Nous repuÂblions ici un article tiré du blog « pasÂseurs d’hosÂpiÂtaÂliÂtés », qui nous semÂblait intéÂresÂsant.
Le docuÂment dont il est quesÂtion n’est pas tout neuf, il date de 2009. La preÂmière verÂsion date de juillet, et il a été réviÂsé en octobre et décembre de la même année. Il émane de l’Institut de l’Étude de SécuÂriÂté de l’Union EuroÂpéenne (IESUE), qui se défiÂnit de de la manière suiÂvante : « L’Institut a pour prinÂciÂpale misÂsion de fourÂnir des anaÂlyses et des recomÂmanÂdaÂtions utiles à l’élaboration de la poliÂtique euroÂpéenne de sécuÂriÂté et de défense. Il joue ainÂsi un rôle d’interface entre les experts et les déciÂdeurs euroÂpéens à tous les niveaux. »
2009, en matière de poliÂtiques anti-migraÂtoires, c’est « l’année BesÂson » et la desÂtrucÂtion entre autres de la « Jungle des Afghans » à Calais. C’est ausÂsi celle du somÂmet franÂco-briÂtanÂnique d’Évian, et de ses décliÂnaiÂsons notamÂment sous la forme d’un arranÂgeÂment franÂco-briÂtanÂnique sur les contrôle de la fronÂtière, qui préÂvoit notamÂment un renÂforÂceÂment des disÂpoÂsiÂtifs de contrôle, des mesures répresÂsives comme la disÂperÂsion des « concenÂtraÂtions de migrants » sur le sol franÂçais, l’organisation de vols conjoints pour l’expulsion vers les pays d’origine, et une réparÂtiÂtion des coûts.
Sur le terÂrain, cela se traÂduit par une série de desÂtrucÂtions de camÂpeÂments à Paris et dans le Nord – Pas-de-Calais, des rafles, et l’organisation de deux vols conjoints vers l’Afghanistan. En 2009 est ausÂsi détruit le bidonÂville d’exilé-e‑s de Patras, en Grèce, ce qui montre que ces poliÂtiques de disÂperÂsion des exiÂlé-e‑s bloÂqué-e‑s aux fronÂtières étaient coorÂdonÂnées au niveau euroÂpéen. On noteÂra que la desÂtrucÂtion du bidonÂville de Patras a eu pour conséÂquence le report d’une parÂtie du pasÂsage par la mer de la Grèce vers l’Italie sur l’autre port grec d’Igoumenitsa, mais ausÂsi par l’utilisation croisÂsante de la route terÂrestre par les BalÂkans de la Grèce vers l’Europe cenÂtrale, notamÂment par la MacéÂdoine, la SerÂbie et la HonÂgrie.
Depuis, la marine miliÂtaire itaÂlienne a réaÂliÂsé de l’automne 2013 à l’automne 2014 l’opération « Mare NosÂtrum » en MédiÂterÂraÂnée cenÂtrale, suite au très médiaÂtiÂsé nauÂfrage du 3 octobre 2013 qui avait vu la mort de trois cent soixante-six exiÂlé-e‑s. « Mare NosÂtrum » se vouÂlait – et a été – une opéÂraÂtion de sauÂveÂtage en mer des exiÂlé-e‑s risÂquant la traÂverÂsée dans des condiÂtions metÂtant leur vie en danÂger. Elle a été viveÂment criÂtiÂquée par les ministres briÂtanÂniques et franÂçais de l’intérieur, qui consiÂdéÂraient que sauÂver les exiÂlé-e‑s créait un appel d’air, une inciÂtaÂtion à tenÂter la traÂverÂser, par l’assurance qu’elle leur donÂnait d’être sauÂvé-e‑s. L’opération itaÂlienne a donc été remÂplaÂcée par une opéÂraÂtion de l’agence euroÂpéenne FronÂtex, à visée de surÂveillance, et à la capaÂciÂté de sauÂveÂtage netÂteÂment réduite (voir ici, ici, ici, ici, ici et là ).
Depuis l’été 2015, des navires miliÂtaires de l’OTAN sont déployés en MédiÂterÂraÂnée, non pour sauÂver mais pour disÂsuaÂder les bateaux d’exilé-e‑s d’aller vers l’Europe. Un cerÂtain nombre d’État euroÂpéens ont par ailleurs déployé l’armée à leur fronÂtière pour bloÂquer les exiÂlé-e‑s, de la BulÂgaÂrie à la SloÂvéÂnie.
Le docuÂment de l’IESUE fait pluÂsieurs fois réféÂrence comme un moment iniÂtiaÂteur de la poliÂtique de défense euroÂpéenne le somÂmet franÂco-briÂtanÂnique de Saint-Malo, en 1998. On vient de voir la place du somÂmet franÂco-briÂtanÂnique d’Évian de 2009 dans les poliÂtiques anti-migraÂtoires euroÂpéennes. On peut voir dans les attaques du gouÂverÂneÂment franÂçais contre la poliÂtique d’accueil du gouÂverÂneÂment alleÂmand un délaisÂseÂment de l’axe franÂco-alleÂmand comme moteur de la construcÂtion euroÂpéenne au proÂfit de l’axe sécuÂriÂtaire franÂco-briÂtanÂnique.
