Il y a quelques jours, en Allemagne, dans le magazine EMMA, un bimestriel féministe, est parue une interview de la généticienne Christiane Nüsslein-Volhard (récipiendaire, avec Eric F. Wieschaus et Edward B. Lewis, du prix Nobel de physiologie ou médecine en 1995 « pour avoir révélé l’universalité des mécanismes moléculaires de l’embryogenèse »). Portant sur le thème de la transidentité, l’interview était intitulée « Une multitude de sexes ? Quelle absurdité ! ». Voilà où nous en sommes rendus, en 2022, grâce aux fiers progressistes. À devoir rappeler des évidences parce qu’elles sont niées par une partie des idéologues trans (pas par tous, ils ne sont pas d’accord entre eux). Et s’il s’agit d’évidences, c’est entre autres parce que que nous sommes tous et toutes issus d’une rencontre entre un spermatozoïde et un ovule (mon dieu, quelle insupportable binarité, vite, techno-monde, invente nous un nouveau type de reproduction artificiel, qu’on en finisse avec le fascisme transphobe de la reproduction sexuée). Voici un extrait de l’interview en question :
« EMMA : Sven Lehmann, le représentant du gouvernement fédéral pour les questions queer, affirme qu’il n’est pas scientifique de penser qu’il existe deux sexes. Il existerait une multitude de sexes.
Christiane Nüsslein-Volhard (CNV) : Ce n’est pas scientifique ! M. Lehmann a peut-être sauté les cours de biologie élémentaires.
EMMA : Alors, rattrapons-les ici.
CNV : Oh, mon Dieu ! D’accord : chez tous les mammifères, il existe deux sexes, et l’être humain est un mammifère. Il y a le sexe qui produit les ovules, qui a deux chromosomes X. C’est ce qu’on appelle le sexe féminin. Et il y a l’autre, celui qui produit les spermatozoïdes, qui a un chromosome X et un chromosome Y. C’est ce qu’on appelle le sexe masculin. Et lorsqu’un ovule s’unit à un spermatozoïde, un nouvel être est créé.
EMMA : On aime toujours donner des exemples tirés du monde animal pour prouver l’existence de plusieurs sexes. Qu’en est-il donc des escargots, par exemple ?
CNV : Ce sont des hermaphrodites. Ils ont les deux : des spermatozoïdes et des ovules. Ils peuvent donc s’autoféconder. Mais la plupart du temps, ils s’accouplent tout de même avec un autre escargot. En effet, lorsqu’ils s’accouplent avec eux-mêmes, les descendants sont absolument identiques sur le plan héréditaire. Mais lorsque deux organismes différents mélangent leurs patrimoines génétiques, on obtient un plus grand éventail de variations, ce qui permet généralement à la descendance d’être plus viable. C’est pourquoi ce principe s’est imposé dans la nature. Mais le fait qu’il y ait des hermaphrodites ne change rien au fait qu’il existe ces deux gamètes, les ovules et les spermatozoïdes, et donc aussi deux sexes.
EMMA : La Cour constitutionnelle fédérale a toutefois décidé en 2017 qu’il devait y avoir une troisième mention de sexe “divers” pour les personnes intersexes, en plus des mentions “femme” et “homme”.
CNV : L’intersexualité résulte d’anomalies très rares, par exemple au niveau de la structure chromosomique. Mais les personnes intersexuées présentent également des caractéristiques des deux sexes, elles ne sont pas un troisième sexe.
EMMA : Mais à l’intérieur d’un sexe biologique, il y a une grande diversité.
CNV : Bien sûr. Il y a des hommes très “féminins” et des femmes très “masculines”, ce qui est non seulement lié à des facteurs culturels, mais aussi, entre autres, à des variations de niveaux hormonaux. Il existe un très large éventail. C’est justement ce qui est passionnant.
EMMA : La formulation politiquement correcte actuelle ne consiste cependant pas à dire qu’un homme biologique peut “se sentir femme” et que la société et le législateur devraient lui donner la possibilité de vivre dans le sexe de son choix. Mais plutôt que si cet homme “se sent femme”, il est en fait une femme.
