LE CHANGEMENT QUI NE CHANGE RIEN (par Bernard Charbonneau)

Ici, un extrait tiré de l’ex­cellent livre de Ber­nard Char­bon­neau, « Le Chan­ge­ment » (qu’il aurait ache­vé en 1990). Parce que ses ana­lyses sont extrê­me­ment justes, et dépeignent tout à fait la socié­té, ses chan­ge­ments et ses non-chan­ge­ments, que nous connais­sons actuellement.


LE CHANGEMENT QUI NE CHANGE RIEN

HUMAINEMENT, un seul moyen de chan­ger : ne pas chan­ger. Ima­gi­nez-vous dans un TGV qui ne vous iso­le­rait pas des effets de sa vitesse ; à défaut du vent de la course, le ver­tige vous en arra­che­rait Un tel envol n’est sup­por­table que par l’illu­sion de l’im­mo­bi­li­té. Bien calé sur les cous­sins d’une cel­lule cli­ma­ti­sée et inso­no­ri­sée, plus ou moins décol­lé du sol par l’é­lan de la machine, vous ne sen­tez plus les heurts de la course. Mais c’est sur­tout en vous que doit régner l’im­mo­bi­li­té. On va, l’on sur­vole, trop vite pour jeter un coup d’œil sur la fuite du pay­sage, la télé le rem­place. Le chan­ge­ment actuel n’est sup­por­table que si le voile d’une sta­bi­li­té s’in­ter­pose entre lui et nous. Aujourd’­hui faute de reli­gion, cette fonc­tion est rem­plie par le show poli­tique où le chan­ge­ment se réduit au conflit et à l’al­ter­nance de la Gauche et de la Droite au Pou­voir de ne rien faire. Tant mieux, sinon ce serait la Guerre ou la Révo­lu­tion, car faute de mieux l’illu­sion poli­tique peut tou­jours aggra­ver le désordre. Le chan­ge­ment fic­tif ayant pour fonc­tion de dis­traire du vrai, on pren­dra ici pour exemple les ava­tars poli­tiques de la France de 1981 à 1988 : Droite-Gauche, Gauche-Droite, Droite-Gauche.

  1. UN CHANGEMENT POLITIQUE.

En 1981 Fran­çois Mit­ter­rand et le PS suc­cèdent à Gis­card d’Es­taing et à la Droite, au pou­voir depuis que la Gauche est para­ly­sée par la riva­li­té du PS et du PC], Enfin le chan­ge­ment ! Du moins poli­tique, l’examen rapide de celui-ci est une bonne occa­sion de voir ce que notre socié­té entend par chan­ge­ment en fai­sant la part du mythe et de la réa­li­té. Car chan­ger sans chan­ger est le vieux rêve des Fran­çais qui, plus que d’autres, sont par­ta­gés entre leur besoin d’un ailleurs qui les libé­re­rait du poids du quo­ti­dien et leur hor­reur de ce qui trouble leurs habitudes.

Remar­quons d’a­bord que pour eux le chan­ge­ment par excel­lence est poli­tique, et plu­tôt que dans les choses celui qui est dans les esprits. Si l’on s’en tient aux lita­nies res­sas­sées dans la Presse qui cultive ce vocable magique, on pour­rait croire que rien n’a chan­gé depuis les élec­tions de 1961. Certes en tous domaines, excep­té la culture depuis la Libé­ra­tion, la Droite est res­tée au pou­voir en dépit du Plan et de la Sécu­ri­té sociale. Pour­tant si chan­ger c’est « chan­ger la vie », jamais celle des Fran­çais ne l’a été autant que dans ce der­nier quart de siècle ; il est vrai que ce fut dans le quo­ti­dien, les choses et les mœurs plu­tôt que dans la Consti­tu­tion. Et par la Science et l’Économie plu­tôt que par la Poli­tique. Inutile de déve­lop­per l’é­vi­dence de la pro­di­gieuse muta­tion opé­rée à l’exemple des USA par la tech­no­cra­tie fran­çaise sous le képi d’un haut mât totem. Si chan­ger la vie c’est chan­ger le lieu, l’ha­bi­tat, la nour­ri­ture, le tra­vail, les loi­sirs, etc., aucun régime ne l’au­ra fait comme celui res­té en place jus­qu’en 1981. Et aucun comme cette Droite pro­gres­siste (au sens tech­nique du terme) n’au­ra autant accé­lé­ré le chan­ge­ment, la mobi­li­té sociale et l’o­bli­ga­tion de s’a-dap-ter. « L’In­ten­dance sui­vra »? Non c’est plu­tôt le Géné­ral qui a sui­vi l’In­ten­dance. Quant à Mit­ter­rand, on peut sou­te­nir sans para­doxe que si une chose n’a pas chan­gé, c’est bien le Chan­ge­ment et son culte. D’autre part, si pour les Fran­çais le chan­ge­ment c’est le chan­ge­ment poli­tique, plu­tôt que celui d’un pro­gramme ils le conçoivent comme celui d’une tête de pipe pré­si­den­tielle. L’im­mo­bi­lisme de la pen­sée poli­tique figée par la mytho­lo­gie de Droite et de Gauche com­pense l’in­croyable bou­le­ver­se­ment de la vie des Fran­çais par le Déve­lop­pe­ment. Four ce qui est de ses effets, le Chan­ge­ment est par ailleurs inexis­tant Ain­si peut-on conti­nuer de chan­ger sans chan­ger en lisant son Canard Enchaî­né ou son Figaro.

