Cette lettre a originellement été publiée en anglais sur le blog de Derrick Jensen, suivez ce lien pour y accéder et/ou pour la signer !
Lisez la lettre et rejoignez ses signataires !
Il fut un temps, le mouvement écologiste œuvrait à protéger le monde naturel de l’insatiable voracité de cette culture déprédatrice. Une partie du mouvement y œuvre encore : sur toute la planète des activistes de terrain et leurs organisations luttent désespérément afin de sauver telle ou telle créature, telle ou telle plante, ou champignon, tel ou tel lieu, et cela par amour.
Comparons cela à ce que certains activistes appellent le complexe conservato-industriel – des grands groupes écolos, d’énormes fondations « environnementales », des néo-environnementalistes, quelques universitaires –, complexe qui a coopté une trop grande partie du mouvement vers la « soutenabilité » [vers le développement durable, NdT], un mot dont le sens s’est perdu, et qui signifie aujourd’hui « faire en sorte que cette culture perdure le plus longtemps possible ». Au lieu de lutter afin de protéger notre seule et unique maison, ils essaient de « soutenir » cette culture même qui est en train de tuer la planète. Et ils sont souvent très explicites dans leurs priorités.
A propos du complexe conservato-industriel
La récente « lettre ouverte aux environnementalistes sur l’énergie nucléaire », par exemple, signée par un certain nombre d’universitaires, de biologistes, et d’autres membres du complexe conservato-industriel, affirme que la production d’énergie nucléaire est « soutenable » et explique qu’en raison du réchauffement climatique, celle-ci joue un « rôle-clé » dans la « conservation mondiale de la biodiversité ». Leur argumentation toute entière est basée sur le postulat selon lequel l’utilisation d’énergie d’origine industrielle est, comme le dit Dick Cheney, non négociable – à considérer comme une nécessité. Mais à quoi servira cette énergie ? À continuer d’extraire et d’exploiter – à convertir les dernières créatures vivantes et leurs communautés en marchandises inertes.
Leur lettre nous enjoint à nous laisser guider par « des preuves objectives ». La capacité à percevoir des phénomènes itératifs est apparemment considérée comme un signe d’intelligence. Mettons-en un en évidence, et voyons si nous parvenons à discerner ou non sa réplication sur les 10 000 dernières années. Quand vous pensez à l’Irak, imaginez-vous des forêts de cèdres si denses que la lumière du soleil n’atteint pas le sol ? Il en était pourtant ainsi avant l’avènement de cette culture. Le Proche-Orient était une forêt. L’Afrique du Nord était une forêt. La Grèce était une forêt. Toutes furent rasées par l’expansion – ou pour les besoins de – cette culture. Les forêts nous précèdent, et les déserts nous suivent. Il y avait tellement de baleines dans l’Atlantique qu’elles constituaient un danger pour les bateaux. Il y avait tellement de bisons dans les grandes prairies que vous pouviez passer quatre jours à regarder défiler le même troupeau. Il y avait tellement de saumons dans le Pacifique Nord-Ouest que vous pouviez entendre leur grondement des heures avant de les apercevoir. La preuve n’est pas seulement « objective », elle est accablante : cette culture saigne la Terre de son eau, de son sol, de ses espèces, et du processus de vie lui-même, ne laissent derrière elle que des déchets.
Les combustibles fossiles ont accéléré cette destruction, mais ne l’ont pas causée. « Transitionner » des combustibles fossiles à l’énergie nucléaire – ou aux éoliennes, ou aux panneaux solaires – ne stopperait rien du tout. Trois générations, peut-être, pourront profiter de cette société de consommation, mais une culture basée sur la consomption n’a aucun avenir. Les biologistes de la conservation devraient être les plus à même de comprendre que cette destruction ne peut pas durer, et qu’elle ne devrait certainement pas constituer une politique publique – et encore moins un mode de vie.
