Retour sur une époque où les anarchistes firent parler d’eux.
Auguste Vaillant (1861 — 1894) :
Né dans les Ardennes en 1861, Vaillant connaît une enfance misérable. À 12 ans, il vit seul à Paris où il a été plusieurs fois condamné : à l’âge de 13 ans pour avoir pris le train sans billet ou encore à 17 ans pour avoir mangé dans un restaurant et être parti sans payer, ce qui lui vaut six jours de prison.
Il exerce divers emplois manuels en tant qu’apprenti et se passionne pour l’astronomie et la philosophie. Préoccupé par sa propre misère et celle qui règne à Paris, il est séduit par les milieux anarchistes et commence à fréquenter certains de ces groupes. Il militera d’ailleurs aux Indépendants de Montmartre. Il se marie et vit dans le dénuement avec sa femme et leur fille Sidonie qui sera recueillie plus tard par Sébastien Faure.

Il décide alors de tenter sa chance en Argentine dans la région du Chaco, mais c’est un échec. Après trois ans d’exil, il revient en France où il ne trouve que des emplois occasionnels et a du mal à nourrir sa famille.
Il renoue alors avec le milieu des « compagnons » anarchistes, qui préconisent « la propagande par le fait ». Les vagues d’actes anarchistes se multiplient alors en France dans les années 1892–1894 à l’initiative de plusieurs activistes, parmi lesquels Ravachol, Sante Geronimo Caserio ou encore Émile Henry. Leurs actions visent la bourgeoisie, qu’ils jugent responsable de la misère en cette période de crise économique, et surtout les premiers responsables à leurs yeux des inégalités sociales, c’est-à-dire les parlementaires, au lendemain du scandale de Panama de 1892 qui révèle la corruption du personnel politique.
Entre 1892 et 1894, plus de 400 anarchistes sont arrêtés par la police.
C’est la période où l’assemblée vote les « lois scélérates », destinées à réprimer l’activité anarchiste, après qu’Auguste Vaillant, le 9 décembre 1893 vers 16 heures, ait lancé une bombe d’une grande puissance dans l’hémicycle de la chambre des députés au Palais Bourbon, présidée par Charles Dupuy. C’est une bombe chargée de clous, de morceaux de zinc et de plomb qui s’abat sur les députés et sur les spectateurs assistant aux délibérations. Une cinquantaine de personnes sont blessées, dont Auguste Vaillant lui-même.
Arrêté avec vingt autres personnes, Vaillant avoue dans la nuit qu’il est l’auteur de l’attentat. Lors de son procès, il fait remarquer que son geste était destiné à blesser et non à tuer, raison pour laquelle il a rempli sa bombe avec des clous et non avec des balles.

Avant le verdict, Vaillant s’exprime devant les jurés :
« Messieurs, dans quelques minutes vous allez me frapper, mais en recevant votre verdict, j’aurai la satisfaction d’avoir blessé la société actuelle, cette société maudite où l’on peut voir un homme dépenser inutilement de quoi nourrir des milliers de familles, société infâme qui permet à quelques individus d’accaparer la richesse sociale (…) Las de mener cette vie de souffrance et de lâcheté, j’ai porté cette bombe chez ceux qui sont les premiers responsables des souffrances sociales. »
Auguste Vaillant est condamné à mort. Malgré une pétition lancée en sa faveur par l’abbé Lemire, blessé durant l’attentat, et l’intervention de sa fille Sidonie auprès de l’épouse du président, Sadi Carnot (ci-après) refuse d’accorder sa grâce à Vaillant qui est guillotiné le 5 février 1894. Il avait 33 ans.
François Marie Sadi Carnot, né à Limoges le 11 août 1837, et mort à Lyon le 25 juin 1894, fils d’Hippolyte Carnot (ministre de l’instruction publique en 1848), fut Député, Ministre, et Président de la République française de 1887 à 1894.
Avant de mourir, Vaillant s’écrie : « Vive l’Anarchie, ma mort sera vengée ! »

