DerÂrick JenÂsen (né le 19 décembre 1960) est un écriÂvain et actiÂviste écoÂloÂgique améÂriÂcain, parÂtiÂsan du saboÂtage enviÂronÂneÂmenÂtal, vivant en CaliÂforÂnie. Il a publié pluÂsieurs livres très criÂtiques à l’éÂgard de la sociéÂté contemÂpoÂraine et de ses valeurs cultuÂrelles, parÂmi lesÂquels The Culture of Make Believe (2002) EndÂgame Vol1&2 (2006) et A LanÂguage Older Than Words (2000). Il est un des membres fonÂdaÂteurs de Deep Green ResisÂtance. Ce texte est une comÂpiÂlaÂtion d’exÂtraits tirés de son livre « Thought to exist in the Wild » (« CenÂsés exisÂter en liberÂté »).
Karen TweeÂdy-Holmes m’a aborÂdé avec ses phoÂtos épouÂvanÂtaÂbleÂment tristes d’aÂniÂmaux priÂsonÂniers des zoos. Je vouÂlais écrire quelque chose faiÂsant honÂneur à son traÂvail, honÂneur à la soufÂfrance de ces aniÂmaux, et tenÂter de mettre un terme à ces soufÂfrances en aidant à briÂser le mythe selon lequel les zoos aident les aniÂmaux. Je vouÂlais aider à mettre fin aux zoos. Une des choses dont je suis parÂtiÂcuÂlièÂreÂment fier, dans ce livre, est le lien que j’éÂtaÂblis entre les zoos et la porÂnoÂgraÂphie. Dans les deux cas, cela nécesÂsite qu’il y ait un sujet, le regard braÂqué sur un objet dont il a le contrôle, un objet essenÂtielÂleÂment reteÂnu capÂtif et exploiÂté, à des fins pureÂment éduÂcaÂtives et diverÂtisÂsantes vis-à -vis du sujet. La leçon la plus imporÂtante enseiÂgnée par les zoos et la porÂnoÂgraÂphie, est que moi, le specÂtaÂteur, j’ai du pouÂvoir sur toi, qui es dans la cage.
L’ourse fait sept pas, ses griffes crissent sur le ciment. Elle baisse la tête, se retourne et fait trois pas vers l’avant de la cage. Elle baisse à nouÂveau la tête, se retourne et de nouÂveau fait sept pas. Lorsqu’elle revient à son point de départ, elle recomÂmence. Puis recomÂmence une nouÂvelle fois, touÂjours et encore.
C’est tout ce qu’il reste de sa vie.
A l’exÂtéÂrieur de la cage, les gens déamÂbulent dans une allée. Les pousÂsettes n’ont pas le temps de s’arrêter comÂplèÂteÂment avant que leurs conducÂteurs réaÂlisent qu’il n’y a rien à voir. Ils pourÂsuivent leur cheÂmin. L’ourse fait touÂjours les cent pas, baisse la tête, se retourne. Un couple d’adolescents approche, qui se tiennent par la main, écouÂteurs dans les oreilles. Un coup d’œil à l’intérieur est sufÂfiÂsant, ils sont déjà en route pour la cage suiÂvante. Trois pas, baisse la tête, change de direcÂtion.
Mes doigts s’étaient ferÂmeÂment agripÂpés à la rampe métalÂlique de l’enceinte extéÂrieure. Je m’aperçois qu’ils sont douÂlouÂreux. J’ai la gorge serÂrée. L’ourse fait touÂjours les cents pas. Je regarde l’arÂgenÂté de son dos, la concaÂviÂté de son nez. Sept pas, baisse la tête, demi-tour. Je me demande depuis comÂbien de temps elle est là . Un père et son fils approchent, ne resÂtent pas longÂtemps à mes côtés. Trois pas, baisse la tête, demi-tour. Je lâche la rampe, fais demi-tour et alors que je m’éÂloigne, j’enÂtends, qui s’esÂtompe lenÂteÂment, le cliÂqueÂtis rythÂmé des griffes sur le ciment.
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Un zoo est un cauÂcheÂmar qui prend la forme de ciment et d’aÂcier, de fer et de verre, de douves et de clôÂtures élecÂtriques. Pour ses vicÂtimes, c’est un cauÂcheÂmar sans fin dont la seule issue est la mort.
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Le direcÂteur de zoo David HanÂcocks a écrit une phrase que beauÂcoup d’autres reprennent en cÅ“ur : « les zoos ont évoÂlué de façon indéÂpenÂdante dans toutes les cultures du monde ». NomÂbreux sont ceux qui répètent cette affirÂmaÂtion, pourÂtant inexacte. Cela revient à dire que le droit divin des rois, la science carÂtéÂsienne, la porÂnoÂgraÂphie, l’éÂcriÂture, la poudre à canon, la tronÂçonÂneuse, le tracÂtoÂpelle, le bitume et la bombe nucléaire ont évoÂlué de façon indéÂpenÂdante dans toutes les cultures du monde. CerÂtaines cultures ont déveÂlopÂpé cerÂtaines de ces choses, et d’autres, non. CerÂtaines cultures ont conçu des zoos, et d’autres non. Les cultures humaines exisÂtaient des milÂliers d’anÂnées avant l’apÂpaÂriÂtion du preÂmier zoo, il y a 4300 ans de cela, dans la ville suméÂrienne d’Ur, ce qui signiÂfie que ces cultures n’ont pas conçu les zoos. Et, depuis ce preÂmier zoo, des milÂliers de cultures ont exisÂté — cerÂtaines jusÂqu’à aujourd’Âhui (jusÂqu’à ce que la culture domiÂnante finisse par toutes les éraÂdiÂquer) — sans qu’on y constate la préÂsence de zoos, ou leur équiÂvalent.
En revanche, les zoos se sont déveÂlopÂpés du Sumer antique à l’Égypte, à la Chine, à l’EmÂpire mogol, à la Grèce et à Rome, en suiÂvant l’éÂvoÂluÂtion de la civiÂliÂsaÂtion occiÂdenÂtale jusÂqu’à nos jours. Mais ces cultures parÂtagent quelque chose que ne parÂtagent pas les cultures indiÂgènes comme les San, les ToloÂwa, les ShawÂnee, les AboÂriÂgènes, les Karen et toutes celles qui n’aÂvaient pas ou n’ont pas de zoo : elles sont civiÂliÂsées. La subÂstiÂtuÂtion d’un seul mot recÂtiÂfie la phrase d’HanÂcocks : « les zoos se sont déveÂlopÂpés de façon indéÂpenÂdante dans toutes les civiÂliÂsaÂtions du monde ».
AinÂsi que l’écrit Michael H. RobinÂson, direcÂteur du Parc zooÂloÂgique natioÂnal de WashingÂton, « La période de la civiÂliÂsaÂtion corÂresÂpond à enviÂron 1% de notre hisÂtoire d’hominidés. Avec la civiÂliÂsaÂtion vint l’urbanisation. Peu après que l’on ait déveÂlopÂpé des villes à grande échelle, les zoos et les jarÂdins botaÂniques émerÂgèrent dans des pays ausÂsi éloiÂgnés que l’Egypte et la Chine ».
Les civiÂliÂsaÂtions sont des modes de vie caracÂtéÂriÂsés par la croisÂsance de villes. Les villes détruisent l’habitat natuÂrel et créent des enviÂronÂneÂments hosÂtiles à la surÂvie de nomÂbreuses créaÂtures sauÂvages. Par défiÂniÂtion, les villes séparent leurs habiÂtants humains des non-humains, les priÂvant du contact et du voiÂsiÂnage jourÂnaÂlier de créaÂtures sauÂvages qui, jusqu’à l’aube des civiÂliÂsaÂtions — et donc, durant 99% de notre exisÂtence — étaient au cÅ“ur des vies de tous les humains, et qui demeurent au cÅ“ur des vies des non-civiÂliÂsés.
Si l’on peut dire que nous sommes les relaÂtions que nous parÂtaÂgeons, ou au moins que ces relaÂtions nous façonnent, ou au strict miniÂmum qu’elles influencent qui nous sommes, comÂment nous agisÂsons, et comÂment nous perÂceÂvons, alors l’absence de ce lien fonÂdaÂmenÂtal et jourÂnaÂlier avec des non-humains sauÂvages va modiÂfier qui nous sommes, comÂment nous perÂceÂvons les créaÂtures sauÂvages, comÂment nous perÂceÂvons notre rôle au sein du monde qui nous entoure, comÂment nous nous traiÂtons nous-mêmes, comÂment nous traiÂtons les autres humains, et comÂment nous traiÂtons ceux qui sont encore sauÂvages.