Tan­dis que les labo­ra­toires tra­vaillent et les intel­lec­tuels bati­folent dans la nur­se­ry de la Culture, la vie et le lan­gage poli­tique sont tou­jours dic­tés par des idéo­lo­gies libé­rales ou socia­listes héri­tées du XVIIIe siècle. Les valeurs qui ont ins­pi­ré les révo­lu­tions conti­nuent d’o­rien­ter — en théo­rie — l’ac­tion de la Droite gaul­liste comme de la Gauche key­né­sienne et mar­xiste. Et le déca­lage de l’im­mo­bi­lisme poli­tique et du chan­ge­ment de la vie par l’ex­plo­sion scien­ti­fi­co-tech­nique contri­bue à aggra­ver le trouble qu’elle pro­voque dans les choses et les esprits. La pla­nète n’a plus que quelques heures de tour, mais la Gauche défend l’In­dé­pen­dance Natio­nale comme la Droite gaul­liste, Debré et Mar­chais fra­ter­nisent dans les plis du dra­peau tri­co­lore. Le Centre droit se réclame lui aus­si du pro­grès éco­no­mique et social et de l’aide au Tiers-Monde ; la Droite réac­tion­naire ne sur­vit pour l’ins­tant que dans un par­ti mar­gi­nal qui sert de repous­soir aux autres. La Gauche pré­tend seule­ment réa­li­ser ces prin­cipes admis par l’en­semble du corps poli­tique, et le suc­cès du PS est en par­tie dû au fait qu’il accepte de le faire selon des voies pra­ti­quées par la Droite. Reste la ques­tion : natio­na­li­ser ou déna­tio­na­li­ser ? Quoi ? Car il n’est pas ques­tion de tou­cher aux trois colonnes du temple : la France, la Pro­duc­tion, l’Em­ploi. Le pain et l’eau ne sont plus les mêmes, la cam­pagne devient un désert. Mais ce n’est pas là un pro­blème poli­tique. Le chan­ge­ment poli­tique de 1981 a sans doute pour cause essen­tielle le malaise culti­vé par le déve­lop­pe­ment à tous coûts autant que par sa crise. Qu’est- il d’ailleurs sinon une crise, celle de l’im­puis­sance humaine devant un chan­ge­ment qui lui échappe ?

Faute de don­ner un sens à celui-ci, on change la tête de César. Le pro­blème éco­lo­gique, au sens le plus large du terme, c’est-à-dire la menace qu’un pseu­do-Pro­grès fait peser sur la terre et la liber­té, n’est pas posé. Le moindre exa­men du pro­gramme et des actes du gou­ver­ne­ment socia­liste montre que sur l’es­sen­tiel il conti­nue sur la même voie. Certes dans la fou­lée de l’é­lec­tion, pour gla­ner quelques voix éco­lo, il y a eu l’a­ban­don de la cen­trale de Plo­goff et de l’a­gran­dis­se­ment du camp du Lar­zac. Mais le nucléaire n’est pas mis en cause, et bien d’autres points tout aus­si impor­tants, tels que la trans­for­ma­tion de l’a­gri­cul­ture en indus­trie, la dévas­ta­tion de l’es­pace rural et urbain par l’au­to, la menace que l’in­for­ma­tique et l’engineering géné­tique font peser sur la liber­té humaine ne sont même pas évo­qués. Rap­pe­lons aux éco­los de gauche qu’en bra­quant le pro­jec­teur sur tel ou tel détail, on plonge tout le reste dans l’ombre ; et le reste c’est l’im­men­si­té de ce chan­ge­ment que nous vivons.