Il est plus que temps pour ceux d’entre nous dont la loyauté réside avec les plantes, les animaux et les endroits sauvages, de reprendre les rênes du mouvement écologiste des mains de ceux qui utilisent sa rhétorique pour soutenir la perpétuation de l’écocide. Il est plus que temps que nous comprenions qu’un mode de vie fondé sur la déprédation n’a jamais eu de futur, et ne peut finir que par un effondrement biotique. Chaque jour où cette culture déprédatrice perdure, 200 espèces sont expédiées dans les ténèbres de l’extinction. Il reste bien peu de temps pour arrêter la destruction et commencer à réparer les dégâts. Une remédiation est encore possible : les prairies, par exemple, stockent si bien le carbone qu’en restaurant 75% des prairies de la planète, le taux de CO2 atmosphérique pourrait retomber sous les 330 ppm en moins de 15 ans. Un nombre incalculable de créatures recouvreraient, en outre, leurs habitats. Il en va de même de la reforestation. Or, il faut savoir que sur les – plus de – 450 zones mortes des océans, une seule s’est restaurée d’elle-même. Comment ? L’effondrement de l’empire soviétique a rendu l’agriculture impossible dans la région proche de la mer noire : avec la disparition de cette activité destructrice, la zone morte a disparu, et la vie est revenue. C’est aussi simple que ça.
On s’attendrait à ce que ceux qui prétendent se soucier de la biodiversité s’intéressent à de telles « preuves objectives ». Mais, loin de là, le complexe conservato-industriel promeut l’énergie nucléaire (ou les éoliennes). Pourquoi ? Parce que restaurer les prairies et les forêts et démanteler les Empires ne coïncide pas avec les plans expansionnistes des seigneurs [et saigneurs, NdT] du monde.
Leurs aspirations, ainsi que d’autres tentatives de rationalisation de moyens de plus en plus désespérés de permettre à cette culture déprédatrice de perdurer, relèvent clairement de la démence. Le problème fondamental auquel nous faisons face en tant qu’écologistes et en tant qu’êtres humains ne consiste pas à trouver de nouvelles sources d’énergies permettant à cette déprédation de continuer encore un peu, mais à y mettre un terme ! L’ampleur de l’urgence dépasse l’entendement. Des montagnes sont détruites. Les océans se meurent. Le climat lui-même est détraqué. Nos descendants découvriront si, oui ou non, c’est sans espoir. En attendant, notre seule certitude, c’est que si nous ne faisons rien, notre seule et unique maison, autrefois fourmillante de vie en constante prolifération, pourrait être changée en un caillou désolé.
Nous, les signataires, ne faisons pas partie du complexe conservato-industriel. Beaucoup d’entre nous sont des activistes écologistes de la première heure. Certains d’entre nous sont des indigènes dont les cultures subsistent de manière véritablement soutenable et respectueuse de toutes nos relations, depuis bien avant que cette monoculture dominante ne commence à exploiter la planète. Quoi qu’il en soit, nous sommes tous des êtres humains qui se savent animaux, et qui, comme tous les autres animaux, ont besoin d’un habitat vivable sur une planète vivante. Et nous aimons les saumons et les chiens de prairies et les sternes noires et la nature sauvage bien plus que ce mode de vie.
L’écologie ne consiste pas à isoler cette société des conséquences de ses activités destructrices du monde. Pas plus qu’elle ne consiste à tenter de les faire durer. Nous nous réapproprions l’écologie pour protéger le monde naturel de la déprédation de cette culture.
Plus important encore, nous nous réapproprions cette Terre, notre seule maison, et comptons bien la sortir des griffes de cette culture extractiviste. Nous aimons la Terre, et défendrons notre bien-aimée.
Derrick Jensen
Parmi les signataires :
- Vandana Shiva
- Chris Hedges
- Guy McPherson
- Lierre Keith
- etc.
- POUR SIGNER !
Traduction : Nicolas CASAUX