Venons-en à ce docuÂment appeÂlé « Quelle défense euroÂpéenne en 2020 ? »
Que vous pouÂvez téléÂcharÂger ici.
Fait de difÂféÂrentes contriÂbuÂtions, il est un docuÂment déciÂsionÂnel mais proÂpoÂsiÂtionÂnel, qui trace des persÂpecÂtives pour la défense euroÂpéenne. En quoi cela aide-t-il à comÂprendre les poliÂtiques anti-migraÂtoires ?
On peut lire dans la concluÂsion d’une des contriÂbuÂtions, « La monÂdiaÂliÂsaÂtion de l’environnement de sécuÂriÂté et l’Union », cet énonÂcé parÂtiÂcuÂlièÂreÂment direct, page 79 :
« D’ici 2020, nos défis de sécuÂriÂté seront plus variés et plus sérieux. Ils exiÂgeÂront des insÂtruÂments miliÂtaires capables d’effectuer les six tâches criÂtiques énuÂméÂrées ci-après par ordre d’importance :
[…]
OpéÂraÂtions d’endiguement – proÂtéÂger les riches du monde contre les tenÂsions et les proÂblèmes des pauvres. Puisque la proÂporÂtion de la popuÂlaÂtion monÂdiale vivant dans la misère et la frusÂtraÂtion contiÂnueÂra d’être très éleÂvée, les tenÂsions entre ce monde et le monde des riches contiÂnueÂront de s’accentuer, avec les conséÂquences que cela supÂpose. Comme il est peu proÂbable que nous ayons supÂpriÂmé les causes du proÂblème d’ici 2020, en reméÂdiant aux dysÂfoncÂtionÂneÂments dont souffrent les sociéÂtés, nous devrons renÂforÂcer nos barÂrières. C’est une straÂtéÂgie de perÂdant, très contesÂtable du point de vue éthique, mais elle sera inéviÂtable si nous ne sommes pas en mesure d’éliminer les causes du proÂblème. La situaÂtion ne fera que s’aggraver si nous limiÂtons l’action que nous menons actuelÂleÂment au niveau monÂdial afin de trouÂver une soluÂtion à ces proÂblèmes (voir point suiÂvant). »
Il s’agit de la troiÂsième tâche assiÂgnée aux « insÂtruÂments miliÂtaires » par ordre d’importance. Le « point suiÂvant » est cenÂsé y apporÂter un bémol, mais l’auteur fait montre d’un cerÂtain pesÂsiÂmisme quant à la posÂsiÂbiÂliÂté de traiÂter les proÂblèmes à la source :
« IngéÂnieÂrie sociale – staÂbiÂliÂsaÂtion en vue de régler les conflits et de mener des opéÂraÂtions de mise en place d’un appaÂreil d’État. Cette quesÂtion est au cÅ“ur même de la proÂbléÂmaÂtique social à l’échelle monÂdiale, mais les leçons tirées des efforts déployés au cours de la derÂnière décenÂnie montrent que les défis dépassent larÂgeÂment nos capaÂciÂtés. Ni les objecÂtifs du MilÂléÂnaire pour le déveÂlopÂpeÂment défiÂnis par les Nations unies ni nos efforts en vue de mettre en place des appaÂreils d’État n’aboutissent, alors même que notre volonÂté s’émousse et que nos moyens deviennent insufÂfiÂsants ; le degré de prioÂriÂté de cette misÂsion devra donc proÂbaÂbleÂment être réduit d’ici 2020. »
Le caracÂtère direct de l’énoncé montre qu’il est accepÂtable, voire déjà accepÂté en l’état, pour les desÂtiÂnaÂtaires du docuÂments, les déciÂdeurs euroÂpéens.