CNV : C’est de la foutaise ! C’est un fantasme. Il y a des gens qui veulent changer de sexe, mais ils ne le peuvent pas. L’essentiel, c’est que le fait d’avoir ou non un chromosome Y influence le développement de l’embryon dès la grossesse et bien sûr aussi celui de l’adolescent. Les garçons possèdent donc des caractéristiques sexuelles différentes de celles des filles et cela ne peut pas être inversé. Les êtres humains conservent leur sexuation tout au long de leur vie. Bien sûr, on peut faire en sorte, par exemple, qu’une fille sous hormones, qui prend de la testostérone, ait une voix grave et une barbe naissante. Mais cela ne lui fera pas pousser de testicules, elle ne produira pas de spermatozoïdes. De même, les hommes biologiques sous hormones ne produisent pas non plus d’ovules et ne peuvent pas donner naissance. Le problème survient lorsqu’il y a des interventions irréversibles. Des opérations chirurgicales. Cela dit, avec les hormones, on inflige aussi au corps quelque chose qui n’est pas prévu. Les hormones provoquent beaucoup, beaucoup de choses dans le corps — à différents niveaux, physiquement et psychiquement. Les doser correctement et en prendre en permanence est à mon avis extrêmement risqué. Le corps ne les supporte pas bien à long terme. Chaque hormone que l’on prend possède des effets secondaires. La prise d’hormones est par principe dangereuse.
EMMA : À l’avenir, les jeunes pourront choisir leur sexe à partir de 14 ans.
CNV : C’est de la folie ! À 14 ans, beaucoup de filles sont malheureuses. C’est la puberté. Je suis passée par là. Moi aussi, j’étais malheureuse à 14 ans et j’aurais préféré être un garçon. À l’époque, je n’avais même pas le droit de mettre un pantalon ou de me couper les cheveux. Je me maudissais souvent et pensais : je préférerais être un homme ! Après tout, si l’on veut faire un métier où les hommes dominent, il est évidemment préférable d’en être un aussi. Mais alors, il faut trouver le moyen de s’imposer. C’est ce qu’il faut conseiller aux filles et les aider à faire.
EMMA : Trouvez-vous normal que la législation permette aux gens de changer de sexe ?
CNV : La législation ne peut pas permettre de changer de sexe. Elle dit seulement : cette femme peut désormais affirmer qu’elle est un homme. Et inversement. Les caractéristiques biologiques fondamentales ne peuvent absolument pas être modifiées. Ainsi, lorsqu’un homme affirme être une femme et s’inscrit dans un club de sport pour jouer avec les femmes, cela pose un problème. Parce qu’en raison de ses hormones masculines, cet homme est plus fort et court plus vite. En fait, c’est comme du dopage. Et si on n’a même pas le droit de le dire — ça ne va pas du tout.
EMMA : La Cour constitutionnelle fédérale a rendu plusieurs jugements sur la transsexualité ou l’intersexualité, dans lesquels il est question de la notion de sexe. Dans le jugement de 2017, on peut lire : “Dans les sciences médicales et psychosociales, il existe un large consensus sur le fait que le sexe ne peut pas être déterminé ou même fabriqué uniquement en fonction de caractéristiques génétiques, anatomiques et chromosomiques, mais qu’il est également déterminé par des facteurs sociaux et psychiques.” Qu’en pense la biologiste et lauréate du prix Nobel ?
CNV : C’est une absurdité. La façon dont on se sent peut être modifiée par des circonstances sociales et psychologiques. Mais pas le sexe biologique. Là où on fait réellement de la science, cela ne fait aucun doute.
EMMA : Cette formulation provient tout de même de la Chambre fédérale de médecine.
CNV : Elle aussi semble confondre quelque chose : la distinction entre sexe et genre. Le genre, le sexe social, est très diversifié, tandis que le sexe biologique n’est que féminin ou masculin. Fin. Fin de la discussion. »
Traduction : Nicolas Casaux
Note supplémentaire
Ainsi, l’espèce humaine est gonochorique.
