Nafeez Mosaddeq Ahmed, né en novembre 1978, est un politologue britannique d’origine bangladaise, également rédacteur au journal The Guardian. Article initialement publié en anglais sur le site de The Ecologist, en date du 13 mars 2015.
L’épidémie mondiale de violence contre les femmes et leur exclusion systématique des structures de pouvoir font partie de la cruelle exploitation de la Terre et de ses ressources par l’homme, écrit Nafeez Ahmed. Le combat pour sauver la planète doit commencer par l’émancipation des femmes — et cela implique de mettre fin à notre complicité de leur oppression, et de leur servitude.
La marginalisation et la répression systémique des femmes ne sont pas un effet accidentel de la crise de notre civilisation. Elles sont intrinsèquement liées à notre système, dominé par le masculin, de violence contre le monde naturel dans son ensemble.
Dimanche dernier avait lieu la journée internationale pour les droits des femmes, mais malgré la célébration et la reconnaissance des femmes à travers les médias du monde entier durant cette journée, on parle très peu du fait que la marginalisation systémique des femmes est partie intégrante de ce que j’appelle la « crise de civilisation ».
Les efforts de l’ONU et d’autres agences afin de souligner la place des femmes dans le combat contre le changement climatique sont louables, mais ils ne vont simplement pas assez loin dans leur analyse de la responsabilité des institutions mondiales dominées par le masculinisme dans la marginalisation des femmes.
Une crise, ou plusieurs ?
Les crises mondiales auxquelles nous faisons face aujourd’hui sont légions, mais leur nature disparate est une illusion.
En les analysant en profondeur, ces différentes crises — changement climatique, volatilité énergétique, pénuries alimentaires, débâcles économiques et conflits violents — ne sont en réalité pas séparées. Au contraire, elles sont toutes les symptômes intrinsèquement connectées d’un malaise mondial plus profond.
Fondamentalement, toutes ces crises émergent en raison du dépassement des limites naturelles de la planète par notre système mondial.
Les classes riches et industrialisées sur-accumulent et surconsomment les ressources et les matières premières planétaires ; dans le processus utilisant des quantités massives de combustibles fossiles de plus en plus cher et polluant : déversant des quantités sans précédent de déchets et de carbone dans l’environnement à en déstabiliser les écosystèmes ; et ironiquement, par là-même faisant grimper le coût de la vie et sapant notre capacité à continuer à de tels niveaux de surconsommation.
Cela augmente les inégalités mondiales, générant plus de pauvreté et de dépossessions, tout en siphonnant la capacité des états à continuer à fournir des services publics. Ce qui aggrave alors les émeutes, et dans certains cas, alimente les guerres civiles et internationales.
Notre vision conventionnelle de ces crises comme séparées est en elle-même un symptôme d’une crise épistémologique, ancrée dans notre vision fragmentée de la vie et de la nature.
Parce qu’énergie, économie et environnement ne sont pas séparés. Il s’agit simplement d’abstractions conceptuelles que nous avons créées afin de comprendre ces enjeux, qui sont complètement et totalement entremêlés.
Notre vision du monde fragmentée et réductionniste joue un rôle majeur dans tout cela. Non seulement nos sciences sont-elles si spécialisées que nous manquons de perspective holistique pour connecter la physique, la biologie, la société, l’environnement biophysique, l’économie, la culture et tant d’autres enjeux ; mais notre incapacité à voir l’ensemble en regardant une partie signifie que nous sommes entravés dans notre compréhension du monde, nous sommes entravés dans notre capacité à répondre aux crises qui s’accélèrent.
Par rapport à la « crise de civilisation », cette fragmentation réductionniste signifie que nous nous voyons non pas comme intégrés au monde naturel, mais comme seigneurs de la nature. Donc sous la doctrine néoclassique, actuellement l’économie néolibérale, nous avons déifié la consécration illusoire empiriquement réfutée de « croissance matérielle infinie », malgré qu’elle soit littéralement physiquement impossible.
Nous avons subordonné l’entièreté du monde naturel, virtuellement toutes les entités vivantes comme inertes de la planète, au dictat incontestable du « marché ». Cela a entrainé la marchandisation de tout, et la projection d’une culture de consumérisme de masse autoalimentée renforçant notre addiction à la croissance infinie, ainsi que notre aveuglement vis-à-vis de la trajectoire suicidaire dont il s’agit.
