« Il est criminel que les citoyens blancs de la classe moyenne se complaisent à examiner leur moi, tandis que leurs compatriotes […] moins chanceux luttent et crèvent de faim. »
— Edwin Schur, The Awareness Trap : Self-Absorption Instead of Social Change (Le piège de l’introspection : la fascination pour soi-même au lieu du changement social), 1976.
Parmi les réactions qui ont fait suite à la publication de mon premier billet sur la collapsologie (à lire ici), de nombreux commentaires ont été publiés qui m’assuraient que je me trompais lourdement, entre autres parce que je voyais un narcissisme indécent là où il n’y en avait pas.
Et puis, un peu après, Clément Montfort a sorti l’épisode 7 de sa web-série NEXT qui consiste en un entretien d’une quinzaine de minutes avec Pablo Servigne. Au cours de cet entretien, celui-ci lit quelques e‑mails qu’une de ses lectrices lui a envoyés (dans lesquels elle parle de l’effet que la lecture de Comment tout peut s’effondrer a eu sur elle), puis il explique son ressenti vis-à-vis de ces e‑mails, vis-à-vis de la façon dont les gens réagissent au livre, et discute plus généralement de la manière dont il conçoit l’effondrement, de la manière dont il faudrait aborder ce sujet, et d’autres choses du même genre. Dans l’ensemble, cela m’a tout de suite fait penser à la citation d’Edwin Schur placée en introduction, c’était une illustration d’une bonne partie de ce que j’ai écrit dans mon précédent billet.
Pour paraphraser Schur, il est criminel que des citoyens blancs privilégiés étalent en public le fait que leur principal souci dans la vie est de réussir à « aller de l’avant » en ayant en tête cette douloureuse « idée d’effondrement » (« comment on fait pour vivre avec cette idée d’effondrement ? », se demande Pablo), tandis que les espèces vivantes sont littéralement exterminées[1], qu’une partie de l’humanité crève toujours de faim, que beaucoup crèvent de n’avoir pas accès à de l’eau potable[2] (en grande partie à cause d’un système économique mondialisé flagramment et cruellement inique, inhumain[3], et écologiquement délétère), que les inégalités sociales se creusent inexorablement et impitoyablement, que la majeure partie des êtres humains sont soumis aux nombreux systèmes d’exploitations et de coercitions qui constituent la civilisation industrielle, que des réfugiés crèvent en Méditerranée, etc., ad nauseam. Il est incroyablement indécent que des Blancs de la classe moyenne étalent au grand jour qu’au milieu de tout ce qui précède, ce qui les accable, eux, ce qui les angoisse au plus haut point, ce qui leur arrache des torrents de larmes, ce qui les tourmente au quotidien, c’est quelque chose qui ne s’est pas encore produit, et dont personne ne sait quand (et même si) il va se produire, c’est la perspective de la fin de la société industrielle (ce que je développe également dans un autre article, intitulé La vie à la fin de l’Empire : effondrement, suprémacisme et lamentations narcissiques).
Qui plus est lorsque cet évènement, loin d’être à redouter, est la meilleure chose qui pourrait arriver. (Aussi incroyablement insensible que cela soit pour ceux qui ne voient pas en quoi la société industrielle dont ils participent actuellement est un désastre infernal, (et/ou) pour ceux qui ont des enfants et qui semblent dès lors considérer qu’à partir de là rien n’est aussi affreux que d’imaginer que ces derniers pourraient ne pas vivre dans la société mortifère d’abondance toxique et éphémère dans laquelle vivaient leurs parents.) Voilà pour l’essentiel. Maintenant, quelques remarques.
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Note 1 : Sous la vidéo, le commentaire le plus plébiscité est écrit par le père d’un enfant diabétique de type 1 qui s’inquiète de ce que l’effondrement pourrait signifier la mort de son fils. On le comprend. Sans ce que permet la médecine industrielle moderne, un certain nombre d’entre nous mourraient et mourront. Seulement, certains d’entre nous voient au-delà de cette problématique personnelle — sociocentrée, centrée sur le sort des êtres humains qui vivent au sein de la civilisation industrielle — et réalisent que ce qui compte vraiment, ce qui est primordial, c’est la santé de la biosphère, et que quoi que cela nous coûte ou que cela puisse nous coûter personnellement, rien n’est plus important que de démanteler la machine de mort et de destruction qu’est la civilisation industrielle. Or, le commentaire en question finit par : « Oh putain ce que j’aimerai que ce monde perdure avec sa technologie, sa médecine, ses services etc… pour mes enfants, pour tout ceux qui sont malades et qui n’ont pas mérité ça. » Où l’on constate l’anthropocentrisme sociocentré d’au moins une partie du public collapsologue, qui considère clairement l’effondrement de la civilisation industrielle (désignée par « ce monde ») comme la catastrophe, et dont le souhait le plus ardent serait qu’elle perdure. On se demande alors si ces gens-là remarquent que « ce monde » (la civilisation industrielle) est en train de détruire le vrai monde, le monde naturel, toutes ses espèces vivantes et tous ses biomes (écocide), mais également toute la diversité culturelle qui compose (il faudra bientôt dire, qui composait) l’humanité (ethnocide) ; et s’ils remarquent que la civilisation industrielle est un désastre humain (et s’ils comprennent qu’il ne peut en aller autrement d’une société hautement technologique). Quoi qu’il en soit, il s’agit ici d’une perspective très commune au sein de la culture dominante, qui assimile la civilisation industrielle au « monde », à ce qui est primordial, à ce qui compte vraiment.
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Note 2 : On se demande ce que vient faire le terme « écopsychologie » dans le titre de l’épisode, qui n’en traite aucunement. Pour rappel, en bref, l’écopsychologie étudie la relation de l’humain avec le monde naturel. Si cet épisode nous apprend quelque chose qui se rapporte au domaine de la psychologie, c’est seulement qu’une partie, au moins, des collapsologues, perpétue le narcissisme anthropologique et sociocentré qui caractérise la culture dominante.
Dans un article publié sur notre site, Will Falk rappelle que « Theodore Roszak cite comme un des événements majeurs du mouvement naissant de l’écopsychologie, une conférence qui s’est tenue en 1990 au Center for Psychology and Social Change (Centre pour la psychologie et le changement social) de Harvard et qui s’intitulait “Psychology as if the Whole Earth Mattered” (La psychologie comme si la planète entière importait). Les écopsychologues qui s’y étaient rassemblés avaient résumé ainsi l’un des objectifs fondamentaux de l’écopsychologie : ”Si le moi est élargi de façon à inclure le monde naturel, les comportements qui causent la destruction de ce monde seront perçus comme de l’autodestruction”. »
La civilisation industrielle détruit le monde naturel. Et nous tous, humains, au passage. Le véritable drame, la catastrophe quasi-impensable, presque ineffable, ce n’est pas un évènement situé dans un futur plus ou moins proche. C’est en ce moment. C’était hier aussi. Selon la perspective de l’écopsychologie, tant que le monde naturel continuera d’être détruit, tant que la civilisation industrielle perdurera, l’existence humaine n’aura aucune chance d’être saine. L’effondrement de la civilisation industrielle constitue donc une condition sine qua non de la recréation de cultures humaines saines et soutenables.
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Note 3 : Certains, dont je fais partie, conçoivent ainsi l’effondrement de la civilisation industrielle comme une nécessité, comme le seul moyen de faire cesser l’effondrement (la destruction) du monde réel, du monde naturel, qui constitue le véritable problème. Cela étant, la manière dont Pablo Servigne parle de l’effondrement (de la civilisation industrielle, puisque c’est de celui-ci qu’il parle en général dans tout son travail) me paraît étrange, voire glauque. Il parle d’une véritable « passion » pour la collapsologie, il semble se complaire dans l’émotionnel, dans le larmoiement des uns et des autres (« des larmes qui font du bien », « voir un scientifique, un climatologue, qui pleure, qui pleure à chaudes larmes comme ça, c’est bouleversant, et c’est ça le message clé, c’est beaucoup plus important de voir un grand climatologue qui pleure que de l’écouter dans des interviews sur des chiffres de 2 degrés, 2 degrés et demi »). Mais dans le larmoiement, toujours, de privilégiés vis-à-vis d’une perspective (anthropocentrée, sociocentrée) de souffrances à venir (on ne sait pas exactement quand). Quand on sait les désastres, les drames, les catastrophes qui ont cours actuellement, les souffrances infligées au quotidien à des humains comme à des non-humains, il y a comme un malaise.