Il reste tabou depuis A jus­qu’à Z. Son fon­de­ment théo­rique et pra­tique : la Recherche Scien­ti­fique, dont les cré­dits sont aug­men­tés, ne pose aucun pro­blème, même pour les quelques éco­los. M. Mau­roy peut pro­cla­mer la néces­si­té d’une « éga­li­té du savoir » sans laquelle toute autre est illu­soire, com­ment la conci­lier avec la mise en science de tout qui donne, avec la connais­sance, l’au­to­ri­té à une oli­gar­chie de savants ? Il n’en res­te­ra pour le vul­gaire que sa vul­ga­ri­sa­tion faite à la télé, en géné­ral par des igno­rants. Fille de la Science, la Tech­nique reste éga­le­ment « incon­tour­nable ». On déve­lop­pe­ra donc l’in­for­ma­tique et la géné­tique, dis­ci­plines éso­té­riques connues des seuls spé­cia­listes. Il res­te­ra au Peuple d’ap­puyer sur le bou­ton, et d’en­re­gis­trer après coup les effets dans sa vie. Une fois de plus, la Science infor­mant la Tech­nique et l’In­dus­trie pré­ci­pi­te­ra un chan­ge­ment dont on sait rien, sinon qu’il sera impré­vi­sible et considérable.

En matière éco­no­mique, le gou­ver­ne­ment socia­liste, pris entre la défense de la mon­naie, de l’emploi et de la moder­ni­sa­tion, essaye tout d’a­bord de conci­lier l’un et l’autre avec la réduc­tion de la jour­née de tra­vail et la relance de la consom­ma­tion. Le règne de l’é­co­no­mie et des éco­no­mistes (qui ont fait leurs preuves comme l’on sait) n’est pas ter­mi­né ; mais ce sont des éco­no­mistes de gauche. On revient du moné­ta­risme néo­li­bé­ral de Barre au pro­duc­ti­visme de Marx et de Keynes. On porte le taux de crois­sance à plus de 3 %, du moins on le sou­haite pour assu­rer l’emploi. On natio­na­lise, mais capi­ta­liste, éta­tique ou auto­gé­ré, le Trust reste le Trust. Et Renault une fabrique d’au­tos où s’in­ves­tit une part du reve­nu de la Nation, pour laquelle il fau­dra construire encore plus d’au­to­routes. Bien enten­du le Plan reste le Plan. Com­ment conci­lie­ra-t-on ses exi­gences avec la régio­na­li­sa­tion ? On dimi­nue le temps de tra­vail en essayant de res­ter com­pé­ti­tif sur le mar­ché sans aug­men­ter les coûts. Mais comme cela ne suf­fit pas pour assu­rer le plein emploi, on annonce de Grands Tra­vaux, dont on ne sait trop ce qu’ils seront, sinon qu’ils bala­fre­ront un peu plus la cam­pagne fran­çaise. Pas plus que les auto­routes le TGV n’est de droite ou de gauche. On aug­mente les salaires, mais comme natio­na­li­ser et inves­tir à tout prix coûte cher, tout d’a­bord l’in­fla­tion finan­ce­ra cette poli­tique. Et une fois de plus les salaires cour­ront après les prix. Puis, la stag­fla­tion mena­çant, on pra­ti­que­ra une poli­tique de rigueur. Les éner­gies nou­velles rele­vant sur­tout du dis­cours, reste les éco­no­mies d’éner­gie, que le prix du pétrole contraint de recher­cher. S’il baisse la Crois­sance pour­ra redémarrer.

Mais même si l’on y met des gants » pas ques­tion de renon­cer au nucléaire, et ce n’est pas la par­ti­ci­pa­tion du PC qui y mène­ra. On le conserve là où il est le pire : dans le sec­teur mili­taire. On conti­nue dans la voie du natio­na­lisme gaul­lien. Ce n’est pas pour rien que la pas­sa­tion des pou­voirs entre les deux pré­si­dents a pris la forme de la trans­mis­sion du code secret per­met­tant au seul Chef de l’État de déclen­cher le feu nucléaire ; l’acte fon­da­teur de la démo­cra­tie ato­mique est un acte de mort. Non seule­ment le PS ne renonce pas à la force de frappe, mais contre Gis­card il reprend la thèse gaul­liste de son emploi sur des objec­tifs civils plu­tôt que mili­taires (dans un article du Monde au len­de­main des élec­tions, par la bouche d’Her­nu). Pas ques­tion d’en­trer ici dans l’ab­surde débat entre la dis­sua­sion et la bombe à neu­trons, celle-ci menant à la fin de l’Eu­rope comme celle-là à celle de la pla­nète. Sur­tout, rap­pe­lons que si la bombe H est bonne pour la France au nom de l’In­dé­pen­dance Natio­nale, elle donne ce droit à tous les États, mul­ti­pliant ain­si à l’in­fi­ni les risques d’un acte de folie.