Caserio Santo Jeronimo (1873–1894)

Fils d’un batelier qui est décédé quand il était encore enfant, Santo Geronimo Caserio est né le 8 septembre 1873 à Motta-Visconti, en Lombardie, Italie, au sein d’une famille rurale très nombreuse. Ne voulant pas être à la charge de sa mère, qu’il aime beaucoup, il part à Milan, où il est apprenti boulanger dès 12 ans. Il dut quitter sa famille très tôt, tout en restant étroitement en contact.
Il devient anarchiste à une période où ces idées sont en accroissement en Italie, comme lors du procès de Rome, qui a lieu après l’arrestation de 200 personnes considérées comme anarchistes suite à la manif du 1er mai 1891. Santo crée même à Milan un petit groupe anarchiste « A pe » (c’est-à-dire Sans rien) avec lequel il distribue aux chômeurs du pain et des brochures devant la bourse du travail. En 1892, il est condamné à huit mois de prison à Milan pour distribution de tracts antimilitaristes lors d’une manifestation. Ses activités politiques lui valent une condamnation puis l’exil d’Italie. En tant que déserteur, il rejoint la Suisse, à Lugano. Ensuite il vient à Lyon le 21 juillet 1893, où il est portefaix pendant un moment. Puis, il trouve à exercer son métier d’ouvrier boulanger à Vienne, puis à Sète, à la boulangerie Viala.
C’est dans cette ville que germa dans son esprit l’idée d’accomplir « un grand exploit » et de venger Ravachol et Auguste Vaillant qui avaient été guillotinés respectivement le 11 juillet 1892 et le 3 février 1894. Ayant appris la prochaine visite du président de la République à Lyon, il décida brusquement que ce dernier serait la victime et prit toutes dispositions pour mener à bien son projet. Le 23 juin 1894, dans la matinée, il acheta un poignard au manche rouge et noir (les couleurs qui symbolisent l’anarchie) chez un armurier, et l’après-midi gagna Montpellier. De là, par chemin de fer, il se rendit à Vienne et c’est à pied qu’il arriva à Lyon, le 24 juin dans la soirée.
Le 24 juin 1894, à Lyon, au cours d’une visite officielle faite à l’occasion de l’Exposition universelle, Sadi Carnot, président de la République, était frappé à mort par le jeune anarchiste italien, Caserio. Le président Carnot décède quelques heures après.
L’attentat en question, selon son auteur :
« J’ai sauté sur le marche-pieds et appuyé la main gauche sur le rebord de la voiture, et j’ai d’un seul coup porté légèrement de haut en bas, la paume de la main en arrière, les doigts en dessous, plongé mon poignard jusqu’à la garde dans la poitrine du président. J’ai laissé le poignard dans la plaie et il restait au manche un morceau de papier journal.
En portant le coup, j’ai crié, fort ou non, je ne puis le dire : “Vive la Révolution”. Le coup porté, je me suis d’abord rejeté vivement en arrière ; puis voyant qu’on ne m’arrêtait pas instantanément et que personne ne semblait avoir compris ce que j’avais fait, je me suis mis à courir en avant de la voiture et en passant à côté des chevaux du président, j’ai crié “vive l’anarchie”, cri que les gardiens de la paix ont bien entendu. Puis j’ai passé devant les chevaux du président, et derrière l’escorte, me dirigeant sur la gauche obliquement pour tâcher de pénétrer dans la foule et de disparaître. Des femmes et des hommes ont refusé de me laisser passer, puis on a crié derrière : “Arrêtez-le”. Un gendarme, du nom de Nicolas Pietri, m’a mis la main au collet par derrière, et j’ai été aussitôt saisi par une vingtaine d’autres. »
Il est jugé en cour d’assises les 2 et 3 août. À l’issue de son procès, il est condamné à la peine capitale.

