Cessons de blâmer les chauves-souris pour le coronavirus, le coupable, c’est la société industrielle (Nick Paton Walsh et Vasco Cotovio)

Le texte sui­vant est une tra­duc­tion d’un article ini­tia­le­ment publié, en anglais, sur le site de CNN, le 19 mars 2020. Je me suis per­mis de chan­ger le titre ori­gi­nal (« Les chauves-sou­ris ne sont pas res­pon­sables du coro­na­vi­rus, ce sont les humains les res­pon­sables », blâ­mer les humains pour les agis­se­ments de la socié­té indus­trielle capi­ta­liste, c’est un clas­sique dans les médias d’abrutissement de masse, et c’est une faute).


Dis­crètes, noc­turnes, nom­breuses — les chauves-sou­ris sont une source pos­sible du coro­na­vi­rus. Pour­tant, cer­tains scien­ti­fiques s’ac­cordent à dire qu’elles ne sont pas res­pon­sables de la pro­pa­ga­tion de cette mala­die qui bou­le­verse notre quo­ti­dien — les res­pon­sables, c’est nous.

Des zoo­lo­gistes et des experts en mala­dies ont expli­qué à CNN que les acti­vi­tés de la socié­té indus­trielle — la des­truc­tion des habi­tats natu­rels, ain­si que l’immense quan­ti­té d’individus se dépla­çant à toute allure d’un bout à l’autre de la pla­nète — ont per­mis à des mala­dies autre­fois confi­nées dans la nature de se pro­pa­ger rapi­de­ment chez les humains.

Les scien­ti­fiques ne savent tou­jours pas d’où vient le virus et ne pour­ront en prou­ver l’o­ri­gine que s’ils isolent un virus vivant chez une espèce sus­pecte — une tâche difficile.

Mais des virus extrê­me­ment simi­laires à celui qui cause le Covid-19 ont été obser­vés chez des chauves-sou­ris chi­noises dites « en fer à che­val ». Cela a géné­ré des ques­tions pres­santes sur la façon dont la mala­die est pas­sée de com­mu­nau­tés de chauves-sou­ris — sou­vent non impac­tées par l’homme — à des êtres humains par­tout sur Terre. Les réponses sug­gèrent qu’il est néces­saire de repen­ser com­plè­te­ment la façon dont nous trai­tons la planète.

Les chauves-sou­ris sont les seuls mam­mi­fères pou­vant voler, ce qui leur per­met de se répandre en grand nombre, depuis une com­mu­nau­té spé­ci­fique, sur une vaste zone. D’où le fait qu’elles peuvent héber­ger un grand nombre d’a­gents patho­gènes ou de mala­dies. Le vol exige éga­le­ment une acti­vi­té énorme de la part des chauves-sou­ris, ce qui a entraî­né une spé­cia­li­sa­tion de leur sys­tème immunitaire.

« Lors­qu’elles s’envolent, leur tem­pé­ra­ture cor­po­relle atteint un pic qui imite la fièvre », explique Andrew Cun­nin­gham, pro­fes­seur d’é­pi­dé­mio­lo­gie de la faune sau­vage à la Socié­té zoo­lo­gique de Londres. « Cela arrive au moins deux fois par jour avec les chauves-sou­ris — quand elles partent se nour­rir et qu’elles reviennent se per­cher. Et donc, les patho­gènes qui ont évo­lué chez les chauves-sou­ris ont évo­lué pour résis­ter à ces pics de tem­pé­ra­ture corporelle. »

Selon Cun­nin­gham, cela peut poten­tiel­le­ment poser pro­blème lorsque ces patho­gènes se pro­pagent à une autre espèce. Chez l’homme, par exemple, la fièvre est un méca­nisme de défense éle­vant la tem­pé­ra­ture du corps afin de tuer un virus. Seule­ment, un virus ayant évo­lué chez une chauve-sou­ris ne sera pro­ba­ble­ment pas affec­té par une tem­pé­ra­ture cor­po­relle plus éle­vée, explique Cunningham.