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BeauÂcoup de zoos de l’anÂtiÂquiÂté concenÂtraient une quanÂtiÂté phéÂnoÂméÂnale d’aÂniÂmaux. Les zoos égypÂtiens déteÂnaient des milÂliers de singes, des chats sauÂvages, des antiÂlopes, des hyènes, des gazelles, des bouÂqueÂtins et des oryx. Quelques hisÂtoÂriens des zoos sugÂgèrent qu’en raiÂson de leur caracÂtère sacré, ces créaÂtures étaient bien traiÂtées. PourÂtant, ainÂsi que l’inÂdique HanÂcocks, « la déiÂfiÂcaÂtion d’une espèce la graÂtiÂfiait cepenÂdant d’un priÂviÂlège disÂcuÂtable. UtiÂliÂsés lors de sacriÂfices rituels, les ibis, fauÂcons et croÂcoÂdiles sacrés étaient momiÂfiés par cenÂtaines de milÂliers lors de céréÂmoÂnies sacrées. Les masÂsacres sacriÂfiÂciels étaient telÂleÂment énormes qu’ils ont abouÂti à l’exÂterÂmiÂnaÂtion de ces espèces dans de nomÂbreuses régions d’Égypte ». Les chiÂnois construiÂsirent égaÂleÂment d’imÂmenses zoos, tout comme les princes en Inde : Le Moghol Akbar posÂséÂdait cinq mille éléÂphants, mille chaÂmeaux et mille guéÂpards dans sa colÂlecÂtion. Les aniÂmaux des zoos ont été éleÂvés comme des aniÂmaux de comÂpaÂgnie, des bizarÂreÂries, des objets d’éÂtude, comme des disÂtracÂtions, mais surÂtout — et ceci est ausÂsi vrai de nos jours qu’à l’éÂpoque — comme des symÂboles de presÂtige et de pouÂvoir.
Un des plus grands plaiÂsirs que me proÂcure la vie sur cette Terre est la renÂcontre de mes voiÂsins — les plantes, les aniÂmaux et les autres qui vivent ici — alors qu’ils se préÂsentent à moi à leur rythme et selon leurs condiÂtions. Les ours, par exemple, n’éÂtaient pas timides, ils me laisÂsèrent imméÂdiaÂteÂment voir leurs excréÂments, puis leurs corps peu de temps après, se tenant sur leurs pattes arrière afin de poser leurs pattes boueuses sur les fenêtres, pour regarÂder à l’inÂtéÂrieur, ou n’ofÂfrant à ma vue, et de manière furÂtive, que des posÂtéÂrieurs poiÂlus qui disÂpaÂraisÂsaient rapiÂdeÂment à chaque fois que j’apÂproÂchais sur un cheÂmin foresÂtier, ou encore marÂchant lenÂteÂment comme des fanÂtômes noirs dans le gris proÂfond du point du jour. Bien qu’ÂhaÂbiÂtué à leur harÂdiesse, c’est touÂjours un cadeau lorsÂqu’ils se dévoilent encore plus, comme un l’a fait récemÂment lorsÂqu’il a nagé juste devant moi dans l’éÂtang. Merles améÂriÂcains, pics flamÂboyants, coliÂbris et mouÂcheÂrolles se préÂsentent égaÂleÂment. Ou pluÂtôt, comme l’ours, ils préÂsentent les parÂties d’eux-mêmes qu’ils veulent expoÂser. Je vois souÂvent des merles, et j’ai vu des fragÂments de coquilles bleues deux fois, longÂtemps après que les oisillons soient parÂtis, mais je n’ai jamais vu leurs nids. Pareil pour les autres.
Ces renÂcontres — ces préÂsenÂtaÂtions — et tant d’autres, se font touÂjours selon les condiÂtions choiÂsies par ceux qui sont sur ces terres depuis bien avant moi : ils choiÂsissent le moment, l’enÂdroit et la durée de nos renÂcontres. Comme mes voiÂsins humains, et comme mes amis humains, ils me montrent ce qu’ils veulent d’eux-mêmes, quand ils veulent le faire, comme ils veulent le faire, et je les en remerÂcie. Leur demanÂder de m’en monÂtrer plus — et ceci est ausÂsi vrai pour les non-humains que pour les humains — serait excesÂsiÂveÂment impoÂli. Ce serait arroÂgant. Ce serait abuÂsif. Cela détruiÂrait la confiance des autres. Cela détruiÂrait toute la relaÂtion potenÂtielle qu’il y aurait pu avoir entre nous. Cela nuiÂrait franÂcheÂment au bon voiÂsiÂnage.
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Je suis au zoo. Je suis horÂriÂfié. A traÂvers tout le zoo, j’aÂperÂçois des consoles aux somÂmets de petits supÂports. Des consoles aux desiÂgns de desÂsins aniÂmés, claiÂreÂment desÂtiÂnées aux enfants. ChaÂcune est dotée d’un haut-parÂleur muni d’un bouÂton. Lorsque j’apÂpuie sur le bouÂton, une voix entonne un petit chant : « tous les aniÂmaux du zoo t’atÂtendent impaÂtiemÂment ! » La chanÂsonÂnette se terÂmine en rapÂpeÂlant aux enfants de s’asÂsuÂrer de « bien s’aÂmuÂser ! »
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J’apÂpuie sur le bouÂton. J’enÂtends la chanÂson. Je regarde les murs en béton, les espaces vitrés, les douves, les clôÂtures élecÂtriques. Je vois les expresÂsions sur les visages des aniÂmaux, si difÂféÂrentes des expresÂsions des nomÂbreux aniÂmaux sauÂvages que j’ai renÂconÂtrés. Je remarque égaÂleÂment les simiÂliÂtudes entre le regard des priÂsonÂniers humains et les yeux de ceux empriÂsonÂnés dans les zoos. Si vous vous donÂniez la peine de regarÂder, vous verÂriez les difÂféÂrences, et vous verÂriez les simiÂliÂtudes.
Le concept cenÂtral du zoo, et finaÂleÂment, le concept cenÂtral de toute cette culture, est que tous « ces autres » ont été plaÂcés ici pour nous, qu’ils n’ont aucune exisÂtence indéÂpenÂdante de nous ; que les poisÂsons des océans attendent que nous les attraÂpions ; que les arbres des forêts attendent que nous les abatÂtions ; que les aniÂmaux des zoos attendent là pour nous diverÂtir. Peut-être est-ce flatÂteur, d’un point de vue infanÂtile, de croire que tout est là pour vous serÂvir, mais dans le vrai monde, où de vraies créaÂtures existent et souffrent, c’est assez pathéÂtique de faire comme si perÂsonne ne compÂtait, sauf vous.
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MalÂheuÂreuÂseÂment, nous vivons dans une culture qui souffre de narÂcisÂsisme, ou pour être plus préÂcis, nous vivons dans un monde qui souffre à cause du narÂcisÂsisme de cette culture. Dans le livre « la culture du zoo : le livre qui regarde les perÂsonnes qui regardent des aniÂmaux », Bob MulÂlan et GarÂry MarÂvin demandent : « après tout, pourÂquoi préÂserÂver la vie sauÂvage ? On pourÂrait répondre que le monde serait appauÂvri si les aniÂmaux menaÂcés d’exÂtincÂtion étaient autoÂriÂsés [sic] à disÂpaÂraître. Mais qui, préÂciÂséÂment, serait appauÂvri ? » Ils répondent ensuite eux-mêmes à leur quesÂtion, d’une manière qui rend ce narÂcisÂsisme parÂtiÂcuÂlièÂreÂment évident : « notre réponse est que le monde des humains serait appauÂvri, car les aniÂmaux sont préÂserÂvés uniÂqueÂment pour le bénéÂfice de l’homme, parce que les êtres humains ont déciÂdé qu’ils vouÂlaient qu’ils vivent pour le bonÂheur de l’homme. L’iÂdée selon laquelle ils seraient proÂtéÂgés pour eux-mêmes est une idée étrange, car cela impliÂqueÂrait que les aniÂmaux puissent désiÂrer connaître une cerÂtaine condiÂtion d’exisÂtence. Cela n’a de toute façon aucun sens pour l’homme d’iÂmaÂgiÂner que les aniÂmaux puissent avoir une quelÂconque envie que leur espèce ne perÂdure ». Il est évident qu’auÂcun de ces écriÂvains n’a jamais connu de vrais aniÂmaux sauÂvages, et qu’ils n’ont cerÂtaiÂneÂment jamais pris la peine de demanÂder à ces aniÂmaux — ni litÂtéÂraÂleÂment, ni métaÂphoÂriÂqueÂment parÂlant — s’ils vouÂlaient surÂvivre. ÉviÂdemÂment, un désÂinÂtéÂrêt total pour l’autre est une des caracÂtéÂrisÂtiques qui défiÂnit le narÂcisÂsisme.
