TémoiÂgnage publié dans la revue BehiÂgorÂri
VoiÂlà ce qu’on demande sysÂtéÂmaÂtiÂqueÂment à toute perÂsonne qui cherche à se faire un avis sur la quesÂtion de la prosÂtiÂtuÂtion. Il faut écouÂter les concerÂnées, mais pas n’importe lesÂquelles, hein ! Celles et ceux qui marÂtèlent cette injoncÂtion rediÂrigent touÂjours l’interlocuteur vers cerÂtaines « concerÂnées » triées sur le volet, celles dont le disÂcours va dans le sens du « libre choix », celles qui prennent soin de ménaÂger ceux qu’elles appellent leurs « clients », celles qui ne dénoncent jamais les vioÂlences omniÂpréÂsentes dans cet uniÂvers, sauf pour en rendre resÂponÂsable les aboÂliÂtionÂnistes.
C’est le thème que j’ai choiÂsi d’aborder dans l’une des preÂmières vidéos de notre chaîne YouÂTube, quelques semaines après avoir été agresÂsée lors de la maniÂfesÂtaÂtion du 8 mars à Paris par les mêmes perÂsonnes qui répètent en boucle qu’il faut « écouÂter les concerÂnées ».
Il faut d’abord rapÂpeÂler que pour l’immense majoÂriÂté des perÂsonnes prosÂtiÂtuées, s’exprimer libreÂment sur la réaÂliÂté de leur condiÂtion est tout simÂpleÂment imposÂsible. Pour comÂmenÂcer, plus de 90 % d’entre elles sont vicÂtimes de la traite, ce qui signiÂfie qu’elles ont litÂtéÂraÂleÂment un couÂteau sous la gorge. Ensuite, il est vrai que parÂmi le pourÂcenÂtage resÂtant, il y a une petite minoÂriÂté, (celle qui est touÂjours mise en avant), qui affirme haut et fort que la prosÂtiÂtuÂtion est un choix, qui déclare vivre cette actiÂviÂté comme un métier, certes parÂfois difÂfiÂcile, mais qui pourÂrait ausÂsi être épaÂnouisÂsant, voire « empouÂvoiÂrant », etc… Parce-que j’ai fait parÂtie de ce petit pourÂcenÂtage de « concerÂnées », je comÂprends parÂfaiÂteÂment les raiÂsons pour lesÂquelles ces perÂsonnes défendent farouÂcheÂment leur posiÂtionÂneÂment.
Je suis une « surÂviÂvante », c’est-à -dire que j’ai subi la prosÂtiÂtuÂtion penÂdant pluÂsieurs années et, contraiÂreÂment à cerÂtaines de mes amies, je n’en suis pas morte. Mieux que ça, grâce à un long parÂcours de répaÂraÂtion, j’ai pu sorÂtir de l’aliénation conséÂquente aux vioÂlences subies durant cette période. Aujourd’hui, j’ai assez de recul sur mon pasÂsé pour comÂprendre et tenÂter d’expliquer pourÂquoi, penÂdant un temps, j’ai préÂtenÂdu me prosÂtiÂtuer libreÂment et même aimer ça.