Certes le pro­gramme socia­liste com­porte aus­si l’aide aux pays EVD (le sigle aide à com­prendre), la dimi­nu­tion du temps de tra­vail et la régio­na­li­sa­tion. Mais com­ment faire pas­ser la théo­rie dans la pra­tique, en évi­tant les écueils contraires d’un idéa­lisme ver­bal ou d’un réa­lisme poli­tique qui l’un et l’autre ne changent rien ? On dis­court, ou l’on s’en­gage dans des réformes pré­ci­pi­tées qui pro­voquent le trouble et le mécon­ten­te­ment d’une opi­nion qui tient plus à ses habi­tudes qu’à la Révo­lu­tion. Alors on fait demi-tour en reve­nant à l’an­cien sys­tème. Ent­we­der oder : ou l’on ménage le capi­ta­lisme, qui reprend du poil de la bête, ou pour réa­li­ser le socia­lisme l’on verse dans des mesures auto­ri­taires qui ont fait leurs preuves à l’Est. Entre les deux la marge réfor­miste est étroite.

La régio­na­li­sa­tion ? Une fois de plus, laquelle ? Pour ce qui est du Déve­lop­pe­ment, à tous coûts les notables locaux sont pires que Paris. Tout le monde est pour l’aide aux pays EVD, à la condi­tion de ne pas la payer trop cher. Par ailleurs aider le Tiers-Monde par l’in­ter­mé­diaire de gou­ver­ne­ments qui refusent tout contrôle au nom de l’In­dé­pen­dance Natio­nale, c’est sur­tout aider la bour­geoi­sie locale ou bien quelque Ceau­ses­cu ou dynaste nord-coréen à s’a­che­ter des tanks. Com­ment avan­ta­ger la liber­té sans sacri­fier l’ef­fi­ca­ci­té ? Décen­tra­li­ser en déve­lop­pant une orga­ni­sa­tion scien­ti­fique et indus­trielle qui spé­cia­lise et concentre le savoir et le pou­voir. On peut accor­der une liber­té de prin­cipe à la télé, elle n’en res­te­ra pas moins entre les mains de l’Argent et de l’État, en tout cas des pro­fes­sion­nels. Ce n’est pas en élu­dant ces contra­dic­tions par de belles for­mules datant d’un siècle qu’on les résou­dra. En ten­sion avec la liber­té et l’É­ga­li­té, la science et l’in­dus­trie n’ont une chance de les ser­vir que dans la mesure où on le sait. Sinon, la contra­dic­tion sera réso­lue par la des­truc­tion, phy­sique ou spi­ri­tuelle, de Y Homo qui se pré­tend sapiens. Au fond le seul vrai chan­ge­ment, condi­tion d’un vrai pro­grès, serait un mora­toire du chan­ge­ment actuel aux fins d’y réflé­chir et de le changer.

  1. UN CHANGEMENT POLITIQUE (SUITE SANS FIN).

AU cours de sa vie un Euro­péen du XXe siècle a pu connaître trois types de socié­té. Des socié­tés tra­di­tion­nelles en voie de dis­pa­ri­tion devant la mon­tée du sys­tème scien­ti­fi­co-indus­triel. Et deux variantes de la socié­té indus­trielle, celle, libé­rale, du Mar­ché, celle, socia­liste, du Plan tota­li­taire. La pre­mière, sacra­li­sant son état, s’in­ter­di­sait le chan­ge­ment La seconde en fait son prin­cipe en tous domaines ; tan­dis que la troi­sième mène de front le blo­cage poli­tique et social et le Pro­grès. Mais pas plus que la socié­té tra­di­tion­nelle ou tota­li­taire, la démo­cra­tie libé­rale n’est plu­rielle. En France comme par­tout ailleurs à l’Ouest c’est la ten­sion entre deux pôles adverses qui assure la cohé­sion de l’en­semble, conflit réglé auquel nul n’é­chappe. Ce n’est plus l’Ordre total mais une sorte de match qui inter­dit tout coup d’œil, pen­sée ou action qui reti­re­rait de la par­tie, c’est-à-dire du fonc­tion­ne­ment de la socié­té. À toute autre époque il en fut ain­si de Byzance, par­ta­gée et liée par l’op­po­si­tion des Bleus et des Verts. Conflit sans autre rai­son objec­tive que lui-même : dans ce cas prendre par­ti pour la cou­leur de la casaque d’une des deux équipes de cochers de l’Hip­po­drome. Des motifs (à l’é­poque ils sont théo­lo­giques et non scien­ti­fiques), on les trouve après coup. Qu’im­porte les rai­sons de la que­relle pour­vu qu’elles la nour­rissent, et que s’é­trei­gnant les com­bat­tants forment corps ! Et si l’Em­pe­reur est pour les Bleus, les Verts seront contre. Et s’il est pour les Verts, les Bleus seront contre, lui jetant les pierres aban­don­nées par l’ad­ver­saire. C’est cette fureur bel­li­queuse, ce retour éter­nel d’un chan­ge­ment inchan­gé, qui inter­dit aux Byzan­tins de s’in­ter­ro­ger sur le sort de leur cité. Et Byzance, à tra­vers mille ava­tars, ira vers son des­tin aus­si néces­sai­re­ment que le cours d’une étoile.