S’opÂposent à leurs mots ceux de Bill Frank Jr., PréÂsident de la ComÂmisÂsion de Pêche Indienne du Nord-Ouest, qui déclare : « si le sauÂmon pouÂvait parÂler, il nous demanÂdeÂrait de l’aiÂder à surÂvivre. C’est un proÂblème que nous devons aborÂder ensemble ». J’aÂjouÂteÂrais que les sauÂmons nous parlent déjà , si seuleÂment nous les écouÂtions.
MulÂlan et MarÂvin ajoutent, « les aniÂmaux autres que l’homme [sic] ne peuvent pas avoir de sens de l’identité de leur espèce ; ils ne peuvent pas réfléÂchir sur la nature de leur idenÂtiÂté colÂlecÂtive ; ils ne peuvent pas non plus resÂsenÂtir qu’il serait bon pour eux de contiÂnuer à exisÂter ». Les asserÂtions des auteurs sont insupÂporÂtables, arroÂgantes, et absoÂluÂment nécesÂsaires pour jusÂtiÂfier la contiÂnuaÂtion de l’extermination des non-humains. A nouÂveau, ils contiÂnuent, « le désir pour une espèce de contiÂnuer n’est qu’une proÂjecÂtion de la part des êtres humains ». Une fois de plus, infonÂdé, insupÂporÂtable, et nécesÂsaire. Et encore : « la préÂserÂvaÂtion du monde natuÂrel n’est qu’une préÂserÂvaÂtion pour notre propre bénéÂfice ».
MulÂlan et MarÂvin s’opÂposent égaÂleÂment à ce que l’on donne de plus grandes cages aux aniÂmaux des zoos, souÂteÂnant que, parce qu’ils resÂtent généÂraÂleÂment dans un coin de la cage, ils n’ont alors pas besoin d’un plus grand terÂriÂtoire. Ils citent une réplique d’un autre défenÂseur des zoos selon lequel les guéÂpards se contentent de resÂter dans un coin de leur cage parce que « contraiÂreÂment au jogÂgeur, ils ne voient pas l’intérêt de dépenÂser autant d’énergie ». Ils ajoutent, « en d’autres termes, l’iÂdée qu’ils ont besoin d’esÂpace émane du public, et non de la volonÂté des aniÂmaux ». D’aÂprès Dick van Dam, du Zoo BliÂjÂdorp de RotÂterÂdam, « les aniÂmaux n’ont pas besoin de tant d’esÂpace, mais le public, bien sûr, veut les voir gamÂbaÂder dans de grandes plaines ». Le ProÂfesÂseur H. HedigÂger du zoo de Munich, va plus loin : « la cage était autreÂfois une chose dans laquelle un aniÂmal sauÂvage était enferÂmé contre son gré, prinÂciÂpaÂleÂment pour l’empêcher de s’éÂchapÂper. Les aniÂmaux sauÂvages vivaient dans des cages, comme des forÂçats en priÂson. Ceci mena à l’iÂdée, larÂgeÂment disÂpaÂrue aujourd’Âhui, mais qui couve encore chez cerÂtaines perÂsonnes qui ont très peu de connaisÂsances sur les aniÂmaux, que les aniÂmaux dans les zoos étaient effecÂtiÂveÂment des déteÂnus, innoÂcents même, se lanÂguisÂsant dans le chaÂgrin, la trisÂtesse et l’aÂmerÂtume de la perte de leur ‘liberÂté dorée’ et mouÂrant fréÂquemÂment d’un mal du pays ». HedÂdiÂger nous dit que si nous penÂsons que les aniÂmaux resÂsentent — et souÂveÂnez-vous, les humains sont ausÂsi des aniÂmaux — alors, nous devons avoir « très peu de connaisÂsances sur les aniÂmaux ». Il contiÂnue : « de nos jours, l’iÂdée que les aniÂmaux resÂsemblent de quelque façon à d’inÂnoÂcents forÂçats est ausÂsi fanÂtasque que de croire que les voix qui sortent des postes de radio émanent de petits bonÂhommes empriÂsonÂnés dans la boîte ». AinÂsi, si nous penÂsons que les aniÂmaux resÂsentent — et, souÂveÂnez-vous, les hommes sont ausÂsi des aniÂmaux — alors, et selon le Dr. HedÂdigÂger, nous devons être fous. Il ajoute enfin : « les aniÂmaux sauÂvages dans les zoos resÂsemblent pluÂtôt à des proÂpriéÂtaires fonÂciers. Loin de vouÂloir s’enÂfuir et de recouÂvrer leur liberÂté, ils se canÂtonnent à vouÂloir défendre l’esÂpace qu’ils habitent et à le proÂtéÂger de toute intruÂsion ». Est-ce la peine que je comÂmente ceci, ou est-ce que la démence de ce type de raiÂsonÂneÂment est ausÂsi éviÂdente pour vous qu’elle l’est pour moi ? De temps à autre, nous pouÂvons obserÂver ces mêmes jusÂtiÂfiÂcaÂtions, mais forÂmuÂlées autreÂment. VoiÂci une citaÂtion d’un autre garÂdien de zoo : « Si vous deviez pasÂser un weeÂkend dans un superÂdome sans contact avec d’autres gens, vous finiÂriez par vous tapez la tête contre le mur dès le lunÂdi suiÂvant, par ennui. Mais si je vous enferÂmais dans ce (petit) bureau pour le weeÂkend, et que je vous donÂnais une radio, des livres, des crayons et ainÂsi de suite, vous vous occuÂpeÂriez ».
Je suis sûr que vous voyez les proÂblèmes. D’abord, ces aniÂmaux ne sont pas enferÂmés dans ces cages seuleÂment durant un weeÂkend, mais durant toute leur vie. Ensuite, les options dont nous disÂpoÂsons ne se limitent pas à enferÂmer ces aniÂmaux dans une petite cage ou une grande — dans un bureau ou un superÂdome. Le garÂdien de zoo ignore la troiÂsième option : faire sauÂter le bureau comme le superÂdome, la petite cage comme la grande, et libéÂrer les aniÂmaux. Ou mieux : ne pas les capÂtuÂrer en preÂmier lieu. Ensuite, si les aniÂmaux n’ont besoin que d’un petit terÂriÂtoire et qu’ils ne vagaÂbondent pas — ou, comme HedigÂger le forÂmule, que les aniÂmaux ont perÂdu « le désir de s’échapper et de regaÂgner leur liberÂté » — alors il n’y a plus besoin de barÂreaux, ni de fosÂsés, ni de barÂrières élecÂtriques. Encore une fois, il est clair qu’aucun de ces garÂdiens de zoo n’a jamais eu de vériÂtable relaÂtion avec — et, d’ailleurs, qu’ils n’ont jamais vu — un aniÂmal sauÂvage. N’ont-ils jamais vu des lions de mer surÂfer, ou des mouettes jouer dans le vent ? N’ont-ils jamais obserÂvé de meutes de loups jouer, et des cerfs se danÂdiÂner et jouer joyeuÂseÂment ? N’ont-ils jamais vu d’écureuils couÂrir de haut en bas le long des arbres, se proÂvoÂquer mutuelÂleÂment, et proÂvoÂquer des chiens et d’autres aniÂmaux ne pouÂvant pas grimÂper pour les attraÂper ? Lorsque j’élevais des poules, durant les nuits froides, je faiÂsais renÂtrer les pousÂsins orpheÂlins à l’intérieur. Chaque matin, lorsque je les rameÂnais dehors, ils sauÂtaient et danÂsaient. Ils jouaient. Les aniÂmaux domesÂtiques, comme les aniÂmaux sauÂvages — et il s’agit d’un droit de naisÂsance que nous parÂtaÂgeons tous, y comÂpris nous, les humains, bien que les humains civiÂliÂsés aient été forÂcés de l’oublier — passent beauÂcoup de temps à jouer. Il s’agit d’une large parÂtie de ce que nous faiÂsons. D’une large parÂtie de pourÂquoi nous sommes là .
