Ce texte de Lierre Keith est paru dans le livre Female Erasure : What You Need to Know About Gender Politics’ War on Women, the Female Sex, and Human Rights (« L’effacement de la femme : ce qu’il vous faut savoir sur la guerre politique du genre contre les femmes, le sexe féminin et les droits humains », non traduit), en octobre 2016.
Prisonnier d’une éprouvette, le sang peut passer pour un liquide statique, mais il est vivant, aussi animé et intelligent que le reste de ce qui vous compose. Il constitue une partie importante de vous-même : des trente mille milliards de cellules qui vous composent, un quart sont des cellules sanguines. Deux millions de celles-ci naissent chaque seconde. Durant leur processus de maturation, les globules rouges abandonnent leur noyau — leur ADN, leur capacité à se diviser et à se réparer. Elles n’ont pas de futur, seulement une mission à accomplir : transporter l’hémoglobine contenant votre oxygène. Elles n’utilisent pas l’oxygène elles-mêmes — elles ne font que le transporter. Et cela, elles le font avec une précision exquise, complétant un cycle de circulation à travers votre corps toutes les vingt secondes, pendant une centaine de jours. Enfin, elles meurent.
Le cœur de l’hémoglobine est une molécule de fer. C’est ce fer qui vient saisir l’oxygène à la surface de vos poumons, qui s’accroche à travers le flux sanguin, puis le distribue aux cellules demandeuses. Si le fer vient à manquer, le corps, comme toujours, a une solution de repli. Il augmente le volume sanguin en y ajoutant de l’eau ; le sang, plus fluide, voyage plus rapidement à travers les minces capillaires. Faire plus avec moins.
C’est bien, sauf que de moins en moins d’oxygène s’offre aux cellules. Un autre plan se met en place : l’augmentation du débit cardiaque. La fréquence des battements cardiaques augmente, ainsi que le volume d’éjection systolique. Pour éviter que vous n’explosiez, le cerveau s’y met aussi : il envoie des signaux aux muscles enveloppant chaque vaisseau sanguin et leur ordonne de se détendre. La pression sanguine peut désormais demeurer stable malgré l’augmentation du volume sanguin.
Mais le fer n’arrive toujours pas. Alors, les autres organes doivent coopérer, renoncer à une partie de leur afflux sanguin en vue de protéger le cerveau et le cœur. La peau fait des sacrifices majeurs, c’est pourquoi les anémiques sont connus pour leur pâleur. Les symptômes perçus par la personne — vous — augmentent à mesure que vos tissus, puis vos organes, commencent à être affamés.
Si aucun soulagement ne se profile, tous ces expédients finiront par échouer. Même un cœur puissant ne peut se surmener aussi longtemps. Le sang retourne dans les capillaires. Sous la pression, du liquide suinte dans les tissus environnants. Vous enflez alors, sans savoir pourquoi. Puis, les poumons cèdent. Les alvéoles, ces petits sacs qui attendent l’arrivée de l’air, se raidissent à cause de l’accumulation sanguine. Il n’en faut pas beaucoup. Les sacs se remplissent de liquide. Votre corps se noie. Cela s’appelle un œdème pulmonaire, et vous êtes en grave danger.
Je le sais, parce que ça m’est arrivé. Les fibromes utérins me font vivre une scène de meurtre chaque mois ; la chirurgie pour les retirer m’a fait franchir le Rubicon des globules rouges. Je n’y connaissais rien, mon corps comprenait et a réagi. Mes yeux ont gonflé, puis mes chevilles, puis mes mollets. Je ne pouvais plus respirer. Respirer me faisait mal. J’ai finalement arrêté de suivre les conseils de mon chien — viens faire une sieste avec moi ! — et me suis rendue aux urgences, où j’ai enfin compris ce qui m’arrivait.
Deux semaines plus tard, le flux s’était calmé, réabsorbé par quelque tissu humide de mon corps. Plus de douleurs. Respirer était exquis, la chose la plus agréable que je puisse imaginer. Chaque respiration naturelle était tout ce que j’avais toujours voulu. Je savais que cela s’estomperait et que j’oublierais. Mais pendant quelques jours, j’étais vivante. & c’était bon.
Nos corps sont à la fois tout ce que nous avons et tout ce que nous pourrions jamais vouloir. Nous sommes en vie, et on nous permet d’être en vie. Il y a de la joie à la surface de notre peau, en attente de lumière solaire et de caresses (ces deux choses induisent une production d’endorphines, donc oui : de la joie). Il y a le battement constant et robuste de nos cœurs. Les bébés qui sont portés contre les cœurs de leurs mères apprennent à respirer mieux que ceux qui ne le sont pas. Il y a la force des os, l’extension des muscles et leurs coordinations complexes. Nous sommes un ensemble d’impulsions électriques au sein d’un environnement aqueux : comment ? Eh bien, les nerfs qui conduisent les impulsions sont gainés par une substance grasse appelée myéline — ils sont isolés. Cela permet « une communication rapide entre des parties du corps distantes ». Comprenez bien ceci : il est vivant, il communique, prend des décisions, et sait ce qu’il fait. Il nous est impossible ne serait-ce que d’entrevoir l’étendue de ses intrications. Commencer à explorer le filigrane du cerveau, des synapses, des nerfs, et des muscles c’est réaliser qu’un simple clignement d’œil relève du miracle.
Nos cerveaux sont le fruit de deux millions d’années d’évolution. Au cours de cette longue et lente croissance, notre capacité crânienne a doublé. Et la première chose que nous avons faite, c’est remercier. Nous avons dessiné la mégafaune et les mégafemelles, les avons sculptées et taillées. La plus ancienne sculpture figurative connue est la Vénus de Hohle Fels ; il y a quarante mille ans, quelqu’un a passé des centaines d’heures à la tailler. Point de mystère ici, selon moi : les animaux et les femmes nous ont donné la vie. Ainsi ont-ils constitué notre premier projet d’art durable. L’émerveillement et la gratitude sont inscrits en nous, dans nos corps et nos cerveaux. Il était une fois une époque où nous nous savions en vie. & c’était bon.
Nous quittons maintenant le royaume des miracles pour celui de l’enfer.