Il écrit aussitôt une lettre à sa mère :
« Je vous écris ces quelques lignes pour vous faire savoir que ma condamnation est la peine de mort. Oh ! ma chère mère, ne pensez pas mal de moi ! Mais pensez que si j’ai commis cet acte, ce n’est pas que je sois devenu un malfaiteur, et pourtant, beaucoup diront que je suis un assassin et un malfaiteur. Non, parce que vous connaissez mon bon cœur, la douceur que j’avais lorsque j’étais auprès de vous ! Et bien, aujourd’hui encore, c’est le même cœur. Si j’ai commis cet acte, c’est parce que j’étais las de voir le monde aussi infâme. »
Il sera guillotiné le 16 Août 1894.
Sur l’échafaud, finalement, un instant avant de mourir, il lance en italien à la foule qui assistait de loin à l’exécution :
« Courage, les amis ! Vive l’anarchie ! »

Quelques extraits de son plaidoyer devant le tribunal qui le condamna à mort :
Messieurs du juré ! Je ne me ferai pas une défense, mais plutôt une explication de mon action.
Depuis mon jeune âge, j’ai appris que la société présente est très mal organisée, si mal que chaque jour plusieurs malheureux se suicident, laissant femmes et enfants à la détresse la plus terrible. Des ouvriers, par milliers, cherchent du travail et ne peuvent en trouver. Des familles pauvres quêtent pour de la nourriture et grelottent de froid ; elles souffrent de la plus grande misère ; les plus jeunes demandent de la nourriture à leurs pauvres mères, et celles-ci ne peuvent leur en donner, parce qu’elles n’ont rien. Les seules choses que la maison contenait ont déjà été vendues ou échangées. Tout ce qu’elles peuvent faire est demander l’aumône ; souvent elles sont arrêtées pour vagabondage.
Je suis parti de ma terre natale parce que j’en venais souvent aux larmes en voyant des petites filles de huit ou dix ans obligées de travailler 15 heures par jour pour une misérable paye de 20 centimes. Des jeunes femmes de 18 ou 20 ans travaillent aussi 20 heures par jour pour une rémunération de railleries. Et cela n’arrive pas seulement à mes compatriotes, mais à tous les ouvriers, qui se prennent une suée à longueur de journée pour un morceau de pain, alors que leur labeur apporte l’argent en abondance. Les ouvriers sont forcés de vivre dans les conditions les plus misérables, et leur nourriture consiste en un peu de pain, quelques cuillerées de riz, et de l’eau ; donc lorsqu’ils atteignent l’âge de 30 ou 40 ans, ils sont morts de fatigue et vont mourir dans les hôpitaux. En outre, en conséquence d’une mauvaise alimentation et du surmenage, ces tristes créatures sont, par centaine, dévorés par la pellagra — une maladie qui, dans mon pays, attaque, comme les docteurs disent, ceux qui sont mal nourris et qui mènent une vie pénible et de privation.
J’ai remarqué que nombreux sont ceux qui ont faim, et les enfants qui souffrent, tandis que le pain et les vêtements abondent dans les villes. J’ai vu plusieurs grandes industries pleines de vêtements et de produits de laine, et j’ai aussi vu des entrepôts pleins de blé et de maïs, qui conviendraient à ceux qui en ont besoin. Et, d’un autre point de vue, j’ai vu des milliers de gens qui ne travaillent pas, qui ne produisent rien et qui vivent grâce au labeur des autres ; qui chaque jour dépensent des milliers de francs pour se divertir ; qui corrompent les filles des ouvriers ; qui possèdent des logements de quarante ou cinquante pièces ; vingt ou trente chevaux, plusieurs serviteurs ; en un mot, tout les plaisirs de la vie.
Je crois en Dieu ; mais quand je vois une telle inégalité entre les hommes, je reconnais que ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme, mais l’homme qui a créé Dieu. Et j’ai découvert que ceux qui veulent leur propriété respectée, ont intérêt de prêcher l’existence du paradis et de l’enfer, et de garder le peuple dans l’ignorance.
Il y a peu de temps, Vaillant lança une bombe dans la Chambre des Députés, pour protester contre l’actuel système de la société. Il n’a tué personne, seulement blessé quelques personnes ; mais la justice bourgeoise l’a condamné à mort. Et non satisfaite de la condamnation de l’homme coupable, elle a poursuivi les Anarchistes, et arrêta, non seulement ceux qui connaissaient Vaillant, mais même ceux qui ont été présent à une lecture Anarchiste.
Le gouvernement ne pensa pas à leur femme et enfants. Il n’a pas considéré que l’homme détenu en cellule n’était pas le seul à souffrir, que ses petits réclamaient du pain. La justice bourgeoise ne s’est pas troublée à propos de ces innocents, qui ne savent même pas ce que la société est. Ce n’est pas de leur faute si leurs pères sont en prison ; ils veulent seulement se nourrir.
Le gouvernement en vient à fouiller les domiciles privés, à ouvrir des lettres personnelles, à interdire les lectures et les rencontres, et à pratiquer l’oppression la plus infâme contre nous. Même aujourd’hui, des centaines d’Anarchistes sont arrêtés pour avoir écrit un article dans un journal ou pour avoir exprimé une opinion en publique.
Eh bien, si les gouvernements emploient contre nous les fusils, les chaînes, les prisons, est-ce que nous devons, nous les anarchistes, qui défendons notre vie, rester enfermés chez nous ? Non. Au contraire, nous répondons aux gouvernements avec la dynamite, la bombe, le stylet, le poignard. En un mot, nous devons faire notre possible pour détruire la bourgeoisie et les gouvernements. Messieurs du Juré, vous qui êtes les représentants de la société bourgeoise. Si vous voulez ma tête, prenez-la ; mais ne croyez pas qu’en faisait cela vous arrêterez le mouvement anarchiste.
Faites attention, l’homme récolte ce qu’il a semé.