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Je vais dans un zoo. Je vois des aniÂmaux exhiÂbés. J’apÂpuie sur le bouÂton et entends : tous les aniÂmaux du zoo sont impaÂtients de te renÂconÂtrer. Je rentre à la maiÂson. J’ouvre un jourÂnal et tombe sur un article intiÂtuÂlé « la plaÂnète des aniÂmaux : de la célèbre foire aux chaÂmeaux en Inde aux féroces varans de KomoÂdo indoÂnéÂsiens — Le monde entier est un zoo ». Et le sous-titre, en gros caracÂtères gras : « le monde des aniÂmaux attend ». Qui ? Vous, bien sûr. Je repose le jourÂnal et allume mon PC. Je vais sur un site porÂno. Je vois des femmes exhiÂbées. Je clique sur ma souÂris, et je lis : « toutes ces dames adorent se déshaÂbiller devant la caméÂra et s’aÂmusent beauÂcoup durant ces prises de vues, qui vous sont accesÂsibles sans aucune cenÂsure ». […]
ExhiÂber tous ces « autres » n’est pas sufÂfiÂsant. Nous devons nous convaincre qu’ils sont les acteurs désesÂpéÂréÂment volonÂtaires de leur propre dégraÂdaÂtion, que nous ne les exploiÂtons pas mais leur faiÂsons une faveur. Nous secouÂrons les ours du monde sauÂvage, nous sauÂvons des orpheÂlins d’une condamÂnaÂtion à mort. Les aniÂmaux des zoos sont telÂleÂment heuÂreux que nous avons besoin de cages afin d’empêcher ceux qui sont à l’exÂtéÂrieur de se préÂciÂpiÂter à l’inÂtéÂrieur. Les aniÂmaux sont riches, ce sont même des proÂpriéÂtaires vivant leurs vies dans un luxe oisif. Je clique sur ma souÂris d’ordinateur et je lis, « il y a mainÂteÂnant une douÂzaine de gorilles et une douÂzaine de chimÂpanÂzés qui vivent dans ce nouÂveau morÂceau de paraÂdis des singes. Ils veulent tous te renÂconÂtrer ».
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On dit souÂvent que l’une des preÂmières foncÂtions posiÂtives des zoos est l’éÂduÂcaÂtion. La fin typique d’un livre sur les zoos est un plaiÂdoyer écrit dans un lanÂgage lyrique, expliÂquant que parce que la terre est deveÂnue un champ de bataille, et puisque les aniÂmaux perdent la bataille et la guerre, les zoos sont alors le derÂnier espoir d’un monde sauÂvage assiéÂgé. Ce n’est qu’en expoÂsant le plein potenÂtiel éduÂcaÂtif des zoos que sufÂfiÂsamÂment de perÂsonnes se souÂcieÂront du monde sauÂvage pour que nous cesÂsions de détruire la plaÂnète. Le défi des zoos, selon un autre pasÂsage type, est « de perÂmettre aux aniÂmaux vivants d’insÂpiÂrer l’éÂmerÂveilleÂment et l’admiration du monde natuÂrel ; de nous apprendre cette place de l’aÂniÂmal dans le cosÂmos et de mettre en lumière la toile encheÂvêÂtrée et fraÂgile de la vie qui le nourÂrit ; c’est une porte ouverte à la préÂserÂvaÂtion pour des milÂlions de perÂsonnes qui veulent aider à sauÂver cette plaÂnète et les incroyables créaÂtures qu’elle abrite. Pour enriÂchir, illuÂmiÂner, et insÂpiÂrer les perÂsonnes qui s’en souÂcient, afin qu’à traÂvers le pouÂvoir de la volonÂté d’un très grand nombre, nous sauÂvions le scaÂraÂbée, l’esÂcarÂgot, et l’alÂliÂgaÂtor, ainÂsi que le panÂda, le rhiÂnoÂcéÂros et le condor ».
ExaÂmiÂnons cela. L’usage du mot « perÂmettre » par l’auteure, Vicki Crocke, sous-entend touÂjours et encore cette même vieille impliÂcaÂtion volonÂtaire de la part des encaÂgés, et ignore le fait que leur incarÂcéÂraÂtion est impoÂsée par la force : nous devons capÂtuÂrer et empriÂsonÂner ces autres afin que nous puisÂsions leur perÂmettre de nous enseiÂgner. « PerÂmettre » serait tout à fait approÂprié si nous parÂlions d’animaux sauÂvages dans des cirÂconsÂtances sauÂvages, qui se préÂsenÂteÂraient à nous en tant que proÂfesÂseurs. Au sein de nomÂbreuses cosÂmoÂloÂgies indiÂgènes, les créaÂtures sauÂvages sont nos preÂmiers enseiÂgnants. Je pense souÂvent aux mots de Brave BufÂfaÂlo, « J’ai remarÂqué dans ma vie que tous les hommes ont des préÂféÂrences pour un aniÂmal, un arbre, une plante ou un endroit spéÂciÂfique de la Terre. Si les hommes faiÂsaient plus attenÂtion à ces préÂféÂrences et cherÂchaient à faire ce qu’ils peuvent pour se comÂporÂter digneÂment vis-à -vis de cette préÂféÂrence, ils feraient peut-être des rêves qui puriÂfieÂraient leurs vies. Il faut laisÂser l’homme choiÂsir et étuÂdier son aniÂmal favoÂri, apprendre ses habiÂtudes. Le laisÂser apprendre ses bruits et ses déplaÂceÂments. Les aniÂmaux veulent comÂmuÂniÂquer avec les hommes, mais Wkan’Taka [Le Grand Esprit] ne souÂhaite pas leur perÂmettre de le faire de manière directe — les hommes doivent faire le prinÂciÂpal afin de garanÂtir cette comÂpréÂhenÂsion ».
Et, selon Vicki Croke, que nous apprennent ces aniÂmaux incarÂcéÂrés — oh, parÂdon, ces proÂpriéÂtaires fonÂciers ? Ils vont « nous insÂpiÂrer l’émerveillement et l’admiration du monde natuÂrel ».
Êtes-vous déjà allé au zoo ? Les zoos sont constiÂtués d’aÂniÂmaux en cages — oh, parÂdon, en habiÂtats, ranÂgées après ranÂgées, senÂtiers après senÂtiers. Les zoos sont, au mieux, de mauÂvaises simuÂlaÂtions du monde natuÂrel. AinÂsi, ce qui peut être transÂmis est, au mieux, un senÂtiÂment d’admiration envers l’intelligence de ceux qui tentent de conceÂvoir ces simuÂlaÂtions et une sorte d’étonnement malÂaiÂsé à l’idée que quiÂconque essaie (pourÂquoi essayer — et miséÂraÂbleÂment échouer — de reproÂduire la nature lorsque la nature le fait graÂtuiÂteÂment ?). Et avez-vous vus les gens dans les zoos ? Le grizzÂly qui faiÂsait les cent pas ne proÂvoque aucune réacÂtion chez ceux qui lui passent devant, et cerÂtaiÂneÂment pas l’émerveillement et l’admiration. Et quels senÂtiÂments des hipÂpoÂpoÂtames à la dérive dans un réserÂvoir de béton plein d’eau et d’excréments insÂpirent-ils ? Et les éléÂphants enchaiÂnés ? Et la girafe soliÂtaire ? L’émerveillement et l’admiration seraient comÂplèÂteÂment inapÂproÂpriés, à moins que cela ne soit à la vue de la résiÂlience de ces créaÂtures face à toutes ces horÂreurs.
Les zoos ne m’insÂpirent pas un senÂtiÂment « d’éÂmerÂveilleÂment et d’adÂmiÂraÂtion ». Ils m’insÂpirent un senÂtiÂment de soliÂtude et de proÂfond chaÂgrin. Je ne vois aucun émerÂveilleÂment ni aucune admiÂraÂtion sur les visages des direcÂteurs de zoos. J’enÂtends des enfants rire des aniÂmaux. Non pas ce « doux son des rires d’enÂfants » dont on lit si souÂvent la desÂcripÂtion dans de mauÂvais poèmes, mais le rire moqueur de la cour d’éÂcole, le rire de la malÂchance de l’autre, le rire qui donne de la voix au même mépris qui se maniÂfeste dans les titres désinÂvoltes des jourÂnaux et dans les blagues des magaÂzines comme JogÂging Man. Je vois des mères avec leurs jeunes enfants, riant avec eux en monÂtrant du doigt ces aniÂmaux stuÂpides, se moquant du gros orang-outan, se moquant du loup qui fait les cents pas, faiÂsant des griÂmaces effrayantes au serÂpent, ignoÂrant l’ours qui fait les cents pas, se moquant du fourÂmiÂlier qui fait des allers-retours et des allers-retours, touÂjours et encore. Et ces femmes avec leurs pousÂsettes, avec leurs jeunes enfants qui chouinent pour de la barbe-à -papa, qui chouinent pour avoir des ours en peluche, ne s’arÂrêtent jamais de marÂcher, ne s’arÂrêtent jamais de parÂler, ne s’arÂrêtent jamais de poinÂter du doigt et de rire. Ils pénètrent le pavillon des singes. Ils hurlent sur ces idiots de singes, ces chimÂpanÂzés stuÂpides qui se mettent les doigts dans le nez et qui regardent fixeÂment les femmes et les enfants, à traÂvers la vitre. Les enfants rient et tapent sur la vitre. Ils se collent tout près, et déviÂsagent à leur tour l’aÂniÂmal de l’autre côté. Lui font des griÂmaces. Puis se détournent. J’enÂtends encore les mères hurÂler, et dire : « oh, regarde, le singe fait une petite crotte ! » Je ferme les yeux, et me retrouve une fois de plus agripÂpé à la ramÂbarde. Les enfants rient et hurlent. Les mères aux voix striÂdentes s’exÂclament à nouÂveau, « oh, regarde, le singe étale sa petite crotte sur la vitre ». Les femmes et les enfants rient et crient.
