Apologie du terrorisme burlesque (par Jean-Pierre Bouyxou)

0Jean-Pierre Bouyxou, né le 16 jan­vier 1946 à Bor­deaux, est un jour­na­liste, cri­tique et réa­li­sa­teur fran­çais. Il uti­lise éga­le­ment le pseu­do­nyme de Claude Razat.

Il a écrit des articles pour Vam­pi­rel­la, Sex Stars Sys­tem, Zoom, Métal hur­lant, L’É­cho des savanes, Pen­thouse, Lui, Hara-Kiri, Paris Match, Miroir du fan­tas­tique, Ciné Revue, Conti­nen­tal Film Review, Actuel, Europe, Curio­sa, Show Bzzz, Ciné­fan­tas­tic, Yéti, La Revue du ciné­ma, Ver­ti­go, Siné Heb­do, Fas­ci­na­tion (sous divers pseudos).


Apologie du terrorisme burlesque

Toute la bonne vieille gogôche, engon­cée dans son pan­tou­flard huma­nisme néo-chré­tien, s’en­tend comme un seul zigue pour tom­ber sur le râble du ter­ro­risme. Ah ! il est bien fini, le temps ousque Rava­chol et les tenants de la « pro­pa­gande par le fait » trou­vaient des défen­seurs dans les rangs des intel­los ! Aujourd’­hui, Baa­der et les Bri­gades Rouges puent des pieds : c’est rien que des vilains et des méchants, honte sur eux et mort à eux puis­qu’ils osent, ô sacri­lège, s’en prendre à la vie humaine. C’est sacré, ça, la vie humaine. Même celle des cra­pules, paraît-il. La vie d’un clebs, d’un matou, d’un asti­cot ou d’un pois­son rouge, non. Celle d’un Aldo Moro, oui. Eh ben ! je vois pas, moi en quoi un Aldo Moro (par exemple) vaut davan­tage qu’un ani­mal et j’ai même connu des tas de chouettes bes­tiaux qui valaient cent mille fois mieux que tous les Aldo Moro du monde. Les mecs et mec­tonnes de la bande à Baa­der, ceux et celles des Bri­gades Rouges, je les trouve sym­pas, moi. Ils se gourent, ils se four­voient, ils font le jeu de l’en­ne­mi, ils sont mani­pu­lés ? P’t-êt’ ben. Mais ça les empêche pas d’être sym­pas. Leur ter­ro­risme est un acte de déses­poir, et leur déses­poir est légi­time. Je ne vois rien de blâ­mable dans leurs moti­va­tions ni, fina­le­ment, dans leurs actions. Z’en avez jamais marre, vous, des fumiers et des cons, des faux derches et des fli­cards de tous bords, au point d’a­voir fré­né­ti­que­ment envie de prendre un bazoo­ka pour tirer dans le tas ? Moi, si. Sou­vent. Le crime contre l’hu­ma­ni­té, je n’ai rien contre : elle est moche, l’hu­ma­ni­té. Elle est mou­larde, elle est bête, elle est féroce, elle est nui­sible, et je ne vois aucune rai­son de l’ai­mer en bloc, de l’ai­mer comme elle est, la gueu­sarde ! Consé­quem­ment, je ne vois aucune rai­son de gueu­ler haro contre ceux qui lui secouent les puces aus­si rude­ment qu’ils le peuvent. Au contraire. Même s’ils se plantent, ils réagissent au moins, eux ! Ils bougent, ils se battent, ils ne res­tent pas lamen­ta­ble­ment inertes. D’ailleurs, ils ne font que répondre à un autre ter­ro­risme autre­ment dan­ge­reux et dégueu­lasse, celui-là, que le leur : celui des bourres matra­queurs, celui du PC apôtre de l’ar­me­ment nucléaire, celui des nan­tis affa­meurs, celui de la presse et de la koul­tour intoxi­ca­trices, celui de la morale mora­li­sante, celui du tra­vail décer­ve­leur… J’en passe, et non des moins carabistouillés.