Le divorce entre êtres humains et l’ordre naturel se reflète dans les dynamiques internes du système mondial : les inégalités grandissantes entre riches et pauvres ; les hostilités grandissantes entre musulmans et non-musulmans ; les divisions grandissantes entre blancs et non-blancs ; et, bien sûr, les inégalités de pouvoir persistantes entre hommes et femmes.
Dans tous ces cas, nous voyons que le pillage impitoyable de notre propre support de vie planétaire est en corrélation avec notre insupportable tendance à diviser, à exclure et à « rendre autre », souvent de façons si insidieuses qu’il nous est difficile, voire douloureux, de reconnaitre ces processus. Mais à ce jour, un des processus les plus proéminents et pourtant toujours inavoué est le patriarcat.
Le changement climatique est sexué
Les catastrophes « naturelles » résultantes du changement climatique sont en augmentation. Le nombre de catastrophes entre 2000 et 2009 a triplé comparé à la période 1980–1989, la plupart d’entre elles sont le fait d’évènements climatiques. Et pourtant la plupart des victimes de tels désastres sont invariablement des femmes.
En moyenne, les catastrophes « naturelles » tuent systématiquement plus de femmes que d’hommes, dans certains cas 90% des morts sont des femmes. Selon les chiffres de l’ONU les femmes courent 14 fois plus le risque de mourir lors de catastrophes naturelles que les hommes.
Les femmes souffrent aussi de manière disproportionnée des conséquences de tels désastres, qui font augmenter les menaces d’agressions sexuelles, empêchent les filles d’aller à l’école, etc. Il y a plusieurs raisons possibles à cette vulnérabilité plus importante : moins d’opportunités économiques, moins d’accès aux technologies comme les téléphones mobiles (ce qui signifie la probabilité moindre d’être prévenu à temps), moins de liberté de mouvement à causes de problèmes culturels, etc.
Ainsi, une des principales raisons pour lesquelles le changement climatique affecte de manière disproportionnée les femmes, c’est parce qu’elles sont déjà marginalisées. Ce qui fait que les impacts du changement climatique en termes de conditions météorologiques extrêmes, de rareté de la ressource en eau, de récoltes déficitaires, frappent majoritairement les femmes.
La pauvreté est sexuée
Une des manifestations les plus flagrantes de la défavorisation des femmes est la pauvreté. Près d’un milliards de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, définit par la banque mondiale comme un revenu d’1,25$ par jour.
Selon ce standard, le revenu annuel des 50 personnes les plus riches équivaut au revenu total du milliard de personnes les plus pauvres. Du milliard le plus pauvre, selon le programme de développement de l’ONU (1995), 70% sont des femmes.
En raison des données disponibles limitées et du manque d’études, l’évolution récente de ce pourcentage n’est pas claire. Mais le fait que les femmes soient économiquement en de bien pires situations que les hommes dans le monde moins développé est indiscutable.
En vérité les niveaux de pauvreté sont bien plus élevés que ces estimations conventionnelles. Le secrétaire générale de l’OCDE, dans son rapport de 2013, par exemple, l’économiste Stephen Klasen de l’université de Gottingen estimait que le standard du « dollar par jour », « atteignait ses limites en termes d’utilité et de pertinence ».
C’est en partie en raison du nombre croissant de pauvres dans les pays au revenu moyen — où la consommation par tête et où le seuil national de pauvreté sont considérablement au-dessus de 1,25 US$ par jour. »
Dans un éditorial récent, l’économiste en chef de la Banque mondiale Kaushik Basu a admis que « beaucoup critiquent comme scandaleusement basse » le seuil de pauvreté selon la banque mondiale. Pourtant la banque n’a rien fait pour amender ce seuil douteux. Cette omission permet à la banque de proclamer que des millions de gens, dont les revenus dépassent le standard d’1,25$ par jour, sont sortis de la pauvreté, bien que demeurant très pauvres en réalité.
Basu condamne aussi la persistance de la pauvreté comme un « échec collectif ». Ces mots peuvent sembler forts, mais ils obscurcissent le fait qu’en blâmant « tout le monde », il finit par ne blâmer personne. En réalité, cet « échec » peut être attribué à la politique farouchement néolibérale de la banque elle-même.