Je pense, « ne sais-tu pas ce que ce chimÂpanÂzé vient juste de te dire ? Es-tu telÂleÂment déconÂnecÂtée que tu ne remarques même pas lorsque tu as été insulÂtée ? »
Que sont en train d’apÂprendre ces femmes et ces enfants ? Quel « émerÂveilleÂment et admiÂraÂtion » perÂmettent-ils aux aniÂmaux d’insÂpiÂrer ?
Croke contiÂnue, et nous dit du but des zoos qu’il est « de nous apprendre cette place de l’aÂniÂmal dans le cosÂmos et de mettre en lumière la toile encheÂvêÂtrée et fraÂgile de la vie qui le nourÂrit ». Cela n’a pas de sens. Les zoos nous apprennent que la place d’un hipÂpoÂpoÂtame est dans une pisÂcine de béton remÂplie de merde, que celle d’un singe est derÂrière une fenêtre vitrée afin qu’il ne puisse pas vous balanÂcer sa merde au visage — ce qu’il adoÂreÂrait cerÂtaiÂneÂment faire à ce stade — et que la place d’un grizzÂly est dans un « habiÂtat » de 900 mètres carÂrés. ComÂment un zoo peut-il nous apprendre la place d’un aniÂmal dans le cosÂmos, quand la préÂsence même de cette créaÂture dans un zoo implique qu’elle ou ses aïeux aient été retiÂrés de force de cette place légiÂtime. Et comÂment un zoo peut-il illuÂmiÂner une toile encheÂvêÂtrée et fraÂgile, lorsque toutes les parÂties la comÂpoÂsant sont sépaÂrées et mises en cage ? La toile est faite des relaÂtions entre les difÂféÂrents aniÂmaux, plantes, sols et cliÂmats, et ne peut être simuÂlée dans une boîte de béton, qu’importent les « enriÂchisÂseÂments » ajouÂtés.
Vicki Croke n’est pas la seule. David HanÂcoks utiÂlise un lanÂgage tout ausÂsi mesÂsiaÂnique pour proÂmouÂvoir la notion selon laquelle les zoos sont le derÂnier espoir de la nature : « les zoos posÂsèdent le merÂveilleux potenÂtiel de pouÂvoir déveÂlopÂper une popuÂlaÂtion citoyenne concerÂnée, éveillée, enthouÂsiasÂmée, stiÂmuÂlée, attenÂtive, et empaÂthique. Les zoos peuvent cultiÂver une senÂsiÂbiÂliÂté enviÂronÂneÂmenÂtale chez leurs cenÂtaines de milÂlions de clients. Une telle popuÂlace peut alors souÂhaiÂter vivre plus douÂceÂment sur la terre, être plus attenÂtive vis-à -vis de l’utilisation des resÂsources natuÂrelles du monde, et choiÂsir de voter pour des poliÂtiÂciens qui se souÂcient des habiÂtants sauÂvages de la Terre et de la sanÂté de ses derÂniers endroits sauÂvages. Aider à sauÂver la vie sauÂvage, traÂvailler à améÂlioÂrer la sanÂté de la plaÂnète, et encouÂraÂger la senÂsiÂbiÂliÂsaÂtion de la popuÂlace : voiÂci les objecÂtifs des nouÂveaux zoos ».
Nous pourÂrions exaÂmiÂner cette déclaÂraÂtion de la même manière que celle de Vicki Croke, et y trouÂver les mêmes supÂpoÂsiÂtions infonÂdées et la même penÂsée magique, mais il serait plus effiÂcace encore que vous vous renÂdiez dans un zoo afin d’observer vous-mêmes leurs clients.
Même si on les croyait sur parole quant au potenÂtiel éduÂcaÂtif des zoos, des études ont démonÂtré, les unes après les autres, qu’ils ont miséÂraÂbleÂment échoué en cela. Comme un auteur nous le dit : « une étude sur la durée d’obÂserÂvaÂtion au Park de Regent, en 1985, nous révèle que les specÂtaÂteurs se tiennent en moyenne 46 secondes devant l’enÂclos des singes, et passent 32 minutes dans un pavillon conteÂnant une cenÂtaine de cages. PluÂtôt que de témoiÂgner d’un exaÂmen approÂfonÂdi, cela nous fait pluÂtôt penÂser à la vitesse à laquelle les proÂgrammes télé, et même les pièces des musées sont ‘consomÂmées’. » Ces 46 secondes incluent le temps pasÂsé à lire — ou pluÂtôt à surÂvoÂler — les inforÂmaÂtions affiÂchées à proÂpos des aniÂmaux. De plus, alors que 80% des visiÂteurs de zoos affirment y avoir appris quelque chose, des études ont monÂtré que même après leur visite, ils demeurent moins « senÂsiÂbiÂliÂsés à la nécesÂsiÂté de resÂpecÂter la nature » que les ranÂdonÂneurs. Toutes ces enquêtes nous révèlent que même lorsque les visiÂteurs sont encore dans le zoo, se tenant juste devant les aniÂmaux en quesÂtion, ils échouent constamÂment même sur des quesÂtions de nomenÂclaÂture rudiÂmenÂtaire : ils appellent encore « singes » les gibÂbons et les orangs-outans ; « buses », les vauÂtours ; « paons », les casoars ; « lions », les tigres ; « casÂtors », les loutres, et ainÂsi de suite.
VoiÂci le comÂmenÂtaire de Peter BatÂten [ancien direcÂteur du zoo de San Jose, aux USA, qui a ensuite écrit un livre sur les zoos, intiÂtuÂlé « TroÂphées vivants : un regard choc sur les zoos des États-Unis »] à proÂpos de la valeur éduÂcaÂtive des zoos : « L’idée que quiÂconque retire des bénéÂfices sur le long terme d’avoir obserÂvé des aniÂmaux sauÂvages d’autres pays dans des cages qui inhibent leur comÂporÂteÂment natuÂrel devrait être étuÂdiée sans préÂjuÂgé. Devrait-on apprendre que le chimÂpanÂzé, par exemple, est un humaÂnoïde névroÂsé qui reçoit sa nourÂriÂture des humains, et qui pique des crises de colère et jette ses excréÂments le cas échéant ? Ou que l’orang-outan, qui, par nature, desÂcend rareÂment sur le sol doux de la forêt, n’est qu’un tas de fourÂrure rouge pathéÂtique dans le coin d’une celÂlule carÂreÂlée ? Le lion de mer de CaliÂforÂnie, vif et gréÂgaire, devrait-il être repréÂsenÂté par un aniÂmal à moiÂtié aveuÂglé par l’eau non-salée et sale dans laquelle il passe sa vie à menÂdier pour des poisÂsons pourÂris ? »
Tout cela dit, je pense que les zoos parÂviennent larÂgeÂment à apprendre des choses à leurs visiÂteurs, concerÂnant les non-humains. Mais la quesÂtion demeure : qu’enseignent-ils ?