« Le terme “gonochorisme” (gono, “génération” et chor, “séparer”) désigne l’état d’un individu capable de produire un seul type de gamètes, gamètes mâles ou gamètes femelles selon qu’il porte des testicules ou des ovaires. Les sexes sont séparés et l’individu est dit “gonochorique” ou “dioïque”. Cette aptitude est liée à un dimorphisme sexuel (individus mâles et individus femelles) et à un dimorphisme chromosomien (chromosomes sexuels ou gonosomes). Le gonochorisme est de règle chez les vertébrés ; il ne souffre pas d’exception chez les mammifères. » (Universalis)
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Les idéologues trans qui cherchent à nier le fait que le sexe est binaire, qu’il n’existe que deux sexes, invoquent à peu près tout le temps les mêmes arguments, et même les mêmes images. Par exemple ce graphique tiré du magazine Scientific American (un magazine de vulgarisation scientifique états-unien).
Ce que ce graphique nous donne à voir, c’est une représentation sophistiquée d’une tromperie idéologique. Ici, le « sophistiqué » fait tout. Face à un diagramme aussi proprement réalisé, avec de belles couleurs, une mise en page qui en jette, etc., et aussi complexe, composé de flèches qui vont dans tous les sens, de références à toutes sortes de gènes, de chromosomes, de mutations, le quidam ne peut qu’être impressionné, et ainsi amené à penser, même s’il n’y comprend rien, même s’il n’y connait rien, que la personne qui prétend qu’il n’existe pas que deux sexes, que « le sexe est un spectre », a sans doute raison. (Il me semble que c’est ce qu’il se passe dans l’immense majorité des cas. Les gens partagent cette image sans rien y comprendre, mais en étant persuadés qu’elle constitue une super preuve de la non-binarité du sexe.)
En réalité, ce graphique est une escroquerie et ce pour de multiples raisons. D’abord, il représente des cas dits d’intersexuation afin de soutenir les thèses de l’idéologie trans. Autrement dit, il instrumentalise l’intersexuation, qui n’a pourtant rien à voir avec le transgenrisme (ainsi que la plupart des associations consacrées aux personnes intersexes s’efforcent de le rappeler — exemple ici —, et ainsi qu’un certain nombre d’idéologues trans le reconnaissent), afin de défendre et de promouvoir l’idéologie trans.
Ce seul fait devrait suffire à le discréditer entièrement. Mais continuons. Ensuite, le graphique ne se base sur aucune échelle cohérente. En le regardant, on a l’impression que les différents types d’intersexuation sont aussi communs, sinon plus courants, que les sexuations normales (au sens descriptif). En réalité, 99,98 % des individus naissent sans aucune ambiguïté du développement sexuel. L’intersexuation « est le résultat d’une anomalie de la différenciation sexuelle au cours de l’embryogenèse, repérable par une malformation des organes génitaux internes et externes » (on parle parfois de « désordres » ou de « troubles » du développement sexuel). Ce qui explique pourquoi elle va souvent de pair avec des problèmes de santé. Autrement dit, l’intersexuation désigne une anomalie — au sens descriptif du terme — du développement sexuel d’un homme ou d’une femme. Il n’existe pas de troisième type de sexuation jouant un rôle dans la reproduction humaine, pas de troisième type de gamètes. Les anomalies sont juste cela, des anomalies.
(Selon la logique ayant présidé à la réalisation de ce graphique, on pourrait en imaginer un autre représentant les anomalies développementales faisant que des individus naissent avec trois jambes, en vue de défendre l’idée selon laquelle l’être humain n’est pas un bipède ou selon laquelle le nombre de jambes, chez l’humain, est un spectre !)
Bref, ce graphique ne prouve absolument pas que le sexe n’est pas binaire. Il prouve juste qu’il y a des gens suffisamment malhonnêtes pour le réaliser et d’autres suffisamment naïfs, ignorants ou confus pour l’accepter comme preuve de la non-binarité du sexe.
Nicolas Casaux
Pour une discussion un peu plus approfondie du même sujet :