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Note 4 : On l’a vu, certains collapsologues craignent avant tout (voire exclusivement) l’effondrement de la civilisation industrielle. D’autres, dont Pablo Servigne fait peut-être partie (ce n’est pas clair), semblent également suggérer de temps à autre qu’ils aspirent également à ce que l’effondrement se produise aussi vite que possible. C’est-à-dire qu’ils ne savent pas trop sur quel pied danser. Souhaiter à la fois la continuation de la civilisation industrielle et la préservation de l’environnement, c’est vouloir une chose et son contraire (mais c’est une croyance, ou une espérance, très répandue dans la culture dominante, où beaucoup espèrent que les deux seront compatibles). Ainsi que je l’écrivais dans mon premier billet sur ce sujet, la collapsologie, ses principaux promoteurs, semblent faire le choix (ou peut-être ne le perçoivent-ils même pas comme tel) de tenter de parler à tout le monde, il en résulte ce discours étrange qui pleure et s’inquiète de l’effondrement à venir de ce qui détruit le monde, mais qui fait aussi (parfois) montre d’un véritable souci de cette destruction du monde, en parlant de soutien vis-à-vis des ZAD (tout en n’hésitant pas à collaborer avec des instances étatiques, étonnamment) mais aussi d’écocitoyennisme (l’épisode 7 de NEXT en témoigne), etc. Le risque étant, bien sûr, qu’en parlant à tout le monde, on ne parle à personne, et que cela participe de la confusion ambiante.
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Note 5 : Dans une vidéo récemment publiée par le 4ème singe, intitulée « Pourquoi tout va s’effondrer ? », après une explication visant à expliquer pourquoi la civilisation industrielle va s’effondrer (quand, bien évidemment, on ne sait pas), une courte tirade traite du « que faire alors ? » et suggère « de vivre, de se préparer à une sobriété heureuse, de faire dans le zéro déchet et le recyclage local, d’essayer de faire le moins de mal possible à la vie et aux animaux autour de soi, de préserver l’échelon du local, de cultiver ses légumes, d’apprendre une nouvelle compétence, de préparer une communauté de compétences diverses, indépendante, interdépendante et résiliente, et surtout, surtout, surtout, et ce sera le mot de la fin, on n’oublie pas de s’aimer. » Exit toute suggestion de ce qu’il serait bon de participer aux luttes sociales, aux nombreux mouvements qui s’opposent à toutes les injustices actuelles, de combattre l’industrialisme, et tous les maux liés au développement de la civilisation industrielle (étalement urbain, extractivisme, etc.). Ne restent que les petits gestes écocitoyens, une sorte d’écosurvivalisme et des considérations bien lénifiantes. Ce qu’un journal écologiste (plutôt radical) dénonçait déjà en 1974 en la personne d’Isabelle Soulié :
« Rédactrice en chef que me voici devenue, je commence par prendre une initiative : suppression du sous-titre mensuel écologique. Prise de distance avec une image débile de l’écologie, celle que donnent certains doux farfelus qui prêtent le flanc à toutes les critiques. […] Que d’aucuns passent agréablement (si aucun fascisme ne vient briser leur idylle) leur vie à se conforter en communauté, n’ayant d’autre souci que la pureté de leurs petits intestins ou la contemplation extatique du coucher du soleil sur le millepertuis de la dernière colline non polluée qu’ils ont trouvé, si ça les amuse, je n’ai rien contre. Mais je n’ai pas envie de me casser le chose à faire un journal avec leurs états d’âme. »
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Note 6 : Dans une courte vidéo de promotion de la web-série NEXT, Cyril Dion affirme qu’aujourd’hui « on est déjà dans un effondrement […]. Aujourd’hui, c’est les espèces vivantes qui disparaissent, demain c’est peut-être un certain nombre de systèmes politiques et économiques qui pourraient s’effondrer, s’écrouler ». Ce que les collapsologues et lui ont en commun, c’est qu’ils placent sur un même plan la destruction du monde naturel (et pas la « disparition » des espèces, elles ne « disparaissent » pas comme par enchantement, bien évidemment, elles sont tuées, leurs habitats sont anéantis) et la désagrégation à venir de la civilisation industrielle. C’est-à-dire que leur discours suggère étrangement, en ne désignant pas vraiment de coupables, de responsables, que la destruction du monde naturel et l’écroulement (à venir) de la civilisation industrielle sont en quelque sorte des catastrophes provoquées par une même force externe, qui s’attaque actuellement aux espèces vivantes et qui risque ensuite de faire s’effondrer la civilisation industrielle. Ils ne parviennent pas à comprendre et à exprimer le fait que la civilisation est ce coupable, que c’est la civilisation qui détruit actuellement le monde naturel, et qu’à travers l’histoire, la prospérité d’une civilisation (un type de société/culture humaine très spécifique, ceux qui ne voient pas de quoi nous parlons lorsque nous parlons de « civilisation » sont invités à lire cet article) a toujours été synonyme de désastre pour le monde naturel. Les Grecs ont ravagé l’environnement dont ils dépendaient, les Romains ont fait la même chose, et nous faisons pire. Plus une civilisation se développe, plus elle croît, plus elle est prospère, et plus elle est nuisible pour l’écologie planétaire. Dans un article de Sciences et Avenir intitulé « Guerres et pestes : quand la signature au plomb de l’empire romain se retrouve dans les glaces du Groenland », Yann Le Bohec, historien spécialiste de Rome, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne, explique que : « Les émissions de plomb augmentent en effet significativement dans les époques de paix et de prospérité, comme Rome en a connu entre 27 avant J.C et 180 ap. J.C puis diminuent dans les périodes de crises. »
Il n’y a rien de compliqué ici. C’est l’évidence même. La prospérité de la civilisation industrielle est bâtie sur — et implique — un saccage sans précédent du monde naturel. Ce qui nous amène à l’impossibilité (et à l’imbécillité) de ce que souhaitent les Cyril Dion et les collapsologues. En bref : sauver la civilisation ET sauver la planète. Sauver le tortionnaire et la victime. Impossible et absurde. Mais, bien sûr, s’ils souhaitent cela, c’est parce qu’ils considèrent toujours la civilisation comme une bonne chose. Ils reconnaissent qu’elle pose, hum, quelques légers problèmes sur le plan écologique, et quelques autres sur le plan social, mais ils y voient tout de même beaucoup de bien. Et ce n’est pas étonnant. La puissance de l’endoctrinement culturel, de l’idéologie du « progrès », est immense. La décolonisation mentale implique un travail difficile et extrêmement peu encouragé. Rares sont les organisations ou mouvements d’opposition qui incorporent une véritable critique du mythe du progrès.
Dans une conversation que j’avais eue avec lui sur internet, Cyril Dion écrivait que « l’idée de progrès a laissé des traces ». Il en sait quelque chose. Voici ce qu’il écrit dans son dernier livre, Petit manuel de résistance contemporaine :
« Si nous habitons en Europe, en Amérique du Nord, au Japon, en Australie, en Afrique du Sud, dans un nombre grandissant de villes asiatiques, sud-américaines, africaines, et que nous faisons partie de la minorité la plus riche de la planète, nous avons aujourd’hui accès à un confort absolument inégalé depuis que l’être humain s’est dressé sur ses deux pieds. Grâce à la maîtrise de l’énergie, nous pouvons modeler les paysages, parcourir le globe en quelques heures, nous établir dans des contrées glaciales ou écrasées de chaleur, y recréer des microclimats, produire en masse des objets, des vêtements, de la nourriture, remplacer des bras, replanter des cheveux, lancer des sondes à la découverte de nos artères ou du système solaire, en un clic correspondre avec un être à l’autre bout du monde, le regarder sur un bout de métal et de verre plus petit qu’une plaquette de beurre, connecter les cerveaux, les pensées, les écrits de plusieurs milliards d’âmes auparavant éparpillées, créer des robots, des machines capables de nous suppléer dans les tâches les plus pénibles, artificiellement reproduire l’intelligence grâce à des ordinateurs surpuissants, dont les capacités de calcul excèdent tout ce dont nous aurions pu rêver il y a un siècle à peine.