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Le patriarcat est la religion dominante du monde humain. Il apparaît sous diverses formes — des anciennes, des nouvelles, des ecclésiastiques, des séculières. Mais au fond, elles sont toutes nécrophiles. Erich Fromm décrit la nécrophilie comme « la passion de transformer ce qui est vivant en inerte ; détruire pour le plaisir de la destruction ; l’intérêt exclusif pour tout ce qui est purement mécanique. » Dans cette religion, le pire des péchés est d’être en vie, et les responsables de ce péché sont les femelles. Sous l’empire du patriarcat, le corps féminin est détestable ; ses cellules grasses donneuses-de-vie sont dénigrées ; ses organes reproducteurs méprisés. Sa condition naturelle est toujours ridiculisée : les pieds normaux doivent être transformés en moignons de dix centimètres ; les cages thoraciques compressées jusqu’à l’implosion ; les poitrines sont variablement trop grosses ou trop petites, voire entièrement excisées. La douleur — sinon la torture incessante — que cela inflige n’est pas un dommage collatéral, un effet secondaire de ces pratiques. C’en est le cœur. Lorsqu’elles souffrent, les femmes deviennent obéissantes.
La nécrophilie est l’aboutissement du sadisme. La pulsion sadique relève du contrôle — « la passion de posséder un contrôle absolu et sans restriction sur un être humain », comme la définit Fromm. L’infliction de douleur et l’humiliation visent à briser l’être humain. La douleur est toujours humiliante : la victimisation humilie ; en fin de compte, tout le monde craque. Le rêve du sadique est de posséder un tel pouvoir. & qui pourrait être plus brisé et en votre pouvoir qu’une femme incapable de marcher ?
Quelques noms : verre, ciseaux, rasoirs, acide. Quelques verbes : couper, gratter, cautériser, brûler. Ces noms et ces verbes créent des phrases imprononçables lorsque l’objet est une fillette de sept ans, les jambes écartées de force. Le clitoris, avec ses huit mille terminaisons nerveuses, est toujours tranché. Dans les formes les plus extrêmes de mutilations génitales féminines, les lèvres sont tranchées et le vagin refermé par couture. Le soir de son mariage, le mari de la fille la pénètrera avec un poignard avant d’utiliser son pénis.
Vous ne faites pas cela à un être humain. Vous faites cela à un objet. C’est évident. Mais il y a plus. Parce que le monde est plein de véritables objets — boites en carton, voitures abandonnées — et que les hommes ne passent pas leur temps à les torturer. Ils savent que nous ne sommes pas des objets, que nous avons des nerfs pour ressentir et une chair qui se couvre d’hématomes. Ils savent que nous n’avons nulle part où aller lorsqu’ils revendiquent nos corps. C’est là que le sadique prend du plaisir : la douleur engendre une souffrance, l’humiliation peut-être plus encore, et s’il peut lui infliger cela, ce sera la preuve de son contrôle absolu.
Derrière le sadique se trouvent les institutions, les condensations du pouvoir, qui nous livrent à lui. Chaque fois qu’un juge décrète qu’une femme n’a pas le droit à l’intégrité physique — que les photos upskirt (par dessous la jupe) sont légales, que les fausses couches sont des meurtres, que les femmes doivent s’attendre à être battues —, il gagne. Chaque fois que les maîtres de la mode fabriquent des talons encore plus hauts et des vêtements encore plus petits, il sourit. Chaque fois qu’une classe entière de femmes — les plus pauvres et les plus désespérées, issues des bas-fonds de toutes les hiérarchies imaginables — sont déclarées marchandises sexuelles légales, ils ont une trique collective. Qu’il utilise personnellement chacune de ces femmes n’est pas la question. La société a décidé qu’elles étaient là pour lui, les autres hommes tolèrent leur complicité, et s’y tiendront. Il peut en tuer une — l’acte sexuel ultime pour un sadique —, personne ne le remarquera. & personne ne le remarque.
Il n’y a pas de fin à cela, pas de finalité naturelle. Il y a toujours de nouveaux êtres conscients et sensibles à même de stimuler son désir de contrôle. Accro, il n’est jamais rassasié. Pris au piège d’autres formes d’addiction, l’accro touche le fond, sa vie devient ingérable, ne reste que le sombre choix d’arrêter ou de mourir. Cependant, le sadique ne se fait pas de mal à lui-même. Pour lui, il n’y a pas de fond à heurter, seulement un choix infini de victimes que la société lui fournit. Nous, femmes, sommes le festin de nos propres funérailles. & il est heureux de se nourrir.
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Si le féminisme devait se résumer en un seul mot, ce serait le suivant : non. « Non », c’est une limite, qui ne saurait être exprimée que par un moi qui en revendique une. Les objets n’ont ni l’un ni l’autre ; les sujets commencent au non. Les féministes ont dit non, en le pensant vraiment.
La portée de ce « non » est vaste. Une insulte envers une est une insulte envers toutes : « nous » est le mot des mouvements politiques. Sans lui, les femmes se retrouvent dans une mer hostile et chaotique, à retenir leur souffle en vue d’endurer le prochain malheur. À travers le prisme du féminisme, le chaos apparent peut être analysé et compris. Nous avons nommé ces malheurs, avons affronté le déni et le désespoir pour en comprendre les motifs. Cela s’appelle la théorie. Nous avons ensuite exigé des remèdes — ce que font les sujets, particulièrement les sujets politiques. Emmeline Pankhurst, une meneuse des suffragettes britanniques, travaillait au bureau du recensement en tant que registraire des naissances. Chaque jour, des jeunes filles s’y présentaient avec leurs nouveau-nés. Chaque jour, elle devait demander qui était le père, et chaque jour des filles pleuraient d’humiliation et de rage. Lecteurs, lectrices, vous savez qui étaient les pères. C’est pourquoi Pankhurst n’a jamais abandonné.
Dire non au sadique, c’est affirmer que ces jeunes filles sont des sujets politiques, des êtres humains bénéficiant des mêmes droits que tous les autres. Toutes les vies sont dotées d’une volonté propre et souveraine ; chaque vie ne peut être vécue que dans un corps. Elles ne sont pas des objets à démonter pour pièces : elles sont des corps vivants. Les abus sexuels sur les enfants sont spécifiquement conçus pour transformer le corps en cage. Ses barreaux prennent parfois la forme de la terreur et de la peine, voire même du dégoût de soi. L’instillation de la honte est la meilleure méthode pour s’assurer de l’obéissance : nous avons honte — la violation sexuelle est optimale pour cela — et pour le restant de nos jours nous nous soumettrons. Notre soumission, bien entendu, témoigne de son contrôle. Son pouvoir est son plaisir. & une autre génération de filles grandira dans des corps qu’elles détesteront surement, pour devenir des femmes qui se soumettent.
