Contre l’industrie ! (par Armand Farrachi)

Extrait tiré de l’ex­cellent livre d’Ar­mand Far­ra­chi, Les enne­mis de la Terre.


Qu’on les juge à leurs pro­pos, à leurs inten­tions, à leurs actes ou à leurs résul­tats, les prin­ci­paux enne­mis de la Terre sont le mar­ché qui ravage et l’État qui consent. Les gou­ver­ne­ments natio­naux n’étant le plus sou­vent que les otages du mar­ché, lui-même aux mains des mul­ti­na­tio­nales, on peut dire qu’en fait d’ennemi, s’il n’en res­tait qu’un, l’industrie serait celui-là, le plus sale de l’univers. Ses rejets invi­sibles et pol­luants se comptent chaque année en mil­lions de tonnes : 89 d’oxyde de soufre, 84 de méthane, 30 d’oxyde d’azote, 26 d’hydrocarbures, 7 d’ammoniaque, 1,2 de CFC. Avec le gaz car­bo­nique, on passe aux mil­liards de tonnes : 3,5 par an, chiffres ver­ti­gi­neux aux­quels manquent pour­tant le volume des déchets visibles, les matières radio­ac­tives, les métaux lourds, le fumier et l’ordure répan­dus dans les terres aus­si bien que dans les eaux douces et salées, les sub­stances orga­niques de syn­thèse, les pol­lu­tions nor­males ou acci­den­telles, les sac­cages divers, sans par­ler des dégâts spi­ri­tuels, cultu­rels et sociaux, ni de tout ce qu’on ignore encore. Dans une telle puan­teur, les odo­rats les plus sub­tils pei­ne­ront à flai­rer les bonnes inten­tions. Sous la baguette magique de ce sinistre enchan­teur, des pluies acides arrosent des boues rouges. Il est aus­si tom­bé au Japon des averses noires. Ce matin, dans le Jura, à cause d’une fuite d’antigel, de l’eau bleue cou­lait aux robi­nets. À quand les neiges ver­dâtres ? Ce phé­no­mène mul­ti­co­lore et nua­geux paraî­trait presque abs­trait, dans son immen­si­té, s’il ne mena­çait concrè­te­ment l’ensemble du vivant. Voi­là 150 ans que l’industrialisation, sous toutes ses formes, ne fait qu’accélérer l’exploitation des matières et des hommes, oubliant que le but de l’économie est de satis­faire les besoins et non d’épuiser res­sources et moyens, comme elle s’y condamne en cher­chant la ren­ta­bi­li­té du capi­tal inves­ti dans la des­truc­tion des matières pre­mières, et en ven­dant plus cher ce qu’elle a d’abord ren­du plus rare. L’intensification a depuis peu exa­cer­bé jusqu’à l’insupportable ce rap­port fon­dé sur la vio­lence. A Bret­ton Woods, où fut déci­dée en 1944 la stra­té­gie mon­diale des pays déve­lop­pés, s’est tra­mé le plus for­mi­dable com­plot contre la Terre et ses habi­tants, dont les pluies de soufre ou les rivières qui moussent nous envoient les signes les moins contestables.

En fait de créer des richesses, le fana­tisme indus­triel ne crée que de la misère, non seule­ment en appau­vris­sant direc­te­ment les popu­la­tions et en aug­men­tant leur dépen­dance par l’endettement, mais en épui­sant encore ces richesses par de conti­nuelles atteintes aux res­sources ter­restres. Aucun milieu n’est épar­gné : lacs, océans, rivières, forêts tro­pi­cales ou tem­pé­rées, déserts, sols fer­tiles, marais et tour­bières, man­groves, récifs coral­liens, estuaires, lit­to­raux, atmo­sphère, plus rien n’est à l’abri de l’exploitation et du sac­cage, pas même l’espace sidé­ral puisque des mil­liers d’instruments et de déchets fran­chissent déjà les limites ter­restres. De quelque mot qu’il se masque, le seul prin­cipe de notre civi­li­sa­tion pro­duc­ti­viste est la des­truc­tion. Des­truc­tion des hommes, des cultures, des peuples, des milieux natu­rels, des­truc­tion même de cette éco­no­mie qui, empor­tée par son élan cri­mi­nel, s’autodétruit et ne trouve à se sur­vivre qu’en détrui­sant ailleurs.

Au Bré­sil, une fon­de­rie s’installe en pleine forêt tro­pi­cale, dans le but avoué d’en uti­li­ser le bois comme source d’énergie. En vingt ans, ce com­bus­tible sera épui­sé, la forêt irré­mé­dia­ble­ment détruite, les ani­maux qui l’habitaient dis­pa­rus, les res­sources épui­sées, et l’usine n’aura plus qu’à démé­na­ger pour conti­nuer ailleurs son œuvre de crois­sance assas­sine. Au Cos­ta Rica, le bar­rage qui inonde toute la réserve des Indiens Boru­ca, four­nit 85 % de son élec­tri­ci­té à la socié­té Alcom, pour l’aider à mieux piller son sous-sol. En Inde, on a détruit la val­lée sacrée de Nar­ba­da, inon­dé 3 500 km² de forêt et de terres arables, dépor­té un mil­lion de per­sonnes pour construire un bar­rage qui per­met­tra d’irriguer des ter­rains infer­tiles. L’Organisation Mon­diale de la San­té a beau esti­mer chaque année à 25 mil­lions les décès impu­tables à la consom­ma­tion d’eau conta­mi­née, le plus gros indus­triel de Colom­bie n’en déverse pas moins ses déchets par­fu­més dans le fleuve où s’alimentent direc­te­ment 5 mil­lions de rive­rains. Sur le che­min de la des­truc­tion, la mort ne sau­rait faire obs­tacle à la crois­sance économique.

IMG_20150420_203529_808-3

Dans la même veine, l’excellent article de Derrick Jensen sur l’industrialisme.

Print Friendly, PDF & Email
Total
0
Partages
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles connexes
Lire

Bienvenue dans la machine : Science, surveillance, et culture du contrôle (par Derrick Jensen)

Quels sont les prérequis nécessaires à la transformation d'une communauté humaine vivante en machine ? Il faut que ses membres commencent à se percevoir eux-mêmes non plus comme les fils entrelacés d'une immense tapisserie du vivant, composée de relations complexes et changeantes — dans laquelle ils joueraient tel ou tel rôle selon ce qui est approprié, nécessaire, et désiré (par eux et par d'autres) — mais comme des rouages de l'engrenage colossale de ce qu'ils perçoivent comme une machine géante sur laquelle ils n'ont fondamentalement aucun contrôle, aucun impact. [...]
Lire

Le problème de l’activisme financé par le Grand Capital (par Macdonald Stainsby)

Beaucoup de salariés des Grands Verts – ainsi que leurs amis proches – ont essayé très dur de faire infuser ces valeurs démocratiques, anticoloniales et même anticapitalistes dans le mouvement écolo grand public, qui évite depuis longtemps de telles vulgarités. Plongeons-nous dans ces questions, et cherchons de vraies réponses. Si elles vous mettent mal à l’aise, peut-être que c’est parce qu’elles vous touchent.