« Un monde nouveau » de Cyril Dion : toujours le même boniment éco-capitaliste (par Nicolas Casaux)

Dans sa nou­velle série de films docu­men­taires pro­duite par Arte, Uhsuaïa TV, Miro­va, We Demain, France Info et d’autres farouches éco­lo­gistes, inti­tu­lée « Un monde nou­veau », Cyril Dion recycle les vieilles imbé­ci­li­tés qu’il pro­meut depuis de nom­breuses années. On y trouve à peu près toute la mytho­lo­gie de l’écolo bran­ché d’aujourd’hui. Éco-quar­tiers, éner­gies renou­ve­lables (pro­mo­tion d’un grand parc éolien construit en Uru­guay par l’entreprise inter­na­tio­nale Akuo Ener­gy, un des prin­ci­paux finan­ceurs du pre­mier film de Cyril Dion [Demain]), tech­no­lo­gies vertes, etc.

Cyril Dion s’appuie notam­ment sur les tra­vaux de son amie Isa­belle Delan­noy (et non pas à la noix), dont le livre L’Économie sym­bio­tique est paru dans la col­lec­tion qu’il gère chez Actes Sud, et aus­si sur les tra­vaux de l’états-unien Paul Haw­ken, auteur d’un livre paru dans la même col­lec­tion chez Actes Sud, sous le titre Draw­down : Com­ment inver­ser le réchauf­fe­ment pla­né­taire. Paul Haw­ken pro­meut ce qu’il appelle un « capi­ta­lisme natu­rel », il s’agit essen­tiel­le­ment du capi­ta­lisme indus­triel tel qu’il existe aujourd’hui mais uni­que­ment basé sur des tech­no­lo­gies pré­ten­du­ment vertes, éner­gies renou­ve­lables, etc. Une chi­mère absurde.

Dans la nou­velle série de films de Dion, Isa­belle Delan­noy affirme qu’il est pos­sible d’avoir « une indus­trie auto­mo­bile régé­né­ra­tive des sols ». L’« éco­no­mie sym­bio­tique » dont elle fait la pro­mo­tion repose sur l’idée selon laquelle tout le sys­tème indus­triel pour­rait être ren­du éco­lo­gique. Une « éco­lo­gie indus­trielle » devant per­mettre la réa­li­sa­tion d’« éco­sys­tèmes indus­triels ». Les exemples qu’elle donne dans son livre sont d’une bêtise à pleu­rer. Comme l’écrit Dion dans son Petit manuel de résis­tance contem­po­raine :

« L’économie sym­bio­tique d’Isabelle Delan­noy ima­gine une socié­té où nous par­vien­drions à poten­tia­li­ser la sym­biose entre l’intelligence humaine (capable d’analyser scien­ti­fi­que­ment, d’organiser, de concep­tua­li­ser), les outils (manuels, ther­miques, élec­triques, numé­riques…) et les éco­sys­tèmes natu­rels (capables d’accomplir par eux-mêmes nombre de choses extra­or­di­naires). […] Le récit d’Isabelle Delan­noy reprend et arti­cule de nom­breuses pro­po­si­tions por­tées par les tenants de l’économie du par­tage, de la fonc­tion­na­li­té, cir­cu­laire, bleue, de l’écolonomie… »

Isa­belle Delan­noy et Cyril Dion (image tirée de la der­nière série docu­men­taire de Dion)

Pour exemple, Cyril Dion cite « l’approche de la ferme per­ma­cul­tu­relle du Bec Hel­louin », sans doute plus ven­deuse que les autres modèles lis­tés par Isa­belle Delan­noy, par­mi les­quels figure notam­ment l’écosystème [sic] de Kalund­borg, au Dane­mark, sur lequel elle s’at­tarde par­ti­cu­liè­re­ment parce qu’il consti­tue­rait, selon elle, « un des éco­sys­tèmes indus­triels [re-sic] les plus abou­tis ». Or, si elle pré­cise bien qu’on y trouve une « cen­trale ther­mique » (elle parle aus­si d’une « cen­trale éner­gé­tique »), elle ne pré­cise pas qu’il s’agit d’une cen­trale au char­bon (oups !). Et oublie éga­le­ment de men­tion­ner que le cœur de ce for­mi­dable « éco­sys­tème indus­triel », c’est une raf­fi­ne­rie de pétrole (re-oups !). Dans l’en­semble, il s’a­git sim­ple­ment d’une zone indus­trielle qui opti­mise un peu son fonc­tion­ne­ment : qui est plus effi­ciente, et donc plus rentable !

Pro­mo­tion de l’en­tre­prise Akuo Ener­gy, qui construit des cen­trales de pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té pré­ten­du­ment verte, propre ou renou­ve­lable, en France et à l’in­ter­na­tio­nal (image tirée de la der­nière série docu­men­taire de Dion)

Isa­belle Delan­noy vante éga­le­ment quelques entre­prises dont les pro­ces­sus indus­triels ont gagné en effi­cience, comme Rank Xerox, « spé­cia­li­sée dans la fabri­ca­tion de pho­to­co­pieuses », ou « Inter­face, le lea­der mon­dial de la moquette en dalles », ou encore l’entreprise Miche­lin, qui « a dimi­nué de plus de 3 fois sa consom­ma­tion de matière et a aug­men­té sa marge » ! Alleluia.

