Le capitalisme, vert ou pas, est un « suicide écologique »

Article ori­gi­nal (en anglais) publié le 21 juillet 2015 sur truth-out :
http://www.truth-out.org/opinion/item/31959-book-review-green-capitalism-the-god-that-failed


La crise cli­ma­tique est la plus grande menace qu’ait jamais affron­té l’humanité. Au taux actuel d’émissions de gaz à effet de serre, le réchauf­fe­ment de la pla­nète dépas­se­ra 2°C d’ici la moi­tié du siècle et attein­dra entre 4 et 6°C de plus que les moyennes pré-indus­trielles d’ici 2100. La magni­tude de la catas­trophe à venir a été élo­quem­ment décrite par Hans Schnell­hu­ber, direc­teur de l’institut de Pots­dam sur la recherche de l’impact sur le cli­mat, lorsqu’il a dit que : « la dif­fé­rence entre deux et quatre degrés est la socié­té humaine… ». En plus de cela, la bio­sphère fait face, entre autres, à une pol­lu­tion mas­sive, à un épui­se­ment des res­sources, à une extinc­tion des espèces, à l’acidification des océans, pour ne citer que quelques-uns des dan­gers imminents.

Mais pou­vons-nous nous sau­ver nous-mêmes ? Dans son nou­veau livre, Capi­ta­lisme Vert : Le dieu qui a échoué, Richard Smith explique irré­fu­ta­ble­ment que « la pro­duc­tion sou­te­nable est cer­tai­ne­ment pos­sible, mais pas sous l’égide du capi­ta­lisme », et, encore plus rigou­reu­se­ment, que « le capi­ta­lisme et le sau­ve­tage de la pla­nète sont fon­da­men­ta­le­ment et irré­con­ci­lia­ble­ment incom­pa­tibles ». Cette ques­tion cen­trale, Smith l’illustre par une maî­trise éco­no­mique impres­sion­nante et un style d’écriture agréable. Il explique et illustre avec une clar­té dévas­ta­trice les méca­nismes clés du capi­ta­lisme, qui le forcent à croître per­pé­tuel­le­ment, et ces expli­ca­tions sont étayées par un éven­tail d’exemples de pra­tiques éco­no­miques entre­pre­neu­riales et natio­nales, à tra­vers la planète.

Capi­ta­lisme Vert : Le dieu qui a échoué est une com­pi­la­tion d’essais déjà publiés. Les cinq pre­miers cha­pitres étu­dient les écrits d’Adam Smith et la tran­si­tion his­to­rique du capi­ta­lisme en Europe. Le pre­mier cha­pitre explique com­ment, dès le départ, la com­pé­ti­tion de mar­ché a entraî­né une inno­va­tion rapide, qui à son tour a entraî­né l’expansion du mar­ché, un cycle qui ne s’est jamais inter­rom­pu depuis lors. L’économie capi­ta­liste, par consé­quent, a eu des impli­ca­tions éco­lo­giques depuis son avè­ne­ment, se dis­tin­guant des périodes précédentes.

Les impli­ca­tions éco­lo­giques, cepen­dant, sont igno­rées par les éco­no­mistes grand public. A ce pro­pos, Smith explique que « les manuels d’introduction à la macroé­co­no­mie uti­li­sés par la plu­part des dépar­te­ments d’économie des USA illus­trent bien le manque de contact avec la réa­li­té de cette pro­fes­sion ». Les éco­no­mistes grand public, de Mil­ton Fried­man à Paul Krug­man, recon­naissent la néces­si­té d’une expan­sion éco­no­mique sans fin, ain­si que la crois­sance du consu­mé­risme. Sans cela, le capi­ta­lisme s’effondrerait. Selon Krug­man « […]bien qu’il soit dom­mage que les états-uniens conti­nuent la com­pé­ti­tion à qui pos­sè­de­ra le plus de jouets, la pire des choses serait la ces­sa­tion sou­daine de cette com­pé­ti­tion ».

L’expansion éco­no­mique est inévi­table sous l’égide du capi­ta­lisme, mais la des­truc­tion de la pla­nète en est le résul­tat inexo­rable. Richard Smith le résume ainsi :

« […] la crois­sance et la consom­ma­tion insa­tiables détruisent la pla­nète et condamnent l’humanité — mais sans une crois­sance inces­sante de la pro­duc­tion et une consom­ma­tion en hausse per­pé­tuelle, notre situa­tion serait encore pire. Telle est la logique contra­dic­toire et sui­ci­daire du capi­ta­lisme ».