La concepÂtion de la migraÂtion comme menace à laquelle l’Union euroÂpéenne se doit de répondre par des moyens miliÂtaires est reprise en d’autres endroits du docuÂment, sous la plume d’autres contriÂbuÂteurs. AinÂsi (c’est nous qui metÂtons cerÂtains pasÂsages en gras) :
Page 47
« Mais les menaces pesant sur ses voies mariÂtimes comÂmerÂciales, les actes de piraÂteÂrie en haute mer, les conflits civils et la déstaÂbiÂliÂsaÂtion par la vioÂlence de cerÂtaines régions ayant des conséÂquences pour l’Union en termes de flux de migrants ou de réfuÂgiés, la perÂturÂbaÂtion des canaux d’approvisionnement en resÂsources ou l’encouragement du terÂroÂrisme, la proÂliÂféÂraÂtion des armes de desÂtrucÂtion masÂsive et d’autres menaces phyÂsiques nécesÂsiÂteÂront de la part de l’Union une capaÂciÂté de réacÂtion miliÂtaire constante et touÂjours plus proÂfesÂsionÂnelle. »
Pages 67 – 68
« La deuxième forme de vioÂlence conteÂnue est tout autre : il s’agit du mainÂtien de l’ordre au niveau régioÂnal et monÂdial, en recouÂrant à l’armée pour des actions de répresÂsion, d’endiguement, de sauÂveÂtage et d’évacuation. Citons comme exemples caracÂtéÂrisÂtiques l’application des normes écoÂloÂgiques (proÂtecÂtion des pêcheÂries), les opéÂraÂtions de lutte contre la contreÂbande et l’immigration clanÂdesÂtine (efforts déployés le long du Rio Grande ou en MédiÂterÂraÂnée) et le sauÂveÂtage et l’évacuation des citoyens de l’Union à l’étranger (Afrique occiÂdenÂtale, Liban). Ces trois exemples revêtent une imporÂtance croisÂsante pour l’UE, de la mer de Barents (pêcheÂries) aux eaux situées au large de la SomaÂlie (piraÂteÂrie) en pasÂsant par la MédiÂterÂraÂnée (migraÂtions). »
Page 76 – concerÂnant les réfuÂgiés cliÂmaÂtiques
« Une autre tâche essenÂtielle de l’armée consisÂteÂra à gérer les effets de la crise écoÂloÂgique sur nos propres sociéÂtés. Il s’agit là de tâches menées « par défaut », qui peuvent aller de la gesÂtion de flux souÂdains de réfuÂgiés ou d’immigrants dans l’UE ou autour de l’UE jusqu’à la gesÂtion de catasÂtrophes, en pasÂsant par l’aide d’urgence à la sociéÂté en cas d’incendies, d’inondations, de temÂpêtes, etc. »
La concepÂtion de « l’endiguement » telle qu’énoncée page 79 ne se limite pas à la défense des fronÂtières, mais traÂverse ausÂsi les sociéÂtés euroÂpéennes, comme c’est énonÂcé pages 72 – 73 :
« La dimenÂsion sociale est en pleine transÂforÂmaÂtion et prend ses disÂtances par rapÂport à l’ère westÂphaÂlienne. Les grandes fracÂtures poliÂtiques qui créent les confronÂtaÂtions vioÂlentes majeures évoÂluent actuelÂleÂment, pasÂsant de la comÂpéÂtiÂtion horiÂzonÂtale entre égaux d’hier à laquelle se livraient les États d’élite à des tenÂsions verÂtiÂcales entre les difÂféÂrentes couches socio-écoÂnoÂmiques monÂdiales. La techÂnoÂloÂgie réduit le monde à un vilÂlage plaÂnéÂtaire, mais un vilÂlage au bord de la révoÂluÂtion. Si nous nous trouÂvons en préÂsence d’une comÂmuÂnauÂté d’élite de plus en plus souÂdée, nous devons égaÂleÂment faire face à des tenÂsions exploÂsives croisÂsantes proÂveÂnant des couches inféÂrieures les plus pauvres. »
Quand aux liberÂtés publiques, celles de toutes et de tous, au-delà des exiÂlé-e‑s, leur sort est aborÂdé page 77 :
« La deuxième mutaÂtion majeure est d’ordre techÂnoÂloÂgique. Dans les proÂchaines décenÂnies, trois techÂnoÂloÂgies révoÂluÂtionÂnaires devraient transÂforÂmer tant notre enviÂronÂneÂment que nos outils miliÂtaires. Les proÂgrès des nanoÂtechÂnoÂloÂgies, de l’informatique et des sysÂtèmes de capÂteurs, et en parÂtiÂcuÂlier la fusion de ces trois techÂnoÂloÂgies, auront au moins deux conséÂquences majeures. Tout d’abord, un réseau de capÂteurs beauÂcoup plus étenÂdu. Le monde qui nous entoure, et nous-mêmes, serons de plus en plus trufÂfés d’innombrables capÂteurs miniaÂtures reliés en réseau. Nous vivrons dans un océan de capÂteurs et il sera de plus en plus difÂfiÂcile à chaÂcun de se déconÂnecÂter de ce réseau d’informations, qui sera dans un preÂmier temps le fait des sociéÂtés les plus avanÂcées, mais gagneÂra proÂgresÂsiÂveÂment le monde entier. En outre, nous serons en mesure d’implanter très rapiÂdeÂment des capÂteurs dans des parÂties du monde non encore couÂvertes. la sphère de la vie priÂvée s’en trouÂveÂra consiÂdéÂraÂbleÂment réduite ; cela pose d’énormes proÂblèmes éthiques et poliÂtiques, mais, dans ce monde, le pouÂvoir de déciÂsion resÂteÂra entre les mains de ceux qui contrôlent le réseau de capÂteurs et les donÂnées qui en résultent. »
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