Dans l’ac­tuelle socié­té fran­çaise tout ce qui est social, poli­tique au sens large du terme : opi­nion ou action publique asso­ciant des indi­vi­dus pour conser­ver ou chan­ger leur socié­té, se réduit au conflit plus ou moins violent de la Droite et de la Gauche. Être de l’une ou de l’autre est la seule option pro­po­sée au citoyen qui pré­tend pen­ser et agir publi­que­ment. En dehors d’elle il n’y a que des indi­vi­dus pri­vés, unis ou sépa­rés par leur diver­si­té per­son­nelle et fami­liale, matière pre­mière du roman, des jeux pres­ti­gieux et déri­soires de la Culture. Car la vie pri­vée (de quoi ?) est englo­bée dans la vie publique, dont elle subit les contraintes et acci­den­ta en temps de paix et sur­tout de guerre. Mais sitôt qu’il s’a­git de la socié­té glo­bale, un Fran­çais n’a plus qu’un choix : être de Droite ou de Gauche ; les élec­tions montrent à quel point par rap­port à ce bipo­la­risme tout devient secon­daire. Au mieux il est seule­ment per­mis de l’être plus ou moins, dans cer­tains cas de com­bi­ner l’un et l’autre sans le savoir. Qui pré­tend agir doit mili­ter, se mobi­li­ser (termes mili­taires) dans ce cadre. Et y don­ner, donc y rece­voir des coups. Rien de tel pour assu­rer à une cause et une convic­tion la réa­li­té et la force qui leur manquent.

Ain­si le mérite du libé­ra­lisme occi­den­tal est moins d’a­voir éta­bli la liber­té publique que d’a­voir ins­ti­tué dans le cadre de consti­tu­tions la que­relle dont vit la socié­té en empê­chant qu’elle dégé­nère en guerre du vain­queur. La pra­tique de l’al­ter­nance élec­to­rale main­tient le conflit en des limites qui empêchent la socié­té d’é­cla­ter. Au tond elle n’est ni de Droite ni de Gauche, mais de Droite-Gauche, ou Gauche- Droite. Les quelques liber­tés que le Chan­ge­ment laisse aux indi­vi­dus ne tiennent pas à une socié­té plu­ra­liste mais bipar­tiste, c’est dans l’entre-deux qu’elles peuvent se glis­ser. Celui qui sort de ce jeu sait que non seule­ment toute action, mais toute com­mu­ni­ca­tion sociale de sa pen­sée sera auto­ma­ti­que­ment cen­su­rée, sans que, comme à l’Est, la loi l’in­ter­dise ou l’autorise.

Si dans les pays nor­diques et anglo-saxons les par­tis reflètent le bipar­tisme fon­da­men­tal, dans les pays latins la riva­li­té des chefs, l’op­po­si­tion entre réfor­mistes et révo­lu­tion­naires com­plique ce jeu. De Droite ou de Gauche, réfor­miste ou révo­lu­tion­naire la com­bi­nai­son de ces quatre fac­teurs socio­lo­giques et psy­cho­lo­giques épuise presque tout ce qui se dit ou se fait publi­que­ment dans la France, l’I­ta­lie ou l’Es­pagne actuelles. Mais le cli­vage entre extré­mistes et cen­tristes est secon­daire par rap­port au conflit fon­da­men­tal ; et l’o­pi­nion impose aux par­tis de Droite et de Gauche de se coa­li­ser pour conqué­rir le pou­voir. L’é­ta­blis­se­ment d’une consti­tu­tion pré­si­den­tielle avec un Pré­sident élu au suf­frage uni­ver­sel a d’ailleurs rap­pro­ché la vie poli­tique de la Ve Répu­blique du bipar­tisme anglo-saxon. On objec­te­ra que la pré­sence d’un par­ti tota­li­taire comme le PC engendre un conflit entre révo­lu­tion­naires et réfor­mistes libé­raux. Il n’en reste pas moins qu’­Hit­ler est de droite et Sta­line de gauche, ce qui est plus impor­tant pour une opi­nion qui réser­ve­ra selon le cas toutes ses rigueurs à Pino­chet ou à Cas­tro. Tel qui vomi­ra un Ausch­witz révo­lu oublie­ra la Koly­ma pré­sente. Si une crise porte le conflit poli­tique au paroxysme, le libé­ral de Droite tour­ne­ra au fas­ciste, le libé­ral de gauche au com­mu­niste. N’ou­blions pas que la Droite a pris la gueule d’Hit­ler, et la Gauche celle de Sta­line. Ce seul motif devrait auto­ri­ser la cri­tique de l’une et de l’autre.

