Ci-après, vous trouverez la présentation de Pablo Servigne et Raphael Stevens du 13 avril 2015 à la maison des métallos, à Paris, à l’occasion de la parution de leur (excellent) livre Comment tout peut s’effondrer : Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, sorti le 9 avril 2015 (éditions du Seuil), suivie d’un extrait du livre. Livre qui présente de manière assez détaillée les multiples raisons qui font que notre civilisation, qui n’a jamais été soutenable, approche aujourd’hui des nombreuses limites auxquelles elle était inévitablement appelée à se heurter.
L’EXTINCTION DU MOTEUR (LES LIMITES INFRANCHISSABLES)
Commençons par l’énergie. On la considère souvent comme une question technique secondaire, après les priorités que sont l’emploi, l’économie ou la démocratie. Or, l’énergie est le cœur de toute civilisation, et particulièrement la nôtre, industrielle et consumériste. On peut parfois manquer de créativité, de pouvoir d’achat ou de capacité d’investissement, mais on ne peut pas manquer d’énergie. C’est un principe physique : sans énergie, il n’y a pas de mouvement. Sans énergies fossiles, c’en est fini de la mondialisation, de l’industrie et de l’activité économique telles que nous les connaissons.
Au cours du dernier siècle, le pétrole s’est imposé comme le carburant principal pour nos transports modernes, donc le commerce mondial, la construction et la maintenance des infrastructures, l’extraction des ressources minières, l’exploitation forestière, la pêche et l’agriculture. Avec une densité énergétique exceptionnelle, facile à transporter et à stocker, d’utilisation simple, il assure 95 % des transports.
Une société qui a pris la voie de l’exponentielle a besoin que la production et la consommation d’énergie suivent cette même voie. Autrement dit, pour maintenir notre civilisation en état de marche, il faut sans cesse augmenter notre consommation et notre production d’énergie. Or, nous arrivons à un pic.
Un pic désigne le moment où le débit d’extraction d’une ressource atteint un plafond avant de décliner inexorablement. C’est bien plus qu’une théorie, c’est une sorte de principe géologique : au début, les ressources extractibles sont faciles d’accès, la production explose, puis stagne et enfin décline lorsqu’il ne reste plus que les matières difficiles d’accès, décrivant ainsi une courbe en cloche (voir figure 3). Le haut de la courbe, le moment du pic, ne signifie pas un épuisement de la ressource, mais plutôt le début du déclin. On utilise classiquement cette notion pour les ressources extractibles, comme les combustibles fossiles ou les minerais (phosphore, uranium, métaux, etc.), mais on peut aussi l’appliquer (parfois abusivement) à d’autres aspects de la société, comme à la population ou au PIB, dans la mesure où ces paramètres sont fortement corrélés à l’extraction des ressources.

En haut du pic, la descente énergétique ?
Or, nous sommes arrivés en haut de la courbe de production de pétrole conventionnel. De l’aveu même de l’Agence internationale de l’énergie, réputée pour son optimisme en matière de réserves pétrolières, le pic mondial de pétrole conventionnel, soit 80 % de la production pétrolière, a été franchi en 2006. Nous nous trouvons depuis lors sur un « plateau ondulant ». Passé ce plateau, la production mondiale de pétrole commencera à décliner.
Selon les statistiques les plus récentes, la moitié des vingt premiers pays producteurs, représentant plus des trois quarts de la production pétrolière mondiale, ont déjà franchi leur pic, parmi lesquels les États-Unis, la Russie, l’Iran, l’Irak, le Venezuela, le Mexique, la Norvège, l’Algérie et la Libye. Dans les années 1960, pour chaque baril consommé, l’industrie en découvrait six. Aujourd’hui, une technologie de plus en plus performante, le monde consomme sept barils pour chaque baril découvert.
Dans une synthèse scientifique publiée en 2012, des chercheurs britanniques concluent que « plus des deux tiers de la capacité actuelle de production de pétrole brut devra être remplacée d’ici à 2030, simplement pour maintenir la production constante. Compte tenu de la baisse à long terme des nouvelles découvertes, ce sera un défi majeur, même si les conditions [politiques et socio-économiques] s’avèrent favorables ». Ainsi, d’ici une quinzaine d’années, pour se maintenir, l’industrie devra donc trouver un flux de 60 millions de barils/jour, soit l’équivalent de la capacité journalière de six Arabie Saoudite !