Les mécaÂnismes psyÂcho-trauÂmaÂtiques
L’une des preÂmières choses à étuÂdier lorsqu’on veut comÂprendre ce que vit une perÂsonne en situaÂtion de prosÂtiÂtuÂtion, ce sont les mécaÂnismes des vioÂlences, notamÂment sexuelles, et leurs conséÂquences trauÂmaÂtiques. J’encourage viveÂment celles et ceux qui ne connaissent pas encore les traÂvaux de la DocÂtoÂresse Muriel SalÂmoÂna à consulÂter son site « mémoire trauÂmaÂtique et vicÂtiÂmoÂloÂgie » ou à regarÂder ses conféÂrences. Son traÂvail est d’une imporÂtance cruÂciale pour la comÂpréÂhenÂsion des psyÂcho-trauÂmas. Le début de ma renaisÂsance a comÂmenÂcé par la découÂverte, grâce à une merÂveilleuse psyÂchoÂlogue, que le mal-être dont je soufÂfrais porÂtait un nom : le synÂdrome de stress post-trauÂmaÂtique. J’ai été accomÂpaÂgnée par cette psy penÂdant l’année qui a suiÂvi l’arrêt de la prosÂtiÂtuÂtion. Au cours de cette période, j’ai enfin pu comÂprendre que tous les « choix » que j’avais cru faire, qui m’avaient conduite dans la prosÂtiÂtuÂtion et qui me semÂblaient absurdes, masoÂchistes, avaient en réaÂliÂté un sens, une logique que les neuÂrosÂciences pouÂvaient expliÂquer de manière très terre à terre. DécouÂvrir les mécaÂnismes de sidéÂraÂtion, de disÂsoÂciaÂtion, d’excitation trauÂmaÂtique, comÂprendre la straÂtéÂgie de mise sous emprise utiÂliÂsée par mes agresÂseurs et, enfin, le foncÂtionÂneÂment de la mémoire trauÂmaÂtique m’a perÂmis de porÂter un regard plus réaÂliste sur mon parÂcours.
Lorsqu’on subit une situaÂtion de stress intense — lors de vioÂlences extrêmes par exemple, notre cerÂveau proÂduit du corÂtiÂsol et de l’adrénaline qui, en trop grande quanÂtiÂté, pourÂraient cauÂser un arrêt carÂdiaque et la mort. On pourÂrait litÂtéÂraÂleÂment « mouÂrir de stress ». Pour éviÂter que cette overÂdose ne se proÂduise, lorsqu’un cerÂtain taux de ces horÂmones est atteint, le cerÂveau « disÂjoncte ». C’est ce qui proÂvoque l’état de sidéÂraÂtion dans lequel nous sommes comme paraÂlyÂsée et la disÂsoÂciaÂtion, qui créé une forme de sépaÂraÂtion entre notre corps et notre esprit et une anesÂthéÂsie de nos émoÂtions. Sur le moment, on ne resÂsent donc aucune soufÂfrance. Par contre, une fois le danÂger pasÂsé, la mémoire trauÂmaÂtique se réacÂtive et alors, on revit la scène, encore et encore, sous forme de flash-backs, de senÂsaÂtions phyÂsiques insupÂporÂtables et tout un tas d’autres sympÂtômes peuvent se maniÂfesÂter comme les cauÂcheÂmars, les crises d’angoisses, etc. C’est la raiÂson pour laquelle cerÂtaines vicÂtimes de vioÂlences peuvent être ameÂnées à recherÂcher volonÂtaiÂreÂment des situaÂtions de vioÂlences ou à ne pas en sorÂtir, afin de resÂter dans l’état de disÂsoÂciaÂtion dans lequel la soufÂfrance n’est pas perÂcepÂtible.
J’avais six ans la preÂmière fois qu’un homme m’a vioÂlée. Ce preÂmier viol a créé une disÂsoÂciaÂtion qui m’a renÂdue capable d’endurer n’importe quelle forme de vioÂlence — et il y en avait beauÂcoup dans mon environnement sans me senÂtir atteinte. Il me sufÂfiÂsait de me mettre dans ma bulle et d’attendre que ça passe. Plus tard, quand des « clients » me pasÂsaient desÂsus, le même mécaÂnisme s’enclenchait et j’avais la senÂsaÂtion d’observer la scène depuis l’autre bout de la pièce. Je repreÂnais ensuite le cours de ma vie en faiÂsant comme si ce moment n’avait jamais exisÂté. Je ne savais pas, alors, que le souÂveÂnir était graÂvé quelque-part dans ma mémoire, et que bien des années plus tard, il allait resÂsurÂgir, s’imposer à moi pluÂsieurs dizaines de fois par jour, rendre ma vie imposÂsible et me torÂtuÂrer. Jusqu’à ce que j’échappe pour de bon à la vioÂlence, j’ai vécu (ou pluÂtôt surÂvéÂcu) en mode « pilote autoÂmaÂtique », la plus grande part de moi proÂfonÂdéÂment endorÂmie, comme morte. Je faiÂsais ce qu’on attenÂdait de moi de façon mécaÂnique, totaÂleÂment déconÂnecÂtée de mon resÂsenÂti.
