Article original publié en anglais à l’adresse suivante :
https://radfag.wordpress.com/2015/04/26/in-support-of-baltimore-or-smashing-police-cars-is-logical-political-strategy/
Des émeutiers près de « Camden Yards » à Baltimore éclatent les vitres et les pare-brises de voitures de police.
En tant que nation nous échouons à comprendre la stratégie politique noire de la même façon que nous échouons à reconnaître la valeur de la vie d’un noir.
Nous voyons des ghettos, le crime et des parents absents là où nous devrions voir des communautés luttant activement contre des crises de santé mentale et contre une exploitation économique préméditée. Et lorsque nous voyons des voitures de police et des biens corporatistes détruits, nous devrions y voir des réponses raisonnables à plusieurs générations de violence étatique extrême, et des décisions logiques quant aux actions entrainant les résultats politiques désirés.
Je suis éberlué par la diffamation généralisée des manifestants de ce week-end à Baltimore, pour ne pas être restés pacifiques. La rhétorique de la « pomme pourrie » voudrait nous faire croire que la plupart des protestataires manifestaient de la bonne manière — selon leur droit constitutionnel — et que seuls quelques-uns venaient troubler la fête, donnant une mauvaise image au mouvement.
Cette manipulation doit être ignorée, tout d’abord en raison du black-out médiatique presque total de toutes les actions ayant lieu sur le terrain, particulièrement au cours de ce week-end. Mais aussi parce que ça n’a aucun sens de citer la constitution en ce qui concerne les manifestations pour les droits civiques des noirs (ce document n’a pas été écrit pour nous, tu te souviens ?), et qu’aucun média ne s’est organisé afin d’attirer l’attention sur le fait que l’état transgresse ses propres lois presque constamment vis-à-vis des opprimés.
Mais il y a un problème encore plus grave. Faire référence aux manifestations « Black Lives Matter », ainsi qu’aux réponses organiques à la violence policière d’état, comme étant « non-violentes » ou « pacifiques », masque le climat dans lequel agissent ces mouvements, les stratégies militantes qui les ont rendus efficaces, et la longue tradition d’émeutes et d’actions directes sur lesquelles ils se basent.
Je ne prêche pas pour la non-violence — particulièrement dans un moment comme celui-là. Selon l’esprit et les mots de militant(e)s noir(e)s et marrons de mouvements féministes à travers la planète, je pense qu’il est crucial de considérer la non-violence comme une tactique, non pas comme une philosophie.
La non-violence est un type de performance politique destinée à conscientiser et à gagner la sympathie des privilégiés. Lorsque ceux qui sont en dehors de la lutte — le blanc, le riche, l’hétéro, le non-handicapé, le mâle — ont à plusieurs reprises démontré qu’ils n’en avaient rien à faire, qu’ils ne s’investiraient pas, qu’ils n’iraient pas au front afin de défendre les opprimés, c’est alors une stratégie politique futile. Non seulement elle ne parvient pas à répondre aux besoins de la communauté, mais en plus elle aggrave le danger de violences auxquelles sont soumis les opprimés.
Le militantisme relève de l’action directe servant à défendre nos communautés contre la violence. Il s’agit de réponses aux objectifs politiques immédiats de nos communautés, et de gérer les répercussions comme elles viennent. Il s’agit de dire non, de résolument mettre en place et de défendre des limites, d’exiger le remboursement des ressources volées. Et des mouvements de libération Queer aux Black Power jusqu’aux mouvements séculaires de souveraineté indigène et d’anticolonialisme, c’est ainsi que la quasi-totalité des mouvements d’opprimés ont vu le jour, et on s’en doute permis les seules victoires politiques réelles que nous avons eues sous le règne de l’empire.
Il nous faut clarifier ce que l’on entend par des termes comme « violence » et « pacifique ». Parce que, pour être clair, la violence c’est battre, harceler, tazer, agresser et tirer sur des noirs, des trans, des migrants, des femmes, des queers, et c’est la réalité quotidienne à laquelle font face nombre d’entre nous. Dire à quelqu’un d’être pacifique et condamner son militantisme non seulement relève d’un manque de compréhension historique de la politique, mais c’est littéralement une exigence mortelle et irresponsable.