Les connaissances sur l’état des réserves se précisent, et un nombre croissant de multinationales, de gouvernements, d’experts et d’organisations internationales deviennent pessimistes quant à l’avenir de la production. Les auteurs de la précédente étude concluent : « une baisse soutenue de la production mondiale de pétrole conventionnel semble probable avant 2030 et il existe un risque important que cela débute avant 2020 », un constat que partagent des rapports financés par le gouvernement anglais, et les armées américaine et allemande. En bref, un consensus est en train de naître sur le fait que l’ère du pétrole facilement accessible est révolue et que nous entrons dans une nouvelle époque.
La situation pétrolière est si tendue que de nombreux dirigeants d’entreprise tirent la sonnette d’alarme. En Grande- Bretagne, un consortium de grandes entreprises, l’ITPOES (The UK Industry Task Force on Peak Oil and Energy Security), écrivait dans son rapport de février 2010 : « Comme nous atteignons des taux maximaux d’extraction nous devons être capables de planifier nos activités dans un monde où les prix du pétrole sont susceptibles d’être à la fois élevés et plus instables et où les chocs des prix du pétrole ont le potentiel de déstabiliser l’activité économique, politique et sociale. »
Pour certains observateurs plus optimistes, au contraire, les estimations concluant à un « pic » seraient basées sur des quantités maximales extractibles bien trop alarmistes. Un groupe de chercheurs s’est donc penché sur cette controverse en comparant un éventail de scénarios allant des plus optimistes aux plus pessimistes. Résultat, seuls les scénarios considérés comme pessimistes collent aux données réelles observées sur les onze dernières années. L’étude confirmait ainsi l’entrée en déclin irréversible de la production mondiale de pétrole conventionnel.
Soit, mais qu’en est-il des nouveaux gisements, en particulier ceux que l’on appelle les pétroles non-conventionnels c’est-à-dire les hydrocarbures lourds et/ou coincés en grande profondeur entre le sable, le goudron, et les roches de la croûte terrestre ? Les plates-formes offshores dans les profondeurs des côtes brésiliennes et arctiques, les sables bitumineux du Canada et les gaz et pétroles de schiste ne vont-ils pas progressivement remplacer le brut conventionnel ?
Non. Et les faits sont accablants. En ce qui concerne le pétrole et gaz de schiste, passons rapidement sur le fait que les techniques d’extraction menacent l’environnement et la santé des riverains, provoquent des microtremblements de terre, des fuites de méthane et de matières radioactives, consomment énormément d’énergie (nous y reviendrons), de sable et d’eau douce et contaminent les nappes phréatiques.
En fait, les entreprises de forage présentent surtout des bilans financiers désastreux. Selon un rapport de l’administration américaine de l’énergie, la trésorerie combinée de 127 compagnies qui exploitent le pétrole et le gaz de schiste américain a accusé un déficit de 106 milliards pour l’année fiscale 2013–2014, déficit qu’elles se sont empressées de combler par l’ouverture de nouvelles lignes de crédit. Mais pour attirer plus d’investissements et présenter un résultat positif aux analystes financiers, elles ont dû vendre pour 73 milliards d’actifs ! Résultat : des dettes qui explosent et une capacité de plus en plus faible à générer les revenus nécessaires pour rembourser les dettes.
Une étude commanditée par le gouvernement britannique prévient : « Une plus grande dépendance aux ressources utilisant la fracturation hydraulique aggravera la tendance à l’augmentation des taux de déclin moyens, puisque les puits n’ont pas de plateau et déclinent extrêmement rapidement, parfois de 90 % ou plus durant les cinq premières années. » D’autres avancent le chiffre de 60 % de déclin de production rien que pour la première année. Ainsi, pour éviter la faillite, les compagnies doivent forer toujours plus de puits et engager toujours plus de dettes, à la fois pour compenser le déclin des puits déjà exploités et pour continuer à augmenter leurs productions qui serviront à rembourser leurs dettes croissantes. Une course contre la montre dont on connaît déjà l’issue…
C’est cette petite bulle que de nombreuses personnes n’ont pas vue (ou n’ont pas voulu voir) en claironnant que ces énergies fossiles non-conventionnelles permettraient aux États-Unis de retrouver une certaine indépendance énergétique. En voulant gonfler artificiellement la croissance et la compétitivité des États-Unis, la banque centrale américaine (la FED) a permis aux compagnies pétrolières d’emprunter à des taux d’intérêt extrêmement bas, fabriquant ainsi une bombe à retardement : la moindre remontée des taux d’intérêt placerait les compagnies les plus fragiles au bord de la faillite. Le problème est sensiblement le même pour les gaz de schiste. Selon l’administration Obama, cet édifice ne tiendra que quelques années après avoir atteint son plafond en 2016.