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La socialisation des femmes est un processus qui consiste à contraindre et briser psychologiquement les filles — autrement dit à les « apprêter » — afin de fabriquer des victimes dociles. Au cours de l’histoire, ce processus a notamment compris des pratiques dites de « beauté » comme la mutilation génitale féminine et le bandage des pieds, ainsi que les — toujours populaires — abus sexuels. La féminité n’est en fait qu’une manifestation d’acquiescement de la part de la psyché traumatisée. Dans son essence, elle relève d’une soumission ritualisée.
Cela n’a rien de naturel. Cela n’a pas été créé ni ordonné par Dieu. Il s’agit d’un arrangement social vicieux et brutal.
Dans certains cercles d’activistes, il est désormais bien vu d’embrasser les idées postmodernes en vogue. Parmi lesquelles l’idée selon laquelle le genre serait une « binarité ». Seulement, le genre n’est pas une binarité : c’est une hiérarchie, globale dans sa portée, sadique dans sa pratique, meurtrière dans son résultat — au même titre que la race, au même titre que la classe.
Le genre délimite les frontières géopolitiques du patriarcat. Il nous divise en deux, mais pas sur le plan horizontal. Le genre est vertical. Le genre n’est pas un yin et yang cosmique. C’est un coup de poing et la chair qui bleuit. C’est une voix étouffée et une fille qui ne sera plus jamais la même.
Le genre est un moyen de déterminer qui peut être considéré comme un être humain et qui peut être agressé. Il est crucial que cela soit compris, car les hommes savent de quoi ils sont capables. Ils le savent. Ils connaissent le sadisme qu’ils ont incorporé dans leur propre sexe. Fais-le à elle, c’est ce qu’ils se disent entre eux. Pas à moi, l’être humain. Mais à elle, l’objet, la chose. Et « elle » doit être évidente, visuellement et idéologiquement. Regardez, elle est là, incapable de marcher. Vous voyez, elle est là, exposée. Ou bien là, isolée et masquée, pour vos yeux seulement.
& c’est tellement plus facile s’il peut dire que Dieu l’a faite ainsi, pour qu’elle se couche sous moi et m’obéisse. Ou que la nature l’a faite comme ça, un trou vide. Ou que son propre cerveau l’a faite ainsi, cette salope qui l’a bien cherché. Qui désire tout ce qui lui arrive : le viol, les coups, la pauvreté, la prostitution, le meurtre.
Ces conditions constituent ce qu’Andrea Dworkin nomme « l’enceinte du terrorisme sexuel ». Cette enceinte définit les paramètres du genre. C’est très simple. Les femmes sont à l’intérieur. Les hommes sont à l’extérieur. D’ailleurs, les hommes la construisent, coup de poing après coup de poing, et baise après baise. Et ce sont exactement ces pratiques violentes et violantes qui façonnent les personnes appelées femmes. Ce que les hommes font pour nous briser et nous garder brisées. Voilà ce qu’est le genre : le briseur et la brisée.
Noel Ignatiev, auteur de How the Irish Became White (Comment les Irlandais sont devenus Blancs, non traduit), plaidait pour l’abolition de la race blanche, définie comme « le privilège lié à l’identité raciale blanche ». De la même manière, la classe sexuelle des « hommes » représente simplement le privilège lié à l’identité de genre masculine — et pour libérer les femmes, elle doit être abolie.
Si vous êtes née femme, vous êtes née sur un champ de bataille. Vous serez punie rien que pour l’avoir énoncé à haute voix. D’ailleurs, la triste vérité, c’est que vous serez punie quoi qu’il arrive si vous êtes née femme, pour la seule raison (le péché) que vous êtes née femme. Les violences conjugales constituent les crimes les plus communs aux États-Unis. C’est un homme qui bat une femme. Les hommes font ça toutes les 18 secondes. La quantité de haine que cela représente dépasse l’entendement. Actuellement, ce champ de bataille est un tel massacre que nous ne parvenons même pas à décompter nos blessés correctement.
Un exemple. En Inde, il existe des villages entiers où les femmes ne possèdent plus qu’un seul rein. Parce que leurs maris ont vendu l’autre. Dans le même temps, certains prétendent que le genre est une sorte de performance sexy et amusante, ou une identité que nous pouvons tous adopter. Lorsque toutes les femmes du village n’ont qu’un seul rein, nous n’avons affaire ni à une performance ni à une identité. Plutôt à une atroce violation des droits humains à l’encontre d’une catégorie entière de personnes — ces personnes appelées femmes. C’est là le sens du genre et la raison pour laquelle il doit être aboli.
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Le militant transgenre Joelle Ruby Ryan a écrit que les termes « femme » et « classe de sexe » sont « offensants et dépassés ». On se demande alors pourquoi Ryan tient à revendiquer son appartenance à une telle catégorie, ou pourquoi Ryan a obtenu un poste de professeur d’études féminines si le terme « féminin » est si offensant. Le fait qu’une réalité biologique — la femme — puisse être qualifiée d’« offensante » illustre combien la théorie queer se trouve au fond du terrier du lapin blanc. Et quoi ensuite, la gravité ?
Bannir l’expression « classe de sexe » revient à invisibiliser, une fois de plus, les réalités de la vie des femmes — chaque femme se retrouvant isolée dans une angoisse indéfinissable. Recourir au syntagme « classe de sexe », c’est réaliser que cet isolement s’inscrit dans un modèle de subordination manifeste, depuis les petites insultes quotidiennes faites au corps et à l’âme jusqu’aux traumatismes bouleversants de l’inceste et du viol. Les crimes que les hommes commettent à l’encontre des femmes ne sont pas commis à l’encontre des femmes par hasard, mais parce que les femmes appartiennent à une classe subordonnée — et ils sont précisément commis pour que les femmes restent une classe subordonnée.
Les genristes ne souhaitent pas s’opposer au genre. Ils y sont même très attachés. L’un d’eux écrit : « Il serait terriblement dommage que “femme » et “homme » cessent d’être des catégories significatives avec lesquelles je peux jouer. » Remplacez par pauvre et riche ou noir et blanc et comprenez : les personnes opprimées ne sont pas des catégories avec lesquelles on peut jouer. Elles ne sont pas un matériel de masturbation. Si vous le comprenez, une seule question demeure : les femmes sont-elles des personnes ?