La dépenÂdance
Ayant mal démarÂré dans la vie, vous l’aurez comÂpris, j’ai trouÂvé le réconÂfort là où j’ai pu et j’ai très vite appris à me défonÂcer pour m’anesthésier. L’usage de drogues, de plus en plus « dures », a forÂteÂment contriÂbué à renÂforÂcer l’état de disÂsoÂciaÂtion indisÂpenÂsable à l’exercice de la prosÂtiÂtuÂtion.
Au-delà de ça, mes preÂmières expéÂriences dans le milieu de la drogue m’ont appris que si je ne donÂnais pas aux hommes ce qu’ils vouÂlaient, ils le prenÂdraient quand-même. Je savais que j’évoluais dans un milieu danÂgeÂreux, que les hommes étaient danÂgeÂreux et que je n’avais aucun moyen de m’en proÂtéÂger. J’en suis arriÂvée à la concluÂsion que les laisÂser faire était encore la soluÂtion la plus simple, et que si je faiÂsais semÂblant d’aimer ça, si je « me débrouillais bien », je pouÂvais même en tirer quelque-chose en retour. Un bout de shit, un verre d’alcool… J’ai appris le « métier » de prosÂtiÂtuée vers l’âge de 13 ans. J’avais le proÂfil parÂfait pour les proxéÂnètes. De leur point de vue, je savais déjà l’essentiel, c’est-à -dire que perÂsonne ne vienÂdrait me plaindre si les « clients » me malÂmeÂnaient trop, que je ne valais rien et que je ne pouÂvais m’en prendre qu’à moi-même, qu’il falÂlait serÂrer les dents et assuÂmer.
Plus le temps pasÂsait, plus j’avais besoin de drogue pour supÂporÂter cette vie, et plus j’avais besoin de drogue, plus je devais « traÂvailler » pour en obteÂnir.
Le déni
Je m’aperçois en écriÂvant ces lignes, qu’il m’est très difÂfiÂcile, encore aujourd’hui, de parÂler de la réaÂliÂté de la prosÂtiÂtuÂtion. Par réflexe, j’utilise touÂjours des euphéÂmismes pour attéÂnuer l’extrême vioÂlence de ce milieu : « être malÂmeÂnée », « traÂvailler », « faire ce qu’il y a à faire », « satisÂfaire le client »…
Tant qu’on n’a pas de soluÂtions matéÂrielles concrètes pour sorÂtir d’une situaÂtion vioÂlente, tant qu’on n’a pas la capaÂciÂté psyÂchique de faire face à la réaÂliÂté de la vioÂlence, tant qu’on est en mode « surÂvie », un mécaÂnisme bien connu se met en place : le déni. Un alcooÂlique ne vous parÂleÂra pas de son rapÂport à la boisÂson de la même manière, avant et après être deveÂnu absÂtiÂnent. Une femme priÂsonÂnière d’un conjoint violent raconÂteÂra son hisÂtoire d’une toute autre manière après s’en être libéÂrée. Avec la prosÂtiÂtuÂtion c’est la même chose : je n’ai jamais rien fait de plus difÂfiÂcile dans ma vie que de retiÂrer les couches et les couches de déni dans lesÂquelles j’avais embalÂlé la réaÂliÂté de cette période pour tenÂter de la rendre moins monsÂtrueuse.