Même en met­tant de côté la des­truc­tion de la pla­nète, la main invi­sible du mar­ché a échoué selon ses propres termes. Smith nous rap­pelle que « deux siècles un quart après les écrits d’ [Adam] Smith, le déve­lop­pe­ment mon­dial du capi­ta­lisme a pro­duit les socié­tés les plus gros­siè­re­ment inéga­li­taires de l’histoire, avec la moi­tié des habi­tants du monde qui vivent avec moins de 2$ par jour, et des mil­liards vivant dans un état de pau­vre­té extrême… ».

Contre l’économie grand public, une poi­gnée d’économistes pro­posent des modèles sou­te­nables de capi­ta­lisme, comme la décrois­sance, ou des ver­sions stables du capi­ta­lisme ; ou un « capi­ta­lisme vert », dans les­quels les avan­cées tech­no­lo­giques, le recy­clage, et une « éco­no­mie déma­té­ria­li­sée » per­met­traient d’une façon ou d’une autre une crois­sance infi­nie et pour­tant sou­te­nable. Dans les cha­pitres 2 et 3, Smith les ana­lyse en détail. Les désac­cords ne sont pas que théo­riques. Les solides réfu­ta­tions de Smith sont d’une impor­tance capi­tale parce que la plu­part des lea­ders envi­ron­ne­men­taux, aux USA, sou­tiennent une ver­sion de la décrois­sance ou du capi­ta­lisme vert, à tra­vers leurs décla­ra­tions, leurs actions ou sim­ple­ment leurs échecs à iden­ti­fier le capi­ta­lisme comme une menace pour notre survie.

Comme le montre Smith, le pro­blème n’est pas notre « addic­tion à la crois­sance », ni que la crois­sance per­pé­tuelle soit un « sor­ti­lège », comme l’a dit Bill McKib­ben (que Smith cite). Même le livre de Nao­mi Klein, Tout peut chan­ger : le capi­ta­lisme contre le cli­mat, dont Smith fait la cri­tique dans le cha­pitre 4, se concentre prin­ci­pa­le­ment sur le « capi­ta­lisme déré­gu­lé », en oppo­si­tion au capi­ta­lisme. Cela rap­pelle l’obsession pour le néo­li­bé­ra­lisme de tant d’écrivains des médias grand public pro­gres­sistes, qui ne condamnent que très rare­ment, voire jamais, le capi­ta­lisme sans lui acco­ler un adjec­tif. Les cou­pables sont, pour eux, le « capi­ta­lisme cor­po­ra­tiste », le « capi­ta­lisme de casi­no », etc., plu­tôt que le capi­ta­lisme lui-même.

Au contraire, et avec une clar­té de pen­sée rafrai­chis­sante, Smith explique que « […] la crois­sance éco­lo­gi­que­ment sui­ci­daire fait par­tie inté­grante de la nature de tout capi­ta­lisme conce­vable. Cela signi­fie… que le pro­jet d’un capi­ta­lisme stable est impos­sible et n’est qu’une dis­trac­tion. » En par­ti­cu­lier, « sous l’égide du capi­ta­lisme, l’intérêt de l’utilisation effi­cace des res­sources ne sert qu’à éco­no­mi­ser des res­sources afin de pro­duire encore plus de mar­chan­dises, pour accé­lé­rer la conver­sion d’encore plus de res­sources natu­relles en pro­duits. » Dans un sys­tème capi­ta­liste, cela ne peut être évi­té sans cau­ser un effon­dre­ment économique.

« Le consu­mé­risme insa­tiable est une néces­si­té quo­ti­dienne de la repro­duc­tion capi­ta­liste… Pas de sur­con­som­ma­tion, pas de crois­sance, pas d’emploi. » Pour­quoi pas d’emploi ? Il faut savoir que « plus des deux tiers des ventes de mar­ché, et, par consé­quent, la plu­part des emplois, dépendent de la vente directe au consom­ma­teur, tan­dis que le reste de l’économie, y com­pris les infra­struc­tures et le sec­teur mili­taire, sert prin­ci­pa­le­ment à épau­ler cet ‘Ame­ri­can way of life’ (mode de vie à l’américaine) consu­mé­riste. » Même sans cela, com­ment le capi­ta­lisme pour­rait-il un jour atteindre un état stable ? « Toyo­ta et Gene­ral Motors cherchent-elles à pro­duire autant de voi­tures en acier l’an pro­chain que cette année ? » demande Smith.