Les idées de Paul Haw­ken sont tout aus­si absurdes. Le capi­ta­lisme natu­rel qu’il appelle de ses vœux repose sur un déve­lop­pe­ment hyper-tech­no­lo­gique (peu évo­qué dans le film de Dion). Dans son livre, dans lequel il liste des solu­tions cen­sées nous per­mettre de résoudre le pro­blème du chan­ge­ment cli­ma­tique ou de nous y adap­ter, Paul Haw­ken pro­meut par exemple un « sys­tème d’au­to­ma­ti­sa­tion des bâti­ments (BAS) », qui consti­tue­rait « le cer­veau d’un bâti­ment. Équi­pés de cap­teurs, les bâti­ments BAS scrutent et rééqui­librent en per­ma­nence pour une effi­ca­ci­té et une effi­cience maxi­males. Les lumières s’é­teignent lors­qu’il n’y a per­sonne, par exemple, et les fenêtres s’ouvrent pour amé­lio­rer la qua­li­té et la tem­pé­ra­ture de l’air. Un sys­tème clas­sique indique aux ges­tion­naires de bâti­ments les mesures à prendre, comme le tableau de bord d’une voi­ture ; les bâti­ments dotés de sys­tèmes auto­ma­ti­sés agissent eux-mêmes, comme une voi­ture auto­nome. » Il fait éga­le­ment la pro­mo­tion du déve­lop­pe­ment du train à grande vitesse, des voi­tures élec­triques, d’une avia­tion plus verte, de camions élec­triques, de la « télé­pré­sence » (« la télé­pré­sence prend désor­mais vie de diverses manières et dans des contextes variés. Des entre­prises et des écoles aux hôpi­taux et aux musées, l’in­te­rac­tion vir­tuelle ouvre de nou­velles pos­si­bi­li­tés. À l’aide d’un robot de télé­pré­sence mobile, un chi­rur­gien peut don­ner son avis sur une inter­ven­tion rare en temps réel, sans se dépla­cer d’Aus­tin à Amman. Réunis dans des salles de confé­rence de télé­pré­sence à Syd­ney et à Sin­ga­pour, des cadres peuvent débattre d’une éven­tuelle acqui­si­tion sans prendre le moindre vol. Les entre­prises qui ont adop­té la télé­pré­sence avec enthou­siasme constatent qu’il n’est pas pos­sible de réduire tous les dépla­ce­ments, mais que beau­coup le peuvent. Au-delà de la réduc­tion des émis­sions de car­bone, la télé­pré­sence offre de nom­breux autres avan­tages : des éco­no­mies de coûts grâce aux voyages évi­tés, bien sûr, mais aus­si des horaires moins éprou­vants pour les employés, des réunions à dis­tance plus pro­duc­tives, la pos­si­bi­li­té de prendre des déci­sions plus rapi­de­ment et une meilleure connexion inter­per­son­nelle entre les pays. »), d’un pro­jet tech­no­lo­gique visant à pro­duire des « feuilles arti­fi­cielles », d’« auto­routes intel­li­gentes » (recou­vertes de pan­neaux solaires pho­to­vol­taïques, par exemple), de la « smart grid », de l’« hyper­loop », etc.

Le livre « Draw­down » de Paul Haw­ken, devant Emma­nuel Macron. De la lit­té­ra­ture révo­lu­tion­naire pour révolutionnaire.

Bref. Les naï­ve­tés, les nui­sances et les absur­di­tés habi­tuelles. Le monde hau­te­ment tech­no­lo­gique et éco­lo­gique, éco-indus­triel, durable, etc., que pro­meuvent ces gens n’existe pas. Les éco-quar­tiers (Wohn­Pro­jekt de Vienne), les tech­no­lo­gies dites renou­ve­lables, vertes, etc., tout ça n’a rien de véri­ta­ble­ment vert, éco­lo­gique. Les seules choses inté­res­santes que pro­meut Dion dans son docu­men­taire, ce sont des pra­tiques agro-pas­to­rales, ce genre de choses. Pour le reste, c’est du pipeau, mais c’est ras­su­rant, ça fait envie. Selon toute pro­ba­bi­li­té, le sys­tème tech­no-indus­triel ne sera jamais vert, et jamais non plus com­pa­tible avec de véri­tables démo­cra­ties. Mais ça, Dion pré­fère le nier ou l’occulter en don­nant la parole à des char­la­tans comme Delan­noy et Hawken.

Nico­las Casaux

Pour aller plus loin (j’ai déjà lon­gue­ment décor­ti­qué les inep­ties de Cyril Dion) :

Sur Cyril Dion et la nou­velle édi­tion de son Petit manuel d’abrutissement contem­po­rain (par Nico­las Casaux)

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