C’est pas en allant civi­que­ment foutre un bul­le­tin dans une urne, ni en défi­lant gen­ti­ment Bas­tille-Nation sous l’oeil benoît de la fli­caille, qu’on se défend contre le ter­ro­risme du pou­voir : c’est en lui oppo­sant un autre ter­ro­risme, encore plus mahousse et impla­cable. Poli­ti­cailler, c’est s’en­duire soi-même le fion de vase­line pour se faire empa­paou­ter, c’est sau­ter à ripa­tons joints dans la récu­pé­ra­tion. L’is­sue, sinon le salut, est dans l’illé­ga­lisme. Un illé­ga­lisme reven­di­qué, for­ce­né, obs­ti­né, exces­sif, dévas­ta­teur, san­gui­naire au besoin, tord-boyau­tant si pos­sible, ven­geur, rati­boi­seur, radi­cal et, pour résu­mer, terroriste.

Or, tout ce qui est chiant est démo­bi­li­sa­teur, démo­ra­li­sant et, donc, intrin­sè­que­ment réac : la révo­lu­tion sera mar­rante, mor­dious ! ou elle ne sera pas. Plus l’on se fend la pipe, plus l’on a envie de se la fendre plus encore, plus l’on a le désir abso­lu d’é­cra­bouiller tout ce qui s’y oppose. C’est l’es­ca­lade dans le you­pi­teux et l’es­ca­lade dans la liber­té sau­vage qui se rejoignent ludi­que­ment et qua­li­ta­ti­ve­ment, et qui se boni­fient l’une l’autre, se mêlent, se confondent juteu­se­ment et jouis­si­ve­ment. Rien de ce qui contra­rie la jouis­sance ne doit être épar­gné : la vie n’est chou­carde que jouis­sive. L’en­nui, le cafard, la rési­gna­tion ne font pas par­tie de la vie : ils font de nous des zombies.

Le plai­sir sans frein est, de toute évi­dence, le seul but qui vaille la peine d’être pour­sui­vi — et le plai­sir est un machin gai, qui a besoin du rire comme le pou­mon a besoin de l’air, le poi­vrot besoin de la bibine, le jockey besoin de ses étriers : sépa­rés, ils perdent leur rai­son d’être. Il convient, constate-t-on à la lumière de cette équa­tion (vie = pla­ne­rie + rigo­lade, or vou­loir vivre = faire prompte la révo­lu­tion, donc j’ad­di­tionne et je trouve : ter­ro­risme révo­lu­tion­naire = ter­ro­risme effi­cace + ter­ro­risme mar­rant), de pas­ser du ter­ro­risme triste (qui draine des effluves d’en­doc­tri­ne­ment et d’embrigadement, cultive le goût du mar­tyre et per­pé­tue le sens du sacri­fice) au ter­ro­risme bur­lesque, infi­ni­ment plus sûre­ment des­truc­teur pour les valeurs en place.

Georges Le Glou­pier et ses croi­sades pâtis­sières ont ouvert la brèche : soyons des ter­ro­ristes poi­lants. Sabo­tons les usines : trans­for­mons-les en aires de débauche. Détour­nons les grèves : muons-les en homé­riques fies­tas. Inves­tis­sons les hos­pices de vioques, les asiles pour maboules, les sanas pour tubards, les écoles et pou­pon­nières pour lar­dons : organisons‑y l’or­gie, instaurons‑y la for­ni­ca­tion échevelée.

Appe­lons les bidasses à sodo­mi­ser leurs chefs avec leurs flin­gots et à leur déchar­ger de la mitraille dans le cul, les sala­riés à bou­ter le feu à leurs lieux de tra­vail après les avoir pillés, les usa­gers des trans­ports en com­mun à détour­ner les bus pour aller se bala­der à l’aventure.

Fai­sons contre les banques et les bâti­ments admi­nis­tra­tifs des atten­tats au gai, hila­rant, au poil à grat­ter, à la poudre à éter­nuer, aux boules puantes. Fou­tons de la défonce ou /et des aphro­di­siaques dans les réser­voirs d’eau potable des villes. Flan­quons de puis­sants pur­ga­tifs dans la bouffe des gar­diens de taule.

Allons dans les églises affu­bler les repré­sen­ta­tions chris­tiques d’ir­ré­vé­ren­cieuses bis­tou­quettes, échan­geons les hos­ties consa­crées contre des hos­ties au cya­nure, bar­bouillons de merde les confes­sion­naux, rem­plis­sons les béni­tiers d’a­cide sulfurique.

