Sur l’effacement délibéré de droits fondés sur le sexe durement acquis et désespérément nécessaires (par Alan Johnson)

Tra­duc­tion d’un article ini­tia­le­ment publié, en anglais, le 25 octobre 2022 sur le site de l’hebdomadaire bri­tan­nique juif Jewish News (« infor­ma­tions juives »). Son auteur, le socia­liste (mar­xiste) Alan John­son, char­gé de recherche au « centre de com­mu­ni­ca­tion et de recherche Grande-Bre­tagne Israël », ex-pro­fes­seur de théo­rie et de pra­tique démo­cra­tiques à l’u­ni­ver­si­té Edge Hill, com­mente les réac­tions intenses sus­ci­tées par l’ac­cu­sa­tion de « trans­pho­bie » por­tée contre un rab­bin (le rab­bin Zvi Solo­mons) à la suite d’un tweet publié au sujet du comé­dien « gen­der­fluid » Eddie Izzard.

Il me sem­blait inté­res­sant de tra­duire cet article d’opinion parce que les mili­tants trans s’emploient très sou­vent (pour ne pas dire tout le temps) à dis­cré­di­ter toute cri­tique des idées trans en les asso­ciant à l’extrême droite (la méthode, sub­tile, consiste, pour ne pas avoir à exa­mi­ner et à répondre à un argu­ment, à asso­cier son auteur à l’ex­trême droite, puis à pas­ser à autre chose). Peut-être, cette cri­tique éma­nant de per­sonnes juives, auront-ils davan­tage de mal à reje­ter ses argu­ments au moyen de leur sophisme par asso­cia­tion pré­fé­ré. (Mais sans doute pas, après tout, ils n’hé­sitent pas à qua­li­fier de « trans­phobes » les per­sonnes trans qui ne par­tagent pas les idées trans les plus en vogues ; s’il y a des trans pré­ten­du­ment « trans­phobes », il peut bien y avoir des juifs d’ex­trême droite nazis fas­cistes et « transphobes »).


Les opi­nions cri­tiques du genre (gen­der cri­ti­cal) devraient-elles être consi­dé­rées comme « hon­teuses » et « hai­neuses » ? C’est la ques­tion qui m’est venue à l’es­prit à la lec­ture d’un article paru sur le site web Jewish News et inti­tu­lé : « Appal­led and dis­gus­ted : Rab­bi accu­sed of trans­pho­bia over Eddie Izzard tweet » (« Conster­né et dégoû­té : un rab­bin accu­sé de trans­pho­bie après un tweet sur Eddie Izzard »).

Je ne suis pas sur Twit­ter et je ne com­men­te­rai pas ici le tweet du rab­bin, si ce n’est pour noter qu’il a écrit ce com­men­taire que l’on peut dif­fi­ci­le­ment qua­li­fier de « hai­neux » : « Nous devons trai­ter les per­sonnes trans­genres avec la plus grande gen­tillesse et le plus grand res­pect, et les accom­mo­der léga­le­ment, mais il ne faut pas leur per­mettre de sup­plan­ter les droits des femmes. »

Je vou­drais plu­tôt sou­li­gner que nous ne sommes pas obli­gés d’accueillir l’i­déo­lo­gie de l’i­den­ti­té de genre en la célé­brant ins­tan­ta­né­ment et de manière irré­flé­chie et en dénon­çant machi­na­le­ment qui­conque s’y oppose comme étant « indigne » et « haineux ».

Il y a trois rai­sons fon­da­men­tales pour les­quelles l’i­déo­lo­gie de l’i­den­ti­té de genre ne consti­tue pas sim­ple­ment une nou­velle ité­ra­tion du mou­ve­ment de libé­ra­tion — droits des femmes, droits des gays et des les­biennes, droits des per­sonnes han­di­ca­pées — qui prend place depuis les années 1970.

Pre­miè­re­ment, cette idéo­lo­gie implique mani­fes­te­ment l’ef­fa­ce­ment per­ma­nent des droits basés sur le sexe des femmes et des filles, droits obte­nus au terme d’une âpre lutte et déses­pé­ré­ment néces­saires. L’effacement de ces droits fon­dés sur le sexe signi­fie l’effacement des pro­tec­tions, espaces, pri­sons, centres d’aide aux vic­times de viol, centres d’aide aux vic­times de vio­lence, sports, langues et des sites de ren­contres qui leur étaient réser­vés. Ce qui consti­tue une attaque contre leur digni­té et leur sécurité.

Par­fois, les droits entrent en conflit. Un centre d’aide aux vic­times de viol ouvert aux hommes bio­lo­giques [pléo­nasme, NdT] est sou­vent un centre d’aide aux vic­times de viol que les femmes trau­ma­ti­sées (et de nom­breuses femmes reli­gieuses) ne peuvent plus uti­li­ser. Lorsque les évé­ne­ments spor­tifs fémi­nins sont ouverts aux hommes bio­lo­giques, on constate que c’est la fin du sport fémi­nin, des rêves des filles, des records, des podiums, des par­rai­nages et des bourses d’é­tudes. (Et par­fois de leur crâne, comme ce fut le cas pour une com­bat­tante de MMA qui s’est bat­tue contre un homme bio­lo­gique tran­si­den­ti­fié et qui a eu le sien brisé).