La Ballata di Sante Caserio
Auteur : Piero Gori
Ce chant est pour vous, les travailleurs,
cette chanson à moi au goût de pleurs
qui nous rappelle un jeune hardi et fort
qui pour l’amour de vous défia la mort.
Et dans tes yeux, Caserio, brillait l’étincelle
des vengeances humaines et rebelles
et au peuple qui travaille dans la souffrance
tu as donné ton amour, tes espérances.
Tu étais dans la fleur de ta jeunesse
mais n’as vu que la lutte et la détresse,
la nuit de la faim, de la peine, de la haine
qui planent sur l’immense masse humaine.
Tu t’es levé avec ton acte de douleur,
pour être de ces tourments le fier vengeur
et tu as frappé, toi, qui étais si bon et cher
pour réveiller des âmes prisonnières.
Pour ton geste si fier les puissants tremblent
et des nouveaux pièges aux idées ils tendent,
le peuple pour qui ta vie tu l’as donnée
n’a pas compris, mais tu n’as pas cédé.
Et tes vingt ans, à une aube de tourment
sur la guillotine tu les as jetés au vent,
et à ce monde vil ton âme infinie
a crié à voix haute : Vive l’Anarchie !
Le jour s’approche, le beau guillotiné,
où ton nom sera enfin purifié,
où la vie humaine sera sacrée, et enfin
tous auront droit à la science et au pain.
Mais dors, Caserio, sous la terre glaciale
où tu entendras rugir la guerre finale,
la grande bataille contre les oppresseurs,
des exploités contre les exploiteurs.
Vous, qui votre vie, votre avenir fatal
avez offert sur l’autel de l’idéal,
phalanges de travailleurs qui êtes morts
pour nourrir l’oisiveté des requins d’or,
vous, martyrs inconnus, soldats de la souffrance
le jour se lève de la grande vengeance,
et déjà le soleil de la justice se lève,
guerre aux tyrans le peuple mène sans trève !
Version française, en rime et chantable, par Riccardo Venturi
22 mai 2007
Très inspirant, pour moi qui suis esclave…
Merci à vous.
Vive l’anarchie !