De la même manière, dans le cha­pitre 3, qui porte le même titre que le livre, Smith démo­lit les espoirs du capi­ta­lisme vert à tra­vers cinq thèses sur la nature de tout capi­ta­lisme. La cin­quième d’entre elles remet direc­te­ment en ques­tion les mythes popu­laires de « sor­ti­lège » et d’addiction à la croissance :

« Le consu­mé­risme et la sur­con­som­ma­tion ne sont pas « jetables » et ne peuvent être exor­ci­sés parce qu’ils ne sont pas « cultu­rels » ou « habi­tuels ». Ils font par­tie du capi­ta­lisme et sont indis­pen­sables pour la repro­duc­tion quo­ti­dienne des pro­duc­teurs cor­po­ra­tistes dans un sys­tème de mar­ché com­pé­ti­tif dans lequel capi­ta­listes, tra­vailleurs, consom­ma­teurs et gou­ver­ne­ments dépendent tous d’un cycle sans fin de hausse per­pé­tuelle de la consom­ma­tion pour garan­tir les pro­fits, les emplois, et les reve­nus des impôts […]. »

Dans les deux der­niers cha­pitres, Smith sou­ligne les contraintes éco­lo­giques néces­saires à toute éco­no­mie post-capi­ta­liste et décrit les alter­na­tives éco­so­cia­listes au capi­ta­lisme. Les chan­ge­ments néces­saires sont stu­pé­fiants. L’économie tout entière doit se contrac­ter et être restruc­tu­rée, selon une coopé­ra­tion inter­na­tio­nale. Le capi­ta­lisme est inca­pable de trou­ver des emplois pour les tra­vailleurs mis au chô­mage par la décrois­sance, même si une expan­sion impor­tante est néces­saire dans les ser­vices sociaux comme le sec­teur de la san­té, l’éducation, la remé­dia­tion envi­ron­ne­men­tale, etc.

« [P]uisque nous vivons sous l’égide du capi­ta­lisme, pas du socia­lisme, per­sonne ne pro­met de nou­veaux emplois à tous ces mineurs de char­bon, foreurs pétro­liers, fra­ckers de gaz, opé­ra­teurs de cen­trales élec­triques, agri­cul­teurs et fabri­cants de fer­ti­li­sants, défo­res­teurs et construc­teurs, empa­que­teurs, conduc­teurs de camions, construc­teurs d’avions, pilotes de lignes et équi­pages, et les innom­brables autres occu­pa­tions et emplois qui seraient mis en péril si l’utilisation de com­bus­tibles fos­siles était réel­le­ment réduite. »

Smith recon­nait que la construc­tion d’un mou­ve­ment requiert plus que d’être sim­ple­ment contre la des­truc­tion éco­ci­daire ; cela requiert une vision pour le futur. A cette fin, il sou­ligne un cer­tain nombre de carac­té­ris­tiques attrac­tives et attei­gnables d’une socié­té écosocialiste.

Capi­ta­lisme Vert : Le dieu qui a échoué est une lec­ture essen­tielle pour qui­conque s’oppose au sui­cide pla­né­taire. Le capi­ta­lisme mène une guerre contre la nature. Et tant que cela ne sera pas une évi­dence pour un nombre signi­fi­ca­tif de per­sonnes, nous devrons nous conten­ter de pro­jets réfor­mistes qui ne peuvent que ralen­tir la course vers le néant, mais ne peuvent la stop­per. Comme Smith nous le rap­pelle, « ce n’est pas exa­gé­ré de dire qu’il s’agit là du moment le plus cri­tique de l’histoire de l’humanité. »

David Klein


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Édi­tion & Révi­sion : Eli­za­beth G. & Hélé­na Delaunay

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4 comments
  1. Vous devriez évi­ter de don­ner dans ce qui se révè­le­ra être la plus grande affaire de bobar­dise cra­pu­leuse de tous les temps, fri­co­tée par ces capi­ta­listes que vous dénon­cez jus­te­ment. La théo­rie de l’in­fluence de l’ac­ti­vi­té humaine sur le cli­mat n’a aucun fon­de­ment scien­ti­fique, et se trouve contre­dite de plus en plus par les observations.
    Que l’on s’oc­cupe de lut­ter contre la pol­lu­tion, oui, trois fois oui.
    Que l’on pré­tende agir sur le cli­mat, c’est le fait de gens mal­thu­siens par­ve­nus au stade cri­mi­nel, qui pré­tendent conser­ver la Terre pour leur propre confort après avoir éli­mi­né les quatre cin­quièmes de la population.

    1. les peuples sont trop sou­mis a quelques per­son­nages qui sont deve­nue des déci­deurs des chefs reli­gieux des chef d’é­tats des dic­ta­teurs . mais dans la popu­la­tion il y a aus­si des petits chefs qui pensent que le coté conscen­suel des lois et ce qu il y a de mieux pour domi­ner. ce qui fait que la pla­nete la terre notre mère est vio­lée exca­vée etc. les femmes devraient cette révolte explo­sive et faire la gréve avec leur ventre et d ailleurs nous sommes 8 milliares;sur la terre ce qui genere tout se désastre éco­lo­gique ce sur­con­trole et que nous sommes enfer­més dans des petites cases

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