Mais sur­tout la mobi­li­sa­tion de l’o­pi­nion par la Gauche et la Droite sté­ri­lise la pen­sée et l’ac­tion publique au moment où un chan­ge­ment sans pré­cé­dent engage la France et la pla­nète dans une muta­tion radi­cale. Tout se passe comme si ce bipo­la­risme, comme autre­fois le mono­li­thisme reli­gieux, avait pour fonc­tion de blo­quer l’é­tat social — dans ce cas le chan­ge­ment— sur ses rails en diver­tis­sant ses membres des ques­tions qu’il leur pose. Entre­te­nant un abcès de fixa­tion de l’in­quié­tude et du besoin d’a­gir, le show poli­tique inter­dit aux indi­vi­dus toute prise de conscience d’une situa­tion radi­ca­le­ment nou­velle. Donc de s’as­so­cier pour la maî­tri­ser au lieu de la subir : la cri­tique du Chan­ge­ment est réduite à celle d’in­di­vi­dus dis­per­sés, condam­nés à « l’es­sai », s’ils trouvent un éditeur.

Pour celui qui sait, refu­ser de par­ti­ci­per à ce jeu déri­soire est donc essen­tiel. Quand, sor­tant de sa vie pri­vée, il consi­dère l’é­nor­mi­té du chan­ge­ment social, il est obli­gé de refu­ser l’option obli­ga­toire qui assure l’é­tat social, le tabou qui pro­tège le Chan­ge­ment De droite ou de gauche ? S’il y eut un temps où ce débat a eu un sens, tel n’est plus le cas. De toutes façons il ne s’a­git plus de classes sociales au sens mar­xiste du terme. On peut être de gauche et bour­geois, c’est notam­ment le cas de presque toute la clé­ri­ca­ture. Les Sey­doux votent Mit­ter­rand, Dou­meng com­mu­niste. Plu­tôt que des classes, l’op­po­si­tion de la droite et de la gauche est fonc­tion des métiers : les mili­taires n’ont pas les opi­nions des pro­fes­seurs. Et Marx ne pou­vait ima­gi­ner une socié­té bou­le­ver­sée par le Changement.

Si, refu­sant de subir la dis­tinc­tion qui consti­tue la socié­té fran­çaise actuelle, on s’in­ter­roge sur les fon­de­ments de la Droite et de la Gauche, on en arrive des deux côtés à des moti­va­tions spi­ri­tuelles hau­te­ment res­pec­tables. Mal­heu­reu­se­ment ces fins ne servent guère qu’à jus­ti­fier auprès de l’o­pi­nion les moyens : une poli­tique si stric­te­ment déter­mi­née par les ava­tars du Déve­lop­pe­ment qu’elle ne s’en dis­tingue guère.

À la racine qu’est-ce que la Droite ? En prin­cipe — seule­ment en prin­cipe — la défense des contraintes de la Nature et de la Tra­di­tion contre la Révo­lu­tion, de la réa­li­té contre l’u­to­pie, de l’Ordre contre l’A­nar­chie. La Droite recon­naît et valo­rise les contraintes, natu­relles, spi­ri­tuelles et morales que sa condi­tion ter­restre impose au désir de liber­té et de jus­tice de l’homme. Elle est pour l’au­to­ri­té, qui fut reli­gieuse, le res­pect du Pou­voir et de la Hié­rar­chie. Comme elle fut pour l’Église quand Dieu régnait sur l’é­tat de choses, elle est pour la Science et ses lois : l’Économie est la Véri­té parce qu’elle est un fait. La Droite défend l’État, l’Ar­mée : la socié­té contre l’in­di­vi­du. D’où les limites de son libé­ra­lisme éco­no­mique et politique.

Tan­dis que la Gauche, en dépit de son maté­ria­lisme mar­xiste, croit que la liber­té humaine peut et doit vaincre les contraintes de la nature et de la socié­té. Au fond anar­chi­sante, don­nant la pri­mau­té à l’i­déal sur la réa­li­té, elle croit à la pos­si­bi­li­té d’un chan­ge­ment qui fera des­cendre le ciel sur la terre. Elle croit au Pro­grès : à ce qui sera meilleur que ce qui est ; et c’est sa croyance au Pro­grès par la Science qui la met en contra­dic­tion avec elle-même. Idéa­liste elle se méfie de l’exis­tant, refuse la tra­di­tion. Tan­dis que la Droite accuse la Gauche de nier les « faits », pour celle-ci le juge­ment de valeur est un juge­ment de réa­li­té. Mais à ce compte, au pou­voir com­bien d’hommes de gauche deviennent de Droite !