Le plus étrange, dans cette absurde polémique, c’est sans doute que les féministes sont accusées de verser dans l’« essentialisme biologique ». Les genristes postulent la nature immortelle, voire cosmique, de la féminité. Un commentaire typique : « Il existe un genre féminin distinct, substantiel, immuable, qui ne peut être transcendé. » Ils affirment sans ambages leur croyance dans quelque « sexe cérébral ». Les suprémacistes blancs sont les seules personnes qui croient au « cerveau noir ». Cependant, parler de « cervelle de femme » est tout à fait accepté dans les communautés progressistes dès lors que cela émane de genristes. Les féministes, en revanche, commencent par Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » & c’est cette fabrication que nous avons l’intention d’arrêter. Elle peut l’être, parce que le genre est un processus social. Seuls les genristes prétendent qu’il s’agit d’une chose biologique, immuable. Et l’on nous traite d’« essentialistes » ?
Ce sont les genristes qui se conforment. Malgré tous leurs discours sur le « trouble du genre », leurs objectifs sont les cosmétiques, les vêtements et les opérations chirurgicales visant à faire correspondre leur corps aux caricatures du genre. Ils altèrent leur corps de façon permanente — en supprimant des organes sains et, dans certains cas, en leur ôtant la possibilité de connaître à nouveau le plaisir sexuel — afin de mieux correspondre à cet arrangement vicieux et brutal du pouvoir. Voilà ce que l’on fait désormais aux enfants, et certains d’entre eux le regrettent déjà. Relisez cette phrase, s’il vous plaît. S’il vous plaît.
Les enfants devraient être un signal d’alarme, mais personne n’écoute. Il y a des précédents historiques dont les gens de gauche auraient dû tirer des leçons. Une grande partie du mouvement progressiste embrassait l’eugénisme, jusqu’à ce que les merveilleuses promesses de la science produisent des trains réguliers vers des crématoriums. De même, dans les années 1950, nombre de libéraux pensaient que la castration chimique constituait une approche compatissante de l’homosexualité. Avec le recul, nous considérons cela avec horreur et perplexité, mais refusons de voir que cela se produit actuellement. Les inaptes sont encore une fois stérilisés chimiquement. Des gens sont chirurgicalement mutilés au service de la conformité sociale. Des enfants d’à peine 18 mois sont « diagnostiqués » transgenres. Que cela signifie-t-il pour quelqu’un qui n’a pas encore dit son premier mot ? Elle a préféré la tétine bleue à la rose ? La vraie question : et alors ? Les filles n’ont pas le droit d’aimer le bleu, de jouer aux dures, d’être extraverties, de se présenter aux élections présidentielles ? Apparemment non. L’étau du genre se resserre.
La plupart des femmes sont en guerre permanente contre leur corps. Et cette guerre, nous la perdons avant même le CP : cinquante pour cent des filles d’âge préscolaire pensent qu’elles sont « trop grosses ». Lorsqu’une fille parvient à traverser ce champ de bataille, son bourbier dévastateur d’images déshumanisantes et sadiques, l’artillerie lourde l’attend : à dix ans, 90 % des filles ont déjà fait l’objet d’une attention sexuelle non désirée de la part de garçons du quartier. À onze ans, ce sont des hommes adultes qui menacent de violer ces mêmes 90 %. Telle est la signification de « femme » dans le patriarcat, que l’on intègre brutalement dès le plus jeune page. Habituez-vous‑y, les filles. Pendant ce temps, les troubles de l’alimentation, cette lente et douloureuse punition des cellules de graisse de la femme, sont corrélés au plus haut taux de mortalité de toutes les maladies mentales.
L’élément le plus déchirant du récit transgenre est sa haine du corps. Dans la guerre qui fait rage entre culture et nature, entre genre et corps, le corps perd. Cette défaite est transmutée en identité. La seule revendication similaire est le fait des pro-anorexie (le « mouvement pro-ana »), qui prétendent que cette terrible disjonction du soi et du corps constitue une identité légitime. Il ne fait aucun doute que ces gens détestent leur corps : la privation volontaire et les mutilations chirurgicales en témoignent avec force et éloquence. La question est pourquoi.
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Guy Debord a écrit avec clairvoyance sur la Société du spectacle, sa « dégradation de l’être en avoir » et son « glissement généralisé de l’avoir au paraître ». Il s’agit effectivement de ce qu’il s’est passé. Et même plus : le fétichisme de la marchandise triomphe de toutes les relations humaines, y compris, au bout du compte, de celle qui lie le corps et le soi. Au lieu d’habiter « ce tendre animal qu’est votre corps », comme le formule si joliment la poétesse Mary Oliver, le corps est un objet à posséder, puis à affamer ou à découper jusqu’à ce qu’il se rapproche de l’image punitive et alléchante. Nos organes génitaux sont désormais des marchandises à obtenir plutôt qu’un tissu à habiter, les exquises terminaisons nerveuses où l’animal rencontre l’ange sectionnées afin de créer un simulacre chirurgical. Peut-être la marchandise a‑t-elle finalement été vaincue par une force plus grande : l’image elle-même.
Le corps est certainement tombé sous son assaut. Comme l’écrit une jeune femme de vingt-deux ans s’étant retirée du monde, « je me voyais dans la maigreur grivoise des dieux du rock, dans les sourires enjôleurs des amateurs de sensations fortes dans les films, dans la douleur profonde de la confusion inscrite sur les visages de James Dean et de Johnny Depp, mais je ne me voyais dans aucune des femmes que je regardais ». Au service de l’image — et aliénée de son corps par les abus sexuels — elle s’est fait enlever les seins à dix-sept ans et a commencé à prendre de la testostérone, ce qui a failli la tuer. Quel est le plus toxique : les produits chimiques injectés en vue de détruire le sexe natal d’une personne ou la société qui fait de ce sexe une prison ? Et pourquoi les femmes n’ont-elles pas le droit de poser cette question ?
Par définition, une identité basée sur la haine du corps ne peut être libératrice. Ces tendres animaux sont nos seules maisons. Chassées de nos corps, nous sommes des réfugiées permanentes : nous n’avons nulle part où aller. Le but du féminisme est de mettre fin à la casse, à l’inceste, au viol, aux coups, aux pratiques dites de beauté qui équivalent à une vie de torture. Cela signifie que nous devons également mettre fin à l’idéologie, celle qui prétend que les hommes sont des êtres humains tandis que les femmes existent pour être conquises et utilisées, celle que l’on appelle le genre. En termes d’influence ou d’effectivité, l’image dominante de notre époque, celle qui véhicule l’idéologie en question, est le sadisme écrasant de la pornographie. La prison appelée « femme » se fait de plus en plus petite : comment osez-vous dire qu’elle est histoire ancienne ?