Une aile de pri­son dans laquelle sont admis des hommes bio­lo­giques, dont cer­tains ont des anté­cé­dents de vio­lence sexuelle ou de meurtre contre des femmes, peut être un lieu pro­fon­dé­ment trau­ma­ti­sant et dan­ge­reux pour de nom­breuses femmes. Je pour­rais conti­nuer ain­si encore et encore.

Des études montrent que, col­lec­ti­ve­ment, les hommes bio­lo­giques qui s’i­den­ti­fient comme des femmes conservent des taux de délin­quance vio­lente et sexuelle typiques du sexe mas­cu­lin. Il s’agit d’un fait maté­riel, aus­si gênant que cela puisse paraître de nos jours.

Deuxiè­me­ment, l’idéologie de l’identité de genre implique l’in­ti­mi­da­tion et le har­cè­le­ment des les­biennes à qui l’on dit que leur désir sexuel est mau­vais. Les les­biennes qui refusent d’a­voir des rela­tions sexuelles avec des per­sonnes dotées d’un pénis parce qu’elles ne les dési­rent pas sont trai­tées de « racistes sexuels » et de « bigotes ».

On nous dit qu’en tant que socié­té, nous devons en finir avec le « pla­fond de coton » (cot­ton cei­ling), une expres­sion qui désigne les culottes des les­biennes « bigotes » qui refusent d’accepter l’idéologie de l’identité de genre.

Troi­siè­me­ment, le scan­dale médi­cal en cours — il semble que des recours col­lec­tifs se pro­filent — impli­quant la pro­mo­tion, pleine de fausses pro­messes, de trai­te­ments encore expé­ri­men­taux (blo­queurs-hor­mones-chi­rur­gie). La stu­pé­fiante Cass Review [étude bri­tan­nique des pra­tiques en vigueur jusqu’à récem­ment à la cli­nique de genre de Tavi­stock] a conduit à la fer­me­ture de la cli­nique de genre de Tavi­stock, jugée dan­ge­reuse. Les mili­tantes cri­tiques de l’idéologie de l’identité de genre le sou­li­gnaient depuis des années. Et elles ont été inju­riées et cen­su­rées pour cela, par les mêmes per­sonnes qui se posent encore en arbitres moraux de ce que l’on devrait juger « hon­teux » et « haineux ».

Une son­nette d’a­larme pro­fes­sion­nelle reten­tit. Et puis il y a le phé­no­mène déses­pé­ré­ment triste de la détran­si­tion, et ses sen­ti­ments de pro­fond regret, de perte pro­fonde et, dans de nom­breux cas, de détresse médi­cale et men­tale irré­ver­sible. Le fait que de nom­breuses per­sonnes en tran­si­tion soient jeunes, autistes ou homo­sexuelles, et que les femmes soient sur­re­pré­sen­tées, sont des faits que les cri­tiques du genre ont essayé, sou­vent en vain, de mettre en lumière au yeux de la société.

Il existe aujourd’hui une telle mon­tagne de livres, de rap­ports de recherche, d’exa­mens offi­ciels, de témoi­gnages de femmes, de témoi­gnages de détran­si­tions, d’af­faires judi­ciaires et de pré­oc­cu­pa­tions pro­fes­sion­nelles expri­mées de manière urgente qu’il devrait être clair que la posi­tion cri­tique à l’é­gard du genre n’est pas « hon­teuse » et « hai­neuse », mais valide et impor­tante. Si tel n’est pas le cas, c’est à cause de la peur, y com­pris la peur d’être trai­té de « hon­teux » et de « hai­neux ». Après tout, per­sonne ne veut être accu­sé, comme Suzanne Moore l’a été au Guar­dian, d’être une Eli­za­beth Proc­tor qui danse avec le diable. Il vaut mieux lan­cer l’accusation.

L’ar­ticle de Jewish News conte­nait un appel à don­ner la prio­ri­té aux « soins pas­to­raux ». Bien, en effet. Mais l’at­ten­tion pas­to­rale ne s’é­tend-elle pas aux femmes et aux jeunes filles qui perdent leurs droits et leurs espaces et qui, lors­qu’elles s’y opposent, sont ensuite réduites au silence, ostra­ci­sées, humi­liées, har­ce­lées, inju­riées et mena­cées de licenciement ?

Pour­quoi l’ef­fa­ce­ment des espaces réser­vés aux femmes et aux filles, avec toute la détresse qu’il implique, n’est-il pas « hon­teux » ? Pour­quoi le refus sys­té­ma­tique d’examiner les argu­ments de la cri­tique du genre, mal­gré le fait qu’elle soit expri­mée par des per­sonnes ayant lit­té­ra­le­ment fon­dé Sto­ne­wall dans ce pays, n’est-il pas consi­dé­ré comme honteux ?

En bref, pour­quoi les femmes et les filles n’importent-elles pas ? Comme l’a écrit celle-qui-ne-doit-pas-être-nom­mée : « Habillez-vous comme vous vou­lez. Appel­lez-vous comme vous vou­lez. Cou­chez avec n’im­porte quel adulte consen­tant qui le désire. Vivez la meilleure vie pos­sible dans la paix et la sécu­ri­té », mais arrê­tez de pré­tendre que le sexe n’est pas réel, arrê­tez de pré­tendre que la réa­li­té ne compte pas et arrê­tez d’ef­fa­cer les droits, les espaces et les pro­tec­tions des femmes fon­dées sur le sexe.

Alan John­son


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

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