De ces jus­ti­fi­ca­tions, néces­saires auprès de l’o­pi­nion, on ne peut tirer qu’une conclu­sion : si la polé­mique peut indé­fi­ni­ment se pour­suivre, c’est parce que les valeurs de droite et de gauche sont com­plé­men­taires. Le désir de liber­té sans recon­nais­sance de la néces­si­té natu­relle ou sociale ou la recon­nais­sance de la néces­si­té sans pro­jet de liber­té n’est qu’une demi-véri­té sans puis­sance créa­trice. L’homme est à la fois libre et serf, pri­vé de droite ou de gauche il n’est qu’un ampu­té. L’op­po­si­tion de la Droite et de la Gauche est le pro­duit d’une schi­zo­phré­nie qui oppose la pen­sée à sa réa­li­sa­tion. Pour nous faire com­prendre à Gauche, invo­quant l’au­to­ri­té de Marx et de Nietzsche, disons que la liber­té est conscience de la néces­si­té, qu’il n’y a de vic­toire sur elle sans un cer­tain amor fati autre­ment dit de notre contra­dic­tion sur terre.

La schi­zo­phré­nie de la Gauche et de la Droite ne peut que sté­ri­li­ser la poli­tique en les for­çant à tra­hir leurs prin­cipes. En un sens la socié­té du Chan­ge­ment n’est ni de Droite ni de Gauche, mais cette super­struc­ture assure l’infrastructure.

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La Droite n’est pas de Droite, il est faux qu’elle soit conser­va­trice. Son culte des « faits » éco­no­miques et maté­riels mène à la ruine de la nature et de toute tra­di­tion, culture ou ordre humain. La bour­geoi­sie capi­ta­liste puis tech­no­cra­tique est à l’o­ri­gine de deux révo­lu­tions cultu­relles qui ont bou­le­ver­sé la terre et la socié­té bien plus que des révo­lu­tions poli­tiques qui n’en sont que l’ef­fet. La Droite n’est pas le camp de l’Ordre, mais celui du Pou­voir économico-politique.

Quant à l’i­déa­lisme révo­lu­tion­naire ou réfor­miste de gauche, il est tout aus­si trom­peur. Si l’ac­tuelle Droite est de gauche parce que ral­liée depuis la guerre au Chan­ge­ment, la Gauche est de droite. La non-recon­nais­sance des contraintes de la nature et de la socié­té ne peut mener qu’à l’é­chec ou au men­songe : à des pro­messes impos­sibles à tenir, tout justes bonnes à séduire l’o­pi­nion et les élec­teurs. Une fois au pou­voir, rien n’empêche de se conduire en « res­pon­sable », qui sacri­fie sans scru­pule ses fins aux moyens. D’où les renie­ments du socia­lisme réfor­miste, dont on ne sait s’il réforme ou per­fec­tionne l’ordre désor­don­né de la socié­té bour­geoise actuelle. Et pire, le renie­ment fré­né­tique de l’ex­tré­misme révo­lu­tion­naire, auquel l’i­déal de liber­té et de jus­tice abso­lues donne dans l’im­mé­diat droit à la dic­ta­ture et à l’in­jus­tice abso­lues, et pour la paix à la guerre totale. Au fond celui qui tient les deux bouts de sa condi­tion d’homme — à sa liber­té dans la néces­si­té —, repro­che­ra à la Droite de ne rien conser­ver et à la Gauche de ne rien libérer.

De droite ou de gauche, réfor­mistes ou révo­lu­tion­naires, tous les par­tis actuels sont prêts à renier leurs prin­cipes et pro­grammes pour obte­nir l’essentiel : le Pou­voir. De quoi ? D’en­té­ri­ner après coup, impuis­sant, les ava­tars du chan­ge­ment. Pour tous reste seule l’ul­time Véri­té ; la puis­sance maté­rielle qui se pèse à la tonne ou se mesure au kilo­mètre à l’heure. La Droite est réa­liste, pour être forte la France doit avoir une Force de frappe ; la Gauche une fois au pou­voir repren­dra cette poli­tique à son compte. M. Barre lut­tait contre l’in­fla­tion avec le suc­cès que l’on sait, mais c’est M. Delors qui met­tra en train la poli­tique de rigueur finan­cière et de maî­trise de l’in­fla­tion que la Droite n’a­vait pas su impo­ser. Il est vrai que le prix du pétrole bais­sait et que les syn­di­cats ne pou­vaient se mobi­li­ser contre un gou­ver­ne­ment de gauche. Que pou­vez-vous objec­ter ? Com­ment faire autre­ment ? Ne pas trom­per les élec­teurs aux­quels on avait fait miroi­ter la relance de l’é­co­no­mie par la hausse des salaires ? Mais on n’au­rait pas été réélu. En quelque sorte on aurait refu­sé le devoir par excel­lence : le Pou­voir afin d’agir.