Ce que nos corps ont subi, la planète l’a aussi subi. Le sadique exerce son contrôle ; le nécrophile change le vivant en inerte : ceux qui ont une volonté propre, et les sauvages, constituent les cibles. & le projet nécrotique est presque achevé.
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Les faits sont épouvantables. Au cours de mon existence, la terre a perdu la moitié de sa faune sauvage. Chaque jour, deux cents espèces disparaissent dans la longue nuit de l’extinction. « Mer » est synonyme d’abondance, de quantité et de multitude. Pourtant, d’ici 2048, mers et océans n’abriteront plus aucun poisson. Les crustacés connaissent « un échec reproductif complet ». En d’autres termes, leurs bébés meurent. Le plancton disparaît également. S’il est peut-être trop petit et trop vert pour que quiconque s’en soucie, nous savons que nous devons deux respirations animales sur trois à l’oxygène qu’il produit. Si les océans s’effondrent, nous nous effondrerons avec eux.
Comment pourrait‑i l en être autrement ? Voyez les schémas, pas seulement les faits. Autrefois, il y avait tellement de bisons dans les grandes plaines que vous pouviez vous asseoir et observer un seul troupeau défiler dans un bruit de tonnerre pendant plusieurs jours d’affilée. Dans la vallée centrale de Californie, les nuées d’oiseaux marins étaient si denses qu’elles masquaient la lumière du soleil. Un quart de l’Indiana était une zone humide grouillant de vie, et encore pleine de promesses. Il s’agit désormais d’un désert de maïs. Là où je vis, dans le Nord-Ouest Pacifique, les dix millions de poissons que l’on trouvait ne sont plus que dix mille. Les gens les entendaient arriver pendant une journée entière. Ce n’est pas une histoire : certains, encore en vie, s’en souviennent. Je n’ai jamais entendu le bruit de l’eau lorsque quarante millions d’années de persévérance retrouvent leur chemin. Dès lors, est-il exagéré de parler d’« apocalypse » ?
Le nécrophile insiste : nous ne serions que des composants mécaniques, les rivières des projets d’ingénierie, et les gènes des lignes de code à découper et réarranger selon nos caprices. Il pense que nous sommes tous des machines, malgré l’évidence : une machine peut être démontée et remontée entièrement. Pas un être vivant. Devrais-je préciser qu’une planète vivante ne le peut pas non plus ?
Comprenez où la guerre contre le monde a commencé. En neuf lieux différents, à travers la planète, les humains ont adopté une activité appelée agriculture. En termes crus, il s’agit de prendre une parcelle de terre, d’anéantir toute la vie qu’elle abrite, puis de la cultiver au seul profit des humains. Au lieu de partager ce territoire avec les millions d’autres créatures qui en ont elles aussi besoin pour vivre, vous n’y faites pousser que des plantes destinées à alimenter des humains. Il s’agit d’un nettoyage biotique. La population humaine s’accroît fortement ; les autres espèces sont précipitées vers l’extinction.
L’agriculture donne naissance à un mode de vie que l’on appelle la civilisation. Ce terme désigne les regroupements des humains prenant la forme de villes. Ce que cela signifie : des besoins qui excèdent ce que la terre peut offrir. La nourriture, l’eau, l’énergie doivent bien venir de quelque part. Quels que soient les idéaux pacifiques ou autrement vertueux que les gens portent en leurs cœurs : leur société repose sur l’impérialisme, le génocide ou l’ethnocide. Parce que personne n’accepte d’abandonner sa terre, son eau, ses arbres. Mais puisque la ville a utilisé les siens jusqu’à épuisement, elle doit s’en procurer ailleurs. Dix mille ans résumés en quelques lignes.
La fin de la civilisation est inscrite dans ses origines. L’agriculture — non pas quelque mauvais type d’agriculture, mais l’agriculture en général — détruit le monde. Vous abattez les forêts, vous labourez les prairies, vous drainez les zones humides. &, tout particulièrement, vous détruisez le sol. Les civilisations durent entre huit cents et peut-être deux mille ans — jusqu’à ce que le sol meurt.
Qu’y a‑t-il de plus sadique que de vouloir contrôler des continents entiers ? Le nécrophile change les montagnes en gravats et canalise les fleuves et rivières. L’unité fondamentale du vivant est violée avec l’ingénierie génétique. Même chose pour l’unité fondamentale de la matière, avec des bombes qui massacrent des millions d’êtres vivants. Voilà sa passion, transformer le vivant en inerte. Il ne s’agit pas que de morts individuelles, pas même de morts d’espèces entières. Le processus de la vie elle-même est attaqué, et il est en train de perdre. L’évolution des vertébrés stagne depuis déjà longtemps — il n’y a plus assez d’habitats. Il y a des zones en Chine où plus aucune plante à fleurs ne pousse. Pourquoi ? Parce que les pollinisateurs sont tous morts. Cinq cents millions d’années d’évolution parties en fumée.
Le nécrophile désire ces destructions. Il s’agit de son principal plaisir et de la seule façon pour lui de tout contrôler. Selon lui, tout cela n’a jamais été vivant. Il n’existe pas de communautés aux volontés propres, pas de terre vraiment sauvage. Seulement des composants inanimés qu’il peut exploiter à son gré, un jardin à administrer. Peu importe que chaque terre ainsi gérée soit devenue un désert. L’intégrité élémentaire de la vie a été brisée, et il prétend maintenant qu’elle n’a jamais existé. Il peut faire ce qu’il veut. & personne ne l’arrête.
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Pouvons-nous l’arrêter ?
Je réponds oui, et je n’abandonnerai pour rien au monde. Les faits sont insupportables, mais il n’y a qu’en les confrontant que les schémas se dévoilent. La civilisation se fonde sur le prélèvement (l’extractivisme). Celui-ci s’appuie sur l’impérialisme, la domination et le pillage des territoires. Cependant, même les colonies finissent par s’épuiser. Le combustible fossile aura été un accélérateur, tout comme le capitalisme, mais le problème est bien plus profond que l’un ou l’autre. La civilisation requiert l’agriculture, et l’agriculture est une guerre que l’on mène contre le vivant. Même si cette culture portait auparavant du bon en elle, dix mille ans de cette guerre l’ont changée en nécrophile.
Mais ce que font les humains, ils peuvent aussi le défaire. Si chaque institution est en train de faire fausse route, aucune loi physique n’oblige la destruction à continuer. La raison est politique : le sadique est récompensé, et pas qu’un peu. La plupart des gens de gauche et des écologistes s’en sont aperçus. Cependant, il y a une chose qu’ils n’ont pas remarquée, et que le féminisme radical expose ouvertement : son plaisir à dominer.