Des estimations — très optimistes — de l’Agence internationale de l’énergie indiquent que les sables bitumineux du Canada ou du Venezuela fourniront 5 millions de barils par jour en 2030, ce qui représente moins de 6 % de la production totale de carburant à cette date (en projection). Impossible, donc, dans le meilleur des cas, de compenser le déclin du conventionnel de cette manière.
Et l’Arctique ? Les risques pour l’environnement et les investisseurs sont beaucoup trop importants. Des grandes majors se sont retirées de la course alors même que le prix du baril était élevé, comme Shell qui a suspendu ses explorations en 2013 ou Total qui a fait de même en prenant soin d’avertir l’ensemble des acteurs de la filière des dangers potentiels.
Les biocarburants ne sont pas beaucoup plus « rassurants ». Leur contribution prévoit d’être limitée à 5% de l’offre en carburants pour les 10 à 15 prochaines années, sans compter que certains d’entre eux menacent dangereusement la sécurité alimentaire de nombreux pays.
Imaginer qu’une électrification du système de transport pourra remplacer le pétrole n’est guère réaliste. Les réseaux électriques, les batteries, les pièces de rechange sont fabriqués à partir de métaux et matériaux rares (et ils s’épuisent), et tout le système électrique consomme des énergies fossiles : il en faut pour le transport des pièces de rechange, des travailleurs et des matériaux, pour la construction et la maintenance des centrales, et pour l’extraction des minerais. Sans pétrole, le système électrique actuel, y compris le nucléaire, s’effondrerait.
En fait, il est inimaginable de remplacer le pétrole par les autres combustibles que nous connaissons bien. D’une part parce que ni le gaz naturel, ni le charbon, ni le bois, ni l’uranium ne possèdent les qualités exceptionnelles du pétrole, facilement transportable et très dense en énergie. D’autre part parce que ces énergies s’épuiseraient en un rien de temps, à la fois parce que la date de leur pic approche, et surtout parce que la plupart des machines et des infrastructures nécessaires à leur exploitation fonctionnent au pétrole. Le déclin du pétrole entraînera donc le déclin de toutes les autres énergies. Il est donc dangereux de sous- estimer l’ampleur de la tâche à accomplir pour compenser le déclin du pétrole conventionnel.
Mais ce n’est pas tout. Les principaux minerais et métaux empruntent la même voie que l’énergie, celle du pic. Une étude récente a évalué la rareté de 88 ressources non-renouvelables et la probabilité qu’elles se trouvent en situation de pénurie permanente avant 2030. Parmi les probabilités élevées, on retrouve l’argent, indispensable à la fabrication des éoliennes, l’indium composant incontournable pour certaines cellules photovoltaïques, ou le lithium que l’on retrouve dans les batteries. Et l’étude de conclure : « ces pénuries auront un impact dévastateur sur notre mode de vie ». Dans la même veine, on voit apparaître ces derniers mois des estimations du pic du phosphore (indispensable engrais de l’agriculture industrielle), des pêcheries ou même de l’eau potable. Et la liste pourrait aisément s’allonger. Comme l’explique le spécialiste des ressources minérales Philippe Bihouix dans L’Age des low tech, « nous pourrions nous permettre des tensions sur l’une ou l’autre des ressources, énergie ou métaux. Mais le défi est que nous devons maintenant y faire face à peu près en même temps : [il n’y a] plus d’énergie nécessaire pour les métaux les moins concentrés, [il n’y a] plus de métaux nécessaires pour une énergie moins accessible ». Nous approchons donc rapidement de ce que Richard Heinberg appelle le « pic de tout » (peak everything). Souvenez-vous de la surprenante exponentielle : une fois les conséquences visibles, tout n’est qu’une question d’années, voire de mois.