Je n’ai pu entreÂprendre ce traÂvail qu’après avoir défiÂniÂtiÂveÂment cesÂsé cette « actiÂviÂté ». Je n’aurais jamais pu appeÂler un viol un viol, ni prendre la mesure de la vioÂlence que cela repréÂsenÂtait, à l’époque où j’étais contrainte de subir cela réguÂlièÂreÂment. Au contraire, j’aurais attaÂqué avec beauÂcoup d’agressivité quiÂconque aurait tenÂté de me faire prendre conscience de ce que je vivais réelÂleÂment. C’est pourÂquoi je ne reproÂcheÂrai jamais à une perÂsonne en situaÂtion de prosÂtiÂtuÂtion de nier la vioÂlence subie. Je sais que c’est une quesÂtion de surÂvie. Par contre, je contiÂnueÂrai inlasÂsaÂbleÂment à dénonÂcer le lobÂby du proxéÂnéÂtisme qui insÂtruÂmenÂtaÂlise ces disÂcours pour redoÂrer l’image de la prosÂtiÂtuÂtion et pouÂvoir exploiÂter ce « secÂteur d’activité » en toute légaÂliÂté !
La nécesÂsiÂté d’être forte
Dans la prosÂtiÂtuÂtion, si ma douÂleur était attéÂnuée par un mur de déni en béton armé, par l’anesthésie due à la drogue et aux mécaÂnismes de disÂsoÂciaÂtion trauÂmaÂtique, il y avait tout de même des jours où je me senÂtais proÂfonÂdéÂment désesÂpéÂrée ou révolÂtée par ma situaÂtion. Mais ma surÂvie dépenÂdait encore d’un facÂteur supÂpléÂmenÂtaire : il était impenÂsable que je m’autorise à monÂtrer un quelÂconque signe de faiÂblesse.
D’une part, mes amies et moi savions que la moindre faille pouÂvait signiÂfier un regain de vioÂlence de la part des hommes, des « clients » comme des proxéÂnètes, touÂjours avides d’assouvir leur soif de domiÂnaÂtion. Une attiÂtude que l’on apprend insÂtincÂtiÂveÂment dans la prosÂtiÂtuÂtion, c’est de faire ce qu’on nous demande sans jamais laisÂser filÂtrer à quel point nous sommes dégoûÂtées, choÂquées, ou effrayées. On apprend à enduÂrer la douÂleur sans jamais le monÂtrer. Faire semÂblant est l’une des « comÂpéÂtences » les plus imporÂtantes pour une prosÂtiÂtuée.
D’autre part, même entre nous, il était inenÂviÂsaÂgeable que nous nous ouvrions l’une à l’autre dans les moments de désesÂpoir. Nous ne supÂporÂtions pas de voir l’une d’entre nous flanÂcher, l’effet miroir venant fraÂgiÂliÂser nos murailles de proÂtecÂtion. Une prosÂtiÂtuée ne peut pas se perÂmettre d’éprouver de l’empathie pour ses sÅ“urs et sait qu’il est inutile d’en attendre de leur part.
Nous haïsÂsions donc le mot « vicÂtime », à nos yeux, il repréÂsenÂtait l’insulte suprême. Cela signiÂfiait être faibles et dans notre monde, il n’y avait pas de place pour les faibles.
La stigÂmaÂtiÂsaÂtion
Ce rejet de la pitié, cette nécesÂsiÂté de paraître indesÂtrucÂtible et de ne jamais nomÂmer la vioÂlence était un outil supÂpléÂmenÂtaire pour faire face au regard que la sociéÂté porte sur nous.
Quand on est vue comme une « pute », insulte à laquelle toute femme a été confronÂtée depuis son adoÂlesÂcence, quand on est utiÂliÂsée au quoÂtiÂdien comme un objet, quand on est contrainte d’exécuter des actes dégraÂdants sexuelÂleÂment, quand on est réguÂlièÂreÂment insulÂtée et humiÂliée, quand on entend constamÂment parÂler des prosÂtiÂtuées avec mépris, quand résonnent des « fils de pute », « sale pute », « langue de pute » à lonÂgueur de jourÂnée, on ne peut oublier que la sociéÂté nous consiÂdère comme une classe de sous-femmes.