Le véritable génie du patriarcat est précisément là : il ne fait pas que banaliser l’oppression, il sexualise les actes d’oppression. Il érotise la domination et la subordination, puis les institutionnalise à travers la masculinité et la féminité. Les hommes deviennent vraiment des hommes en transgressant les limites — les limites sexuelles des femmes et des enfants, les limites culturelles et politiques des peuples indigènes, les limites biologiques des rivières et des forêts, les limites génétiques des autres espèces, et les limites physiques de l’atome lui-même. Le sadique est récompensé par l’argent et le pouvoir, mais il retire aussi une exaltation sexuelle de la domination. La fin du monde est un rassemblement géant d’abrutis aboutissant à une asphyxie autoérotique.
Le véritable génie du féminisme, c’est d’avoir compris tout cela.
Ce qui doit se produire afin de sauver notre planète est simple : il faut que la guerre cesse. Si nous cessons de nous mettre en travers de son chemin, la vie reprendra son cours, parce que la vie veut vivre. Les forêts et les prairies renaîtront. Tous les barrages et tous les canaux en ciment s’effondreront, et les rivières et les fleuves, apaisés, retrouveront l’océan. Les poissons sauront quoi faire. Les saumons nourrissent la forêt, qui protège les rivières, où habitent les saumons. Ce n’est pas la mort de destruction, mais la mort de participation qui fait du monde un tout.
Certains faits requièrent tout le courage que nous avons en nos cœurs. En voici un. En 2017, le carbone a atteint les 410 ppm. Pour que la vie continue, le carbone doit retourner dans le sol. Et nous en venons donc aux graminées.
Là où le monde est humide, les arbres font des forêts. Là où il est sec poussent les graminées. Les prairies endurent des chaleurs extrêmes en été et des froids teigneux en hiver. Les graminées survivent en maintenant quatre-vingts pour cent de leur corps sous terre, sous forme de racines. Ces racines sont cruciales pour la communauté du vivant. Elles fournissent des canaux pour que la pluie pénètre dans le sol. Elles peuvent atteindre quatre mètres cinquante et ramener à la surface des minéraux issus des roches souterraines, minéraux dont ont besoin toutes les créatures vivantes. Elles peuvent construire le sol à une vitesse extraordinaire. Le matériau de base qu’elles utilisent pour cela, c’est le carbone. Ce qui signifie que les graminées sont notre seul espoir pour récupérer le carbone atmosphérique.
Elles le feront, si nous les laissons faire. Si nous pouvions remettre en état soixante-quinze pour cent des prairies du monde — détruites par cette guerre que l’on appelle agriculture — en moins de quinze ans, les graminées captureraient tout le carbone ayant été émis depuis le début de l’âge industriel. Relisez cela, si besoin est. Et souvenez-vous-en, où que vous soyez. Dites-le à qui écoutera. Il y a encore une chance.
Les graminées ne peuvent y parvenir seules. Aucune créature n’existe indépendamment des autres. La restauration des prairies implique la restauration des ruminants. Durant l’été chaud et sec, la vie est dormante à la surface du sol. Ce sont les ruminants qui perpétuent alors le cycle des nutriments. Ils portent en eux un écosystème, notamment des bactéries qui digèrent la cellulose. Lorsqu’un bison broute, il ne mange pas véritablement l’herbe. Il fournit de l’herbe aux bactéries. Les bactéries mangent l’herbe, puis le bison mange les bactéries. Ses déjections arrosent et fertilisent ensuite les graminées. & le cycle se complète.
La civilisation détruit ce cycle. Alors toutes finissent par s’effondrer. Toutes. Comment pourrait-il en être autrement lorsque votre mode de vie consiste à détruire l’endroit où vous vivez ? Le sol a disparu et le pétrole commence à manquer. En évitant de regarder les faits, nous nous assurons la pire des fins possibles.
Nous pouvons faire mieux que les famines de masse, les États en faillite, les conflits ethniques, la misogynie, les seigneurs de guerres mesquins et les scénarios dystopiques d’effondrement. C’est très simple : nous reproduire moins que le taux de remplacement. Le problème se règlera de lui-même. Venons-en maintenant aux jeunes filles.
Ce qui fait universellement baisser le taux de natalité, c’est l’élévation du statut de la femme. Plus spécifiquement, l’action ayant le plus d’impact, c’est l’enseignement de la lecture à une fille. Lorsque les femmes et les jeunes filles bénéficient ne serait-ce que de cette once de pouvoir sur leurs vies, elles choisissent d’avoir moins d’enfants. Oui, les femmes ont besoin d’un contrôle des naissances, mais ce dont nous avons réellement besoin, c’est de liberté. À travers la planète, nous avons très peu de contrôle sur la façon dont les hommes utilisent nos corps. Près de la moitié de toutes les grossesses sont non planifiées ou non voulues. La grossesse est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes filles âgées de quinze à dix-neuf ans. Peu de choses ont changé depuis qu’Emmeline Pankhurst a refusé d’abandonner.
Nous devrions défendre les droits humains des jeunes filles parce que les jeunes filles comptent. Il s’avère même que les droits fondamentaux des jeunes filles sont cruciaux pour la survie de la planète.
***
Pouvons-nous mettre un terme au désastre ?
Oui, mais seulement si nous comprenons ce que nous affrontons.
Le nécrophile veut la mort du monde. Tout ce qui est vivant doit être remplacé par quelque chose de mécanique. Il préfère les engrenages, les pistons et les circuits aux corps doux des animaux, et même au sien. Il espère pouvoir se télécharger lui-même dans un ordinateur un jour.
Il veut la mort du monde. Il aime le soumettre. Il a érigé des villes géantes là où autrefois se tenaient des forêts. Le béton et l’asphalte domptent l’incontrôlé.
Il veut la mort du monde. Tout ce qui est femelle doit être puni, définitivement. Plus elles sont jeunes, plus elles se briseront facilement. Alors il commence tôt.