Comment ne pas être grisé par un tel pouvoir ? Après des siècles de luttes acharnées pour arracher à la terre les moyens de notre subsistance. À protéger nos corps faibles, démunis, dépourvus de griffes, de poils, de muscles puissants, des dangers qui les menacent. À geler, à cuire, à sombrer au milieu des océans… Terrifiés par la nuit, par la foudre, par les déchaînements inexpliqués. Après des siècles passés à inventer des dieux et des malédictions, à construire des récits capables d’expliquer pourquoi nous mourons. Pourquoi nous vivons.
Aujourd’hui nous pouvons enfin jouir. Et nous ne voulons plus disparaître. »
À la suite de ce passage, il continue en colportant un autre mythe fabriqué de toutes pièces par ceux qui tirent profit de l’ordre établi, et dont le chantre du capitalisme néolibéral Steven Pinker, un Américain, est le plus célèbre promoteur[4] : l’idée selon laquelle nous vivons à l’époque la plus paisible, pacifique (et donc, même si ce n’est pas exprimé ainsi, en quelque sorte, la plus heureuse) de l’histoire de l’humanité.
À ce sujet, je me permets une petite digression. Le livre de Steven Pinker qui a beaucoup fait pour la promotion de ce mythe, qui est le livre préféré de Bill Gates, traduit en français sous le titre La part d’ange en nous, est préfacé par le moine bouddhiste français le plus célèbre au monde (de l’entreprise), Matthieu Ricard. Matthieu Ricard, qui est « célébré au Forum économique mondial à Davos », est très apprécié dans le monde de l’entreprise où ses conseils servent à accroître les performances des esclaves salariés. Voici ce qu’on peut lire dans un article du magazine états-unien Downtown NYC, à propos d’une de ses venues à Manhattan : « “Nous pouvons entraîner nos esprits”, a‑t-il dit à la salle attentive de courtiers de Wall Street et de philanthropes alors qu’il décrivait les vertus de la compassion, de la discipline, du don et du pardon. » Ahhh, ces modèles de sagesse adorés de Wall Street. Cyril Dion s’appuie sur un des livres de Matthieu Ricard (et sur un autre de Michel Serres) lorsqu’il promeut l’idée que nous vivons l’époque la plus paisible de l’histoire de l’humanité. J’ai d’ailleurs rapidement parlé de cette idée et de Steven Pinker dans l’avant-propos du livre Comment la non-violence protège l’État de Peter Gelderloos ; je cite :
« […] l’idée (utilisée comme une carotte) selon laquelle nos sociétés modernes sont moins violentes que celles qui les ont précédées est au mieux une vue de l’esprit, au pire un mensonge abject. Pour aller plus loin sur le sujet, on suggèrera au lecteur le dernier livre de François Cusset, Le déchaînement du monde[5], qui expose ce caractère omniprésent de la violence dans la civilisation moderne — au contraire de ce qu’affirment certains apologistes du néolibéralisme, du « progrès », et de la continuation de cette désastreuse fuite en avant qu’est la civilisation industrielle, comme Steven Pinker, un universitaire américain, chouchou des grands médias en France, aux États-Unis et ailleurs, pour les raisons qui précèdent. Il est d’ailleurs regrettable mais pas étonnant que les livres de quelqu’un comme Steven Pinker soient traduits en français et dans de nombreuses langues, tandis que le livre Reality Denial : Steven Pinker’s Apologetics for Western-Imperial Violence (Déni de réalité : l’Apologétique de Steven Pinker en faveur de la violence impérialiste occidentale) qu’a écrit le regretté Edward Herman — un excellent analyste et critique du système médiatique avec qui Noam Chomsky a co-écrit La fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie — afin de dénoncer la propagande mensongère, dangereuse et criminelle de Steven Pinker, ne le soit pas. Il y a des subventions, des financements et des tribunes médiatiques à la disposition de ceux qui veulent glorifier le paradigme politique, économique et culturel dominant. Tandis que ceux qui le critiquent, d’autant plus si leur critique est radicale plutôt que réformiste, seront ignorés — voire dénigrés, diabolisés, ou pire. »
Je récapitule. Cyril Dion colporte donc deux mythes particulièrement nuisibles et directement liés à l’idéologie du progrès. Le premier voudrait que jusqu’à l’invention du progrès, avant la modernité et les hautes-technologies, le quotidien de l’humanité était fait de « luttes acharnées pour arracher à la terre les moyens de notre subsistance », et que notre existence se résumait « à protéger nos corps faibles, démunis, dépourvus de griffes, de poils, de muscles puissants, des dangers qui les menacent. À geler, à cuire, à sombrer au milieu des océans… Terrifiés par la nuit, par la foudre, par les déchaînements inexpliqués. » Cet enchaînement de clichés passéophobes est aussi grotesque qu’insultant vis-à-vis de nos ancêtres et des cultures humaines non civilisées. Non, hors de la civilisation et avant la civilisation industrielle, avant les hautes technologies, de nombreuses populations humaines ont très bien vécu, en bonne santé, des vies relativement longues, en travaillant peu (voire pas du tout selon ce qu’on considère comme étant ou non du « travail »), en mangeant à leur faim, et en vivant en harmonie avec leur environnement[6], et certainement pas dans un état de peur permanent, ainsi qu’il le suggère. Paradoxalement, cette peur du monde naturel est une caractéristique évidente des modernes, des civilisés, qu’ils projettent sur les peuples des cultures autochtones et sur le passé de l’humanité afin de se rassurer eux-mêmes en confortant leur mythologie du progrès.
Le deuxième cliché qu’il colporte, l’idée que nous vivons actuellement l’époque la plus paisible de l’histoire de l’humanité et qu’avant, avant le progrès, la violence régnait, est du même acabit. Ainsi que l’expose la vidéo ci-dessus, c’est faux. La guerre et la violence organisée caractérisent la partie la plus récente de l’histoire humaine[7]. Avant la naissance des premiers États, il y a plusieurs milliers d’années, l’humanité vivait de manière plutôt paisible. D’autre part, la civilisation, l’État et le capitalisme ont créé d’innombrables formes de violence, toutes plus insidieuses les unes que les autres, qui n’existaient pas auparavant. En dresser une liste serait assez fastidieux, mais on peut mentionner pêle-mêle la violence des méthodes d’accouchement moderne (pour la femme comme pour le bébé), la violence des méthodes d’éducation moderne (qui séparent l’enfant de la mère et des parents en général, qui doivent travailler), la violence du traitement des personnes âgées (qui finissent par croupir seules dans des maisons de retraite), les violences liées à la pauvreté, aux inégalités sociales sans précédent qui caractérisent la civilisation industrielle, la violence même des chaussures (qui nuisent au corps humain, sans parler des talons aiguilles et de ce genre de choses) et les nombreuses violences contre le corps humain qui résultent du mode de vie moderne (de l’activité quotidienne, ou du manque d’activité quotidienne, de l’alimentation industrielle, etc.), les violences sexuelles, les violences liées au racisme, les violences contre le monde naturel et contre les non-humains (élevage industriel, déforestation, destruction massive d’habitats, pollutions en tous genres de tous les milieux, etc.), les violences de l’exploitation salariale… etc., ad nauseam.
Et c’est cela, la civilisation, que les Cyril Dion et les collapsologues auraient aimé ou aimeraient sauver, et c’est son effondrement que les collapsologues craignent et discutent avant tout.