Bien qu’il soit exact, comme BerÂger l’a écrit, que « la capÂture des aniÂmaux était une preuve symÂboÂlique de la conquête des terres exoÂtiques loinÂtaines », et qu’il est vrai que les zoos sont des symÂboles de richesse et de pouÂvoir, nous ne devons jamais oublier qu’il y a bien plus en jeu que de pâles symÂboles, surÂtout pour ceux qui sont les plus intiÂmeÂment impliÂqués. A l’éÂpoque de l’EmÂpire Romain, on préÂféÂrait traÂdiÂtionÂnelÂleÂment les fosses et les pièges pour capÂtuÂrer la pluÂpart des aniÂmaux. Les blesÂsures étaient fréÂquentes et souÂvent fatales. Même les aniÂmaux qui n’éÂtaient pas phyÂsiÂqueÂment blesÂsés n’en sorÂtaient pas indemnes. En plus de perdre leur liberÂté pour touÂjours, maniÂfesÂteÂment, BaraÂtay et HarÂdouin-Fugier rapÂportent que « le choc de la capÂture est tel que, selon cerÂtains dresÂseurs, ‘un félin est presque fou une fois rameÂné’ ». HisÂtoÂriÂqueÂment, enviÂron 50% des aniÂmaux mourÂraient sur les bateaux à desÂtiÂnaÂtion de l’Europe ou de l’Amérique. BaraÂtay et HarÂdouin-Fugier écrivent que « Les morts avant embarÂcaÂtion ne sont même pas calÂcuÂlables. Pour la pluÂpart des singes et pour d’autres aniÂmaux, les morts de leurs mères, et, par conséÂquent, de leurs desÂcenÂdants, doivent ausÂsi être compÂtées. James Fisher, assisÂtant direcÂteur du zoo de Londres, estime que la capÂture d’un seul orang-outan en éliÂmine quatre dans le monde natuÂrel, dont trois mères potenÂtielles. DomaÂlain estime à 10 le nombre d’animaux tués pour chaque aniÂmal que l’on peut voir dans un zoo. Même au 20ème siècle, le taux de morÂtaÂliÂté par transÂport aérien contiÂnuaient à être éleÂvés : entre 1988 et 1991, il était d’entre 10 et 37% pour les babouins et les singes d’Afrique aux queues longues, de 10% chez ceux en proÂveÂnance des PhiÂlipÂpines et de 18 à 54% chez ceux en proÂveÂnance d’Indonésie ».
La méthode traÂdiÂtionÂnelle de capÂture de nomÂbreuses espèces sociales, notamÂment les éléÂphants, les gorilles, les chimÂpanÂzés et bien d’autres, était — et demeure — de tuer les mères. A proÂpos des éléÂphants, on disait : « la seule façon de capÂtuÂrer un aniÂmal vivant était de tuer les femelles allaiÂtantes et les chefs du trouÂpeau. Le récit de l’exÂpéÂdiÂtion TornÂblad au Kenya parle de l’aÂbatÂtage des girafes adultes qui perÂmit la capÂture d’un giraÂfon, qui fut ausÂsiÂtôt accueilli dans le groupe, soiÂgné et à qui fut donÂné le nom de ‘RosaÂlie’. HagenÂbeck s’est retrouÂvé ‘trop souÂvent obliÂgé de tuer’ des éléÂphants qui proÂtéÂgeaient leurs petits en se serÂvant de leurs corps comme de bouÂcliers. »
ContiÂnuez simÂpleÂment à vous répéÂter que ce ne sont que des aniÂmaux. Qu’ils ne resÂsentent pas. Qu’ils s’en fichent. Qu’ils n’éÂprouvent aucun chaÂgrin. Que les mères et les pères n’aiment pas leurs petits. Que les petits n’aiment pas leurs parents. ContiÂnuez à répéÂter que de croire que les aniÂmaux pourÂraient désiÂrer un cerÂtain type de vie est un concept étrange.
Je pense qu’il vaut mieux décrire la capÂture des aniÂmaux des zoos à l’aide des mots des humains les plus direcÂteÂment impliÂqués. Je ne peux faire mieux qu’eux.
Hans DomiÂnik était un alleÂmand qui vivait en Afrique au début du 20ème siècle. Il capÂtuÂrait et venÂdait beauÂcoup d’animaux difÂféÂrents, y comÂpris l’animal humain. Le voiÂci qui décrit la capÂture d’éléphants pour les zoos : « Les aniÂmaux étaient peu actifs. Les cris d’humains au traÂvail qui transÂperÂçaient le calme de la forêt semÂblaient à peine les déranÂger. Un mâle adulte se tenait à l’écart, et arraÂchait des branches avec sa trompe afin d’en manÂger les feuilles. Plus près de nous, une femelle caresÂsait amouÂreuÂseÂment son enfant, qui était à peine plus gros qu’un porc, et qui se tenait entre ses pattes, avec sa trompe. Quelques aniÂmaux manÂgeaient — arraÂchant ensemble des herbes basses et utiÂliÂsant leurs trompes comme des faux — la pluÂpart semÂblaient endorÂmis… Nous paraisÂsions si petits, si insiÂgniÂfiants comÂpaÂrés aux puisÂsants aniÂmaux du puisÂsant monde sauÂvage ».
ComÂment cela se dérouÂlait-il ? « Vous prouÂvez votre valeur en garÂdant un aniÂmal capÂtif ; êtes-vous vraiÂment plus puisÂsant si vous le tuez ? »
Cette nuit-là , DomiÂnik et ses domesÂtiques construiÂsirent une barÂrière pour empêÂcher que les aniÂmaux ne s’échappent. La « chasse » comÂmenÂça le matin suiÂvant. « L’un après l’autre, alors qu’ils attraÂpaient quelque bout de verÂdure ci et là , les éléÂphants s’approchèrent de nous lenÂteÂment. Les crans de sûreÂtés furent ôtés. ‘Toi, le deuxième’, ai-je murÂmuÂré à ZamÂpa. Les aniÂmaux étaient prêts. J’ai fait feu sur l’oreille de l’animal le plus proche. Au moment du bruit casÂsant, l’éléphant leva sa trompe en l’air et émit un puisÂsant son. Sa courte queue s’étendit, il tourÂna sur lui-même comme une touÂpie. A ce moment-là , ZamÂpa fit feu. Proche de moi, le second aniÂmal s’effondra à genoux, puis se releÂva rapiÂdeÂment et suiÂvi le mâle de tête beuÂglant et sanÂguiÂnolent, qui se diriÂgeait vers la colÂline ».
DomiÂnik suiÂvit l’animal blesÂsé, en contiÂnuant à lui tirer desÂsus tanÂdis qu’il le suiÂvait. Il les retrouÂva. « Un des aniÂmaux était étenÂdu ici ; appaÂremÂment la colonne verÂtéÂbrale avait été touÂchée parce que l’éléphant ne s’était écrouÂlé que sur son arrière-train, et était en posiÂtion assise. Tel des colonnes, ses pattes avant s’élevait depuis le sol, sa tête et sa trompe se balanÂçaient de droite à gauche : il émit un gémisÂseÂment étoufÂfé, des morÂceaux de sang couÂlaient depuis son flanc, preuve que les pouÂmons étaient ausÂsi touÂchés. L’autre se tenait près de lui, immoÂbile, à l’exception de sa trompe. Il soufÂflait souÂvent, il se proÂjeÂtait de la terre sur lui avec sa trompe. Notre approche ne semÂbla pas les perÂturÂber. Nous nous glisÂsâmes près d’eux. J’avais l’œil de ce géant assis juste au bout de mon fusil, lorsque, derÂrière moi, ZamÂpa fit feu. L’éléphant qui se tenait debout barÂrit bruyamÂment. A mon tour, j’ouvris le feu, et il s’écroula sur place. L’autre éléÂphant se tenait touÂjours debout ; finaÂleÂment, au preÂmier coup de la deuxième chambre de mon fusil, il s’effondra. L’un à côté de l’autre, les deux géants baiÂgnaient dans une mare de sang. Amba et BalÂla étaient déjà là ; avec leurs machettes aiguiÂsées ils couÂpèrent leurs trompes, qui étaient épaisses comme la moiÂtié d’un homme. Les aniÂmaux resÂpiÂraient encore. Comme d’une fonÂtaine, le sang rouge jaillisÂsait des énormes artères et asperÂgeait nos vêteÂments tanÂdis que nous nous tenions aux côtés des aniÂmaux, à exaÂmiÂner nos armes et à disÂcuÂter de la suite de la chasse ».
Dans son livre cruÂcial, Savages and Beasts (non traÂduit, en franÂçais : Les sauÂvages et les bêtes), Nigel RothÂfels décrit la suite de l’histoire de DomiÂnik : « la fasÂciÂnaÂtion macaÂbreÂment détaillée qui transÂpaÂraît dans cette hisÂtoire contiÂnue au fil de la chasse. BienÂtôt DomiÂnik fit la renÂcontre d’une femelle et de son petit ; après pluÂsieurs coups de feu, affreuÂseÂment décrits, la femelle fut acheÂvée par un tir dans l’œil gauche. Le petit fut attaÂché à un arbre, et se mit à ‘retourÂner le sol avec ses petites défenses, à brailler et à gémir, à charÂger en arrière, à se tenir sur sa tête, et à baver de rage tanÂdis que des yeux injecÂtés de sang resÂsorÂtaient de son visage’. Trois autres petits furent bienÂtôt capÂtuÂrés, l’un d’eux mouÂrut d’asphyxie après que sa trompe ait été attaÂchée entre ses jambes à ses pattes arrières ce qui fit qu’il ‘resÂpiÂra avec difÂfiÂculÂté et s’étendit sur le sol comme un gros sac gris’. Un autre petit mouÂrut durant la nuit des blesÂsures infliÂgées au cours de la capÂture, mais DomiÂnik parÂvint à garÂder deux petits de la troupe et en ajouÂta peu après trois autres à sa colÂlecÂtion. Deux mouÂrurent un mois après, mais les trois resÂtants semÂblaient prosÂpéÂrer [sic] dans leur nouÂvel enviÂronÂneÂment, et l’un d’eux, via HagenÂbeck, fut transÂféÂré au zoo de BerÂlin, où des milÂliers de berÂliÂnois purent admiÂrer cette nouÂvelle acquiÂsiÂtion en proÂveÂnance des coloÂnies ».