En résumé, on peut s’attendre à un déclin imminent de la disponibilité en énergies fossiles et en matériaux qui alimentent la civilisation industrielle. Pour l’instant, aucune alternative ne semble à la hauteur de la déplétion à venir. Le fait que la production stagne au prix d’un effort croissant de prospection des majors du pétrole, avec des technologies de plus en plus performantes, est un signe qui ne trompe pas. Depuis 2000, les investissements consentis par l’industrie ont augmenté en moyenne de 10,9 % par an, soit dix fois plus rapidement que lors de la décennie précédente63. Le fait même que les sables bitumineux, le pétrole de schiste, les biocarburants, les panneaux solaires et les éoliennes soient aujourd’hui pris au sérieux par ces mêmes industries qui les dénigraient indique que nous sommes en train de changer d’époque. L’époque du pic.
Mais qu’y a‑t-il une fois le pic passé ? Un déclin lent et graduel de la production d’énergies fossiles ? Possible, mais permettez-nous d’en douter, pour deux raisons. La première est qu’une fois passé le pic de leurs propres gisements, les pays producteurs de pétrole devront faire face à une consommation intérieure croissante. Or, s’ils décident — légitimement — de cesser d’exporter pour répondre à cette demande, ce sera au détriment des grands pays importateurs (dont la France), et cela pourrait déclencher des guerres d’accaparement qui perturberont les capacités de production des pays producteurs. Dans tous les cas, le déclin sera vraisemblablement plus rapide que prévu. La deuxième raison d’en douter, est que…
En haut du pic, il y a un mur !
Normalement, après avoir grimpé la courbe en cloche par un côté, il reste l’autre côté pour redescendre. En toute logique, il reste donc dans les sous-sols de la Terre encore la moitié du pétrole que nous avons découvert. Exact ! Et c’est un fait avéré : les quantités d’énergies fossiles stockées sous terre — et prouvées — sont encore gigantesques et d’autant plus importantes si on tient compte des hydrates de méthane que l’on pourrait imaginer exploiter suite à la fonte des pergélisols sibérien et canadien. Alors, bonne nouvelle ?
Ne nous réjouissons pas trop vite. D’abord, ce serait une catastrophe pour le climat (voir chapitre suivant). Ensuite, même si nous le voulions, nous n’arriverions jamais à extraire tout ce pétrole. La raison est simple, pour extraire du pétrole, il faut de l’énergie, beaucoup d’énergie : la prospection, les études de faisabilité, les machines, les puits, les pipe-lines, les routes, l’entretien et la sécurisation de toutes ces infrastructures, etc. Or, le bon sens veut que, dans une entreprise d’extraction, la quantité d’énergie que l’on récolte soit supérieure à l’énergie investie. Logique. Si on récolte moins que ce qu’on investit, cela ne vaut pas la peine de creuser. Ce rapport entre l’énergie produite et l’énergie investie s’appelle le taux de retour énergétique (TRE ou ERoEI en anglais pour Energy Return on Energy Invested).