Mais pour­quoi la mala­die s’est-elle trans­mise à l’humain en pre­mier lieu ? La réponse pour­rait être assez simple, selon Cun­nin­gham. Elle implique une expres­sion tech­nique à laquelle nous devrons nous habi­tuer, car elle a chan­gé notre vie : on parle ain­si de « conta­gion » ou « trans­fert zoonotique ».

« Les causes sous-jacentes des conta­gions zoo­no­tiques issues des chauves-sou­ris ou d’autres espèces sau­vages sont presque tou­jours — tou­jours — liées au com­por­te­ment humain », ajoute Cun­nin­gham. « Les acti­vi­tés humaines sont la cause première. »

Lors­qu’une chauve-sou­ris est stres­sée — par la chasse ou en rai­son des dégâts cau­sés à son habi­tat par la défo­res­ta­tion — son sys­tème immu­ni­taire est mis à rude épreuve. Elle a ain­si plus de mal à faire face à des agents patho­gènes habi­tuel­le­ment rela­ti­ve­ment inof­fen­sifs — qu’elle est nor­ma­le­ment en mesure d’héberger sans que cela la per­turbe outre mesure. « Nous pen­sons que l’im­pact du stress sur les chauves-sou­ris est à peu près le même que l’impact du stress sur les humains », explique Cunningham.

« Il per­met­trait aux infec­tions de se pro­pa­ger et d’être excré­tées — d’être éva­cuées. Lorsque des gens por­teurs du virus de l’herpès sont stres­sés, ils déve­loppent de l’herpès. C’est ain­si que le virus ‘se mani­feste’. Cela peut aus­si se pro­duire chez les chauves-souris ».

Dans l’é­pi­centre pro­bable du virus — les mar­chés dits « humides » de Wuhan, en Chine — où des ani­maux sau­vages sont gar­dés en cap­ti­vi­té et ven­dus comme des mets déli­cats ou des ani­maux de com­pa­gnie, un ter­ri­fiant mélange de virus et d’es­pèces peut se produire.

« S’ils sont expé­diés ou déte­nus sur les mar­chés, à proxi­mi­té d’autres ani­maux ou d’hu­mains », détaille Cun­nin­gham, « alors il y a une chance que ces virus soient dis­per­sés en très grand nombre ». En outre, ajoute-t-il, les ani­maux qui se retrouvent dans un mar­ché comme celui-ci, dans des condi­tions extrê­me­ment stres­santes, sont éga­le­ment plus vul­né­rables à une infection.

« Nous déve­lop­pons le trans­port d’a­ni­maux — pour la méde­cine, les ani­maux de com­pa­gnie, la nour­ri­ture — à une échelle jamais atteinte aupa­ra­vant », explique Kate Jones, titu­laire de la chaire d’é­co­lo­gie et de bio­di­ver­si­té à l’U­ni­ver­si­ty Col­lege de Londres.

« Nous détrui­sons leurs habi­tats pour en faire des pay­sages anthro­pi­sés. Les ani­maux se mélangent de façon étrange, comme jamais aupa­ra­vant. Sur un ‘mar­ché humide’, on trouve des tas d’a­ni­maux dans des cages, les uns sur les autres. »

Cun­nin­gham et Jones sou­lignent tous deux un fac­teur per­met­tant à de rares cas de trans­ferts zoo­no­tiques de se trans­for­mer en pro­blèmes mon­diaux en quelques semaines. « His­to­ri­que­ment, de nom­breuses conta­gions entre ani­maux sau­vages et humains se sont pro­duites, mais la per­sonne infec­tée mou­rait ou gué­ris­sait avant d’en­trer en contact avec un grand nombre d’autres per­sonnes dans une ville ou un vil­lage », explique Cunningham.