Déver­sons de l’huile de vidange sur la chaus­sée, de pré­fé­rence dans les virages des grandes des­centes, juste avant le pas­sage des cou­reurs du Tour de France. Jetons sur les ter­rains de foot­ball autant de bal­lons pirates qu’il y a de joueurs.

Inter­rom­pons les pièces de théâtre pour virer de la scène les per­son­nages anti­pa­thiques, et pre­nons leur place pour impro­vi­ser des pièces sur­prises à notre goût. Déro­bons dans les cinoches les bobines des films ennuyeux et rem­pla­çons-les par des des­sins ani­més de Tex Ave­ry. Fai­sons irrup­tion sur les pla­teaux de télé pen­dant les émis­sions en direct, ridi­cu­li­sons ceux qui y par­ti­cipent et inci­tons les télé­spec­ta­teurs à la licence, au vol et au meurtre. Ne ratons pas une occa­sion de faire éva­cuer les salles de spec­tacles en mul­ti­pliant les fausses alertes à la bombe. Semons la panique dans les grands maga­sins en y jetant des fumi­gènes et en criant « Au feu ! ».

On peut encore, avec quelques moyens maté­riels et si l’on est en nombre suf­fi­sant, inves­tir de bon matin les sta­tions de radio et obli­ger les spea­kers à annon­cer que la 3e Guerre mon­diale est décla­rée, que les bombes ato­miques vont se mettre à pleu­voir et que la popu­la­tion doit dare-dare aller piller les bou­tiques. La farce ne sera que plus cor­sée si l’on par­vient à faire simul­ta­né­ment pro­cla­mer la même nou­velle en man­chette des jour­naux : mer­dier garan­ti, mal­gré le démen­ti offi­ciel qui suivra !

On peut déro­ber du papier à en-tête aux par­tis poli­tiques et aux orga­ni­sa­tions syn­di­cales, et s’en ser­vir pour envoyer à la presse, en leur nom, les décla­ra­tions les plus incon­grues, far­fe­lues et obscènes.

On peut ameu­ter les habi­tants des bidon­villes et les entraî­ner à prendre d’as­saut les palaces, pour en vider les occu­pants et s’ins­tal­ler à leur place. On peut lâcher des hordes de rats affa­més dans les mee­tings poli­tiques, déver­ser de l’eau dans les réserves d’es­sence des sta­tions-ser­vice, mettre de vraies gre­nades offen­sives par­mi les gre­nades-jouets des maga­sins de Noël, se dégui­ser en dia­blo­tins lubriques pour esca­la­der nui­tam­ment les murs des cou­vents, dévas­ter les fichiers des bureaux de contri­bu­tions, impri­mer de faux diplômes uni­ver­si­taires et les dis­tri­buer dans la rue, exhor­ter les indi­gents et les infirmes à for­mer des bandes fli­bus­tières… Tout, on peut tout faire : l’i­ma­gi­na­tion est reine en matière de ter­ro­risme bur­lesque — et une seule poli­tique, celle du tou­jours plus, peut posi­ti­ve­ment dyna­mi­ter les struc­tures du vieux monde. C’est en met­tant le plus pos­sible d’a­gi­ta­tion et de bor­del dans celui-ci, par tous les moyens dont on dis­pose et sans plus attendre (dans nos jobs, nos loi­sirs, etc.), qu’on peut pré­tendre l’é­bran­ler. Tout le reste est idéo­lo­gie, c’est-à-dire foutaise.

Jean-Pierre Bouyxou

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  1. Le bur­lesque est une arme redou­table. Mer­ci de le rap­pe­ler. Rigo­lons à leur face de carême et pis­sons sur la bien-pen­sance. Mar­rons-nous aux enter­re­ments et rou­lons-nous par terre pen­dant les minutes de silence. Buvons à la san­té des morts et orga­ni­sons des bac­cha­nales le 11 novembre. Cou­rons nus dans les bois et plon­geons dans la vie. Nous sommes vivants , pro­fi­tons-en. C’est pas à nous de sin­ger les culs-ser­rés, mais à eux de nous rejoindre, s’ils le sou­haitent. Vive la vie, vive la joie, vive le rire, le mou­ve­ment, le vin et les vers de terre.

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