C’est un point absolument crucial. Après un effort d’extraction, c’est le surplus d’énergie qui permet le développement d’une civilisation. Au début du XXe siècle, le pétrole étasunien avait un fantastique TRE de 100:1 (pour une unité d’énergie investie, on en récupérait 100). On creusait à peine, le pétrole giclait. En 1990, il n’était plus que de 35:1, et aujourd’hui, il est d’environ 11:1. À titre de comparaison, le TRE moyen de la production mondiale de pétrole conventionnel se situe entre 10:1 et 20:1. Aux États-Unis, le TRE des sables bitumineux est compris entre 2:1 et 4:1, des agrocarburants entre 1:1 et 1,6:1 (10:1 dans le cas de l’éthanol fabriqué à base de sucre de canne), et du nucléaire entre 5:1 et 15:1. Celui du charbon est d’environ 50:1 (en Chine, 27:1), du pétrole de schiste d’environ 5:1 et du gaz naturel d’environ 10:1. Tous ces TRE sont non seulement en déclin, mais en déclin qui s’accélère, car il faut toujours creuser de plus en plus profond, aller de plus en plus loin en mer et utiliser des techniques et infrastructures de plus en plus coûteuses pour maintenir le niveau de production. Songez par exemple à l’énergie qu’il faudrait dépenser pour injecter des milliers de tonnes de C02 ou d’eau douce dans les gisements vieillissants, aux routes qu’il faudrait construire et aux kilomètres qu’il faudrait parcourir pour atteindre les zones reculées de Sibérie…
Le concept de TRE ne s’applique pas qu’aux énergies fossiles. Pour obtenir de l’énergie d’une éolienne par exemple, il faut d’abord dépenser de l’énergie pour rassembler tous les matériaux qui servent à leur fabrication, puis les fabriquer, les installer et les entretenir. Aux États-Unis, le solaire à concentration (les grands miroirs dans le désert) offrirait un rendement autour de 1,6:1. Le photovoltaïque en Espagne, autour de 2,5:1. Quant à l’éolien, il afficherait un bilan à première vue plus encourageant d’environ 18:1. Malheureusement, ces chiffres ne tiennent pas compte du caractère intermittent de ce type d’énergie et de la nécessité d’y adosser un système de stockage ou une centrale électrique thermique. Si on tient compte de cela, le TRE des éoliennes redescendrait à 3,8 :1. Seule l’hydroélectricité offrirait un rendement confortable situé entre 35:1 et 49:1. Mais outre le fait que ce type de production perturbe sérieusement les habitats naturels, une étude récente a montré que les 3 700 projets en cours ou planifiés dans le monde n’augmenteraient la production électrique mondiale que de 2 % (de 16 à 18 %).
En résumé, les énergies renouvelables n’ont pas assez de puissance pour compenser le déclin des énergies fossiles, et il n’y a pas assez d’énergies fossiles (et de minerais) pour développer massivement les énergies renouvelables de façon à compenser le déclin annoncé des énergies fossiles. Comme le résume Gail Tverberg, actuaire et spécialiste de l’économie de l’énergie, « on nous dit que les renouvelables vont nous sauver, mais c’est un mensonge. L’éolien et le solaire photovoltaïque font autant partie de notre système basé sur les énergies fossiles que n’importe quelle autre source d’électricité. »
Le problème est que nos sociétés modernes ont besoin d’un TRE minimal pour fournir l’ensemble des services actuellement offerts à la population. Le principe de l’exploitation énergétique est grossièrement le suivant : nous allouons d’abord le surplus énergétique dont nous disposons aux tâches indispensables à notre survie, par exemple à la production alimentaire, à la construction de nos habitats et au chauffage de ceux-ci, à la confection de nos vêtements, ou au système sanitaire dans les villes. Ensuite, nous répartissons le solde restant au fonctionnement des systèmes de justice, de sécurité nationale, de défense, de sécurité sociale, de santé ou d’éducation. Enfin, s’il nous reste un surplus énergétique, nous l’utilisons pour nos divertissements (tourisme, cinéma, etc.).
Aujourd’hui, le TRE minimal pour fournir l’ensemble de ces services a été évalué dans une fourchette comprise entre 12:1 et 13:1. En d’autres termes, il s’agit d’un seuil en deçà duquel il ne faut pas s’aventurer sous peine de devoir décider collectivement — et avec toutes les difficultés que cela implique — des services à conserver et de ceux auxquels il faudra renoncer. Avec un TRE moyen en déclin pour les énergies fossiles, et un TRE ne dépassant pas 12:1 pour la majorité des énergies renouvelables, nous approchons dangereusement de ce seuil.
Bien sûr, toutes ces fourchettes de chiffres se discutent, et d’aucuns ne manqueront pas de le faire, mais le principe général l’est moins. L’idée à saisir est que nous sommes face à un mur thermodynamique qui s’approche de en plus vite. Aujourd’hui, chaque unité d’énergie est extraite à un coût environnemental, économique et énergétique toujours plus élevé.
