fois la néces­si­té d’une « révo­lu­tion cultu­relle » et s’en remettent fina­le­ment à rien moins qu’à une « déco­lo­ni­sa­tion de l’imaginaire » ! Le carac­tère vague et léni­fiant de pareils vœux pieux, dont on ne dit rien de ce qui per­met­trait de les exau­cer, en dehors de l’embrigadement éta­tique et néo-éta­tique ren­for­cé qu’implique par ailleurs l’essentiel des pré­co­ni­sa­tions décrois­santes, paraît sur­tout des­ti­né à refou­ler l’intuition de l’âpre conflit que ce serait inévi­ta­ble­ment de ten­ter, et déjà de pen­ser sérieu­se­ment, la des­truc­tion de la socié­té totale, c’est-à-dire du macro­sys­tème tech­nique à quoi finit par se résu­mer exac­te­ment la socié­té humaine. […] 

La croyance à la ratio­na­li­té tech­no­mar­chande et à ses bien­faits ne s’est pas effon­drée sous les coups de la cri­tique révo­lu­tion­naire ; elle a seule­ment dû en rabattre un peu devant les quelques réa­li­tés « éco­lo­giques » qu’il a bien fal­lu admettre. Ce qui veut dire que la plu­part des gens conti­nuent d’y adhé­rer, ain­si qu’au genre de bon­heur qu’elle pro­met, et acceptent seule­ment, bon gré mal gré, de se dis­ci­pli­ner, de se res­treindre quelque peu, etc., pour conser­ver cette sur­vie dont on sait main­te­nant qu’elle ne pour­ra être indé­fi­ni­ment aug­men­tée ; qu’elle sera plu­tôt ration­née. D’ailleurs les repré­sen­ta­tions catas­tro­phistes mas­si­ve­ment dif­fu­sées ne sont pas conçues pour faire renon­cer à ce mode de vie si enviable, mais pour faire accep­ter les res­tric­tions et amé­na­ge­ments qui per­met­tront, espère-t-on, de le perpétuer.

Com­ment croire autre­ment à quelque chose comme une « pénu­rie de pétrole » ? Alors qu’à l’évidence il y a sur­tout effa­rante plé­thore de moteurs, engins, véhi­cules de toutes sortes. C’est donc déjà déser­ter le camp de la véri­té, pour le moins, que d’accepter de par­ler en termes de ration­ne­ment néces­saire, de voi­tures propres, d’énergie renou­ve­lable grâce aux éoliennes indus­trielles, etc. […] 

L’écologie indus­trielle pro­pose déjà des plans de cités durables ou éco­villes « neutres en car­bone », avec recy­clage des déchets, éner­gie solaire et toutes les com­mo­di­tés élec­tro­niques. C’est d’abord en Chine ou à Abu Dha­bi que seront construites ces nou­velles villes colo­niales – dans un style archi­tec­tu­ral bien sûr res­pec­tueux des tra­di­tions locales –, vitrines de l’impérialisme tech­no­lo­gique par­ve­nu à lahaute qua­li­té envi­ron­ne­men­tale. Mais c’est par­tout que les bureaux d’études des socié­tés d’ingénierie se sont mis au tra­vail en pré­vi­sion des nou­velles normes qu’édictera la gou­ver­nance éco­lo­gique. Dans son exul­ta­tion après un « Gre­nelle de l’environnement » pro­met­teur de parts de mar­ché, un homme d’affaires en arrive ain­si à adop­ter tout natu­rel­le­ment les accents mar­tiaux d’un direc­teur de kol­khoze rap­pe­lant les objec­tifs du plan-quin­quen­nal et ali­gnant les slo­gans du grand bond en avant de l’économie durable : « mobi­li­sa­tion natio­nale… urgence éco­lo­gique… sau­ve­garde de notre pla­nète… futur de nos enfants » ; sans man­quer de sou­li­gner que « la volon­té poli­tique de réha­bi­li­ta­tion et de construc­tion de bâti­ments, de quar­tiers ou même de villes éco­lo­giques repré­sente pour les indus­triels de for­mi­dables oppor­tu­ni­tés de crois­sance » (Gérard Mes­tral­let, PDG de Suez, « L’environnement, cata­ly­seur d’innovation et de crois­sance », Le Monde, 21 décembre 2007.) Pour com­plé­ter le tableau tout en res­pec­tant la pari­té, citons aus­si une direc­trice du déve­lop­pe­ment durable du groupe Veo­lia-Envi­ron­ne­ment, non moins enthou­siaste : « La construc­tion et la réno­va­tion « vertes » sont en marche, c’est un mar­ché immense, foi­son­nant, pas­sion­nant et très pro­met­teur, à tel point que le nou­vel Eldo­ra­do est aujourd’hui celui des clean tech, dans le bâti­ment, c’est-à-dire des tech­no­lo­gies propres en réfé­rence à l’impérieuse néces­si­té d’alléger l’empreinte car­bone de toutes les construc­tions du monde, confor­mé­ment à la feuille de route fixée. » (Gene­viève Ferone, 2030, le krach éco­lo­gique, 2008.) […]