Nicolas Casaux
- Un rappel : http://www.france24.com/fr/20180323-humanite-especes-faune-flore-animaux-biodiversite-planete-terre ↑
- Et un autre : https://www.francetvinfo.fr/meteo/secheresse/acces-a-l-eau-potable-dans-le-monde-cinq-personnes-meurent-par-minute-des-consequences-d-une-eau-insalubre_2669364.html ↑
- À l’instar de la plupart des autres pays, la société française est gangrénée par de nombreuses inégalités et injustices sociales (les pauvres meurent plus tôt, sont en moins bonne santé, sont infiniment moins bien traités que les riches par le système judiciaire, les femmes subissent les violences caractéristiques du patriarcat, les non-Blancs toutes sortes de discriminations et de racismes, etc.). Le mode de vie de sa classe moyenne (et bien plus encore celui de ses classes supérieures et, dans une moindre mesure, celui de ses classes les plus pauvres) repose sur des catastrophes sociales (dont l’esclavage salarial, dont les nombreuses formes de coercitions qui constituent nos sociétés modernes) non seulement nationales mais aussi internationales (on peut penser au drame qui a déjà fait des millions de morts au Congo, où des milliers d’êtres humains, enfants y compris, sont exploités dans l’industrie minière qui, accessoirement, ravage le milieu naturel). On pourrait dresser une liste interminable des calamités sociales dont nous, habitants des pays riches, participons tous, à différents niveaux, plus ou moins volontairement, consciemment — ce qui implique différents degrés de responsabilité. Cette interminable liste de calamités sociales s’accompagne très logiquement d’une autre interminable liste de problèmes psychologiques (consommation de psychotropes qui explose, épidémies de burn out, de stress, de mal-être, de troubles psychiques en tous genres, etc.). Pour plus de détails : https://partage-le.com/2017/12/8414/ ↑
- Avec son livre La part d’ange en nous, le livre préféré de Bill Gates, un chef d’œuvre selon le New York Times. ↑
- À propos de ce livre, vous pouvez lire la chronique intitulée « Comment la violence s’est redéployée dans notre société » sur le site web du magazine Les Inrockuptibles : https://www.lesinrocks.com/2018/03/18/idees/comment-la-violence-sest-redeployee-dans-notre-societe-111059505/ ↑
- À ce sujet, vous pouvez lire les deux articles suivants : https://partage-le.com/2017/11/8383/ — https://partage-le.com/2016/03/les-chasseurs-cueilleurs-beneficiaient-de-vies-longues-et-saines-rewild/ ↑
- À ce sujet, vous pouvez lire les articles suivants : https://partage-le.com/2017/12/8456/ — https://partage-le.com/2016/09/lagriculture-ou-la-pire-erreur-de-lhistoire-de-lhumanite-par-jared-diamond-clive-dennis/ — https://partage-le.com/2018/04/9231/ — https://partage-le.com/2017/11/8288/ ↑
Cher Nicolas,
Tu as bigrement raison et ton analyse est pertinente.
Submergés par leurs émotions ils pleurent devant leur monde qui s’efface. Ces lamentations sont en réalité obscènes.
Je ne peux m’empêcher de penser au peuple charrúa qui a totalement disparu. Leur monde aussi s’est effondré.
Face à l’avancée de la civilisation conquérante ils ont tous péri combattant jusqu’à la fin . Les quatre derniers survivants de ces glorieux guerriers moururent après avoir été exposés comme de vulgaires bêtes de cirque à Paris en 1833.
Je me dis, que finalement l’effondrement de notre civilisation est un juste retour des choses. » Y’a pas de coup de chien qui ne revienne » disait feu ma grand-mère…
Pablo Servigne en prophète apocalyptique, aura surtout trouvé une belle occasion de se faire son beurre, quand bien même ceci n’aurait pas été sa motivation première. Son livre s’est vendu comme des petits pains. Peut être que je vois le mal partout, mais la web série Next, ne serait-elle pas une ultime campagne de promotion ?
Que crève donc ce sale vieux monde, et si aucun humain n’y survis, ce ne sera peut être pas une si mauvaise chose…
Oui, il y a de ça (quand tu dis qua la web-série Next c’est de la promo), même si je pense que c’est à moitié inconscient.
Une remarque et deux questions ;
Il y a non seulement des divergences quant aux visions mais il y a aussi, au sein de ceux qui partagent une même vision, des divergences de stratégies. En l’occurrence c’est plutôt ça dont il est question sur la ZAD.
C’est une question classique mais j’aimerais avoir ton avis là dessus : N’y a t‑il pas un paradoxe à souhaiter un effondrement rapide et en même temps lutter contre l’industrialisation et la civilisation ? Au fond cette lutte n’est-elle pas justement une manière de retarder cet effondrement qui, si il te semble bénéfique et nécessaire, devrait au contraire être provoqué au plus vite (donc en laissant le développement se poursuivre sur sa dynamique auto-destructrice, jusqu’au krach) ? Après tout, si seule la destruction permet le renouveau alors ne faut-il pas laisser la destruction advenir et ne pas l’empêcher ?
Ce qui peut être une piste de réponse c’est quand tu dis « Certains conçoivent l’effondrement de la civilisation industrielle comme le seul moyen de faire cesser l’effondrement du monde réel ». Tu ne considères donc pas que l’effondrement de la civilisation industrielle risque de provoquer mécaniquement l’effondrement du « monde réel » ? Au fond c’est peut-être là un point de divergence fondamental avec les collapsologues dont tu parles, pour qui la civilisation industrielle a tellement modifié et imprégné la planète (comme une tumeur qui aurait métastasé partout) que son effondrement et ses conséquences pourraient provoquer la fin du « monde réel » ou en tout cas une dévastation d’ampleur. D’où leur sentiment ambivalent à ce propos ; « Il serait bon que la civilisation s’effondre puisqu’elle est nocive, mais son effondrement pouvant provoquer un effondrement du monde réel, peut aussi être vécu comme dramatique. »
Ma deuxième question c’est : Sur quelle base philosophique (et/ou métaphysique) te bases-tu pour définir ce qui est primordial / ce qui compte vraiment / ce qu’est un vrai monde ? En gros, quel est le ou les courant(s) de pensée(s) qui te servent de boussole pour orienter et hiérarchiser ton système valeurs ? Parce qu’en dernier ressort c’est bien de ces questions que tout découle : quel système de jugement adoptons-nous pour déterminer ce qui est important, quelle valeur a la vie ou même l’existence de manière général ? Certaines vies méritent-elles d’être vécu plus que d’autres ? Quel référent serait apte à juger ce mérite ? Peut-on et doit-on définir la légitimité d’une existence (individuelle ou collective) ? En fonction de quoi le feraient-on ? En établissant des degrés et des normes d’intensité de vie ? Pourquoi ? Où établissons nous les limites temporels et spatiales de nos jugements ? Y’a t‑il un état idéal de la vie sur la planète ? Doit-il être infini ?
Salut, donc, j’essaie d’organiser mes réponses :
1. La première chose c’est que ce qui retarde l’effondrement de la civilisation industrielle, c’est précisément l’écologie écocitoyenniste des Cyril Dion et des grandes ONG, c’est cette écologie des douches courtes. Les préconisations de DGR ne visent pas à retarder l’effondrement mais à le précipiter.
2. L’effondrement de la civilisation industrielle pourrait, dans un premier temps, aggraver les dégradations que subit le monde naturel ? Peut-être. Toujours est-il que plus l’effondrement advient tôt, plus vite la planète pourra commencer à recouvrer la santé.