ComÂment cela se dérouÂlait-il ? Tous les aniÂmaux du zoo t’attendent impaÂtiemÂment.
HeinÂrich LeuÂteÂmann claÂriÂfie les prioÂriÂtés de ceux qui capÂturent les aniÂmaux pour les zoos : « pour le négoÂciant d’aÂniÂmaux, la méthode de capÂture est, du point de vue des affaires, une quesÂtion triÂviale ». Il donne des exemples : « les lions, sans excepÂtion, sont capÂtuÂrés petits après que leurs mères aient été tuées, c’est la même chose pour les tigres, parce que ces aniÂmaux, lorsÂqu’ils sont attraÂpés adultes, dans des trappes ou des fosses, sont trop puisÂsants et inteÂnables, et meurent généÂraÂleÂment en résisÂtant. Les grands singes anthroÂpoïdes ne peuvent être capÂtuÂrés — à quelques excepÂtions près — que très jeunes aux côtés de leurs mères mortes. C’est le même scéÂnaÂrio avec presque tous les aniÂmaux ; durant le proÂcesÂsus, les girafes et les antiÂlopes, par exemple, lorsÂqu’elles sont chasÂsées, abanÂdonnent tout simÂpleÂment les petits qui sont resÂtés à la traîne, alors que la mère éléÂphant défend son éléÂphanÂteau et doit (sic) par conséÂquent, être tuée. Ce qui est égaÂleÂment le cas des hipÂpoÂpoÂtames. Et celui des rhiÂnoÂcéÂros : les petits sont arraÂchés aux adultes, qui (sic), par conséÂquent, se font généÂraÂleÂment tuer ».
L’éÂléÂphant le plus connu du XIX siècle était peut-être JumÂbo. Il fut capÂtuÂré de la même manière. Un chasÂseur, HerÂmann SchomÂburgk, a abatÂtu sa mère. Il le décrit lui-même : « elle s’est écrouÂlée en arrière, me laisÂsant une chance de sauÂter sur le côté et de lui porÂter un coup fatal, après quoi, elle mouÂrut imméÂdiaÂteÂment. ObéisÂsant aux lois de la nature, le jeune aniÂmal est resÂté à côté de sa mère… JusÂqu’à ce que mes hommes arrivent, j’ai obserÂvé comÂment ce pitoyable petit bébé n’arÂrêÂtait pas de couÂrir autour de sa mère en lui donÂnant des coups avec sa trompe comme s’il vouÂlait la réveiller afin qu’ils s’enÂfuient ».
***
Qu’apÂpreÂnons-nous vraiÂment des zoos ? Qu’apÂpreÂnons-nous en regarÂdant ces aniÂmaux pathéÂtiques, abatÂtus, en colère ou deveÂnus fous ? Qu’apÂpreÂnons-nous au-delà des banaÂliÂtés affiÂchées sur les écriÂteaux devant les barÂreaux, les douves ou les clôÂtures élecÂtriÂfiées ?
Nous appreÂnons que les humains ne sont pas des aniÂmaux. Nous appreÂnons que nous, sommes ici, et eux, là -bas.
Nous appreÂnons qu’ils sont là pour nous : pour notre plaiÂsir, notre diverÂtisÂseÂment, notre éduÂcaÂtion : pour « nous ». Nous appreÂnons qu’ils n’ont aucune exisÂtence indéÂpenÂdante des nôtres.
Nous appreÂnons que notre monde est sans limite, mais que le leur est limiÂté, contraint, étriÂqué.
Nous appreÂnons que nous sommes plus futés qu’eux, autreÂment ils pourÂraient nous tromÂper et s’éÂchapÂper. Ou, peut-être, qu’ils ne veulent pas s’enÂfuir, que leur raviÂtailleÂment en mauÂvaise nourÂriÂture — les grizzÂlys du zoo de San FranÂcisÂco sont aujourd’Âhui nourÂris avec de la nourÂriÂture indusÂtrielle pour chien — et que leur abri en béton à l’inÂtéÂrieur d’une cage ont davanÂtage d’imÂporÂtance que la liberÂté. (L’importance que des humains tirent de tout ceci des leçons vis-à -vis de leur propre vie ne doit pas être négliÂgée).
Nous appreÂnons que nous sommes plus puisÂsants qu’eux, sinon nous ne pourÂrions pas les confiÂner ainÂsi. Nous appreÂnons qu’il est accepÂtable pour le techÂnoÂloÂgiÂqueÂment puisÂsant d’enÂferÂmer le moins techÂnoÂloÂgiÂqueÂment puisÂsant (une fois encore, l’imÂporÂtance de faire en sorte que des humains techÂnoÂloÂgiÂqueÂment moins puisÂsants intègrent ce mesÂsage ne doit pas être négliÂgée).
Nous appreÂnons que chaÂcun de nous, peu importe l’imÂpuisÂsance que nous resÂsenÂtons dans nos vies, est plus puisÂsant que le plus impoÂsant des éléÂphants ou des ours polaires. PourÂquoi ? Parce que nous pouÂvons aller et venir.
Nous appreÂnons que leurs « habiÂtats » ne sont pas les forêts, les plaines, les déserts, les rivières, les monÂtagnes et les mers préÂserÂvés, mais les cages et rochers en béton avec des troncs d’arbres morts.
Nous appreÂnons qu’une créaÂture extraite de son habiÂtat demeure une créaÂture. Nous voyons un lion de mer dans une pisÂcine en béton, et croyons qu’il s’aÂgit encore d’un lion de mer. Mais ce n’est pas le cas. C’est faux. Nous ne devrions jamais laisÂser les zooÂlogues défiÂnir pour nous ce qu’est ou qui est, un aniÂmal.
Les zoos nous enseignent que les aniÂmaux sont de la viande et des os dans un sac de peau. Vous pourÂriez mettre un carÂcaÂjou dans des cages de plus en plus petites, jusÂqu’à avoir une cage de la taille préÂcise du carÂcaÂjou, et vous auriez quand même, d’aÂprès ce que les zoos nous enseignent impliÂciÂteÂment, un carÂcaÂjou.
Les zoos nous enseignent que les aniÂmaux sont comme des éléÂments d’une machine : sépaÂrables, remÂplaÂçables, interÂchanÂgeables. Ils nous enseignent qu’il n’y a pas de toile de vie, que vous pouÂvez extraire un éléÂment, le mettre dans une boîte, et touÂjours être en préÂsence de cet éléÂment. Mais tout cela est faux.
Les zoos nous enseignent impliÂciÂteÂment que les aniÂmaux ont besoin d’être gérés, qu’ils ne peuvent surÂvivre sans nous. Qu’ils sont nos triÂbuÂtaires, pas nos enseiÂgnants, nos voiÂsins, nos supéÂrieurs, nos égaux, nos amis, nos dieux. Qu’ils sont à nous. Que nous devons assuÂmer la verÂsion inter-espèces du « farÂdeau de l’homme blanc », et par la bonÂté de nos cÅ“urs, bénéÂvoÂleÂment contrôÂler leurs vies. Que nous devons les « sauÂver du monde sauÂvage ».
VoiÂci la vériÂtable leçon que nous enseignent les zoos, la leçon uniÂverÂselle, la leçon suprême, et, en fait, la seule qui compte vraiÂment : un abîme immense sépare les humains des autres aniÂmaux. Il est plus large que le plus large des fosÂsés, plus solide que les barÂreaux les plus résisÂtants, plus sûr que les plus létales des clôÂtures élecÂtriques. Nous sommes ici. Ils sont là -bas. Nous sommes spéÂciaux. Nous sommes à part.