Pour affronÂter cela et tenÂter de mainÂteÂnir à disÂtance une honte dont on sait qu’elle est injuste, on trouve des subÂterÂfuges. L’un d’eux consiste à claÂmer haut et fort « Oui je suis une pute, et alors ? ». C’est une méthode que j’ai employée. Je me quaÂliÂfiais moi-même de « salope », je disais que j’aimais le sexe et que la prosÂtiÂtuÂtion était un traÂvail comme les autres, pas plus dégraÂdant que d’être caisÂsière, dans le but de rejeÂter les railleÂries, le mépris, la haine que je perÂceÂvais en perÂmaÂnence. Se réapÂproÂprier les insultes et aller dans le registre de la proÂvoÂcaÂtion pour faire comme si on en était fière est une straÂtéÂgie bien connue des vicÂtimes de harÂcèÂleÂment ou d’homophobie.
Je comÂprends la logique qui pousse les femmes en situaÂtion de prosÂtiÂtuÂtion à reproÂcher aux aboÂliÂtionÂnistes de les stigÂmaÂtiÂser : pour elles, quand nous dénonÂçons la vioÂlence, nous la faiÂsons exisÂter. De la même façon, quand nous affirÂmons qu’elles sont vicÂtimes d’un sysÂtème, nous attaÂquons direcÂteÂment leurs mécaÂnismes de défense, nous metÂtons à mal un ensemble d’illusions qui leur perÂmet de tenir debout… Jusqu’à ce que ça les tue. Sans le décès de mon amie, je ne sais pas comÂbien de temps il m’aurait encore falÂlu avant d’avoir le déclic et de m’enfuir pour sauÂver ma peau.
DécouÂvrir qu’il existe autre chose
Je n’oublie jamais que j’ai eu une chance inouïe de trouÂver le souÂtien nécesÂsaire et approÂprié au moment où j’ai fini par être prête. J’ai pu bénéÂfiÂcier en même temps d’une place dans un foyer ou je me suis senÂtie en sécuÂriÂté, d’un groupe d’entraide, d’une bonne prise en charge psy, de temps pour me répaÂrer… J’aimerais que toutes les surÂviÂvantes aient cette chance.
Le plus imporÂtant, je crois, c’est que pour la preÂmière fois j’ai été resÂpecÂtée. Ça a été très douÂlouÂreux au début, je me suis pris la douÂceur et la genÂtillesse des gens qui m’ont aidée comme un coup de poing car cela a remis en persÂpecÂtive toute mon hisÂtoire. Si mon seuil de toléÂrance à la douÂleur était si éleÂvé, c’est parce que je ne savais pas qu’il exisÂtait autre chose, je n’avais pas de quoi comÂpaÂrer. J’ai baiÂgné toute ma vie dans un cliÂmat telÂleÂment violent que j’avais norÂmaÂliÂsé beauÂcoup de choses horÂribles et cru que l’inacceptable était inéviÂtable. En quitÂtant le monde de la drogue et de la prosÂtiÂtuÂtion, mon regard a radiÂcaÂleÂment chanÂgé sur ce que j’avais vécu. Plus le temps passe, plus je resÂsens de la peine pour celle que j’étais alors et pour toutes les femmes qui subissent la même situaÂtion.
Nous sommes toutes concerÂnées
Bien que cela soit très comÂplexe, il me semble extrêÂmeÂment imporÂtant de fourÂnir une grille de lecÂture pour anaÂlyÂser le disÂcours de celles qui préÂtendent « avoir choiÂsi d’exercer le métier de traÂvailleuses du sexe », étant donÂné que le nombre d’interview et d’articles qui relaient ce disÂcours se mulÂtiÂplie. De plus en plus souÂvent, je vois des jeunes femmes être attiÂrées par le côté glaÂmour que le puisÂsant lobÂby-proxéÂnète parÂvient à donÂner à la prosÂtiÂtuÂtion en insÂtruÂmenÂtaÂliÂsant le déni des « concerÂnées ». Ces femmes « choiÂsissent » donc d’enÂtrer en prosÂtiÂtuÂtion, mais ce choix repose sur une repréÂsenÂtaÂtion falÂlaÂcieuse du milieu prosÂtiÂtuÂtionÂnel, sur une escroÂqueÂrie. Dans tous les cas, qu’elles aient « choiÂsi » ou non, les conséÂquences desÂtrucÂtrices seront les mêmes pour elles. Je resÂsens le devoir d’alerter sur le fait que cette image qui nous est venÂdue d’une prosÂtiÂtuÂtion libre et épaÂnouisÂsante n’a rien à voir avec la réaÂliÂté.