3. Il me semble que la philosophie qui permet d’élucider tout ça est vraiment, vraiment élémentaire. Mais il me semble aussi que nous sommes tellement déconnectés de tout, du bon sens, de la planète, des cycles de la vie, du vivant, dans cette culture hors-sol et colossalement aliénée qu’est la civilisation industrielle, que nous ne savons même plus ce qui compte vraiment. Les types de philosophies qui me semblent proposer les perspectives les plus lucides, les plus justes, sont celles qui correspondent à ce qu’on appelle parfois le biocentrisme, ou l’écocentrisme, ou encore à la biophilie. Comment sait-on qu’il faudrait que l’effondrement de la civilisation industrielle se produise au plus vite ? Comment sait-on que ce qui compte vraiment c’est la prospérité de la vie, du vivant, la santé des biomes et des biotopes qui composent la planète ? On le sait si on aime la vie, cette planète. Cette culture, la civilisation industrielle, est mortifère, manifestement. Certains la qualifient d’ailleurs de « nécrophile ». Nous, les biophiles, on aime la vie, on aime cette planète, on aime la diversité de ses habitants, on aime voir la vie prospérer. Cela semble tellement étrange de devoir formuler ça. Et pourtant cette question que tu poses je l’ai entendu plusieurs fois. Cela témoigne juste, à mes yeux, de l’égarement total dans lequel errent beaucoup de civilisés.
Un des fondateurs de DGR, qui est aussi un de mes écrivains préférés, écrit que :
« La question devient : que voulez-vous ? Je sais ce que je veux. Je veux vivre dans un monde avec plus de saumons chaque année, un monde avec plus d’oiseaux migrateurs et chanteurs chaque année, un monde avec plus de forêts anciennes chaque année, un monde avec moins de dioxine dans le lait maternel des mères chaque année, un monde avec des tigres et des grizzlis, et des grands singes et des marlins et des espadons. Je veux vivre sur une planète vivante. »
(Passage tiré de cet article : https://partage-le.com/2015/12/le-pacifisme-comme-pathologie-par-derrick-jensen/)
1 : Je pense que l’eco-citoyennisme a le souhait d’empêcher (ou retarder) l’effondrement, mais qu’en pratique elle le favorise puisqu’elle encourage à rester dans la même voie, cherche un salut dans la technologie et que persévérer dans cette logique ne peut qu’aboutir à son propre effondrement.
2 : Je ne parierais pas sur cet état de fait. Ça peut être le cas, mais parfois aussi un choc brutal et rapide ne permet pas de repartir, alors qu’une dégradation plus progressive et entravée permet une adaptation et la préparation de terrain qui serviront au soin et au redémarrage. (Je ne parle pas de redémarrer la civilisation évidemment).
3 : Je comprends ce que tu veux dire. Ce que je suggérais était que l’on peut aimer la vie et la planète aussi en tant que phénomène(s) éphémère(s). Souvent ce que l’on pense élémentaire ne l’est plus tellement voir plus du tout quand on creuse. En l’occurrence ces questions ont été posés par de très anciennes philosophies, elles ne sont pas seulement le fruit d’une civilisation moderne déconnectée. Je développe :
Dans l’extrait de Jensen il dit qu’il souhaite voir toujours plus de nature, donc en fait un système en constante croissance. Mais c’est aussi et justement la croissance constante des systèmes qui les mènent à leur fin, tandis qu’un système complètement stabilisé, qui ne bouge plus, est en fait déjà mort.
Il est probablement aussi irraisonnable de souhaiter un système qui ne cesserait de croitre (quand bien même cela serait dans une direction supposée naturelle et idéale) que souhaiter un système complètement stabilisé et qui ne connaitrait aucune dégénérescence.
Je voulais donc dire que certaines philosophies ont pensé cet amour de la vie parallèlement à l’acceptation de sa finitude nécessaire. La conscience de la fin irrémédiable de n’importe quel cycle d’existence n’est pas incompatible avec le fait de l’aimer et de vouloir en prendre soin. Cela lui donne même d’autant plus de beauté. D’ailleurs l’amour de la vie sans l’acceptation de la mort fait irrémédiablement tomber dans les délires transhumanistes et au final, si on prend une échelle de temps et d’espace plus grande, d’autres planète et d’autres cycles de vie débuteront, continuent et s’éteindront probablement ailleurs. Donc par rapport à ça, qu’est-ce qui permet de dire qu’un effondrement de notre monde à nous serait tellement dramatique ? Pourquoi devrait-il avoir lieu plus tard plutôt que maintenant ? En vertu de quel principe philosophique et fondamental ? — Mais on peut évidemment déterminer qu’il n’y en a aucun. Je voulais savoir si tu avais un avis ou des référence la dessus.
Néanmoins cela ne veut pas forcément dire baisser les bras, envoyer tout balancer et se résigner à un destin apocalyptique ou quoi et j’ai une métaphore qui me permet de comprendre ça : celle d’un malade d’un cancer incurable que l’on accompagnerais. Savoir et accepter qu’il ne lui reste que quelques jours ne nous amènerais pas à cesser de prendre soin de lui ni à dénigrer l’importance de sa vie et de ses derniers instants. Son état détérioré et moribond, l’intensité des choses vécues à ce moment et la proximité avec la mort pourrais même permettre de découvrir une sorte de vérité et une forme d’amour supérieur, qui ne dépendrait plus tellement de nos conditions de vie et de ses limites. Alors que vouloir se convaincre d’une guérison miraculeuse risquerait d’être une perte d’énergie et une souffrance certaine.
Je me demande si se focaliser sur les conditions détériorés de la vie (individuelle comme plus généralement de la planète) ne nous empêche pas d’accepter cette nécessité là et nous fait passer à côté de quelque chose. On est dans un état où l’amour de la vie est déterminé et amoindri par des jugements sur une existence qui serait atrophiée, un monde malade et un système pourri.
Du coup, ce que je voulais questionner au fond c’était cela : Peut-être est-on à la fin d’un cycle d’existence général (planétaire?) et ne pas vouloir envisager ou accepter la fin de ce cycle ne serait-ce pas une forme plus étendu de transhumanisme ? Une espèce de transplanétisme ? Vouloir à tout pris qu’une planète croisse ou/et se stabilise dans un état supposé idéal, un age d’or qui ne souffrirait d’aucune dégénérescence, éviter sa fin comme les transhumanistes souhaitent éviter la mort ?
Partant de l’acceptation de la nécessité de la fin de ce cycle, qu’est ce qui nous permettrait de considérer qu’il faudrait gagner quelques décennies, quelques siècles ou millénaires d’existence ? Sachant que l’on juge tout cela à partir de notre situation et perception humaine qui, en plus d’être absolument biaisée, est bien peu de chose.
NB : Attention, quand je dis cela je veux absolument me détacher de toutes ces formes de spiritualité new-age et de philosophie du bien-être qui ne servent qu’à se contenter de son état et son bonheur personnel dans l’acceptation de nos conditions et encourage à détourner le regard ou minimiser les souffrances des autres.
Je pense qu’il y a une justesse et une valeur intrinsèques à la résistance, à la lutte et à la défense de la vie et de sa diversité. Mais cela peut s’accompagner à la fois d’une conscience des nécessités de l’existence (c’est à dire la déchéance et la mort) et à la fois d’un désintéressement et d’un détachement vis à vis des fruits de cette lutte et de sa victoire supposée. Un peu comme un combat dont on connaitrait à la fois l’issue tragique mais aussi sa justesse et la nécessité absolue de le mener et que ce serait cela qui en ferait sa force principale.
Bonjour,
J’ai essayé de lire avec attention certains de vos articles, tout ceci est nouveau pour moi et j’ai quelques questions.
1. Deux références : » Révolution dans nos origines « , ss dir JF Dortier, dont de nombreux articles contrent efficacement l’image d’une préhistoire violente et douloureuse ; c’est en français, ça complète vos références en anglais sur le sujet.
« Le champignon de la fin du monde » d’Anne Lowenhaupt Tsing, qui étudie comment des patchs d’écosystèmes mêlant humains et plus qu’humain (sur)vivent dans les ruines du capitalisme. Vous connaissez ? Pour moi ça s’inscrit vraiment dans votre courant de pensée bien que d’un point de vue légèrement décalé, et je voulais votre avis sur la question.