La politique néolibérale a déchiqueté les dépenses étatiques dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services publics ; ouvrant les pays pour des privatisations rapides et des investissements étrangers, et conséquemment, faisant grimper la dette publique. Invariablement, l’impact a été un retard de la croissance réelle, selon un rapport de l’ONU, et « un frein au progrès selon tous les indicateurs sociaux disponibles pour mesurer la santé et les résultats scolaires ».
Valentine Moghadam, responsable de l’égalité des genres dans la division des droits de l’homme de l’UNESCO, explique que « la paupérisation qu’entraine la restructuration néolibérale est particulièrement grave pour les femmes. » Il est « incontestable » que les femmes ont une « position désavantagée » puisque « les femmes parmi les pauvres souffrent doublement de leur déni de droits humains — tout d’abord en raison des inégalités de genre et ensuite à cause de la pauvreté ».
En effet, malgré qu’elles travaillent plus que les hommes — plus de 70% des heures de travail mondial — les femmes ne gagnent que 10% du revenu mondial, en moyenne moitié moins que les hommes.
Les désavantages économiques des femmes entrainent une vulnérabilité sociale plus importante, et par conséquent le fait qu’elles soient plus soumises à l’exploitation, et à d’autres formes de violences basées sur le genre. Tout cela signifie qu’alors que le changement climatique exacerbe les conditions conduisant à la pauvreté, les femmes sont en première ligne.
L’accès à la nourriture et à l’eau est sexué
Cependant, loin d’être de simples victimes passives, les femmes sont centrales aux possibilités de changements sociaux positifs en de telles circonstances, en raison de leurs rôles cruciaux dans la gestion des ressources naturelles.
En tant que principales collectrices de combustible et d’eau pour leur familles, et premières en charge d’utiliser de l’énergie pour préparer la nourriture, élever les enfants et s’occuper des malades, les femmes sont en première ligne du maintien de la santé, de la prospérité et du bien-être des communautés.
De nombreuses études montrent que le changement climatique augmentera les épisodes de sécheresse, l’érosion des systèmes côtiers, l’acidification des océans, la perte de biodiversité, le niveau des océans, et changera les saisons sur les décennies à venir. Par conséquent, le réchauffement climatique intensifiera les stress hydriques et sapera les systèmes alimentaires de milliards de gens, notamment dans les pays les moins développés.
Ce qui signifie que les femmes, qui jouent un rôle clé dans l’approvisionnement en nourriture et en eau, sont les plus affectées par les crises alimentaires et hydriques qui empirent à cause du changement climatique.
Globalement, les femmes gagnent entre 30 et 80% de ce que gagnent les hommes annuellement. Des 743 millions d’analphabètes adultes dans le monde, les 2/3 sont des femmes. Les femmes représentent près de la moitié des forces de travail agricole dans les pays les moins développés, mais ne possèdent que 10 à 20% des terres. Il est aussi fréquent pour les femmes de parcourir quotidiennement de très longues distances seules, pour aller chercher de l’eau. Ce qui les rend plus vulnérables aux problèmes de santé et aux agressions.
Au total, le changement climatique appauvrit les femmes, érode leurs opportunités économiques, invalide leur accès à la nourriture et à l’eau, et les rends plus vulnérables à l’exploitation. Cela ronge inévitablement l’intégrité, la cohésion et la viabilité des familles et des communautés.
La violence est sexuée
Un des impacts majeurs du changement climatique, bien sûr, c’est sa capacité à amplifier les instabilités et les conflits, alors que les gouvernements, travaillant dur pour maintenir le cap du business-comme-d’habitude, affrontent de nouvelles pressions sur les ressources naturelles qu’ils ne parviennent pas à gérer.
De nombreuses études démontrent la corrélation entre l’accélération récente du changement climatique et la fréquence de conflits violents.
Mais les plus nombreuses victimes des conflits sont les femmes et les enfants, que ce soit en termes d’abus sexuels violents systématiques comme tactique de guerre, ou dans les pertes d’attaques aveugles sur des civils. La violence contre les femmes a tendance à s’envoler lors des conflits et des troubles civils. « Il est maintenant plus dangereux d’être une femme qu’un soldat dans un conflit », explique le Major Général Patrick Carnmaert, un ancien commandant des forces du maintien de la paix de l’ONU.