Une guerre contre votre corps, c’est une guerre contre votre vie. S’il peut faire en sorte que nous menions la guerre à sa place, nous ne serons jamais libres. Mais nous avons décrété que le corps de chaque femme était sacré. Et nous le pensons réellement. Toute créature possède son intégrité physique propre, son tout inviolable. Ce tout est trop complexe pour être compris, même en l’incarnant. Je ne savais pas pourquoi mes yeux gonflaient ni pourquoi mes poumons me faisaient mal. Les complexités qui me maintiennent en vie ne pourraient jamais m’être intégralement confiées — elles resteront un mystère pour moi. La vie est un don, le seul présent. Ce tendre animal est tout ce que vous avez. & il a besoin que vous le défendiez, ici, maintenant, à l’âge de l’apocalypse. Refusez de participer à la guerre que le nécrophile impose sur le terrain de votre propre chair. Combattez-le lui, plutôt.
Nous allons devoir opposer notre courage à son mépris, nos rêves sauvages et fragiles à sa force brute. Et nous allons devoir opposer une détermination qui ne pliera, ne cèdera, ni ne cessera à son sadisme insatiable.
& si nous ne pouvons le faire pour nous-mêmes, nous le devons pour ces jeunes filles.
Qui — ou quoi — que vous aimiez, elle est en danger. Aimer est un verbe. Puisse cet amour nous pousser à l’action.
Lierre Keith
Traduction : Nicolas Casaux
Lierre Keith est une écrivaine et féministe radicale. En 1984, elle a participé à la création de Minor Disturbance, un groupe de protestation féministe contre le militarisme. En 1986, elle participe à la création de Feminists Against Pornography (« Féministes contre la pornographie ») à Northampton, Massachusetts. Elle est rédactrice fondatrice de Rain and Thunder, une revue féministe radicale de Northampton.
En 2009, elle publie Le Mythe végétarien : nourriture, justice et pérennité, dans lequel elle examine les effets écologiques de l’agriculture et du végétarisme.
Co-fondatrice, avec Derrick Jensen et Aric McBay, du mouvement Deep Green Resistance, elle signe également avec eux en 2011 le livre qui en détaille la stratégie, Deep Green Resistance : un mouvement pour sauver la planète, traduit en français et publié en deux tomes aux Éditions LIBRE en 2018–2019.
Autant je la trouve pertinente sur des parties de son analyse sur le patriarcat , autant lierre est à coté en ce qui concerne l’agriculture …
L’agriculture dont elle parle est la monoculture intensive à l’américaine .… alors que la permaculture par exemple existe depuis trés longtemps et à montrer sa résilience et l’enrichissement des zones où elle est mise en pratique
L’accent mit sur le carbone est aussi une faute de priorité , le méthane pollue bien plus que les transport par exemple , et il suffit que le monde de vienne vegan pour supprimer une énorme proportion du méthane émis ainsi qu’une énorme part de l’agriculture intensive servant à nourrir les élevages d’animaux destniés aux pays riches
Mais ce n’est pas l’auteur du » mythe végétarien » qui irai dire cela ^^
Et même si son livre comporte des erreurs , certains en ont fait une grosse publicité …
Je finirai juste par dire que son argument malthusien de la surpopulation est également hors propos .… en effet le controle des femmes sur leurs corps ainsi qu’une autonomie par rapport aux systèmes patriarchaux permet une diminution de la natalité , si nous sommes 7 milliards de vegan il n’y aurai pas eu tout les degats ecologiques dont elles parlent , mais le carnisme as de beaux jours malheureusement et elle y contribue grandement avec son livre …
La « permaculture » quelle mot merveilleux. Bien oui, faisons pousser du blé, du riz, du maïs, massivement en mode « permacultuuure ».
J’attends de voir.
CE faisant si tu lis son bouquin « le Mythe végétarien », elle cite de nombreux exemples de lieux qui sont devenus ‑dans la réalité- un désert suite à l’agriculture. Et c’est ce qu’on est entrain de faire.
« Il suffit que le monde devienne végan », oui si on ne mange pas de céréales, uniquement des fruits et des plantes.
A cela ‑juste en passant- pensons à la cuisson qui est un énorme facteur de pollution dans le monde !
Quant à » une énorme part de l’agriculture intensive servant à nourrir les élevages d’animaux destinés aux pays riches » elle en parle dans le bouquin, et dit que cet élevage-là est une honte.
LK dit que les vegan sont systématiquement des urbains hors-sol, est-ce ton cas ?
Elle part de quelque chose de très concret : elle voulait revenir à la nature et cultiver ses propres salades, comment faire avec les limaces ? Sa solution la moins pire, après moultes façons inélgantes a été d’emprunter la contribution joyeuse des canards qui mangent les limaces mais pas les laitues et qui fertilisent le sol. Autre question, avec quoi fertiliser le sol ? Des engrais chimiques ? Du BRF (merci le pétrole et les arbres tués)? Elle utilise la fiente des animaux. Vaches etc..
Et après tu fais quoi du trop plein d’animaux ?
En bon végan, bien sûr tu l’accompagnes à pied pour le rendre aimablement à 10km de la maison à Dââme Nature où de verdoyantes promesses d’abondances et d’amour l’attendent et tu lui serres une franche poignée de pattes. Si c’est pas choupinou !
En général les paysans ne font pas cela, sur le terrain, on voit les choses différemment.
Et la permaculture aussi, elle te dit que c’est plus logique d’abandonner les laitues, et de passer à des plantes pérennes, pourpier, ortie, chénopodes, mauves etc… Si tu nourries tes cochons avec des caroubes, des marrons, des glands c’est plus simple aussi, tu manges, et tu passes un hiver rigoureux dans un fonctionnement relativement local. De quoi se nourrissent les vegan en France ? Des bananes à 2€ le kg max !
Aussi, j’attends de voir un vrai Vegan local, qui mange son caca pour la B12 !! Et qui ne la commande pas auprès d’un labo allemand.
Je mets une pointe d’humour dans mon texte mais ce n’est pas contre toi.
La question du vegan Vs Omnivore est très complexe à mon humble avis.
Je trouve ce texte fort fort interessant ! C’est une belle découverte. Maisje ne pense pas que cet « esprit » mécanisant soit uniquement lié aux hommes, il gagne les femmes aussi à présent. Ce serait une erreur (compréhensible, mais dommageable) que de le croire. C’est un esprit déshumanisant, qui détruit autant le corps masculin que féminin, même si historiquement et encore aujourd’hui en majorité c’est vrai que les femmes en ont bcp plus souffert. La tendance aujourd’hui est : folie sadique pour tous, hommes et femmes compris !