2. Une question sur les douches courtes : peut-on à la fois suivre à 100% votre critique de l’écocitoyenneté et décider qu’on veut participer le moins possible aux systèmes d’exploitations capitalistes ? Sans se bercer d’illusions, mais juste parce que d’un point de vue moral, on ne veut pas acheter de baskets produites par des enfants sur un autre continent ? Je ne vois pas d’incompatibilité majeure entre ce refus de consommation et un militantisme radical d’opposition à la civilisation et à l’industrialisation tel que vous le revendiquez.
3. Une question sur les effondrements (celui du monde naturel et celui de la civilisation industrielle). L’effondrement du monde naturel est bien enclenché, et il va constituer un facteur limitant pour la civilisation industrielle. Celle-ci va donc s’effondrer. Je ne regrette pas la disparition de ce système mortifère. En revanche, il y a un questionnement sur le rythme de cet effondrement civilisationnel.
— s’il est rapide, deux avantages : on arrête d’aggraver la situation et « plus vite la planète pourra commencer à recouvrer la santé. »
— mais un effondrement rapide de la civilisation industrielle n’aura-t-il pas des conséquences dramatiques à l’échelle planétaire, qui seront plus dures à supporter pour les populations et les espèces les plus fragiles ? A titre d’exemple, l’arrêt progressif et sécurisé des centrales nucléaires me paraît hautement préférable à leur explosion pour l’ensemble de la planète, même si elles sont quasi toutes situées dans l’hémisphère nord.
==> ne peut-on pas souhaiter un effondrement progressif plutôt que brutal de la civilisation ?
Merci pour votre lecture
Bonjour,
1. « Révolution dans nos origines », je ne connaissais pas, mais je connais certains des auteurs qui ont contribué à la réalisation de ce livre et j’apprécie leurs travaux. « Le champignon de la fin du monde », je l’ai, mais je ne l’ai pas encore lu. Il m’intéresse.
2. Bien sûr, c’est expressément suggéré dans l’essai « Oubliez les douches courtes » (https://partage-le.com/2015/03/oubliez-les-douches-courtes-derrick-jensen/)
3. Probablement, oui. La question du nucléaire est évidemment épineuse. Mais si l’on attend que les centrales soient toutes arrêtées, on va attendre longtemps, au vu de la tendance actuelle qui correspond plutôt à l’inverse exacte.
Merci pour vos réponses, ça éclaircit les choses. J’en viens à la conclusion qu’on peut souhaiter un effondrement progressif plutôt que rapide, même si cela paraît peu probable.
Voici ce qu’est devenu Chernobyl aujourd’hui.
https://www.youtube.com/watch?v=XKgTETLFmak
Pourquoi sortir des citations de leurs contextes comme vous l’aviez déjà fait dans votre 1er article sur le sujet ? Ou c’est malhonnête et tout a fait intentionnel de votre part, ou alors, il faudrait peut-être que vous songiez à vous intéresser à l’herméneutique.
Voici les dernières phrases de la citation que vous tirez du livre de C. Dion.
» […]. Terrifiés par la nuit, par la foudre, par les déchaînements inexpliqués. Après des siècles passés à inventer des dieux et des malédictions, à construire des récits capables d’expliquer pourquoi nous mourons. Pourquoi nous vivons.
Aujourd’hui nous pouvons enfin jouir. Et nous ne voulons plus disparaître. »
Deux paragraphes plus loins, C. Dion écrit :
« Ainsi éclairé, notre présent aurait de quoi réjouir certains. Mais au regard de cette litanie de progrès, une autre énumération aurait de quoi nous terrifier. Car ces incroyables avancées ne bénéficient pas à tous les êtres humains de la même façon. […Il cite des exemples…]. Sur le plan écologique, nous avons assisté à la disparition de la moitié des populations de vertébrés, […il cite d’autres exemples…]. »
Je comprends donc que C. Dion fait la part des choses et ne sanctifie pas le « progrès », bien au contraire.
Son livre est un plaidoyer pour changer les récits dominants comme celui du progrès afin de nous inviter à changer de comportement vis-à-vis de l’ensemble du vivant.
Quand on cite un extrait d’un livre, on risque toujours l’accusation selon laquelle on cite hors contexte. L’extrait est bien long, je n’allais pas citer tout le livre. Cyril Dion tempère effectivement son éloge du progrès par un listage de ses coûts. Mais cela ne change aucunement le fait qu’il colporte des clichés mensongers et absurdes sur le passé. Il tempère son éloge du progrès par une liste de ses coûts. Très bien. Ce que je souligne dans mon article c’est qu’il fait bel et bien un éloge du progrès, et qu’il le base sur des mensonges relativement indécents concernant le passé (et le présent de certains).
… et je crois que Cyril Dion parle de vous dans le dernier épisode de Next : https://youtu.be/Gtw3VfBRzpk (autour de 35′) :
CD : « […] Est-ce qu’on veut continuer à utiliser l’industrie ? […] si on dit non, ça veut dire qu’on crée une civilisation radicalement différente. Qu’on va vivre dans les bois…
CM : — Qui va dire non ?
CD : — Ah bah y en a quelques uns qui disent non, qui sont extraordinairement radical. Moi je pense que honnêtement ça n’embarquera personne. […] Ou on a une posture hyper radicale par rapport à ces questions-là, et encore une fois on considère que l’être humain est un parasite qui a envahi toute la planète, pris le dessus sur toutes les espèces, et donc que tout ce qu’il a créé, qui ressemble à de la civilisation, est déjà une façon d’empiéter sur le monde naturel. Ce qui est par exemple la position d’un mec comme Derrick Jensen qui dit par exemple la suprématie de l’être humain c’est n’importe quoi et donc on devrait être comme les autres espèces. Et à ce titre là tout ce qui ressemble à de la civilisation est déjà une forme d’impérialisme des êtres humains sur les autres espèces. Ou tu as une conversation autour de comment est-ce qu’on crée une civilisation qui peut éventuellement se mettre en accord avec la nature, en harmonie avec la nature le plus possible, sachant que les êtres humains ne renonceront à mon avis jamais à une forme de priorité sur les autres espèces. On peut l’espérer, on peut avoir des discussions philosophiques sur la question. Mais là aujourd’hui en 2018 si on a 20 ans pour réagir que ce soit ça le cœur du récit qur nous fasse essayer d’embarquer des millions de personnes avec nous, je n’y crois pas une seconde. Je ne crois pas une seconde que les gens vont se mettre à réagir parce qu’on leur dit « on devrait pas être l’espèce dominante et on devrait tous retourner vivre dans la forêt, ça me paraît irréaliste. […] »
Je vous transcris ça comme ça, j’imagine que ça mérite quelques commentaires. Par exemple, est-ce qu’il ne serait pas en train de dire » oui d’accord mais personne va vous suivre donc je propose autre chose » ?
Vu. Je copie ci-après le commentaire que j’ai publié sur Facebook :
Dans le dernier épisode de la série NEXT, Cyril Dion est interviewé et parle des écologistes « radicaux », voire « hyper-radicaux », ou encore « extraordinairement radicaux », et de Derrick Jensen, déformant complètement l’analyse de DGR, de la même manière qu’il la déforme dans son dernier livre. On apprend par exemple que pour nous, écologistes radicaux, « l’humain » serait « un parasite ». Mais au-delà de ces affabulations gratuites, on remarque aussi qu’il ne comprend pas (ou n’admet pas) qu’il y a des différences tellement fondamentales entre la perspective de l’écologie radicale et la sienne qu’elles ne constituent pas deux moyens de parvenir à un même but, mais deux courants qui n’ont pas du tout la même analyse, pas le même objectif, et qui n’envisagent donc pas les mêmes moyens.