Pourtant le changement climatique n’exacerbe pas les conflits en lui-même. En 2010, une étude de conflits en Afrique par la Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) souligne que la façon dont le changement climatique touche la société dépend de la politique, de l’économie et de la culture locale.
La raison principale pour laquelle les pays africains sont si vulnérables aux émeutes et aux conflits violents, souligne l’étude du PNAS, c’est le degré auquel leurs institutions sociales se sont disloquées sous le joug des réformes néolibérales capitalistes imposées par la banque mondiale et le FMI, entre autres.
Bien loin d’entraîner un « développement », ses efforts pour intégrer l’Afrique dans le circuit de la finance mondialisée prédatrice ont largement dévasté ses sociétés, en augmentant les taux de mortalité infantile, les inégalités, et en enchaînant les états à une dette insoutenable.
La restructuration néolibérale a créé une nouvelle économie de guerre dans le monde moins développé, des slogans les communautés, alimentant les antagonismes tribaux et ethniques. Les dégradations sociales en résultant ont permis la résurgence des extrêmes tandis que les gens s’accrochent aux coutumes, aux mythes et aux identités dans leur recherche de certitudes.
Ceci à son tour, et à nouveau, vient frapper les plus vulnérables, particulièrement les femmes et les enfants, sous la forme de crimes culturellement légitimés comme les crimes d’honneur, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, etc.
Des documents de la banque mondiale ayant fuités il y a quelques années prouve que les institutions financières sont tout à fait conscientes des impacts largement déstabilisants de la restructuration néolibérale. Une stratégie d’aide de la banque mondiale pour l’Équateur en 2000, par exemple, prédit correctement le fait que les réformes proposées déclencheront des « émeutes populaires ».
Cela fait partie d’une perspective plus globale. Comme Joseph Stieglitz, ancien économiste en chef de la banque mondiale, l’explique, l’emballage néolibéral de privatisation et de libéralisation mène trop fréquemment à ce qu’il appelle les « émeutes du FMI ».
Le capitalisme mondial incontrôlé alimente donc l’appauvrissement et la dislocation sociale qui alimente à son tour le conflit et le désordre dont les femmes souffrent le plus.

Le viol c’est bon pour le commerce
Dans ce mélange, le marché mondial des armes légères joue un rôle central. Sarah Masters, coordinatrice du réseau des femmes au sein du réseau d’action internationale contre les armes légères, souligne que sans la prolifération massive d’armes légères et d’armements légers, les abus et violents que subissent les femmes « à une telle échelle dans la plupart des conflits mondiaux » ne seraient simplement pas possible.
Les armes légères permettent non seulement le viol et d’autres formes d’abus sexuels, mais aussi l’enlèvement, l’esclavage forcé, et la prostitution forcée.
Le commerce d’armes est extrêmement lucratif pour le complexe militaro-industriel dominé par l’Occident. Les plus grands vendeurs d’armements légers sont entre autres les États-Unis, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, la Russie, la France, la Belgique, l’Espagne. Le montant total du commerce en armements légers tourne autour de 8,5 milliards de dollars par an.
Ça n’est qu’une simple fraction du marché de l’armement dans son ensemble, dans lequel les principales compagnies génèrent près de 395 milliards de dollars par an. Les interventions majeures en Irak et en Afghanistan ont significativement augmenté les profits de ces entrepreneurs en armements.
En tout, les compagnies États-Uniennes représentent près de 60 % des ventes des 100 premières compagnies, avec Lockheed Martin et Boeing en première et seconde place, suivi en troisième place par la firme britannique BAE Systems.
Mais tandis que ces firmes militaires engrangent de l’argent, l’impact dans le monde réel est dévastateur : tel est le cercle vicieux du capitalisme néolibéral. Les réformes du FMI et de la banque mondiale disloquent les sociétés et accélèrent les conflits tout en ouvrant les pays aux investisseurs étrangers, pendant que les compagnies militaires font fortune en vendant des armes à tous les camps de ce maelstrom. En parallèle, les viols et les abus sexuels sur les femmes font rage.