Des indices économiques permettent également de visualiser ce mur. Deux équipes de recherche aux méthodes différentes ont récemment modélisé la relation complexe entre le TRE et le coût de production (prix par baril). Leurs conclusions sont identiques : lorsque le TRE du combustible fossile passe sous la barre de 10:1, les prix augmentent de manière non-linéaire, autrement dit de manière exponentielle (voir figure 4). Cette tendance haussière des coûts de production est également perceptible pour le gaz, le charbon, l’uranium, ainsi que pour les métaux et les minerais indispensables à la fabrication des énergies renouvelables.

Sachant qu’environ deux tiers de la croissance des Trente Glorieuses sont dus à la combustion d’énergies fossiles – le reste étant le produit du travail et des investissements –, nous pouvons donc en déduire que le déclin inexorable du TRE des énergies fossiles entraînera un énorme manque à gagner qui rendra la promesse de croissance économique impossible à tenir. Autrement dit, un déclin énergétique n’annonce rien moins que la fin définitive de la croissance économique mondiale.
C’est aussi à la vue de la courbe de la figure 4 que l’on se rend compte que nous avons véritablement affaire à un mur, pour reprendre la métaphore de la voiture. Un mur infranchissable puisqu’il est bâti sur les lois de la thermodynamique.
Et avant le mur… un précipice
Dans ces conditions, on voit mal comment notre civilisation pourrait retrouver un horizon d’abondance, ou du moins de continuité. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, la pénurie énergétique n’est pas la menace la plus urgente pour notre moteur. Il est un autre élément qui menace de l’étouffer juste avant : le système financier.
En réalité, le système énergétique et le système financier sont intimement liés, l’un ne peut pas fonctionner sans l’autre. Ils forment une sorte de courroie de distribution, un axe énergético-financier, qui représente le cœur de notre civilisation industrielle. On peut prendre conscience de ce lien en observant la corrélation étroite qu’il y a entre la courbe du PIB et celle de la production de pétrole (voir figure 5). Une récession signifie un prix du pétrole élevé et une consommation faible ; une période d’expansion indique le contraire, un prix du pétrole bas et une consommation forte ; Cette mécanique n’est pas une simple corrélation, mais bien une relation de causalité : une étude historique a montré que sur 11 récessions qui ont eu lieu au cours du XXe siècle, 10 avaient été précédées par une forte augmentation des prix du pétrole (voir figure 6). Autrement dit, une crise énergétique précède une grave crise économique. C’était le cas lors des chocs pétroliers des années 1970, comme lors de la crise de 2008.


Considérer les problèmes économiques en oubliant leur origine énergétique est une grave erreur. Mais l’inverse l’est tout autant. Devenue experte dans l’analyse de cet axe énergético-financier, Gail Tverberg observe qu’en contexte de pic, il n’est plus possible d’extraire des quantités significatives d’énergies fossiles sans une quantité toujours croissante de dettes. « Le problème auquel nous faisons face maintenant est qu’une fois que le coût des ressources devient trop élevé, le système basé sur la dette ne fonctionne plus. Et un nouveau système financier basé sur les dettes ne fonctionnerait pas mieux que le précédent. » Un système-dette a un besoin boulimique de croissance, donc d’énergie. Mais l’inverse est aussi vrai : notre système énergétique se « shoote » aux dettes. Ainsi, la courroie de distribution tourne dans les deux sens : un déclin de la production de pétrole pousse nos économies vers la récession, et inversement, les récessions économiques accélèrent le déclin de la production énergétique. Plus précisément, le système économique mondial est aujourd’hui pris en tenaille entre un prix élevé et un prix bas du pétrole. Mais ces deux extrêmes sont les deux faces d’une même pièce.
Lorsque le prix du pétrole est trop élevé, les consommateurs finissent par réduire leurs dépenses, ce qui provoque des récessions (puis pousse le prix du brut à la baisse). En revanche, un prix élevé est une excellente nouvelle pour les compagnies pétrolières, qui peuvent investir dans la prospection grâce au développement de nouvelles technologies d’extraction, ce qui permet à terme de maintenir la production ou de développer des énergies alternatives.