***
Les zoos impliquent au moins quatre péchés imparÂdonÂnables. PreÂmièÂreÂment, ils détruisent la vie de ceux qu’ils enferment. DeuxièÂmeÂment, ils détruisent notre comÂpréÂhenÂsion de qui sont les aniÂmaux et de ce qu’est un habiÂtat. TroiÂsièÂmeÂment, ils détruisent notre comÂpréÂhenÂsion de qui et de ce que nous sommes vraiÂment. QuaÂtrièÂmeÂment, ils détruisent le potenÂtiel des relaÂtions mutuelles, non seuleÂment avec ces aniÂmaux encaÂgés mais ausÂsi avec ceux qui sont encore sauÂvages.
Les zoos — comme la porÂnoÂgraÂphie, la science — remÂplacent les relaÂtions proÂfondes basées sur le resÂpect mutuel et le don par des relaÂtions superÂfiÂcielles basées sur la hiéÂrarÂchie, basées sur la « domiÂnaÂtion et la souÂmisÂsion », basées sur un consomÂmaÂteur sépaÂré maniÂpuÂlant et obserÂvant un « autre » ayant donÂné, ou pas, son accord pour être souÂmis à cette obserÂvaÂtion.
PenÂsez à une image porÂnoÂgraÂphique. Même dans les cas où les femmes sont payées et posent volonÂtaiÂreÂment, elles ne m’ont pas donÂné la perÂmisÂsion de voir leurs corps — ou pluÂtôt les images de leurs corps — ici et mainÂteÂnant. Si j’ai une phoÂto, je l’ai pour touÂjours, même si la femme souÂhaite par la suite retiÂrer cette perÂmisÂsion. Il s’agit de l’opposé d’une relaÂtion, où la femme peut se préÂsenÂter à moi ici et mainÂteÂnant, et à ce moment, et à cet autre, à la fois selon sa volonÂté et selon la mienne (et, bien sûr, je peux ausÂsi me préÂsenÂter à elle ici et mainÂteÂnant, et à ce moment, et à cet autre selon ma volonÂté et selon la sienne). Ce qui, dans le derÂnier cas, est un don, moment après moment, devient, dans le preÂmier cas, une proÂpriéÂté, dont je peux faire ce que je veux. Ceci est vrai, bien sûr, de toutes les phoÂtoÂgraÂphies.
Et des zoos. Je ne contrôle pas, et ne peux pas contrôÂler l’ours dont je parÂtage l’habitat, afin qu’il se préÂsente à moi. Ni les geais du CanaÂda, ni les salaÂmandres de CaliÂforÂnie, ni les limaces. Ils posÂsèdent leur volonÂté propre et indéÂpenÂdante.
Tout est bien pire que ce que je préÂsente. Les zoos — comme la porÂnoÂgraÂphie, la science, comme d’autres reproÂducÂtions toxiques — peuvent faire oublier aux humains ces besoins oriÂgiÂnels en relaÂtion, leur faire oublier que l’éÂchange mutuel est posÂsible, que les relaÂtions proÂfondes existent, et peuvent leur faire croire que le « contrôle » de l’autre est quelque chose de natuÂrel, et de désiÂrable.
La porÂnoÂgraÂphie se saiÂsit du besoin relaÂtionÂnel créaÂtif lié à la sexuaÂliÂté avec des parÂteÂnaires consenÂtants — et l’intimité que cela implique — et le réduit à une relaÂtion entre un obserÂvaÂteur et un obserÂvé. La science se saiÂsit du besoin relaÂtionÂnel créaÂtif en comÂpréÂhenÂsion et en obtenÂtion de savoirs et le réduit à la même dynaÂmique : l’observateur et l’observé ; le domiÂnant et le domiÂné ; le sujet et l’objet. Les zoos se saiÂsissent du besoin créaÂtif de relaÂtions avec des non-humains sauÂvages et le réduit à une « expéÂrience de la nature » qui consiste à pasÂser quelques moments à regarÂder — ou simÂpleÂment à déamÂbuÂler devant — des ours fous et des chimÂpanÂzés en colère dans des cages de béton.
Pire. L’incarcération des aniÂmaux dans les zoos relève autant de la renÂcontre sauÂvage que le viol ne relève de l’amour. L’une comme l’autre requièrent de la coerÂciÂtion, limitent la liberÂté de la vicÂtime, émergent de, maniÂfestent et renÂforcent la préÂroÂgaÂtive autoÂproÂclaÂmée d’accès total à la vicÂtime de la part de l’auteur. L’une comme l’autre détruisent le potenÂtiel d’une relaÂtion intime entre la vicÂtime et l’auteur. Ils perÂverÂtissent la notion de ce qu’est une relaÂtion. Ils se basent sur la dyade de domiÂnance et de souÂmisÂsion. Ils empêchent toute posÂsiÂbiÂliÂté réelle d’une comÂpréÂhenÂsion mutuelle et volonÂtaire de l’autre.
TanÂdis que la vraie renÂcontre avec des aniÂmaux non-humains sauÂvages, comme l’amour, est une danse entre parÂtiÂciÂpants volonÂtaires, qui donnent ce qu’ils veulent, comme ils le veulent, quand ils le veulent. Ils insÂpirent l’intimité préÂsente et future, la comÂpréÂhenÂsion préÂsente et future de l’autre et de soi. Ils nourÂrissent ceux qui sont impliÂqués. Ils approÂfonÂdissent ce que nous sommes.
Plus tôt dans ce livre, des garÂdiens de zoos posaient la quesÂtion « que veulent les grizzÂlys ? » Leur quesÂtion, cepenÂdant, était une reproÂducÂtion toxique d’une vraie quesÂtion. Il s’agissait d’un artiÂfice rhéÂtoÂrique visant à leur fourÂnir une réponse préÂdéÂterÂmiÂnée. Il s’agissait d’un menÂsonge, visant à disÂsiÂmuÂler leur vériÂtable quesÂtion, qui est « que veulent les grizzÂlys, étant donÂné que nous, les garÂdiens de zoos, allons contrôÂler leurs vies pour touÂjours, et les garÂdeÂrons pour touÂjours dans des petites cages que nous quaÂliÂfieÂrons d’habitat ? »
RepoÂsons cette quesÂtion, sinÂcèÂreÂment, cette fois : que veulent les grizzÂlys ? DemanÂdons-nous ensuite, que veulent les sauÂmons ? Que veulent les chouettes tacheÂtées ? Que veulent les babouins hamaÂdryas ? Que veulent les séquoias ? Que veulent les châÂtaiÂgniers améÂriÂcains ?
Tout ceci nous mène à la quesÂtion suiÂvante : comÂment savoir ce qu’ils veulent ? Une fois que nous poseÂrons ces quesÂtions — que veulent-ils, et comÂment savoir ce qu’ils veulent ? — que nous les poseÂrons honÂnêÂteÂment, que nous les poseÂrons sans préÂjuÂgés, que nous les poseÂrons non pas comme une excuse visant à les incarÂcéÂrer et à les exploiÂter, que nous les poseÂrons non pas en tant que « seiÂgneurs de la Terre » mais en tant que voiÂsins, et amis, que nous les poseÂrons resÂpecÂtueuÂseÂment, que nous les poseÂrons à nos anciens, à ceux qui vivent sur les terÂriÂtoires que nous parÂtaÂgeons depuis bien plus longÂtemps que nous, que nous les poseÂrons non pas à proÂpos de quelques indiÂviÂdus mais à proÂpos de familles, de clans, de comÂmuÂnauÂtés, et de terÂroirs, que nous les poseÂrons comme si leurs vies et les nôtres en dépenÂdaient (parce qu’elles en dépendent), nous nous renÂdrons compte — bienÂtôt — que tout ce que nous savons va chanÂger. Le vacarme de la chambre d’écho dimiÂnueÂra, les halÂluÂciÂnaÂtions et les illuÂsions de granÂdeurs induites par la sépaÂraÂtion s’estomperont. La soliÂtude — dévasÂtaÂtrice, ruiÂnant l’âme, et engourÂdisÂsant le cÅ“ur — se briÂseÂra, s’effondrera et sera emporÂtée par une marée de nouÂveaux voiÂsins, préÂsents depuis le début, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus une peine, jusqu’à ne plus être ce préÂsent qui consume mais un souÂveÂnir d’un trauÂmaÂtisme pasÂsé, jusqu’à deveÂnir un conte à l’attention des généÂraÂtions futures, qui ne comÂprenÂdront pas comÂment quiÂconque put un jour être insenÂsé au point de ne pas parÂveÂnir à écouÂter.
DerÂrick JenÂsen
TraÂducÂtion : EmmaÂnuelle DupierÂris & NicoÂlas Casaux
ÉdiÂtion & RéviÂsion : HéléÂna DelauÂnay et NicoÂlas Casaux
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Afficher les commentaires Hide commentsCe zoo doit ferÂmer.
CLOSE THE ZOO OF DEATH
Je pleure en lisant ce texte … et j’ai honte d’être un humain.