Alors oui, d’accord, écouÂtez les « concerÂnées ». Mais écouÂtez toutes les concerÂnées. ÉcouÂtez les surÂviÂvantes qui, presque unaÂniÂmeÂment parÂmi celles qui s’expriment, dénoncent la vioÂlence extrême inhéÂrente à la prosÂtiÂtuÂtion. PreÂnez du recul, croiÂsez vos sources, lisez égaÂleÂment les rapÂports qui font état des résulÂtats des difÂféÂrentes poliÂtiques mises en Å“uvre dans les pays proche du nôtre, les anaÂlyses socioÂloÂgiques, les staÂtisÂtiques qui tendent toutes à prouÂver que la prosÂtiÂtuÂtion n’est accepÂtable sous aucune condiÂtion …
Enfin, je suis convainÂcue que toutes les femmes sont concerÂnées par la quesÂtion, étant donÂné que le mainÂtien de ce sysÂtème nourÂrit et renÂforce la domiÂnaÂtion masÂcuÂline. Dans une sociéÂté où la prosÂtiÂtuÂtion est norÂmaÂliÂsée, nous sommes toutes prosÂtiÂtuables. Nous devons miliÂter pour une sexuaÂliÂté libre basée sur le désir et le resÂpect mutuel et refuÂser en bloc toutes les formes de marÂchanÂdiÂsaÂtion de nos corps.
Daria KhoÂvanÂka
membre du CAPP
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Afficher les commentaires Hide commentsIl y a deux proÂblèmes posé par l’aÂboÂliÂtioÂnisme.
D’aÂbord en vouÂlant criÂmiÂnaÂliÂser les clients des prosÂtiÂtuées, ils rejettent la faute sur une seule catéÂgoÂrie de perÂsonnes et évitent ainÂsi d’aÂvoir à faire un débat de fond sur la sociéÂté. On peut les comÂpaÂrer en cela aux colÂlapÂsoÂlogues.
Ensuite, comme on peut le constaÂter dans les pays où cette criÂmiÂnaÂliÂsaÂtion est en praÂtique, les preÂmières à en payer le prix fort sont les prosÂtiÂtuées elles-mêmes. Par exemple en Suède, les prosÂtiÂtuées ont disÂpaÂru des rues, les hypoÂcrites sont contents et les prosÂtiÂtuées se retrouvent seules et donc encore plus démuÂnies qu’aÂvant face aux clients vioÂlents et réseaux de prosÂtiÂtuÂtions.
Enfin, faire la criÂtique de la sociéÂté perÂmet de se rendre compte que les états sont totaÂleÂment laxistes face aux réseaux de prosÂtiÂtuÂtions, ceci alors que les lois actuelles devraient pourÂtant sufÂfirent pour les comÂbattre, et que de plus ils sont très zélés pour taxer les prosÂtiÂtuées indéÂpenÂdantes, ce qui fait d’eux le preÂmier maqueÂreau de chaque pays (par exemple en Suisse, l’éÂtat dans cerÂtains canÂtons comme à Genève va jusÂqu’à les taxer d’ofÂfice quand leur déclaÂraÂtion d’imÂpôt n’est pas faite par une fiduÂciaire, ce qui les oblige ensuite à faire 4 ou 5 passes par jour rien que pour pouÂvoir payer leurs impôts.). On retrouve cette hypoÂcriÂsie avec d’autres sujets, par exemple en matière d’éÂcoÂloÂgie quand tous les états et tous les poliÂtiques confondent volonÂtaiÂreÂment écoÂloÂgie avec greeen washing et busiÂness as usual.
Bref, les aboÂliÂtioÂnistes mettent la charÂrue avant les boeufs et cela ne résouÂdra jamais rien, bien au contraire.