Les réfrac­taires qui vou­dront mettre en cause les béné­fices, quels qu’ils soient, que la pro­pa­gande pour la sur­so­cia­li­sa­tion per­siste à faire miroi­ter contre l’évidence même, et qui refu­se­ront l’embrigadement dans l’Union sacrée pour le sau­ve­tage de la pla­nète, peuvent s’attendre à être bien­tôt trai­tés comme le sont en temps de guerre les déser­teurs et les sabo­teurs. Car l’« état de néces­si­té » et les pénu­ries qui vont s’accumuler pous­se­ront d’abord à accep­ter ou récla­mer de nou­velles formes d’asservissement, pour sau­ver ce qui peut l’être de la sur­vie garan­tie là où elle l’est encore quelque peu. (On voit ce qu’il en est là où l’on ne peut se tar­guer de tels acquis historiques.)

Cepen­dant le cours de cette étrange guerre ne man­que­ra pas de créer des occa­sions de pas­ser à la cri­tique en actes du chan­tage bureau­cra­tique. Pour le dire un peu dif­fé­rem­ment : on peut pré­voir l’entropie, mais pas l’émergence du nou­veau. Le rôle de l’imagination théo­rique reste de dis­cer­ner, dans un pré­sent écra­sé par la pro­ba­bi­li­té du pire, les diverses pos­si­bi­li­tés qui n’en demeurent pas moins ouvertes. Pris comme n’importe qui à l’intérieur d’une réa­li­té aus­si mou­vante que vio­lem­ment des­truc­trice, nous nous gar­dons d’oublier ce fait d’expérience, propre nous semble-t-il à lui résis­ter, que l’action de quelques indi­vi­dus, ou de groupes humains très res­treints, peut, avec un peu de chance, de rigueur, de volon­té, avoir des consé­quences incal­cu­lables.

René Rie­sel & Jaime Semprun

Print Friendly, PDF & Email
Total
1
Shares
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles connexes
Lire

Les Révoltés — Séverine (1896)

Alors que l'enfant de misère, né comme je l'ai dit d'atrophiés intellectuels — parce que le surmenage use leur cerveau comme la netteté de leur vision, comme la paume de leur main — ou né de rebelles (c'est-à-dire ayant pâti de la rébellion avant que de pouvoir la comprendre, donc à jamais éloigné d'elle) — alors que cet enfant-là ne sera un combatif que si la société l'y force, voici que, dans les berceaux cossus, germe, semée là par on ne sait quelle tourmente, la race des révoltés...
C
Lire

Si on ne l’arrête pas, la civilisation industrielle pourrait détruire toute la biosphère (par Theodore Kaczynski)

Traduction et illustration d'un extrait du dernier livre de Theodore Kaczynski, « Anti-Tech Revolution : Why and How » (en français : « Révolution Anti-Tech : Pourquoi et Comment ») publié en 2016 aux États-Unis, à mettre en lien avec l'article précédent (L’étrange logique derrière la quête d’énergies « renouvelables »). Ici, lorsque Kaczynski parle de « systèmes autopropagateurs », il fait référence aux puissances corporatistes (multinationales) et étatiques, qui sont les institutions de pouvoir dominantes de notre temps. Un texte court, un avertissement. Sauf accident de parcours, et/ou sauf s'il fait face à une résistance assez efficace, le système technologique mondial se comportera très certainement comme suit :