Les objectifs politiques des émeutiers de Baltimore ne sont pas flous — tout comme ils n’étaient pas flous lorsque les pauvres et les noirs se sont révoltés à Ferguson à l’automne dernier. Lorsque le libre marché, l’immobilier, le gouvernement élu et le système législatif vous ont tous montré qu’ils n’allaient pas vous protéger — et qu’en réalité, ils étaient la source de l’immense violence à laquelle vous êtes confrontés — alors l’action politique nécessaire cherche à stopper la machine qui est en train d’essayer de vous tuer, ne serait-ce que pour un moment ; à faire se retirer la botte qui est sur votre nuque, ne serait-ce que pour un moment de répit. C’est exactement ce à quoi servent les barricades de rue, la perturbation du consumérisme blanc, et la destruction de la propriété étatique.
Les noirs le savent, et emploient ces tactiques depuis très très longtemps. Les appeler non-civilisés [sauvages], et les encourager à respecter la constitution est raciste, et en tant qu’argument ça n’est pas ancré dans la réalité politique violente à laquelle les noirs font face, ni dans notre tradition séculaire de résistance, qui a enseigné les stratégies efficaces de militantisme et d’action directe à la quasi-totalité des autres mouvements pour la justice.
Et bien que je ne pense pas que tous les protestataires impliqués dans les attaques contre les voitures de police et les enseignes corporatistes avaient la même philosophie, qu’ils aient agi pour les mêmes raisons, on ne peut pas ignorer que lorsque l’outrage national est plus important quand il s’agit de fenêtres en verre plat et de portières de voitures que lorsqu’il s’agit de jeunes noirs, cela démontre quelque chose ; quand il y a plus d’inquiétude à propos des fans de sport blancs à proximité d’une émeute qu’à propos des noirs affrontant la police, il y a là une justification croissante pour la rage et la souffrance des communautés noires dans ce pays.
En prenant en compte tout ceci, je pense vraiment que les événements de ce week-end à Baltimore soulèvent d’importantes questions pour les actions militantes futures de tous nos mouvements. En plus d’articuler nos objectifs, d’élaborer notre message et les types d’actions, nous devons minutieusement penser à ce que peuvent être les résultats à long terme de l’action militante. Les stratégies que je pourrais suggérer, et les questions importantes auxquelles je pense que nous devrions essayer de répondre tout en planifiant et en nous impliquant dans des actions politiques sont les suivantes :
- Portons-nous atteinte à la propriété privée et étatique, ou aux gens, aux communautés et aux ressources naturelles ? Le résultat de notre action dérange-t-il l’État et la violence corporatiste, ou crée-t-il des dommages collatéraux que devront gérer les opprimés (i.e., les familles noires et les propriétaires de commerces, les personnels d’entretien, etc.) ? Reproduisons nous la violence d’État en portant atteinte aux gens et à l’environnement, ou portons nous atteinte à la propriété étatique de manière à stopper ou à ralentir la violence ? Perturbons-nous les systèmes ou les gens ?
- Qui est à proximité ? Portons nous atteinte aux gens autour de nous en agissant ? Y a‑t-il une possibilité de violence contre ceux qui ne sont pas les cibles désignées de nos actions ? Forçons nous les gens à s’impliquer dans des actions auxquelles ils ne veulent pas — ne sont pas prêts à — participer ?
- Qui est impliqué dans l’action ? Les gens impliqués dans notre action le sont-ils consensuellement, ou simplement parce qu’ils sont à proximité ? Avons-nous mis en place la possibilité de partir pour les gens de toutes capacités ne souhaitant pas être présents ? Sommes-nous stratégiques dans la localisation et le placement des groupes ? S’il y a des répercussions violentes à nos actions, qui les subira ?
Nous devrions tenter de répondre au maximum à ces questions avant que les actions aient lieu, pendant la planification si possible. Nous avons aussi besoin de plan de secours et d’options pour changer nos actions instantanément si une des conditions approuvées est modifiée quand vient l’heure d’agir.
J’ai levé les yeux au ciel lorsque des enquêtes à Ferguson ont « scandaleusement » révélé des e‑mails racistes envoyés au sein des autorités locales, y compris parmi les plus hauts placés du département de police. Je pense que nombre d’entre nous nous doutons bien que presque toute enquête effectuée au sein d’un département de police produirait des résultats similaires. Les émeutes à Baltimore présentent de nombreux parallèles entre les politiques et les conduites des deux villes actuellement. Quel genre d’action a mis en lumière pour les moins affectés ce que les noirs savent depuis longtemps ? Quels genres d’actions faudra-t-il afin que soit largement compris le fait que toute administration policière est une terreur raciste, et que la justice n’adviendra qu’avec son abolition permanente ?
Pouvoir aux noirs, aux Queers, à Baltimore, et à tous les opprimés qui comprennent les enjeux !

Traduction : Nicolas CASAUX
Édition : Héléna Delaunay