Des pays sujets aux interventions et à l’occupation occidentale comme l’Irak, Afghanistan, la Palestine, jusqu’aux régions moins développées d’Afrique, la violence contre les femmes fait rage et s’enracine dans toutes les sphères de la vie.
Sous le régime pro-US en Irak, par exemple, les femmes font les frais d’une violence basée sur le genre de plus en plus importante, d’infrastructures inadéquates, de l’exclusion politique, et de la pauvreté. Mais contre toute attente, ce sont les femmes irakiennes qui sont en première ligne de l’activisme civique à travers les organisations de sociétés civiles et les mouvements sociaux.
Ce qui fait encore empirer les choses, c’est que la violence contre les femmes est aussi endémique hors des conflits. L’organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte qu’en 2013 35 % des femmes dans le monde ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’une connaissance, ou d’un étranger. Une femme sur trois, dans le monde, ayant déjà été en couple, a souffert de violences physiques ou sexuelles de la part de son propre partenaire.
Au cas où l’on aurait pensé qu’il s’agit là principalement d’un phénomène arriéré du « tiers-monde », une récente étude européenne a montré qu’une femme sur trois de plus de 15 ans en Europe a déjà souffert d’une forme d’abus physiques ou sexuel. Les chiffres sont similaires pour les États-Unis, avec une femme sur trois ayant souffert de violences conjugales, et une sur cinq ayant été violée.
Le pouvoir est sexué
Étant donné cette abondante violence asymétrique–par les hommes contre les femmes, ce n’est pas une surprise que les femmes dans le monde entier soient aussi surreprésentées dans plusieurs des problèmes mentaux principaux. La dépression, par exemple, est deux fois plus commune chez les femmes que chez les hommes.
En général, les femmes semblent plus touchées par des problèmes communs comme l’anxiété et les « plaintes somatiques » – les symptômes physiques sans explication médicale. Les hommes, d’un autre côté, sont trois fois plus susceptibles de présenter des troubles antisociaux de la personnalité.
Des études épidémiologiques sur l’ensemble du monde anglophone montrent que ce schéma est plus exacerbé dans les états au « capitalisme égoïste » le plus prononcé. Non seulement les taux de maladies mentales atteignent des niveaux record dans ces pays, en comparaison avec le reste du monde, mais les femmes, une fois de plus, sont les plus touchées.
Les femmes dans ces pays ont 75 % de chances de plus de connaître une dépression, et 60 % de chances de plus de connaître de l’anxiété que les hommes ; tandis que les hommes sont 2,5 fois plus touchées que les femmes par les troubles d’abus de substances.
Selon le psychologue Daniel Freeman de l’université d’Oxford, « il y a une tendance – les femmes sont plus touchées par ce qu’on appelle les problèmes ‘internes’ comme la dépression ou les troubles du sommeil. Elles prennent sur elles-mêmes, de la même façon que les hommes ont des problèmes d’externalisation, ils s’en prennent à leur environnement, via des choses comme l’alcoolisme et les problèmes de colère ».
C’est bien souvent les femmes qui font les frais de ces problèmes mentaux masculins.
Cette différenciation de genre dans les problèmes mentaux reflète clairement la disparité fondamentale de pouvoir entre les femmes et les hommes, aggravée par des problèmes d’ethnie et de classe. Importe l’aspect de la crise de civilisation que inspecte, les femmes sont toujours les premières à en subir les pires impacts.
Ceci suggère que le patriarcat lui-même est une fonction du profond malaise psychologique autoalimenté qui, comme un cancer, a infecté la totalité de la civilisation industrielle
Les appels pour une meilleure égalité des genres afin de faire face à cela sont corrects. Mais pour la plupart, les initiatives qu’ils entraînent, même si probablement bien intentionnées, échouent souvent à reconnaître les racines systémiques de cette inégalité dans les structures culturelles politiques, économiques mondiales – et pas juste local – du patriarcat.
Les femmes sont systématiquement marginalisées des positions de pouvoir clé et des processus décisionnels à travers tout le spectre de la société, toutes les parties du monde, riche ou pauvre. Elles sont discriminées, institutionnellement et directement, dans la politique, dans l’emploi, dans les arts, dans les médias et dans la culture.
Ce n’est pas qu’au détriment des femmes : la marginalisation économique des femmes coûte à l’économie mondiale des trillions de dollars par an, un coup dur pour l’intégrité de toutes ces structures.
