Pour ceux qui ne sont pas familiers avec Eugène Debs, il était l’un des libertaires les plus célèbres du début du 20ème siècle, aux états-unis.
Eugene Victor Debs, né le 5 novembre 1855 à Terre Haute dans l’Indiana et mort le 20 octobre 1926 à Elmhurst dans l’Illinois, est un homme politique américain, syndicaliste et socialiste, un des fondateurs du syndicat des Industrial Workers of the World (IWW, Les travailleurs industriels du monde). Lors de la Première Guerre mondiale, il s’opposa à la conscription et fut jeté en prison pour sédition. Alors qu’il était en prison, il se présenta, pour la cinquième fois, aux élections présidentielles états-uniennes, et obtint près d’un million de votes.
Ce texte est un extrait du discours (article original en anglais ici) qu’il donna à Canton, Ohio en Juin 1918.
À travers l’histoire, les guerres ont toujours été menées pour la conquête et le pillage. Au Moyen Âge, lorsque les seigneurs féodaux qui habitaient les châteaux — dont on peut toujours apercevoir les tours le long du Rhin — souhaitaient étendre leurs domaines, augmenter leur pouvoir, leur prestige et leur richesse, ils se déclaraient la guerre entre eux. Mais ils n’allaient pas eux-mêmes faire la guerre, pas plus que les seigneurs féodaux modernes, les barons de Wall Street, ne partent au front.
Les barons féodaux du Moyen Âge, prédécesseurs économiques des capitalistes de notre temps, déclaraient toutes les guerres. Et leurs misérables serfs menaient tous les combats. Les pauvres, serfs ignorants, avaient été éduqués dans la révérence de leurs maitres ; ainsi, lorsque leurs maitres se déclaraient la guerre entre eux, ils considéraient comme leur devoir patriotique de s’attaquer entre eux, de se trancher la gorge entre eux pour le profit et la gloire de leurs maîtres et barons qui, pourtant, les méprisaient. Voilà tout le drame de la guerre en quelques lignes. Les maîtres ont toujours déclaré les guerres ; les classes asservies les ont toujours menées. La classe des maîtres avait tout à gagner et rien à perdre, tandis que la classe assujettie n’avait rien à gagner et tout à perdre — en particulier la vie.
On les a toujours éduqués et entrainés à croire qu’il était de leur devoir patriotique d’aller en guerre et de se faire massacrer sur commande. Mais dans toute l’histoire de l’humanité, vous, le peuple, n’avez jamais eu votre mot à dire dans les déclarations de guerre. & aussi étrange que cela puisse paraître, aucune guerre de quelque nation que ce soit n’a jamais été déclarée par le peuple.
Et je tiens à souligner le fait — et on ne le répétera jamais assez — que la classe ouvrière qui mène tous les combats, la classe ouvrière qui fait tous les sacrifices, la classe ouvrière qui répand librement son sang et fournit ses corps, n’a jamais eu son mot à dire dans les déclarations de guerre ou dans les traités de paix. La classe dominante s’est toujours occupée des deux. Elle seule déclare la guerre et elle seule déclare la paix. Vous, vous n’avez pas à raisonner ; vous, vous avez à faire et à mourir. Telle est leur devise. & nous nous y opposons au nom de la classe ouvrière qui se réveille dans cette nation. Si la guerre est juste, qu’elle soit déclarée par le peuple. Vous, qui avez vos vies à y perdre, vous plus que quiconque devriez décider de ces litiges capitaux que sont la guerre et la paix…
Il vous faut comprendre, maintenant plus que jamais, que vous n’avez été conçus ni pour être esclave ni pour être de la chair à canon. Il vous faut savoir que vous n’avez pas été créés pour travailler, produire et vous appauvrir afin d’enrichir un exploiteur oisif ; que vous avez un esprit à cultiver, une âme à enrichir et une dignité à préserver.
Les dirigeants ne font que parler de votre devoir patriotique. Ils ne se préoccupent pas de leur devoir patriotique, uniquement du vôtre. La différence est marquée. Leur devoir patriotique ne les conduit jamais en première ligne, ni ne les entasse dans les tranchées. Et voilà qu’aujourd’hui, parmi d’autres choses, ils vous somment de vous occuper des jardins de la victoire, tandis qu’au même moment, un rapport de guerre gouvernemental souligne que pratiquement 52% des terres arables, cultivables, sont préservées par les riches propriétaires, spéculateurs et profiteurs. Ils ne cultivent pas eux-mêmes. Ni n’autorisent d’autres à les cultiver. Ils les maintiennent inusitées afin de s’enrichir, d’engranger des millions de dollars de bénéfices immérités…
Que chacun de nous fasse son devoir ! Le clairon sonne à nos oreilles et nous ne pouvons fléchir sans être reconnus coupables de trahison envers nous-mêmes et notre cause !
Peu importe les charges de trahison envers vos maîtres, inquiétez-vous de la trahison envers vous-mêmes. Soyez honnêtes envers vous, et vous ne serez le traitre d’aucune des grandes causes planétaires.
Eugène Debs
Traduction : Nicolas CASAUX