« De nos jours, avec les trans­ports moto­ri­sés et les avions, on peut se retrou­ver dans une forêt d’A­frique cen­trale un jour, et au centre de Londres le lendemain. »

Jones est d’ac­cord. « Les conta­gions, qui exis­tait aupa­ra­vant, sont ampli­fiées par le fait que nous sommes extrê­me­ment nom­breux, et extrê­me­ment connectés. »

Il y a deux leçons simples, selon eux, que l’hu­ma­ni­té peut et doit apprendre rapidement.

Pre­miè­re­ment, les chauves-sou­ris ne sont pas à blâ­mer et pour­raient même contri­buer à nous four­nir une solu­tion. « Il est facile de poin­ter du doigt l’es­pèce hôte », explique Cunningham.

« Mais en réa­li­té, c’est la façon dont nous inter­agis­sons avec eux qui a conduit à la pro­pa­ga­tion pan­dé­mique de l’agent patho­gène ». Leur sys­tème immu­ni­taire est mal com­pris et pour­rait nous four­nir des indices impor­tants. « Com­prendre com­ment les chauves-sou­ris font face à ces agents patho­gènes peut nous apprendre com­ment les com­battre, s’ils se répandent chez les gens. »

En fin de compte, les mala­dies comme les coro­na­vi­rus se mul­ti­plie­ront sans doute étant don­né que la socié­té indus­trielle s’étend et se pro­page par­tout sur Terre. Cun­nin­gham et Jones s’accordent à dire que modi­fier la tra­jec­toire de la socié­té indus­trielle serait plus simple que de déve­lop­per un vac­cin très coû­teux pour chaque nou­veau virus.

Le coro­na­vi­rus est peut-être le pre­mier signe clair et incon­tes­table du fait que les dom­mages envi­ron­ne­men­taux que cause la socié­té indus­trielle pour­raient très rapi­de­ment éra­di­quer les humains.

« Des dizaines de mil­liers de virus attendent d’être décou­verts », explique Cun­nin­gham. « Ce que nous devons vrai­ment faire, c’est com­prendre où se trouvent les points de contrôle cri­tiques des conta­gions zoo­no­tiques de la faune et de la flore, pour empê­cher qu’elles ne se pro­duisent. Ce sera le moyen le plus ren­table de pro­té­ger les humains. » [Eh bien, bon cou­rage, dans la socié­té indus­trielle mon­dia­li­sée, des conta­gions peuvent se pro­duire à peu près par­tout, et ce « ren­table », quelle hor­reur, NdT] 

Selon Jones, les virus « sont de plus en plus nom­breux parce que nous sommes trop nom­breux et trop connec­tés. Les risques de pro­pa­ga­tion à l’homme sont plus éle­vés parce que nous dégra­dons les pay­sages. La des­truc­tion des habi­tats est la cause, la res­tau­ra­tion des habi­tats est donc une solu­tion. » [Ah, ça, par contre, cela a plus de sens, NdT] 

La leçon ultime que tout cela nous enseigne, c’est que les dom­mages cau­sés à la pla­nète peuvent éga­le­ment nuire aux humains plus rapi­de­ment et plus gra­ve­ment que les chan­ge­ments pro­gres­sifs et géné­ra­tion­nels induits par le chan­ge­ment climatique.

« Il n’est pas accep­table de trans­for­mer une forêt en zone agri­cole sans com­prendre l’im­pact que cela a sur le cli­mat, le sto­ckage du car­bone, l’é­mer­gence des mala­dies et les risques d’i­non­da­tion », affirme Jones. « On ne peut pas faire ces choses de façon iso­lée sans réflé­chir aux consé­quences poten­tielles pour les humains. » [Bien enten­du, ces experts calibre CNN se fichent pas mal des consé­quences de la défo­res­ta­tion pour les forêts elles-mêmes, pour les innom­brables espèces, ani­males, végé­tales et autres, qui les consti­tuent, pour tous les membres indi­vi­duels qui consti­tuent ces espèces, qui vivent dans la forêt, qui sont la forêt ; l’important, ce sont les humains, les consé­quences pour nous, vis-à-vis de nous, nous, nous, nous, NdT].

Nick Paton Walsh et Vas­co Cotovio

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