Il expose à peu près l’ensemble de sa perspective dans l’épisode. On y retrouve le mythe d’industries écologiques (et, bien sûr, il évite de se demander si l’industrialisme peut aller de pair avec des sociétés démocratiques, égalitaires, il élude également la question dans son livre, c’est plus simple ; de la même manière il ne propose aucune réflexion sur les liens entre types de technologie/hiérarchisation sociale/démocratie) ; le mythe très à la mode du « il suffit de proposer un autre récit pour tout faire changer » qui découle du mythe du « tout ce qui s’est passé dans l’histoire de l’homme c’est seulement lié à des récits qui ont changé » (qui permet d’occulter confortablement le fait que l’expansion des grandes religions, de la civilisation, la colonisation, et jusqu’au statu quo actuel, se basaient et se basent effectivement, d’une part, sur un certain récit, du côté des envahisseurs-conquérants-impérialistes, mais aussi et surtout, d’autre part, sur la coercition, la violence organisée, l’embrigadement, qui permettent d’imposer un certain récit en tuant ou en réduisant au silence ceux qui n’adhéraient pas et qui n’adhèrent pas aux récits dominants, qui s’y opposent) ; sur l’idée incroyablement naïve (mais qui découle de l’interprétation totalement édulcorée de l’histoire précédemment mentionnée) de compter sur les institutions dominantes, les ministres, pour nous aider, nous sauver, faire le bien (il semble fier d’en connaître certains, il va leur demander de nous aider et de faire le bien, youpi-nous-sommes-sauvés), et plein d’autres choses absurdes. Mais de toute façon, l’intervieweur (Clément Montfort) et lui semblent trouver ridicule l’idée de renoncer à la « communication » planétaire, aux smartphones, à internet. Enfin bref, l’écologie promue par Le Monde et les autres médias de masse.
Bonjour,
Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser…
https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ
Cordialement
Bonjour,
Mélanger Dion et Servigne me semble abusif. Dans son long entretien donné à la chaîne Youtube Thinkerview, Servigne décrit son mode de vie qui est bien éloigné de celui d’un « citoyen blanc privilégié ». De même, il semble lui aussi souhaiter l’effondrement de la civilisation industrielle que nous souhaitons. Lorsqu’on l’écoute, on est loin de la complainte de celui qui regrette cet état de fait. Pour autant, il semble bien se réduire à ce que vous dénoncez, la tentative de fuir la civilisation en se réfugiant dans une communauté style Colibris sans chercher par la lutte militante à agir concrètement contre ce qu’il dénonce. C’est je pense un type « gentil », qui répugne donc à la violence et à la conflictualité, et qui a donc choisi de contribuer le moins possible à une civilisation qu’il condamne, sans toutefois accepter d’agir autrement que par un pas de côté.
C’est je pense une tendance majoritaire aujourd’hui parmi les personnes sensibles à l’état de notre milieu, qui ont intégré l’interdiction du recours à la violence. Sur ce sujet, j’ai récemment assisté à une conférence de Mathilde Larrère, qui a insisté sur le fait que tant que les mouvements sociaux (ou écologistes) refuseront par principe le recours à la violence, ou même la menace du recours à la violence, ils seront inévitablement défaits. Dans sa perspective d’historienne du mouvement social, la menace de la violence, plus que l’usage de la violence, c’est-à-dire la peur inspirée aux bourgeois, est un des moteurs indispensables des luttes victorieuses. Mais la société bourgeoise est parvenue à ancrer en l’esprit de l’immense majorité des citoyens le tabou de la violence, qui explique la litanie des défaites depuis 50 ans.
Pour moi, Servigne n’est pas quelqu’un qui regrette l’effondrement de la civilisation, c’est simplement quelqu’un qui refuse par principe la violence. S’il ne parle pas de la nécessité de démanteler de force la civilisation industrielle, c’est parce qu’il refuse les moyens nécessaires à cela. Il faut terrasser ce tabou de la violence, sans tomber dans l’excès inverse, le fétichisme de la violence du type Black Bloc. Je suis pour ma part sur la ligne de Miguel Benasayag, la violence est un outil dont l’usage s’impose ou pas en fonction des circonstances, que l’on ne peut accepter ou refuser systématiquement, mais dont la possibilité latente constitue un moyen indispensable des luttes victorieuses.
Je lis toujours vos articles avec grand intérêt : le propos est étayé, solidement argumenté, parfaitement écrit et s’inscrit dans une radicalité qui me séduit autant qu’elle me dérange.
Et, si je comprends bien, c’est précisément cette absence de radicalité — ou de cohérence — qui vous amène à critiquer les auteur que vous mentionnez. À leur propos vous écrivez : « Le risque étant, bien sûr, qu’en parlant à tout le monde, on ne parle à personne, et que cela participe de la confusion ambiante. » C’est en effet l’inverse de la radicalité que de chercher à s’adresser à un public élargi. C’est d’ailleurs ce qui fait que les prises de parole d’un Cyril Dion ou d’un Pablo Servigne sont entendues et font boule de neige. Alors certes, d’un point de vue radical, leurs prises de positions paraissent molles, édulcorées, inadaptées, voire mensongères et au final très insuffisantes. Sauf qu’ils ont le mérite, en restant audibles, de sensibiliser bien davantage que le radicalisme.
Dès lors on peut se demander s’il vaut mieux éveiller les conscience (en étant un cran au dessus des média mainstream) ou ne pas faire de concessions, au risque de… ne toucher que très peu de monde. Éveiller les consciences c’est déjà un début, une première marche, qui peut permettre d’en gravir d’autres et d’accéder à une conscience plus lucide, plus engagée, voire plus radicale.
Quant à l’aspect émotionnel, ces larmes « indécentes », ces introspections « criminelles » (!), on pourrait dire cela pour tout évènement personnel. Ou autrement dit : il y a plus grave que ça alors ravale ta douleur et tais-toi. Je ne pense pas que nier une douleur ou une émotion la fasse disparaître.
J’avais déjà évoqué la notion d’ambivalence, en commentaire à un texte précédent. Celle qui consiste à souhaiter à la fois la fin de la « civilisation occidentale » destructrice et voir durer tous les aspects agréables qu’elle procure à ceux qui ont la chance d’en bénéficier. Souhaiter une chose et son contraire ce n’est pas rationnel, c’est même absurde… et pourtant l’idée de pouvoir garder le bon et supprimer le mauvais perdure. Mais ce n’est pas plus absurde qu’imaginer que le discours radical et, finalement, suicidaire de l’anéantissement volontaire de notre civilisation séduira un jour les foules 😉
Merci de m’avoir lu.
« Sauf qu’ils ont le mérite, en restant audibles, de sensibiliser bien davantage que le radicalisme. »
De sensibiliser à quoi ? A des mièvreries qui ne nous seront pas d’une grande aide. Mieux vaut-il beaucoup de personnes mal informées ou peu de personnes bien informées ?
Je ne parlais évidemment pas de sensibiliser à des mièvrerie, mais de sensibiliser à des enjeux graves et difficiles à appréhender sans un travail de prise de conscience, de maturation, de déconstruction de représentations, d’acceptation. Il s’agit d’un processus qui peut demander un certain temps.
Mieux vaut des personnes informées (« bien » de préférence), conscientes, lucides… qui pourront éventuellement transmettre ce qu’elles savent. Que ce soit avec radicalisme ou en nuances, peu importe finalement, ce qui compte c’est que le message passe efficacement et se diffuse.
Pas d’accord. Ce n’est pas le même message. C’est toujours étonnant de voir que certains considèrent que l’écologie étatiste et pro-industrie (mais industrie verte, hein, évidemment) c’est la même chose que l’écologie libertaire (anti-étatiste) et anti-industrielle (qui explique que seules les basses technologies, ou technologies douces, ou conviviales, sont soutenables / démocratiques).
Je n’ai nullement fait mention de l’écologie étatiste et pro-industrie, « verte » ou pas, et je ne m’y reconnais pas.
Procès d’intention infondé. Dommage…
Juste une petite critique.
Dans ta critique de la vision antropo/sociocentrique de la collapsologie, je peux me permettre une petite critique du terme « monde naturel » voir du concept de nature même, totalement antropocentrique et positionné uniquement par opposition à l’homme, ce qui n’est pas transformé par l’homme, résultant de la culture.
Ce concept me parait assez fumeux, et confus et aurait besoin d’être repensé par quelque chose de plus universelle, permettant de faire une analyse en profondeur du problème.