Au temps du Chan­ge­ment qu’est-ce que la Droite, qu’est- ce que la Gauche ? M. Mit­ter­rand est-il de droite ou de gauche, l’URSS révo­lu­tion­naire ou réac­tion­naire ? Quand tel père de son peuple fait de sa femme le numé­ro 2 du Par­ti, ou de son fils son héri­tier, est-il mar­xiste ou monar­chiste ? L’op­po­si­tion de la Droite et de la Gauche ne devrait plus avoir ni sens ni conte­nu pour le moindre esprit cri­tique. Mais elle est d’au­tant plus vive qu’elle ne signi­fie rien. Heu­reu­se­ment que reste le Pour-Contre d’une socié­té diver­tie par sa que­relle. Quand la Droite est Pour, la Gauche est Contre, et ver­sa. Quand la Droite était patriote et mili­ta­riste, la Gauche était inter­na­tio­na­liste et paci­fiste. Et quand la Gauche a récu­pé­ré le dra­peau tri­co­lore, la Droite est deve­nue paci­fiste, puis euro­péenne. Reste l’i­déo­lo­gie pour amu­ser le tapis : les natio­na­li­sa­tions ou les pri­va­ti­sa­tions, si elles échouent et que le gou­ver­ne­ment change, on pas­se­ra de l’une à l’autre. Reste la poli­tique étran­gère : les envois d’armes en cati­mi­ni à l’I­ran pour obte­nir la libé­ra­tion des otages, la défense de l’In­dé­pen­dance Natio­nale face aux deux grands qui, elle, reste la même. Il n’y a plus ni Gauche ni Droite, mais une même volon­té d’ac­cé­der ou de se main­te­nir au pou­voir… Pour le pouvoir.

Or dans cette socié­té d’au­tant plus rigide et déli­cate qu’elle est en per­pé­tuel chan­ge­ment, le pou­voir ne se conquiert et ne s’exerce pas n’importe com­ment La grande véri­té de la poli­tique actuelle, de droite ou de gauche, se réduit à une seule : « On ne peut faire autre­ment. » On ne peut faire autre­ment que per­fec­tion­ner la Force de frappe puis­qu’elle est là et que la France est natio­na­liste, qu’ex­por­ter, lut­ter contre la stag­fla­tion, réduire le défi­cit de la Sécu­ri­té sociale, construire plus d’au­to­routes, ren­for­cer la police, etc. On ne peut faire autre­ment que déve­lop­per la com­pé­ti­ti­vi­té de l’in­dus­trie fran­çaise pour lut­ter contre le chô­mage, donc sa pro­duc­ti­vi­té, qui fait qu’un tra­vailleur pro­duit autant que cinq puis dix. On ne peut faire autre­ment que déve­lop­per les tech­niques de pointe et la Recherche. Dans une socié­té lourde et fra­gile que sa vitesse pro­jette sur des mils, il n’y a plus de pro­jet poli­tique pos­sible, seule­ment la ges­tion des affaires cou­rantes, ô ! com­bien vite… Cette socié­té en chan­ge­ment n’a plus qu’un pro­jet : elle- même, ce qu’elle est ou plu­tôt devient en fait. Telle est la réa­li­té déter­mi­nante qu’oc­culte la réduc­tion de toute pen­sée ou action publique au conflit de la Droite et de la Gauche. Le Fait pour le Fait, le Chan­ge­ment pour le Chan­ge­ment, le Déve­lop­pe­ment des moyens pour le Déve­lop­pe­ment des moyens, fin et redon­dance inavouables qui doivent être cachées sous un voile de mots emprun­tés au passé.

Peut-on cre­ver cette bulle qui enferme et isole les indi­vi­dus en leur inter­di­sant de s’as­so­cier libre­ment pour chan­ger le chan­ge­ment de leur socié­té ? Peut-on chan­ger le cours des étoiles ? On pour­rait cepen­dant pen­ser que, com­po­sée d’hommes en prin­cipe sapiens, han­tés par le rêve d’une vic­toire sur la néces­si­té et la mort, le cours d’une socié­té n’est pas celui d’un astre. En tout cas si ces lignes furent écrites sans illu­sion, c’est dans cet espoir.

Ber­nard Charbonneau

(1910–1996)


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