Pour vous répondre Xipethotek , je ne pense pas le le régime végan convienne à tout le monde, et encore moins qu’une volonté planificatrice (et donc contrôlante) du style « si tout le monde était végan » ait la moindre valeur.(si ce n’est pour un nouveau type de contrôle) De plus, il est loin d’être prouvé que l’humain n’est qu’un ruminant (je taquine, je sais que végan ou végé ne se limite pas à cela ;). Mais soit, mangez comme vous le voulez, mais restons loin du genre de solution totalitaire « Tous ceci ou tous cela » svp ! Merci pour la (bio?)diversité 😉
merci Nicolas, c’est comme tu le dis magnifique.( Je regrette d’avoir lu les deux commentaires précédents… mais bon.…)
Je me permets de partager et ma journée, et bien plus est illuminée, par cette lecture. Bonne journée à toi.
Pour une alimentation vegétalienne , il convient à tout le monde dixit l’association américaine de diététique 😉 http://www.alimentation-responsable.com/position-ADA-2009
Pour ce qui est de la planification , un fascisme vegan ne ferai que » gagner » du temps , mais pour sortir de l’idéologie du carnisme et sortir de la dissonance cognitive lié à notre culture alimentaire et le traitement des animaux , il faut surtout de la réfléxion et une adhésion 🙂
Pour ce qui est de notre physiologie , nous sommes surtout le fruit d une évolution , et même si nous avons une physiologie de frugivore comme nos cousins les singes , c’est plutot hors de propos ( et de toute manière je peux répondre tres vite que oui nous ne sommes pas des ruminants nous n’avons qu’un estomac 😛 ) . En effet le véganisme sait se montrer pertinente ne serait ce que sur la question
environnementale . C’est pour cela que je souligne les fausses bonnes solutions de Lierre keith.
Le véganisme n’est pas politique , c’est la posture morale la plus pertinente en éthique animal et celle qui fait consensus , parmi les écologistes également , qu’ils soient conséquentialistes , déonthologique ou éthiques , le véganisme est vu comme une des solutions les plus concrètes et efficace
Pour preuve, un journaliste que ce site relaie défois , chris hedge est devenu vegan pour cette raison http://www.compassionatespirit.com/wpblog/2014/11/17/chris-hedges-go-vegan-for-the-planet/
Donc le véganisme peut aussi etre un acte militant écologique 😉
En faite aprés quelques calculs , cela semble frisé l’incohérence que de vouloir militer en faveur de l ‘écologie et de manger une alimentation provenant d’élevages , encore une fois la dissonance cognitive peut etre trés puissante 🙂
Pour finir , pour répondre à pam Quin , je suis navré d’avoir troublé la quiétude de cette article en émettant une critique constructive de l’article de lierre keith , mais je ne vois nul part marqué sur le site qu’il faut juste dire amen à tout ce qui est publié 😉
Je lis cet article et les réponses qui vont avec.
Au bout des deux tiers de l’article, une espèce de colère débordante m’a donné l’envie de lancer mon ordi contre le mur.
J’entends que LK use d’une façon et d’arguments chocs, qu’elle peut surestimer un certain nombre de causes… Il est vrai que je n’entends nulle part, sauf en filigrane, une quelconque apologie de l’agriculture pratiquée par des groupes humains depuis des centaines d’années (cela me rappelle un autre article de ce site). Il apparait cependant que son propos sur les 1 milliards d’êtres humains en 1800 traduit un lien avec celle-ci et coïncide avec les débuts (bien avancés) de l’ère industrielle.
A mon avis, LK expose plus spécifiquement l’idée que l’industrialisation a intensifié le processus nécrophage de notre civilisation qui apparaît comme dans toutes les civilisations (les Aztèques ont créé des déserts, l’Atlantide s’est effondrée =) hi hi, pour l’exemple, c’est juste comique) avant sa chute. Et que cela nous a conduit à entreprendre toujours plus de viol de la Nature, sur le vivant, ses représentants emblématiques, que sont les forêts, les animaux et la femme.
Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui plus que jamais, la féminité est déconsidérée, violée. Les homos se font taper ou notre langage courant stigmatise la féminité chez l’homme, les femmes sont des objets publicitaires et sexuels (voyez la prolifération de sites pornographiques et des images et représentations qu’ils véhiculent, c’est juste effarant, et il n’y a pas besoin d’être puritain pour trouver cela impardonnable et criminel).
Quant à la nécessité d’une (bio)diversité, il faut garder les yeux en face des trous : aujourd’hui, c’est en train de crever. Aujourd’hui, ce qu’il nous faut, ce n’est pas cultiver la biodiversité, c’est anéantir ce qui la menace et la détruit. Collectivement, et pas simplement en devenant chacun vegan dans son coin. Encore une nouvelle connerie prônée par je ne sais quel groupe de pseudos activistes de l’à peu près. Oui, il nous faut reconsidérer notre manière de nous nourrir, c’est indéniable. Mais comme l’un de vous le dit, pas en hors sol, pas en prélèvement, mais là où ça se passe. Je suis végé, et loin des villes, c’est différent, c’est vrai. Si on veut aller au bout du truc, les plantes utiles à l’écosystème et pas seulement à l’homme doivent être privilégiées. Cela nécessite de la frugalité, mais dans la mesure où ce qui est cultivé apporte plus qu’une semaine de repas végétarien à base de céréales et de légumineuses. Tout le monde n’est peut-être pas prêt à de tels concessions, et c’est la dimension collective qui apporte une possibilité d’être interdépendants et pourtant plus autonomes.
7 milliards. Au bord du gouffre. Et on pinaille encore… De la légèreté certes, mais de la colère, beaucoup. J’aime bien son idée d’une mort participative, je ne parle pas de suicide ou de sacrifice, mais bien de la disparition dans un cycle de vie. Ce que précisément nous nous attachons à restreindre, endiguer, par manque d’humilité. Je ne crois pas à une grosse entité qu’on appellerait le Nécrophile, mais c’est un fait que notre tendance culturelle repose sur ce fait. Armanda Guiducci en parle très bien dans son bouquin « La Pomme et le Serpent ». C’est antédiluvien notre tendance à la maltraitance de la féminité, et c’est pour cela qu’il nous faut nous en débarrasser pour que les femmes et la féminité cessent de se soumettre et d’être soumises par le fait social et culturel. Parce que nous avons tous notre propre féminité bordel… Et que la nier et la repousser, c’est contraindre notre corps…
Très bon texte. L’anthologie « Female Erasure » est un des premiers textes féministes qui nous a intéressé-e‑s pour TRADFEM (tradfem.wordpress.com). Mais pas facile de trouver un éditeur français. Seriez-vous disposé-e‑s à y collaborer avec notre équipe ?