Voila, ce terme omniprésent dans tes textes bien argumentés me parait limiter les capacités de conclusion de tes analyses à une simple négation de la civilisation suffisant à régler tous les problèmes du monde, ou du moins à légitimer tous autres éventuelles problèmes ne venant pas de l’humain civilisé.
Nous revoilà donc dans la vision sociocentré que tu critiques, utilisant l’argumentation opposée. Il faut pour moi que nous arrivions à dépassé cette vision du monde manichéenne afin de réaliser de véritable analyse critique.
Je dis ça mais j’ai pas grand chose de mieux à proposer.
Pour en finir avec « nature » ou « environnement » qui mettent l’homme au centre, Olivier Rey propose le terme de « milieu », l’ »umwelt » allemand. Ceci est développé dans un texte très intéressant qui revient également sur les simulations de Denis Meadows à l’origine du rapport du Club de Rome et de la notion d’effondrement. Si l’on met de côté la perspective chrétienne de Rey, il y a là matière à réfléchir en profondeur : https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2018/03/14/olivier-rey-milieu-robustesse-convivialite-contre-environnement-optimisation-complexite/#more-1460
Oui, oui, le succès relatif des anthropologues et autres penseurs postdualistes (Descola, Pignocchi, etc.) a eu des effets intéressants. Ils veulent se débarrasser de « nature », pourquoi pas. Le concept de « nature » est anthropocentré ? Oui et non. C’est effectivement un concept qui se base sur la perspective humaine, mais comme beaucoup d’autres, et cela n’implique pas nécessairement de problème. Les postdualistes, qui veulent qu’on arrête de parler de nature, se mettent à parler de « non-humain », de « monde non-humain », et d’autres choses du genre. Le concept de « nature » fait référence à « l’Ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l’activité et de l’histoire humaines » (CNRTL), au « Milieu terrestre particulier, défini par le relief, le sol, le climat, l’eau, la végétation » (définition CNRTL, encore), ou à « l’Environnement terrestre, en tant qu’il sert de cadre de vie à l’espèce humaine, qu’il lui fournit des ressources » (CNRTL encore, ici, le terme de ressources est assez problématique, évidemment). Il ne me semble pas absurde d’avoir un mot pour désigner le monde non-humain, pour distinguer ce qui ne dépend pas de l’être humain de ce qui en dépend. L’anthropocentrisme problématique ne serait-il pas de penser qu’il est absurde de considérer que quoi que ce soit puisse exister indépendamment de l’être humain ?
Je ne sais pas si c’est hors-sujet :
J’ai des amis (qui se disent plutôt de « culture scientifique ») qui semblent parfaitement lucides quant à l’effondrement de la société, et même l’effondrement de la biodiversité. Et qui considèrent que c’est normal, qu’il y a toujours eu des espèces qui ont dominé les autres, que l’histoire de la planète n’est pas faite d’équilibre, mais d’une suite de déséquilibres, et donc, si on disparaît avec toutes les autres espèces, eh bien c’est comme ça. Je ne sais pas bien s’ils se rendent compte de ce qu’ils disent. Et pour le coup, je suis plutôt désarmé : dire « mais tu te rends compte de toutes les formes de vie qui sont détruites ? etc. » risque de n’avoir aucun effet. Est-ce que dire « mais tu te rends compte que tu parles aussi de tes enfants, de tes proches, etc. » aurait plus d’impact ? Je ne sais pas…
C’est une litanie assez classique dans cette culture. Une sorte de fatalisme bizarre. C’est quelque chose qui est enseigné plus ou moins explicitement par cette culture. L’impuissance apprise. Et donc ensuite ils justifient leur impuissance, qu’ils jugent normale, par toutes sortes de réflexions hasardeuses. Pour moi ça témoigne clairement d’un égarement mental, d’une sorte d’apathie, de léthargie. C’est une réflexion de zombie, pas d’être humain vivant. La domestication des êtres humains aboutit à ça. Des individus qui suivent le cours des évènements de la société qu’ils subissent et sur laquelle ils n’ont aucune prise, et qui le justifient par un fatalisme ou un déterminisme purement idéologique.
Bonjour Nicolas,
il y a un élément que tu n’as pas pris en compte dans ton argumentaire mais qui est très important d’aborder : l’assombrissement global. (« Global dimming » en anglais)
C’est l’effet inverse du réchauffement climatique. Tout comme le réchauffement, il est provoqué par notre civilisation industrielle.
Il vient atténuer en partie le réchauffement climatique. J’invite ceux qui voudraient en savoir plus sur cet effet à rechercher le terme sur internet.
En bref : si la civilisation industrielle s’arrête, le réchauffement climatique va augmenter d’autant plus qu’il n’y aura plus cet effet refroidissant dû à l’assombrissement global.
Est-il possible de sauver la civilisation ET sauver la planète ?
Dieu seul le sait. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne pourra pas sauver la planète sans la civilisation.
Oui, par contre je ne comprends pas, le global dimming, je connais bien, mais « on ne pourra pas sauver la planète sans la civilisation », c’est un contresens. La civilisation détruit la planète. C’est pourtant simple. Le global dimming en est une illustration de plus.
Merci pour cette critique. Pourtant je suis la ménagère de moins de 50 réalisant que notre société est vraiment proche de la fin, térrorisée de voir son fils mourrir de faim devant ses yeux. Mais je partage vos vues. En prenant de la distance (incapable à présent je l’avoue) il est clair que la fin de la société industrielle est salvatrice. Il y a en outré des milliers de façon de disparaître ; et si on disparaît pour la sauvegarde de la planète et d’autres societés non industrialisées… Mais bon nous sommes humains ; et notre instinct de survie kick in. La fin annoncée de la société industrielle est peut être aussi une occasion pour se battre non pas contre la fin de notre société mais pour une société un peu moins pire.
À la liste des violences (tu le suggères sans le dire clairement), j’ajouterai les violences psychologiques exercées de manière continue dans le système actuel, celui de la performance, de la compétition, des objectifs à atteindre absurde, etc. Bref, une violence moins visible, mais réelle. Les violences psychologiques aussi infligées aux « esclaves » qui produisent pour nous, les nantis du nord en leur faisant miroiter la perspective de vivre un jour comme nous, sans que ce jour n’arrive jamais. Sans compter les dommages à l’environnement que cela provoquerait.
Un grand merci, très stimulant !
Bref, une remarque, un point de « détails »…
Précisions : je viens de découvrir le site « partage » et tes articles sur la collapsologie.
J’ai lu plusieurs de vos articles et je les trouve très bien, par contre, j’en ai plus qu’assez que l’on parle du blanc privilégié, il est sans aucun doute fait mention d’hommes se trouvant dans les hautes sphères du pouvoir et des affaires, parce que n’oublions pas qu’en Europe ou vivent les fameuses blancs privilégiés, les enfants blancs et donc privilégiés, mais de familles pauvres, travaillaient dans les mines, les filatures et autres endroits particulièrement sympathique, ils y étaient victimes de violences et d’abus divers, heureusement que certains se sont élevés contre cet état de chose, je vous conseille de lire Germinal de Zola ou vous découvrirez le quotidien abominable de ces blancs privilégiés qui avaient l’immense chance de se retrouver face à l’armée, elle aussi constituée de blancs privilégiés qui n’hésitaient pas à leur faire des trous dans le corps. Les blancs privilégiés ont toujours été méprisants et monstrueusement arrogants avec leurs congénères. Tous ceux qui ont une immense fortune et ont le pouvoir entre les mains sont toujours les bourreaux de leur peuple, bien qu’ils aient bien souvent la même couleur de peau, je le sais par des personnes africaines bien placées pour le savoir. Il n’y a pas de différence entre les uns et autres, il y a d’un côté les privilégiés (peu importe leur origine) et les autres, ceux d’en bas, en l’occurrence des gens comme moi. Oui, notre monde va disparaître et nous avec, les dinosaures ne sont plus là, bientôt, cela sera notre tour, bien entendu, une autre espèce nous remplacera et ainsi de suite.