Lorsque le prix de l’énergie est trop bas (après une récession, ou après des manipulations géopolitiques, par exemple), la croissance économique peut repartir à la hausse, mais les compagnies pétrolières éprouvent alors de sérieuses difficultés financières et réduisent leurs investissements (comme on a pu le voir suite à la chute récente des cours du pétrole), ce qui compromet dangereusement la production future. Le rapport 2014 de l’Agence internationale de l’énergie observe ainsi que l’effort nécessaire afin de compenser le déclin naturel de gisements anciens parvenus à maturité « apparaît d’autant plus difficile à pérenniser maintenant que le baril est tombé à 80 dollars, […] en particulier pour les sables bitumineux et les forages ultra-profonds au large du Brésil ». Et le chef économiste de l’Agence, le très optimiste Fatih Birol, de noter que « des nuages commencent à s’accumuler sur l’horizon à long terme de la production mondiale de pétrole ; ils charrient devant nous de possibles conditions tempétueuses ».
La fragilité du système financier mondial n’est plus à démontrer. Il est constitué d’un réseau complexe de créances et d’obligations qui relie les bilans comptables d’innombrables intermédiaires, tels que les banques, les fonds spéculatifs ou les assureurs. Comme l’a démontré la faillite de Lehman Brothers et ses suites en 2008, ces interdépendances ont créé un environnement propice aux contagions (voir chapitre 5). De plus, l’oligarchie politique et financière mondiale ne montre pas de signes qu’elle a réellement compris le diagnostic et s’évertue à prendre des décisions inadaptées, contribuant ainsi à fragiliser encore un peu plus ce système économique. Le plus urgent des facteurs limitants pour l’avenir de la production pétrolière n’est donc pas la quantité de réserves restantes ou le taux de retour énergétique (TRE) comme le pensent de nombreuses personnes, mais bien « le temps que notre système économique interconnecté peut encore tenir ».
En somme, nos économies sont condamnées à conserver un équilibre très précaire et oscillant (en « dents de scie ») autour d’un prix du baril de pétrole compris entre environ 80 et 130 $ le baril, et à prier pour que le système financier devenu extrêmement instable ne s’effondre pas. En effet, une période de croissance économique faible ou de récession réduit le crédit disponible et les investissements des compagnies pétrolières, et pourrait provoquer un arrêt du moteur avant même que la limite physique d’extraction ne soit atteinte.
Sans une économie qui fonctionne, il n’y a plus d’énergie facilement accessible. Et sans énergie accessible, c’est la fin de l’économie telle que nous la connaissons : les transports rapides, les chaînes d’approvisionnement longues et fluides, l’agriculture industrielle, le chauffage, le traitement des eaux usées, Internet, etc. Or l’histoire nous montre que les sociétés sont vite déstabilisées quand les estomacs grondent Lors de la crise économique de 2008, l’augmentation spectaculaire des prix alimentaires avait provoqué des émeutes de la faim dans pas moins de 35 pays…
Dans son dernier livre, l’ancien géologue pétrolier et conseiller énergétique du gouvernement britannique, Jeremy Leggett, a identifié cinq risques systémiques mondiaux liés directement à l’énergie et qui menacent la stabilité de l’économie mondiale : l’épuisement du pétrole, les émissions de carbone, la valeur financière des réserves d’énergies fossiles, les gaz de schiste, et le secteur financier. « Un choc impliquant un seul de ces secteurs serait capable de déclencher un tsunami de problèmes économiques et sociaux, et, bien sûr, il n’existe aucune loi de l’économie qui stipule que les chocs ne se manifestent que dans un secteur à la fois. » Nous vivons donc probablement les derniers toussotements du moteur de notre civilisation industrielle avant son extinction.

J’ai tâché d’acheter une voiture quand même pas trop onéreuse ou énergivore. Elle peut développer 90 CV, soit 66,24 KW. Un homme en vélo peut fournir 250 W pendant quelques heures. Donc ma « modeste » voiture peut développer la puissance de 66,24/0,25 = 265 hommes !!! Incroyable ! Et à 7 milliards de têtes de pipe nous avons des problèmes énergétiques ? Ben tiens !
Et la population double tous les 30 ans environ !!!!!!!!
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Merci pour le lien vers cet article !
« Une récession signifie un prix du pétrole élevé et une consommation faible ; une période d’expansion indique le contraire, un prix du pétrole bas et une consommation forte »
La Covid créerait donc une situation nouvelle de consommation faible et d’un prix du pétrole nul à négatif. Dans quelle mesure cette nouvelle situation peut influencer le constat fait dans cet article ?