Cependant la vaste majorité des ressources du monde sont possédés contrôler par une petite minorité de la population mondiale, sous la forme d’un nexus à « portes-tambours » de corporations, de banques, de gouvernements, d’industriels, de médias et d’autres secteurs.
C’est ce nexus, ces 90 corporations transnationales monolithiques – et parmi elles les compagnies de pétrole, de gaz et de charbon les plus importantes au monde – qui porte la responsabilité pour deux tiers des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.
Et qui dirige ces corporations ? Sur la dernière décennie, le nombre de femmes dans les conseils d’administration des corporations US est resté inchangé, autour de 17 %. Et même dans les pays qui font mieux, ça n’est pas de beaucoup. La Suède et la Finlande, par exemple, tournent autour de 27 %.
Au total, des décennies de diversification ne nous ont presque menées nulle part avec des conseils d’administration de corporations à 88 % blancs et 85 % masculin. Quand on regarde en détail le top 500 des compagnies selon le magazine Fortune, seuls 4 % des PDG sont des femmes, toutes blanches.
Alors que ces compagnies géantes tentent de maximiser leur profit remporte le coût humain et environnemental, elles exploitent des ressources qui se raréfient afin d’accélérer les investissements dans l’accaparement lucratif de terres, de minerais, et dans les stratagèmes de compensation carbone frauduleux.
Dans les régions moins développées comme l’Afrique, comme le souligne Oxfam, cela a « un impact immédiat sur les possibilités pour les femmes d’utiliser la terre, sur leurs moyens de subsistance, sur la disponibilité de nourriture sur le coût de la vie, et finalement, sur l’accès des femmes à la terre pour la production. Il ne s’agit là que des impacts économiques. Le savoir des femmes, les relations socioculturelles avec la terre, et la gestion responsable de la nature sont aussi menacés ».
Affronter la misogynie planétaire
La marginalisation et la répression systémique des femmes n’est pas une caractéristique fortuite de notre crise de civilisation. C’est un pilier fondamental de l’injustice généralisée du système mondial. L’épidémie mondiale de violence contre les femmes est intrinsèquement liée à notre système patriarcal de violence contre le monde naturel.
Le violeur, l’agresseur, n’est pas différent du tyran insatiable, esclave de ses appétits sadiques, indifférent à la douleur qu’il inflige en se rassasiant.
Tout comme la violence contre les femmes est une question de pouvoir, de satisfaction personnelle à travers la domination et le contrôle, d’égoïsme extrême et de narcissisme, et finalement de manque d’empathie voire de psychopathologie, telle est aussi notre violence systémique contre la nature.
À travers les cours de notre pillage des ressources planétaire à la poursuite de cette croissance matérielle infinie, le système global continue sa guerre asymétrique contre les femmes, tout comme il anéantit des espèces, détruit les écosystèmes, épuise les ressources pour le profit et le pouvoir d’une petite minorité.
Cette division des genres n’est pas que le reflet de la séparation de l’humanité de la nature, c’est à la fois un symptôme et une cause de cette séparation.
Et ça ne fonctionne pas. Le capitalisme mondial contemporain rend peut-être certaines personnes plus riches, mais il rend plus de personnes pauvres et malheureuses, dans un contexte d’incertitudes grandissantes et de conflits. Et d’ici la fin de ce siècle au plus tard, nous devons nous attendre, selon le consensus de nos meilleurs esprits scientifiques, à une planète complètement inhabitable si nous continuons notre « business-as-usual » (commerce comme d’habitude).
Le système global est un échec, et le meurtre en masse et l’abus des femmes par les hommes jouent un rôle central dans cet échec : la misogynie est une fonction intégrale de la destruction planétaire.
Si nous voulons sauver la planète, le patriarcat doit mourir. Cela signifie reconnaître et prendre la responsabilité pour le fait que le patriarcat soit partie intégrante des structures de pouvoir que l’on tient pour naturelles, de l’Est à l’Ouest.
Il n’y a pas de temps à perdre. Si la misogynie gagne, la planète meurt.
Et à propos de l’image de couverture de l’article :
Gulabi Gang : en Inde, féminisme et lutte des classes arme au poing
Traduction : Nicolas CASAUX